n° 21016 | Fiche technique | 35430 caractères | 35430Temps de lecture estimé : 21 mn | 24/07/22 |
Résumé: « Le frigidaire était vide, mon estomac aussi. » Le narrateur met le cap sur le supermarché, et l’auteur, un peu lassé de ronronner dans les comédies romantiques, se dirige vers un registre plus amer. | ||||
Critères: fh inconnu magasin cunnilingu préservati pénétratio portrait -occasion | ||||
Auteur : Amarcord Envoi mini-message |
Le frigidaire était vide, mon estomac aussi. Alors j’ai mis le cap sur le supermarché. Pour vous, ça paraît une excursion d’une banalité affligeante. Mais pour moi, de retour d’un long exil, c’était une aventure amusante, et instructive aussi, sur l’évolution du degré de civilité de mes contemporains.
Le parking était plein comme un œuf, nous étions un mercredi. Non seulement les mères de famille trimballaient-elles leurs marmots en mal de garderie, mais le dépliant promotionnel toutes-boîtes avait dû atterrir la veille, et il promettait à la fois des conseils pour manger plus sainement et une offre à saisir pour se goinfrer de Nutella, à raison de deux pots au format familial gratuits pour tout achat du premier. Je crois qu’il devait y avoir moins de bagnoles sur les routes durant l’exode que sur le macadam du temple commercial.
Et puis je l’ai vue, la place libre qui m’était miraculeusement promise, là, juste sous le nez de mon capot. Seul restait un obstacle. La propriétaire de la vieille Clio voisine tardait à charger ses courses dans sa poubelle, et son chariot obstruait l’accès à l’emplacement que le destin généreux venait de m’attribuer. Autrefois, j’aurais fulminé, mais à 38 ans, j’ai fini par apprendre la patience à défaut de la sagesse, alors j’ai souri en tapotant mon volant. Sauf que là, elle poussait le bouchon un peu loin, la nénette. Elle devait être 4 ou 5 ans plus jeune que moi, sans rien de spectaculaire, plutôt grande, habillée de façon banale, un jean et un chemisier, et un air de profonde lassitude sur le visage un peu bouffé par de longs cheveux châtain pas vraiment coiffés. Un visage qui s’est crispé quand j’ai fini par donner un bref coup de klaxon. Elle m’a fait un doigt d’honneur.
Bienvenue au Club Med ! Ça commençait bien, mon excursion. Elle a pourtant fini par pousser son caddie, je me suis garé, et suis sorti sans commentaire. Ça a dû la désarçonner, mon calme, je ne devais pas être en phase avec le biotope, parce qu’elle s’est mise à bafouiller.
Elle n’avait pas l’air d’humeur à plaisanter, alors je me suis éclipsé en lui souhaitant bonne chance. En rentrant dans la grande surface, j’ai cru trouver l’autre raison de cette affluence : on y profitait de l’air conditionné à l’œil. Le choc ! Un aller simple instantané pour la Laponie, façon téléportation à la Star Trek. Beam me up, Scotty ! J’ai pas trouvé d’oreilles de Monsieur Spock, mais aperçu quelques particularités physiques plus émoustillantes. Pas mal de femmes s’étaient habillées très léger, et pour celles qui l’osaient ou pouvaient se le permettre, ce minimalisme radical avait des effets qui m’inspirèrent une nouvelle loi d’Archimède : tout corps féminin brusquement plongé dans un environnement glacé reçoit aussitôt une poussée involontairement proportionnelle de protubérances sous le tissu. Ça commençait à bien me plaire, le supermarché.
Pour le reste, c’était sans surprise, à part celle de cette fraîcheur bienvenue. Les prix étaient sacrifiés, les offres à saisir, la générosité envahissante. Les rouleaux de papier cul se vendaient pour trois fois rien par lots de 64. Ça m’a fait douter de la normalité de mon propre transit intestinal. La sono déversait un flot de muzak à chier, c’était peut-être ça la vraie raison. Et puis de temps en temps, une insupportable voix enjouée d’animateur de camping nous enjoignait de nous précipiter au rayon spiritueux pour la « happy hour » sur les dames-jeannes de Sangria. Il y eut deux exceptions dans ces appels au micro : la première appelait Francine en renfort caisses ; la seconde priait quiconque ayant trouvé une clef porteuse du logo Renault de la rapporter à l’accueil. J’ai éprouvé un bref moment de compassion pour la gonzesse qui m’avait recommandé une visite chez les Grecs. Et puis cette idée fugace m’a inspiré, par cette chaleur : un concombre, des tomates, une feta, de préférence plus hellène que hollandaise ou danoise, des olives noires, un poivron vert, un gros oignon rouge, un flacon d’huile d’olive de qualité, et puis tiens, la touche personnelle… un bouquet de menthe. Ça devrait le faire.
Ça s’est bien passé aux caisses.
Non, en effet. Et puis non, je n’avais pas la carte. Non, je ne la voulais pas. Non, je ne voulais pas non plus les timbres à collectionner pour le nécessaire à raclette en pleine canicule. Merci – au revoir – y’a pas de quoi – bonne journée.
Et puis, après avoir balancé le sac réutilisable dans ma bagnole, j’ai vu la nénette qui était toujours là, dépassée, anéantie, aussi déconfite et dégoulinante de sueur que ses surgelés.
Elle a pas répondu, juste fait non de la tête. Et comme je ne suis pas rancunier, ça m’a fait mal pour elle, cette solitude face aux petites cruautés de l’existence. C’est sûr que rester en rade sur un parking de supermarché, c’est pas tout à fait la même chose que trembler sous les bombes, mais ça ressemble malgré tout à la misère.
Son visage s’est animé, et c’est là que je l’ai vraiment regardée. C’était plus tout à fait la même nana. Il y avait un charme un peu doux et mélancolique dans son regard gris-vert, souligné par un léger pli sous la paupière inférieure, pas une poche, non, juste un trait léger. J’adore ça, chez une fille, c’est tout sauf un défaut à mes yeux, ça enveloppe le regard d’un mélange de mystère et de douceur, en particulier si elle sourit. C’est pas non plus qu’elle sautait de joie, la nana, mais ma main tendue lui donnait comme un petit sursaut d’énergie, et ça suffisait à me payer. Elle a accepté en toute simplicité, m’a remercié mille fois, et on a mis le cap sur son adresse.
Ça m’a surpris, et amusé aussi, cette remarque que j’aurais plutôt attendue d’un mec. Mais on n’a fait qu’effleurer ce sujet si joliment sensible, parce qu’elle m’a aussitôt montré du doigt un pâté de maisons.
Elle a disparu derrière une haie qui masquait un petit pavillon sans âme. Cinq minutes plus tard, elle n’était toujours pas revenue, alors j’ai coupé le contact et je suis allé voir. Je l’ai trouvée échouée à la verticale près de la porte, le visage appuyé contre le chambranle, et masqué par ses cheveux comme par un rideau.
Un long silence a suivi, et elle a tourné son visage hébété vers moi, avant de se détendre en y apercevant mon grand sourire.
Effectivement, c’était un boulot fastoche. Autant ne pas verrouiller ce genre de serrure, d’ailleurs, parce que ça ou rien…
C’est fou comme ça impressionne les gens, un miracle. À sa façon de me regarder les bras ballants, j’avais l’impression d’être Jésus venant de ressusciter Lazare.
Elle a fouillé dans un gros pot juché sur un meuble Ikea dans l’entrée, l’a vidé, retourné, a juré, paniqué…
J’ai démonté le cylindre, placé le nouveau, de la bonne longueur et méchamment plus sûr, réglé le jeu du pêne dans la gâche, graphité le tout, replacé les caches. Merci qui ? Et puis je l’ai vue qui me regardait dans le couloir, à la fois attendrie et désolée.
Et c’est comme ça que je me suis retrouvé dix minutes plus tard de retour sur le parking du supermarché à glisser l’outil improvisé sous le joint de la fenêtre, partir à la pêche du levier prolongeant le verrou, ouvrir la porte. Puis court-circuiter le Neiman en trafiquant le faisceau de câblage, pour que le contact des cosses lance le démarreur. Le moteur a ronflé. Je lui ai montré comment faire, tout était généreusement isolé, mais lui ai malgré tout recommandé la prudence.
Cette fois, elle riait de bon cœur, enfin détendue, et ça la transformait, ce lumineux sourire. Je me serais appelé Vivagel que j’aurais aussitôt fondu. Ça m’a inspiré une curiosité.
Elle a haussé les épaules.
Mon mutisme devait être éloquent.
⁂
Arrivés chez elle, elle m’a montré où trouver les instruments dans la cuisine, a dressé la table dehors, dans le petit jardin, à l’ombre d’une tonnelle couverte de chèvrefeuille et de clématites. Et puis, un peu gênée, elle s’est excusée, mais elle collait de partout après toutes ces émotions et cette chaleur, et elle est allée prendre une douche pendant que je préparais ma salade. Elle est revenue fraîche comme une fleur des champs, les cheveux séchés à la va-vite rassemblés par deux épingles derrière la tête, et ça lui donnait un air bien plus féminin et gracieux. Sans même parler de sa tenue, toute craquante d’inconsciente simplicité érotique : une paire de Superga blanches aux pieds, un short en jean, et un petit marcel kaki. Le tout prouvait qu’elle avait malgré tout un peu profité de ses deux jours d’oisiveté, puisque ses jambes, ses bras et ses épaules étaient joliment hâlés.
Je n’en avais que plus d’appétit, alors on s’est attablés, on a trinqué, papoté en toute innocence. J’aimais bien sa voix, un timbre chaud d’alto, et cette petite manie qu’elle avait de parfois semer sa conversation de « Pas vrai ? » C’était certes un tic de langage, mais il ponctuait sans excès ses phrases d’une note ascendante qui les rendait un peu musicales. Je sais pas, il n’y a que moi pour prêter attention à des conneries pareilles, paraît-il. Le vin était vif et frais, il me faisait revoir bien des préjugés sur le gris de gris. Alors, de verre en verre, de politesses en minuscules confidences, de regards curieux en regards amusés, gris, on l’est devenus un peu nous-mêmes. Il y a eu un long silence, et je cherchais des yeux où passait l’ange quand elle m’a posé cette question.
Elle n’a pas sursauté, pas frémi, mais j’ai malgré tout jugé utile de préciser.
Le silence est revenu. Elle a détourné le visage, par embarras ou emportée par sa rêverie. Et puis elle m’a regardé droit dans les yeux, et ce qu’elle m’a dit était magnifique d’intensité et de courage.
⁂
Qu’est-ce qui se passe quand deux affamés se retrouvent dans un lit sous un toit surchauffé ? Tout entre en ébullition, tout devient fluide et brûlant, toutes les prudences s’évaporent.
Elle m’avait entraîné par la main vers sa chambre, et elle n’avait plus rien de la fille paumée du parking. Et pourtant, on ne s’est pas jetés dessus, on a pris le temps de savourer chaque effleurement, chaque frisson. Ils étaient pour nous si rares, si précieux. Une redécouverte, presque une autre première fois.
Je lui ai avoué ne pas avoir de capote sur moi, et pour toute réponse, elle a souri et ouvert le tiroir de la table de nuit. Trois ans et huit mois d’abstinence réunis, ça faisait ceci dit un sacré bail de confinement prophylactique, mais je ne réclamais pas la confiance, c’est un crédit qu’on m’accorderait peu, désormais. Et puis ce long délai d’abstinence était un peu intimidant, comme s’il fallait que même l’instinct réapprenne les gestes du plaisir. Elle a déboutonné ma chemise, passé ses mains froides sur mon torse, et ce contact-là formait un contraste délicieux dans cette étuve au plafond pentu, aérée mais si peu rafraîchie par les deux fenêtres de toit grandes ouvertes. Dehors, un voisin tondait son gazon, mais cet agaçant bourdonnement était presque couvert par les pulsations sourdes qui battaient dans ma poitrine.
Elle a fait passer l’encolure du petit débardeur au-dessus de sa tête, j’ai libéré l’agrafe, délicatement fait coulisser les fines bretelles sur ses épaules, elle s’est instinctivement caché les seins de ses bras, et ce bref réflexe de pudeur là était à la fois inattendu et merveilleux. C’est là que je me suis collé contre elle pour l’embrasser, tout en goûtant le contact de sa poitrine contre la mienne, et je l’ai trouvée réceptive. De tous les actes qu’on pose pendant l’amour, n’est-ce pas le plus impudique, le plus engagé, le plus absolu ? Nos lèvres se cherchaient, se trouvaient, se happaient, s’échappaient pour mieux revenir, et puis ce furent nos langues, et bientôt nos bras, nos mains, nos corps tout entiers. Ma queue s’est raidie, ses mains dénouaient ma ceinture, et c’est bientôt à l’aveugle qu’elle redécouvrit la sensation ferme d’un sexe d’homme palpitant sous ses doigts. Elle me caressait avec plus d’audace, elle a frémi quand ma main a parcouru son ventre, déboutonné le petit short qui s’effondra, avant de s’enhardir lentement sous l’élastique.
Elle me freina, elle ne voulait pas tout de suite, et je n’en fus pas déçu, il nous restait tout le temps, il me resterait celui d’aller au cœur de son aventure, une énigme à résoudre, un trésor à découvrir. Nous avons basculé sur le drap, parfumé à la lavande, comme un souvenir d’enfance.
J’aurais pu lui dire que je la trouvais belle et émouvante, que j’adorais ses seins, leur taille raisonnable, leur forme légèrement en poire, leurs larges aréoles, c’était ceux d’une femme et pas ceux d’une image retouchée sous Photoshop. J’aurais pu lui dire que sa peau était douce et qu’elle sentait bon, que tout m’emportait, le rythme de son souffle, la courbe de son cul, la forme de ses cuisses un peu maigres. Mais à quoi bon le lui dire : y croirait-elle ? Je craignais qu’elle ne soit de ces filles inconscientes de leur grâce et si inquiètes d’être imparfaites, incapables de lire le désir brûlant d’un homme dans un regard, dans le ballet de sa main, dans l’avidité de sa bouche, dans la raideur de sa queue. Rien de tout cela ne leur suffisait, même au moment de tout oublier, elles se retenaient un peu en se reprochant encore des hanches un peu larges, des chevilles pas assez fines, des seins trop lourds ou trop plats, une coquetterie dans l’œil, une trace de cellulite ou un nez un peu busqué, sans jamais comprendre que ça aussi, chez elles, on l’aimait, ça surtout peut-être, ce qui les rendait à la fois si uniques, vulnérables et désirables.
Mes lèvres se taisaient, elles avaient mieux à faire, elles se posaient sur sa peau, elles léchaient ses aisselles, elles accablaient ses tétons de caresses lentes et de suçons appuyés, elles valaient bien plus de dix doigts avec leur appétit vorace, elles étaient si prometteuses à force de descendre sur son ventre couvert d’un microscopique duvet blond qu’elle a enfin replié les jambes : j’ai vu voler un petit éclat de coton blanc, j’ai atteint une merveille de soie sombre, et puis elle s’est ouverte et j’ai plongé.
Ma langue tournait, elle remontait à la fois le temps perdu et le ressort de son plaisir, ma langue ne se lassait pas d’explorer ses secrets humides après avoir tant souffert de la soif dans mes terres d’exil, elle fouillait, elle creusait pour provoquer l’évasion ultime, et les cris qui ont succédé aux gémissements m’ont annoncé que nous étions proches de nous enfuir.
Alors je suis venu. D’abord tout doucement, en surveillant son regard, en comprenant qu’il me dicterait le rythme. Il fut d’abord lent, lancinant, cérémonieux, presque mystique. Ses sourcils se crispèrent : ses yeux me réclamaient plus de vigueur et la cadence n’a plus cessé de monter, jusqu’à ce qu’elle se déchaîne. Qui montait qui ? Les doigts cramponnés à mes fesses, elle me poussait en elle ; cette fille me baisait autant que je la baisais, son sexe était pure douceur, ses morsures pure violence, ses cris pur chaos.
Elle a joui, longuement, avec des regards d’enfant apeuré, une totale perte de contrôle, elle n’était plus que spasmes, hoquets, chahut de bassin, chalut de désirs trop longtemps noyés, et c’était si beau de pure sauvagerie que ça m’a moi aussi libéré.
Et puis tout s’est apaisé. Le ronflement de la tondeuse du voisin s’était éteint, seul restait le souffle des pales du ventilateur sur nos épidermes encore un peu tremblants.
Je léchais du bout de la langue les gouttes de sueur perlant sur son ventre, elle tournait de ses longs doigts une mèche de mes cheveux trempés. Elle s’est couchée sur le flanc, m’a fait un petit clin d’œil qui avait tout d’un acquiescement ou d’un partage, une envie commune de prolonger le silence encore si chargé de désir assouvi.
C’est finalement elle qui s’est décidée à parler, et de tout autre chose, comme si l’amour que nous avions fait était banal. Peut-être n’était-ce à nouveau qu’une forme de pudeur. Ou alors de la simple curiosité. J’avais tout sauf envie de parler de ça, mais je lui ai répondu, en me sentant bien plus nu encore.
Elle a caressé ma tempe.
Elle a ri en me disant qu’elle n’avait rien contre ce genre de récidivistes, et elle a fini par me le prouver, tout en délicatesse, cette fois, dès que je fus en état de prester. Après la dégustation épicée, elle m’offrit le plus tendre des desserts.
J’ai ramené son visage face au mien, et j’y ai lu un mélange un peu doux-amer. L’apaisement qui suit la satisfaction du désir, et puis déjà aussi cette petite ombre de mélancolie qui vous signale que la fille qui vous sourit ne croit pas à un avenir au-delà de cette étreinte. Et la suite me l’a prouvé.
Je m’attendais à tout sauf à ça, et puis ça expliquait bien des choses, des statistiques de récidive à ces surprenantes plaisanteries un peu masculines, probablement inspirées par la fréquentation quotidienne d’un groupe de mâles. On n’a pas épilogué sur le sujet, je me suis rhabillé en déclinant l’offre d’une douche, que je prendrais plutôt chez moi. Je n’étais pas pressé de me libérer du parfum un peu sucré de sa peau sur la mienne. J’ai bien tenté une ultime plaisanterie en franchissant la porte, comme pour dédramatiser les adieux.
Elle a ri, ses yeux se sont plissés, et à ce moment-là j’ai réprimé une envie folle de la serrer de toutes mes forces dans mes bras, la femme flic, de me constituer prisonnier à perpétuité. Mais elle n’y tenait pas, on aurait dit. Sans doute que ça se mélange pas trop, les gendarmes et les anciens voleurs. J’en sais rien.
On ne s’est pas échangé nos téléphones, on n’a pas même soulevé l’idée de se revoir. Elle ne m’avait concédé que son prénom, et ce n’est qu’en refermant la grille que je trouverais son patronyme inscrit au feutre sur l’étiquette de la boîte aux lettres. Un simple souvenir à classer au dossier des brèves et jolies rencontres.
C’était un peu décevant, mais très beau aussi, pourtant. Absolument beau comme le corps d’une femme après des années de désert.
Pas vrai ?
⁂
C’est une impression bizarre que de s’installer dans une ville qu’on ne connaît pas, et où l’on n’a rien de particulier à faire, à part tenter d’y trouver sa place. On y flotte un peu, comme un touriste, en particulier en plein été.
Je suis retourné au supermarché, le parking était cette fois presque vide.
Il faisait toujours aussi frais à l’intérieur, mais il y avait peu de clients. Dans l’allée centrale, j’ai vu une hôtesse qui se tenait debout à côté de trois palettes de Nutella. J’en avais bien entendu rien à foutre, mais comme j’étais un des rares clients à déambuler, elle m’a apostrophé.
Elle mettait le paquet, mais elle le jouait avec une telle conviction qu’on ne pouvait que sourire et s’incliner. Et puis elle était si jeune et si mignonne, avec son grand sourire, ses cheveux blond vénitien rassemblés sur sa nuque fine, ses grands yeux bleus et sa spontanéité gentiment coquine…
La formule était presque déprimante, mais sa gaieté était si naturelle qu’on avait envie de lui dire oui. Je n’allais pourtant pas me laisser faire sans résistance, en particulier pour un article sans intérêt pour moi.
Son sourire était ravissant, ses pommettes et son petit nez couverts de quelques adorables taches de son l’étaient tout autant, ses grands yeux bleus pétillaient, et je n’ai pas eu le cœur de répondre.
Miss Nutella n’a même pas attendu ma réponse, elle a fourré d’autorité trois pots de pâte à tartiner dans un sac, et me l’a tendu après y avoir ajouté les deux tickets promis ainsi qu’un petit dépliant publicitaire. Déjà, elle abordait une mère de famille dont les moutards trépignaient à la vue de la promotion. Je me retournai en m’éloignant, tout en me disant qu’on n’arrêtait pas le progrès dans les techniques de vente. La petite allumeuse commerciale s’en aperçut, m’adressa un clin d’œil appuyé. Et c’est comme ça que j’ai compris que, pour la première fois, je venais de me faire baiser par le marketing très personnalisé.
Ce n’était pas si désagréable. Mais ce n’était pas la même chose.
J’ai rejoint le parking. Cette fois-ci, c’est moi qui me sentais paumé, inerte, privé du code. L’Alfa, elle, a démarré sans qu’il ne soit nécessaire de la crocheter, et j’ai longuement roulé jusqu’ici.
C’était schtroumpfement moche. Mais personne ne m’y poserait de questions.
Du haut de la Grande Roue, j’ai contemplé mon horizon, un avenir de surgelés.
J’ai pensé aux statistiques, celles de la récidive, et puis aux autres aussi, à celles qui tombent de haut.
J’ai ouvert le pot de Nutella, y ai trempé un doigt, me suis forcé à goûter la pâte sucrée. J’ai toujours pas bien compris ce que les gens lui trouvent, mais ça fait malgré tout du bien de se sentir un peu comme tout le monde.
Demain, c’est promis, je retrouverai ma clef.