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n° 21168Fiche technique35496 caractères35496
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Temps de lecture estimé : 24 mn
23/09/22
Résumé:  Afin de se ressourcer, Séverine décide de partir seule trois jours en randonnée. Mais, durant la nuit d'équinoxe d'automne, elle fait un voyage dans le temps et rencontre un homme venu du fond des âges.
Critères:  #aventure #fantastique f fh fhh jeunes extracon inconnu bain forêt froid amour nudisme fmast fellation cunnilingu pénétratio
Auteur : Marchandisidore            Envoi mini-message

Projet de groupe : 23 Septembre 2022
Equinoxe sextraordinaire

Nous sommes 45 000 ans avant notre ère, en plein cœur d’une période de glaciation dont la durée totalisera plus de cent mille ans. La calotte polaire descend jusqu’au Nord de l’Europe. Les régions qui se trouvent à une latitude correspondant à celle de la France ayant la chance d’échapper au permafrost, ne se défont de leur épais manteau neigeux qu’à partir du printemps. La vie n’a alors que quelques mois de répit avant le retour de l’hiver, les paysages de toundras et de steppes se dévoilent, traversés par des fleuves où viennent s’abreuver de gigantesques troupeaux de bisons et de rennes. Là-bas, le long de la falaise, quelques tentes fument légèrement. Les breloques de coquillages percés qui pendent à leurs entrées s’agitent au vent et cliquettent au contact de linteaux constitués de défenses de mammouth. La résistance de la structure est assurée par une armature faite d’arceaux de bois de noisetier, maintenue à sa base par des pierres, puis recouverte de grandes peaux tannées. Au centre de ce village de toile se trouve un large foyer au-dessus duquel pendent d’énormes quartiers de viande placés de sorte à y être boucanés. L’odeur de la fumée se mêle à celles du plateau venteux parsemé de conifères, de garrigue et de bouleaux.


La saison de chasse a été bonne, le clan a fait suffisamment de réserve pour pouvoir de nouveau affronter l’hiver. Les femmes ont fabriqué des cordes en tendons de renne, préparé des peaux et des fourrures, confectionné les vêtements. La récolte de tous les végétaux nécessaires aux soins et à la complémentation alimentaire a été abondante ; ils seront conservés soit séchés, soit avec de la graisse animale, préparés en baumes. Durant les campagnes de chasse, les contacts avec les clans des territoires adjacents n’ont causé aucun incident et ont permis échanges et renouvellements d’alliances. Mais ce matin, ce qui agite le village est le départ de Bao.


Hier, il a défié Tarnuk, le chef du clan. Comme le veut l’usage, son sort a été remis entre les mains du conseil des sages qui, après une nuit complète de délibération a pris la dure décision de le bannir pour 6 lunes hors du territoire. Bao est un très bon chasseur, voire peut-être un des meilleurs, mais son caractère impétueux fait courir un risque non négligeable au maintien de l’ordre et à la cohésion du clan. Il devra affronter la mort de la nature pendant les six prochains mois d’hiver, seul au milieu des prédateurs des steppes. Si, pour les éviter, il se décide à se réfugier dans les hauteurs de l’Est, il devra échapper aux « crânes allongés » qui parfois, venant des montagnes, rôdent en marge des vallées afin de commettre quelques rapines. Leur physique impressionnant et leur tendance à l’anthropophagie alimentent une crainte bien légitime et inspirent légendes et frayeurs. Pourtant Bao en est un hybride. C’est en partie pour cela qu’il n’a bénéficié d’aucune mansuétude de la part de l’aréopage. Sa mère avait été recueillie alors qu’elle n’était que nourrisson. Les membres de son clan, fuyant une expédition punitive menée par le père de Tarnuk, l’ont abandonnée dans les décombres de leur campement. Ce n’était pas la première fois qu’un petit de Néandertal était adopté par des Sapiens et elle fut élevée comme n’importe quel enfant de la communauté. Arrivée à l’âge nubile, elle fut mise enceinte et alla rejoindre l’esprit des étoiles en donnant la vie. Bao avait hérité de sa mère sa vivacité et une force hors du commun, cependant il n’était pas marqué par les traits que ses ascendances Néandertaliennes auraient pu lui transmettre tels que l’hypertrophie du bourrelet sus-orbitaire, le front et le menton fuyants. Seule la couleur de ses yeux, d’un bleu de glace à faire fondre le cœur des belles, pouvait informer sur l’origine de sa rustique parentelle. Ce soir-là, il devra partir, guidé par le soleil et les étoiles, où son instinct le mènera. S’il survit à son exil, il regagnera le respect des siens et entrera dans la légende de ceux qui ont survécu à la règle.



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45 000 ans plus tard, les brumes glaciales de l’ère moustérienne se sont dissipées, et avec elle les paysages de plaines venteuses où mammouths et rhinocéros à poils laineux venaient paître le long de fleuves plus larges que le Mississippi. Les glaciers ont fondu, le niveau des mers est remonté de 120 mètres, des forêts luxuriantes de feuillus recouvrent l’espace continental. Il n’y a maintenant plus qu’une seule humanité : de la même espèce que les hommes du clan de Bao, l’Homo sapiens domine le monde.


Après avoir quitté Mende, un taxi s’arrête au milieu de nulle part, le long de la D986, à la croisée du GR60. Séverine a 31 ans. Passée par Sciences Po, référente en transition écologique à Paris et féministe militante, cette utopiste acharnée traverse une crise existentielle aggravée par les contradictions que le mode de vie urbain lui impose. Pollution, transports, hyper-connectivité digitale, cela fait 5 ans qu’elle est à limite du « burnout ». Sa relation avec Florian n’avance pas, bien qu’elle ait dépensé des fortunes en psy dans l’espoir de gérer ses émotions et d’arriver à travailler sur son lâcher prise comportemental. Ces derniers temps, grâce au yoga et à la méditation en pleine conscience, elle a pourtant l’impression d’avoir réussi à redonner du sens à sa vie et à cultiver une relation vraie avec son copain, mais elle sait que pour être en mesure de saisir un nouveau départ, il faudra encore qu’elle avance sur ses conflits intérieurs. Elle ressent de moins en moins de désir pour lui alors qu’il a su répondre à toutes ses attentes. La retraite silencieuse pour couple, à laquelle ils ont participé pendant plus de quinze jours au mois d’août dans le Vexin, a été compliquée, mais il a bien joué le jeu. Paradoxalement, leur transition de l’ovo-lacto-végétarisme au semi-véganisme a été plus compliquée que la décision de lui faire assumer au sein de leur couple la charge de la contraception masculine. Depuis 4 mois, il porte 15 heures par jour un dispositif qui lui fait remonter les testicules à l’intérieur du ventre de manière à stopper la production de spermatozoïdes par augmentation thermique. Passé l’inconfort du port de la gaine et les douleurs des premiers jours, il a fini par s’habituer et se porte très bien. Il vient d’ailleurs de lui envoyer un petit selfie par SMS depuis son poste de travail afin de l’encourager à bien profiter de son week-end de randonnée dans les gorges du Tarn.


La carrosserie noire de la berline lustrée au polish reflète comme un miroir les formes minérales du causse et un ciel de septembre exempt de nuage. L’été, qui a été particulièrement caniculaire, laisse à voir les flétrissures de son étreinte brûlante sur la végétation éparse qui s’étend par-delà l’immense plateau calcaire. Les pneus blanchis par la poussière de la route effectuent un demi-tour en trois temps et abandonnent la chétive randonneuse au milieu des champs. Avec son sac à dos disproportionné, son bob, son short, ses chaussures montantes, la nuque tendue pour consulter son portable, sa silhouette féminine ainsi affublée fait plutôt penser à une sorte de tortue terrestre. L’écran d’accueil du téléphone indique que nous sommes le vendredi 23 septembre et que la météo est au beau fixe. Après y avoir vérifié une dernière fois sa boîte mail, elle répond aux SMS de son copain afin de lui dire que tout va bien, puis le configure en mode silencieux et économie maximale de batterie, et le place soigneusement au fond de son sac. Elle pousse un soupir de soulagement : c’était dur, mais elle y est arrivée ; elle est enfin déconnectée.


Ses premiers pas font craquer délicieusement le paillasson herbeux de la prairie desséchée par les trois mois de soleil qui, implacablement, l’a surplombé. Séverine sent monter du fond d’elle-même un incommensurable bonheur, un sentiment de liberté inspiré par l’immensité du panorama, par ses sens rappelés à la réalité des odeurs végétales, par le vent qui touche son visage, par toute la nature qui vient à sa rencontre. Elle s’est donné 3 jours pour rejoindre à la marche le plateau du Larzac en passant uniquement par les sentiers et les bois. Nous sommes vendredi 23 septembre, le jour d’équinoxe d’automne dont la durée d’ensoleillement est égale à celle de la nuit. Ignoré aujourd’hui, c’était pourtant l’un des quatre points cardinaux du calendrier du temps terrestre dont se servaient les anciens pour rythmer leurs vies, calculer le temps et l’espace. Le célèbre grec Ératosthène n’avait-il pas calculé avec justesse la circonférence de la terre grâce à l’observation des ombres portées à Syène et à Alexandrie le jour du solstice d’été ? Aussi, d’antiques peuples païens dont seuls quelques vestiges de pierres levés nous restent, vouaient à leurs divinités soit solaires, soit lunaires des adorations faisant l’objet de diverses cérémonies. Orgies et sacrifices étaient organisés au moment des équinoxes, certains peuples même, craignant la prolongation de l’hiver immolaient une victime afin de se garantir le retour du printemps, alors que d’autres y préféraient célébrer la fécondité lors de fêtes sexuelles orgiaques. De nos jours, peu se soucient du ciel et du mouvement des astres, le temps se calcule au rythme de la vibration d’un quartz. Et encore, si nous faisons confiance aux propriétés piézoélectriques du minéral que nos montres recèlent à nos poignets, pour le reste, l’horlogerie atomique utilisant l’immuabilité de la fréquence du rayonnement électromagnétique émis par un électron fait battre nos sociétés humaines d’un cœur mécanique complètement affranchi des réalités cosmiques.


Séverine descend du causse et parvient à un sentier menant aux gorges du Tarn. Elle ne le sait pas, mais il y a plus de 45 000 ans, des hommes empruntaient déjà ce chemin. Les touffes de noisetiers, les troncs argentés des bouleaux, les fougères roussies au milieu des roches, tout lui paraît comme un jardin dont le paysagiste aurait pris soin de varier espèces, formes et couleurs. Nul besoin des roses ou de parterres de fleurs, les molécules odorantes du bouquet aromatique de la rauque haleine de la forêt les contient tous.


N’ayant aucun entraînement, ses jambes commencent à être fatiguées par ces premières heures de marche hors sentier. Elle décide donc de se reposer à l’ombre des arbres afin de prendre une collation. Ses galettes VeggiSun, d’habitude bien fades, ne lui ont jamais paru aussi bonnes et chaque bouchée savourée semble lui restituer comme par magie toute l’énergie dépensée. Bien qu’au beau milieu de cet espace de désert civilisationnel elle soit sûre de ne rencontrer personne, sa pudeur la fait s’éloigner de son sac pour aller satisfaire ses besoins naturels. À quelques mètres de là, elle arrive dans une clairière semblant propice à l’activité que son corps impérieusement lui réclame.


L’herbe tendre tachetée de parcelles de lumière recueille la rosée claire qui tombe de ses cuisses. La caresse tiède du vent passant entre ses jambes un instant la trouble. Un sentiment profond d’amour lui venant de l’intérieur lui donne l’envie folle de se dévêtir et de sentir le contact de la mousse et des feuilles mortes sur son corps dénudé. Retirant un à un ses vêtements, elle tremble d’excitation. Sa poitrine blanche exposée à l’air libre se raffermit, son épiderme se graine légèrement, elle avance la cheville souple, sentant sous la plante tendre et rose de ses pieds le moindre relief caillouteux qui, caché dans la mousse, pourrait lui faire ployer le genou. Le soleil de midi est doux et les effluves humides d’humus qui remontent régalent amoureusement ses narines. Le tronc de l’arbre feuillu épais et écailleux contre lequel elle s’adosse la surprend délicieusement de son contact rêche. Elle commence alors à se toucher, se réchauffant d’indécises caresses que son corps rafraîchi par la brise de ce frais premier jour d’automne réclame. Entrepris par des mains aux doigts entrouverts malaxant leurs tétines, ses deux seins peu à peu se gorgent d’un désir irradiant jusqu’à son ventre, la partie la plus intime. Trop occupée à ses sens tactiles, seuls le chant des oiseaux et du vent ayant le privilège d’accompagner les soupirs s’échappant de ses lèvres, elle ferme doucement les yeux dont l’usage superflu la déconcentrerait de l’exclusivité de ses plaisirs. La paume sur le mont du nom de celle qui donna naissance au dieu de l’amour, et deux phalanges de son doigt le plus long y explorant les mystères, sa main ne cherche pas à préserver sa pudeur, mais s’y active dans un mouvement dansant des plus réguliers. Tout ivre de phényléthylamine, elle ne sent plus l’écorce de l’arbre sur lequel elle s’appuie lui écorcher le dos ; la mousse verte répandue à ses pieds, l’invitant à s’allonger au creux de racines l’accueille maintenant de sa douceur moite. Les cuisses largement ouvertes, elle voudrait que la nature personnifiée vienne combler son manque existentiel de sa puissance créatrice. Il serait beau, jeune, une couronne de fleur reposant sur ses tempes, ou bien puissant, la barbe fleurie, les bras noueux comme des troncs d’arbres, peu importe son apparence, elle s’imagine sous l’emprise de ses caresses, offerte à ses assauts fertilisants. Les hauteurs paroxysmiques atteintes, la redescente se fait cœur encore battant des émotions ressenties. Cela faisait deux ans que malgré toute la bonne volonté de Florian elle n’avait pas eu d’orgasme. Un léger sourire de satisfaction se lit sur ses lèvres.



Remise de ses émois, le dos parsemé de petits morceaux de feuilles mortes, Séverine regagne le tas de vêtements abandonnés tout à l’heure. Le début d’après-midi est déjà bien entamé, il lui faut maintenant repartir afin d’arriver avant le soir à l’endroit où elle pourra installer son bivouac. L’idéal serait de trouver un abri rocheux à quelques pas du Tarn, cette rivière dont le lit circule au fond de gorges boisées, faite de canyon et de détroits. Les semelles de ses chaussures de marche se remettent à craquer sur la sèche végétation. Au bout de quelques heures, elle entreprend la descente d’une pente ravineuse qui la mène jusqu’en bas d’une immense falaise surplombant l’entrée d’une grotte. Entamant la roche sur une dizaine de mètres et recouverte d’usnée barbue et de mousse, elle ouvre sa gueule béante et fraîche propice à l’installation d’un campement provisoire.


Sa tente Quechuva dépliée, Séverine place quelques pierres en cercle, prépare du petit bois et se lance pour la première fois dans la préparation d’un feu par friction. Elle avait vu une émission à la télévision où une participante avait réussi à faire gagner son équipe grâce à cette technique. Après une demi-heure de tentative infructueuse, le bâton de noisetier vient à bout de ses mains, et ses bras au bord de la tétanie lâchent l’affaire. Fort heureusement, elle mène son projet à bien avec l’aide des allume-feux et du briquet à gaz qu’elle avait par précaution emmenés dans son sac. Les grandes flammes s’élèvent rapidement au-dessus du bois crépitant. La fumée parfumée des essences forestières embaume et réchauffe le plafond millénaire, laissant sur lui l’empreinte de ses larges traînées sombres. Séverine commence à se sentir fatiguée, elle a retiré ses doubles chaussettes anti-cloques aux pieds et, après avoir grignoté goulûment trois steaks de soja et faisant une incartade à ses convictions, un « Nut’Snickers » de multinationale à l’huile de palme, son péché mignon, elle se blottit confortablement dans son duvet thermique. Alors que parmi le ciel étoilé de ce vendredi 23 septembre d’équinoxe, le dernier quartier de lune apparaît, fin et incurvé comme une lame de silex blanc prélevé d’un biface, le hululement d’un grand-duc se fait entendre. Bien qu’elle ait identifié son auteur, les cris du volatile nocturne la glace et la met dans un état de vigilance accru l’empêchant de trouver le sommeil. Soudain un bruissement, près d’elle, à quelque pas de la tente. Un sanglier ? Il y a deux ans, elle avait entendu dire qu’un jeune ours s’était échappé de son refuge, a-t-il été retrouvé ? Et les trois loups identifiés dans le sud du département ? Se saisissant de sa bombe de répulsif au poivre et de sa lampe torche, elle sort avec prudence la tête de l’ouverture de la tente afin de repousser l’ennemi : un hérisson était en train de fouir sous les feuilles à la recherche de lombrics. Se sentant un peu bête et heureusement remise de ses émotions, la campeuse finit par s’endormir assez paisiblement. Et puis, de toute façon, je n’ai rien à craindre puisque le feu éloigne les bêtes sauvages, se dit-elle.




Au crépuscule du jour naissant, l’intérieur de la tente commence à s’illuminer. Séverine se réveille à cause d’une sensation de froid. Ses joues sont rosies et le bout de son nez est bleu, elle ouvre les yeux et constate que de la buée s’échappe de sa bouche à chacune de ses expirations. Ne comprenant pas ce changement de météo aussi inattendu qu’improbable, elle se redresse un instant et sort de la tente pour comprendre ce qu’il se passe à l’extérieur. Le paysage est recouvert de neige, de petits flocons virevoltants se répandent en tapis blanc jusqu’à l’entrée de la grotte. Derrière elle, une présence. Les bruissements, cette fois, ne sont pas dus à un hérisson ; l’arrière-train d’un gigantesque ours se trouve à quelques mètres d’elle, la tête dans son sac à dos. Il est attiré par l’odeur des sucreries qu’il contient. Son sang se glace, elle s’efforce de rester le plus immobile possible tout en tapotant à l’intérieur de la tente afin de mettre la main sur sa bombe au poivre. Le bras tendu et toute tremblante, elle diffuse tant qu’elle peut tout le contenu de la bombe en direction du plantigrade. Pesant plus d’une demi-tonne, le mastodonte prend appui sur ses pattes arrière et se dresse à une hauteur culminant presque les 4 mètres. Furieux, il secoue son énorme tête dans sa direction en hurlant et grondant, des fils de bave pendent de sa gueule grande ouverte. Elle ne le sait pas, mais il s’agit d’un exemplaire mâle d’Ursus Spelaeus. Cet ours, dénommé « des cavernes », est un végétarien herbivore se nourrissant de mousse, fruits, champignon et végétaux dont la complémentation alimentaire carnée reste exceptionnelle. De toute évidence, les galettes de soja et les barres chocolatées lui ont ouvert l’appétit. Séverine sent que sa dernière heure est venue. Pourtant sa mère lui avait bien dit que partir seule en randonnée était toujours une mauvaise idée. Qui aurait cru qu’elle mourrait à l’âge de 31 ans, dévorée par un ours préhistorique croisé dans les gorges du Tarn ?


Soudain un intervalle sifflé sur deux notes retentit. En contre-jour de la franche lumière du matin, la silhouette d’un homme recouvert de peaux de bêtes apparaît. Ses cheveux bruns relâchés se mêlent à sa courte barbe et ses yeux bleus azur ont quelque chose du loup boréal. Tout en retirant ses doigts recourbés de ses lèvres, il se baisse, saisit un rondin de bois et le jette en direction de l’animal. Le monstre se prépare à s’abattre sur sa nouvelle cible qui, au lieu de fuir, vient fermement à sa rencontre. Le chasseur, genou à terre, plante l’extrémité de sa lance dans le sol, la pointe en silex tranchante comme une lame de rasoir postée vers le haut, et l’attend de pied ferme. Sans méfiance, l’animal se jette les deux pattes en avant sur cette proie trop facile et s’empale de tout son poids sur la pointe effilée. In extremis, l’homme se dégage sur le côté afin d’échapper aux coups de griffes désordonnés du monstre et, d’un geste vif, saisit la main de Séverine pour l’entraîner hors de la grotte dont la seule échappatoire est un ravin pentu jonché de conifères. Ils glissent entre les troncs sur plusieurs dizaines de mètres, se réfugiant en contrebas sous les épaisses branches des résineux tandis que les cris rauques de l’ours résonnent au-dessus d’eux. Séverine est au bord de la syncope, sa respiration haletante et bruyante oblige l’homme placé derrière elle à la bâillonner de sa main afin de la forcer à respirer par le nez. Sous ses yeux écarquillés, elle sent une forte odeur de terre et de sang. Le silence revenu, il part en éclaireur voir si la situation est hors danger. Quelques instants plus tard, il revient vers elle pour l’aider à se relever et à remonter avec lui vers la grotte. L’animal blessé a disparu, il a laissé dans son sillage une piste d’empreintes et d’éclats grenats épars parmi la neige.


Séverine commence à avoir des spasmes dus au froid, elle a les pieds bleuis, ils sont presque violacés. Le chasseur se précipite dans la grotte et sort du fond de son sac en peau de renne une petite bourse contenant quelques objets. Un silex, de la pyrite et morceau d’amadouvier. De par sa propension à facilement s’enflammer, le nom de ce champignon signifie « l’amoureux ». Les gestes sont précis et sûrs. Dans la semi-obscurité, des gerbes d’étincelles produites par la friction entre la célèbre pierre et la pyrite contenant de l’oxyde de fer viennent de leur chevelure orangée l’embraser. Le feu, alimenté de branches sèches qu’à chacun de leurs passages les visiteurs accumulent en prévision de futures haltes, s’élance contre la roche faisant office de contrecœur au foyer naturel. Par erreur, on a longtemps cru que les hommes, sous peine de s’enfumer, ne faisaient pas de feu dans les grottes. Tandis que la paroi, chauffée à plus de 250 degrés, irradie de sa chaleur douce la grande salle de pierre, la fumée s’évacue à l’extérieur, suivant les anfractuosités sinueuses du plafond culminant à près de 5 mètres. L’homme nourrit une dernière fois le feu, se défait de sa pelisse en fourrure d’ours, puis la dépose au sol, formant par l’épaisse couche de poils et de sous-poil qui le compose un tapis confortable. Séverine s’y précipite et se recroqueville à proximité des flammes dansantes.



Encore sous état de choc, elle ne trouve pas la force d’ouvrir la bouche ni de produire le moindre son. Qui est cet homme et où se trouve-t-elle ? Elle n’a plus de réseau, plus de signal GPS ; aucun appel d’urgence n’est possible. Sa tente est là, à l’entrée de la grotte, avec toute sa nourriture dévorée. Mais quel saut dans le temps aurait-elle fait durant cette douce nuit d’équinoxe d’automne pour se retrouver, au réveil, plongée au cœur d’un hiver sibérien ? Son corps se réchauffe un peu. Elle commence à avoir faim ; une de ces faims si douloureuses qu’elle vous enserre l’estomac.



Voyant son silence, il plonge son bras dans sa gibecière et en sort, poing serré autour de deux longues oreilles, une prise dont il n’est pas peu fier. L’animal de presque 6 kg pend sur 70 cm de longueur, de la tête à ses grandes pattes dépliées.



Séverine devine qu’il lui propose de manger. L’homme place le lièvre tête en bas ; attaché par les pattes arrière qu’il incise au niveau des articulations, il le dépouille de sa fourrure aussi facilement qu’on retire un pyjama, laissant sa chair à vif prête à la cuisson. La lame de silex s’agite avec méthode autour de la carcasse qui, rapidement, se retrouve traversée d’une broche et placée à rôtir près du feu. Les entrailles de l’animal sont recueillies et placées directement sur quelques braises disposées à l’entrée de la grotte. Au pied d’une grosse pierre en forme de menhir, la fumée musquée s’élève de l’offrande carnée tandis qu’apposant un instant ses deux mains sur la pierre grise, il en laisse les marques sanglantes. Sa voix rauque se met à scander des paroles prononcées dans une langue inconnue :



Revenu près du foyer, il surveille la viande et la tourne d’un quart. Il a été blessé sur l’avant-bras en percutant une branche, rien de grave, mais la plaie est ouverte et saigne un peu. S’asseyant aux côtés de Séverine, il sort quelques feuilles cicatrisantes et soigne sa blessure. Séverine l’observe : il est beau. Ses gestes sont délicats malgré l’impression de force que son physique dégage. Qui est-il ? Est-ce vraiment un homme préhistorique ? Séverine commence à se demander si cette pierre levée qu’il semble vénérer à l’entrée de la grotte ne lui avait pas fait vivre un voyage spatio-temporel vers le passé, au cœur de l’âge de glace.



L’homme qui depuis plusieurs semaines vit seul en marge de son clan, sourit en coin et lui dit son nom :



Il prélève les râbles du lièvre placé sur la rôtissoire, cette partie ainsi que le foie est la plus tendre et la plus délicate. Tous parfumés de senteurs évoquant la garrigue et la baie de genièvre dont l’animal s’est gavé tout l’été, il propose à son invitée ces authentiques mets de choix. Séverine sent fondre dans sa bouche la viande aux arômes musqués. Elle a si faim que toutes ses préventions à l’égard de la consommation de viande ne comptent plus et dévore la nourriture proposée avec avidité. En accompagnement, fruit de plusieurs heures de cueillette, une poignée de petites racines amères lui est proposée. Bao se dirige vers un coin de la grotte où une source suintante de la roche vient se déverser dans une sorte de vasque taillée à même la pierre. Il évacue les quelques résidus d’argile s’y trouvant puis, l’eau redevenue cristalline, en remplit un bon bol de terre cuite que deux pierres prélevées au cœur du foyer incandescent viennent faire bouillir. De suite retirés de l’eau devenue chaude, ils sont remplacés par un morceau de rayon de miel et une petite branche de sapin mise en guise d’infusion. Jamais boisson ne parut si délicieuse à Séverine que ce sucré breuvage au goût de la montagne.


Finissant de boire les dernières gorgées que leurs lèvres au bord de la poterie se partagent, leurs regards se croisent puis se noient dans les profondeurs de leurs pupilles dilatées. Elle ne peut s’empêcher de venir se blottir contre lui quand d’une main tendre il vient replacer une boucle de cheveux qu’elle avait sur sa joue. Tête posée au creux de son épaule, elle se sent en sécurité tandis que les notes féminines de sa chevelure châtain dégagent vers lui des senteurs boisées qui l’enivrent et s’exaltent. Dénouant un à un les liens retenant sa tunique de peau et passant sa main par-dessous, elle lui parcourt le torse de caresses effleurantes afin d’en découvrir les intimes contours : d’abord, le relief serré des aréoles de ses larges pectoraux, puis sur ses flancs les lignes puissantes que ses côtes dessinent. Éclairés par les flammes du feu qui doucement crépite, les corps bientôt se dénudent au spectacle hypnotique et mouvant de la lumière orangée qui vacille sur les chairs. Elle remarque que le regard de son admirateur est descendu sur sa poitrine qui, ronde et ferme, fait partie de la catégorie de celles qui incitent les mains pétrisseuses à venir s’y poser. Elle se rapproche de lui et s’offre à ses caresses. Tout en se faisant martyriser les tétons qui, durcis et tendus roulent sous les doigts de son amant, elle lui saisit le visage et le toise avec une impertinence sauvage. Puis retrouvant son calme, elle pose ses lèvres sur les siennes, attendant qu’il desserre la mâchoire pour envahir sa bouche de sa langue. Les yeux fermés, leurs souffles se mélangent dans un de ces baisers si intenses qu’aucun désir masculin ne peut en souffrir l’éternité. La prenant par la taille, il la place de manière à ce que ses genoux s’enfoncent dans l’épaisse fourrure, et appuyant sa main sur son dos l’invite à se pencher dans une posture sans équivoque. Séverine voit l’ombre chinoise de son corps se dessiner sur la paroi de la grotte dans une position animale qu’elle s’était toujours refusée. Se cambrant au maximum de ce que la physionomie féminine peut permettre, visage plaqué et enfoui dans la fourrure d’ours, elle offre son postérieur à qui veut le prendre. Observant sur le mur l’ombre projetée de son membre, l’effet de parallaxe lui en donne une impression de démesure. Pourtant les chairs de sa vulve s’écartent progressivement sur son passage jusqu’à ce qu’il disparaisse complètement formant l’union parfaite des corps. Elle sent le gland s’écraser contre le col de son utérus et au bout de trois poussées, comprend qu’il la remplit de sperme. Au bord de l’orgasme, Séverine précipite sa main entre ses cuisses et se fait exposer de plaisir pendant que, plaqué à fond contre elle, son amant lui fait ressentir les derniers soubresauts nerveux de son éjaculation. Affalés l’un contre l’autre, ils profitent de la redescente de leur excitation dans une étreinte que seuls ceux qui s’aiment peuvent comprendre.


Dans les bras de son nouvel amant, Séverine a une pensée pour sa vie d’avant, si déconnectée de la réalité de ses contingences naturelles qu’elle en avait perdu tout sens. A l’extérieur de la grotte, la nuit étoilée répand sa rivière de diamants scintillant dans un ciel immense.


Au petit matin, Séverine se réveille. Le soleil tape directement sur la toile en nylon bleu de la tente et en fait monter la température intérieure. Elle passe la tête au-dehors ; plus de neige, plus de conifères, une odeur de garrigue s’élève, les oiseaux chantent. Sur son portable une icône lui indique qu’il fera beau temps, 23°, et l’écran d’accueil titre « dimanche 25 septembre ». Par une salve de notification, elle constate qu’elle a reçu une dizaine d’appels en absence, dont un message de Florian qui s’inquiète de ne pas avoir eu de nouvelles d’elle depuis avant-hier.



Elle se serait donc endormie trente-six heures d’affilée ? Embrumée de cette édifiante considération, elle sort de sa tente. Intact, son sac à dos est posé contre l’imposante pierre levée qui garde l’entrée de la grotte. À l’emplacement où se trouvait le feu, elle trouve une vasque d’eau pure sourdant de la roche. Au creux de ses mains, elle recueille un peu d’eau cristalline et s’en rafraîchit le visage. L’eau au goût légèrement ferrugineux la désaltère sans pourtant étancher la nostalgie de ce que sa raison oblige à considérer comme un rêve. Des réminiscences de sensations charnelles la traversent. Symboles de la vie moderne à laquelle elle devra retourner ce soir, elle se défait de ses vêtements et marche entièrement nue sur l’argile fraîche qui mène à l’extérieur de la grotte. Le soleil l’irradie de ses rayons et réchauffe son corps. La nature l’appelle, mais cette fois, elle veut la vivre libérée de tout.


Belle comme la fille d’Ève, elle descend la pente abrupte qui mène à la rivière, recevant le souffle frais du vent et les caresses des branches frôlantes. Au bord de la rive le parterre de galets oblige ses fines chevilles et ses petits pieds à travailler au maintien de son équilibre dans le déhanchement d’une danse charmante. S’allongeant au bord de l’eau elle se repose. Encore sous l’emprise des sentiments amoureux que lui a procuré son onirique rencontre, elle cherche à en chasser de son esprit le souvenir obsessionnel. Ses mains savent quoi faire ; les yeux fermés, elle écoute le clapotis relaxant des vaguelettes et pour distraire ses sens, puise l’inspiration dans l’imaginaire secret de ses phantasmes les plus inavouables.



Séverine sursaute et redescend brutalement de ses émois ; en veste et gilet de velours vert, fusils Beretta en bandoulière, un jeune chasseur élégant mais néanmoins goguenard arrive vers elle :



Le jeune homme la fixe ; ses cheveux noirs mi-longs et sa fine barbe intensifient par contraste la couleur intense de ses yeux, profonds comme des lacs bleus. Séverine se demande si elle rêve encore. Il lui semble reconnaître son chasseur à la lance, venu du paléolithique, revêtu à la mode d’aujourd’hui.



Elle boit et respire son souffle chaud, attisant sur l’hôtel de l’amour les braises qui depuis la nuit passée continuent de brûler son cœur. Ses mains parcourent son torse, explorent ses épaules ; il a la même peau, la même odeur que l’homme qui partagea avec elle les oniriques étreintes animant encore son corps de désir. Déboutonnant largement son pantalon, elle s’agenouille à ses pieds de manière à pouvoir le prendre en bouche. C’est doux et chaud comme un gros bonbon, elle l’avale et le fait circuler contre sa langue et son palais, le pompe et l’aspire. Sous l’effet des bouffées d’ocytocine qui en elle montent, elle fait montre d’un zèle qui ne laisse pas de marbre, mais uniquement en ce qui concerne la température, l’objet de ses soins.


Sentant qu’il ne pourra pas résister plus longtemps à tant d’attentions prodiguées, il la couche dans l’herbe avec plus de douceur que ne l’aurait fait un jeune marié le soir de ses noces. Lui relevant les jambes, ses mains glissent à l’intérieur de ses cuisses soyeuses afin d’ouvrir l’accès à ses replis incarnats. Elle sent le velouté d’une langue chaude se poser sur ses chairs intimes et fouiller exactement là où il faut pour la faire chavirer. Des doigts la pénètrent ; elle n’attendait plus que cela pour se sentir monter en jouissance. Les spasmes sont si intenses qu’elle ne peut plus en contenir les accès et retenir les éclats féminins de sa voix résonnants parmi les parois du large détroit de pierre calcaire.


Son amant vient tendrement sur elle, prévenant de douceur, il lui embrasse le ventre, lui effleure les tétons, enveloppe ses seins de ses baisers. Savourant le plaisir bucolique d’être chatouillée par des brins de verdure pendant que les centimètres de son gros membre durci la remplirent, elle se dit que la biche, en rencontrant le cerf, a comme elle bien de la chance. Elle sent qu’elle va venir une deuxième fois. Alors, s’appliquant à gémir à chacune des poussées qu’elle reçoit, l’embrassant de baisers brûlants, elle se contracte du mieux qu’elle peut pour accompagner sa jouissance. Une main sur son dos, une autre sur ses fesses, voulant être le réceptacle de son plaisir, elle l’empêche de se retirer au moment où il explose. De sa voix rauque et virile, il sonne de lui-même son propre hallali, expirant d’amour et de désir.


Le silence s’installe. L’un contre l’autre, chacun observe un moment de calme et prend conscience du mouvement de la rivière et du pépiement des oiseaux dans les arbres. Elle profite de la douce sensation de sentir encore l’intérieur de son ventre papillonner comme s’il était encore en elle. Regardant le ciel, tellement bleu qu’il pourrait sembler noir s’il n’était parsemé de quelques petits cumulus gonflés comme des œufs en neige, elle finit par lui dire, rêveuse :