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n° 21104Fiche technique7902 caractères7902
Temps de lecture estimé : 6 mn
29/08/22
Résumé:  Suite a "il est des matins sinistres".
Critères:  confession -lettres -rupture
Auteur : Sphynx      Envoi mini-message
Le temps n'éffacera rien

Après le choc de notre séparation et des semaines à errer, la cure de repos sous sédatif me ramène peu à peu à la réalité.

J’ai cru devenir folle et parfois regrette que ce ne soit pas le cas, mais j’ai pris une décision.

Tu m’as écrit en me quittant, aussi vais-je faire pareil et te répondre, sauf que tu ne verras probablement jamais cette lettre, cela ne fait rien, il faut que je le fasse.


Voici ce qui s’est passé ce jour funeste :



Je rentre à la maison, il est sept heures du matin, le service finissant à six heures, il m’est impossible d’arriver plus tôt, fatiguée par une longue nuit à rester debout, mon lit me tend les bras. Vite, à la cuisine, un verre d’eau et dodo.

Il va être midi lorsqu’un soleil éclaboussant la chambre me tire du sommeil. Un coup d’œil sur mon portable ne m’indique pas d’appel, je suis surprise, quand mon chéri est en déplacement il ne manque jamais de me laisser un ou plusieurs messages.


En arrivant dans le salon, je vois une lettre ouverte sur la table. En la lisant, mon cœur s’arrête, le sol se dérobe sous moi. C’est une suite d’accusations mensongères d’une horreur absolue. Combien de temps suis-je restée ainsi tétanisée et prostrée… Des heures, certainement, mon esprit ne fonctionne plus.

Enfin progressivement me vient cette réalité : tu m’as quittée, jamais plus tu ne seras dans mes bras ni moi dans les tiens.

Tu t’en es allé, emportant une certitude : laisser derrière toi la femme immonde qui t’a trahi, menti, déshonoré.

C’est quoi ce livre abject dont tu parles et cette femme sans retenue aucune qui expose ses dérives sexuelles comme un épicier son inventaire ?


Oui, je suis allée hier dans ce club libertin, c’est aussi la troisième fois que je vais y remplacer mon amie Christelle les soirs où elle reste à l’hôpital au chevet de sa fille qui y subit un lourd traitement, le père de son enfant les ayant abandonnés.

Son patron est très compréhensif (elle y tient le vestiaire… Du moment où une femme jeune, jolie, souriante et sexy peut la remplacer, elle garde son travail). En général, il se trouve toujours parmi nos amies quelqu’un pour le faire, sauf les trois fois où je suis intervenue, évidemment uniquement si tu étais en déplacement.

Tu m’as vu entrer à vingt et une heures, le club n’ouvre qu’à vingt-deux heures, et si j’étais accompagnée, c’était avec les collègues de Christelle, les barmans, DJ et videurs. Je ne serai jamais entrée seule dans cet endroit.

Je ne vois pas qui a bien pu me reconnaître. N’ayant pour ma part rencontré aucune connaissance. Il y avait probablement dans notre entourage des amis qui nous voulaient du bien… Comment ont-ils pu faire une telle ignominie ? J’aimerais leur arracher les yeux.

Mais si, comme je l’espère, un jour tu vois ma réponse, toi tu sais de qui il s’agit !


Il est évident que mes amies savaient, étant elles-mêmes mises à contribution quand il le fallait pour y tenir le vestiaire. Tu peux comprendre que, partageant ces secrets, cela les faisait glousser.


Le téléphone, là, tu me surprends, n’ayant jamais eu le sentiment d’avoir voulu cacher quoi que ce soit.

S’il m’est arrivé de m’écarter, cela tient probablement d’un réflexe d’éloignement de la télé, à la fois pour mieux entendre et parler doucement pour ne pas te gêner.


Tu m’accuses de pratiques monstrueuses, scandaleuses, qui dépassent mon entendement. Pour justifier cela, tu me reproches mon attitude au lit, mais tout comme toi, enfant, j’ai été éduquée à ne jamais extérioriser.

C’est vrai, je n’ai pas de forts besoins charnels, mais quand tu me possédais, j’aurais dû exprimer ouvertement ce que je ressentais réellement… hurler, te mordre, te griffer.


Parce que j’ai trop de retenue, je deviendrais un monstre assoiffé de luxure et de stupre, incapable de refréner ses pulsions malsaines… Comment dis-tu, soumise ?


Tu voyais le port du slip comme une protection, mais non, il faut toujours rester décent quoi qu’il puisse arriver la nuit, reflet de l’éducation reçue.


Jamais tu n’aurais accepté que je puisse, quelles qu’en soient les raisons, travailler dans un endroit pareil et je ne pouvais laisser mon amie dans sa situation perdre son emploi. Voilà ma faute.

Les amis bien intentionnés à l’origine de ce désastre font état du tatouage qui, tu le sais bien, n’en est pas un, mais un impétigo maquillé et que n’importe qui peut voir quand j’ai une robe à bretelle, ce qui arrive très souvent.


Sac à foutre, me vois-tu réellement ainsi ? Je t’ai définitivement perdu et, toute ma vie, c’est la flétrissure que je garderai au cœur et suis au désespoir de savoir que c’est ainsi que tu me perçois.


Nous allons probablement mourir loin l’un de l’autre. On nous a volé nos raisons de vivre.

Ce, on nous a détruits sciemment méthodiquement.

J’ai beau réfléchir, je ne vois pas qui sont ces gens (il n’est pas question de dire amis), que cherchaient-ils ? Quelle vengeance à assouvir pouvaient-ils avoir, ce ne pouvait quand même pas être gratuit ?


Où peux-tu bien te trouver aujourd’hui ? Parfois, la nuit, il me vient des visions terribles. Tu as mis fin à tes jours de la pire des façons que tu as décrites. En faisant en sorte que l’on ne puisse te trouver.

Ton corps gît au fond d’un plan d’eau dans la vase avec des détritus autour et sur toi. C’est une douleur insupportable que de ne rien savoir. Comme toi tu m’imaginais faussement dans les situations les plus dégradantes.

Qu’avons-nous fait pour mériter ça ? Nous étions heureux, ne demandant rien à quiconque. Je n’ai abandonné personne pour toi ni toi pour moi… Alors ???


En y pensant et en suivant à la lettre ce que tu m’as écrit, peut-être t’ont-ils menti par omission, car, enfin, les jeux dont ils t’ont fait la description existent certainement, et s’ils t’ont dit m’avoir vu au club, c’est vrai aussi, mais c’est au vestiaire. Pour ce qui est du « bien accompagnée », à moins qu’ils ne soient passés devant l’établissement au moment où arrivait le personnel (moi et les collègues de Christelle) donc bien avant l’ouverture aux clients, il y a là déjà une malhonnêteté pleinement assumée.


Je vais fonder l’espoir que, finalement ayant choisi la dernière option, tu viennes t’installer près de notre maison pour observer ce que ta femme, car je bénis le ciel, je suis toujours ta femme, celle que tu as rencontrée un matin de printemps lors d’une exposition au musée d’Orsay, qui t’a toujours aimé, jamais trompé. Si tu savais combien je me sens amputée sans toi depuis que tu es parti, ma vie était bien dans la tienne.


Et prier ardemment pour qu’il en soit ainsi !


Le drame absolu de tout cela est que malgré tous nos efforts, la fille de Christelle n’a pu être sauvée. Elle est morte trois mois après… Elle et moi sommes dans le désespoir pour des raisons différentes, j’ai beau me dire que le chagrin de mon amie doit être, si c’est possible, encore pire que le mien.

Nous nous entraidons comme nous pouvons. Tu sais, la compagnie des hommes dans nos situations, c’est un rejet absolu, un dégoût partagé.


Mon existence devenue vide de sens, je la consacre aux enfants autistes, ces innocents eux aussi égarés dans un monde qu’ils ne comprennent pas.

C’est mon moyen de subsistance, tu t’inquiétais, te voilà rassuré.