n° 21169 | Fiche technique | 52774 caractères | 52774 8876 Temps de lecture estimé : 36 mn |
23/09/22 |
Résumé: 4018, sous une dystopie, les hommes et les femmes vivent sous bulle. La passion n'existe plus, tout est pragmatique, monotone, terne. Mais une jeune femme semble différente. | ||||
Critères: #humour #sciencefiction #dystopie fhhh amour partouze | ||||
Auteur : Melle Mélina Envoi mini-message |
Projet de groupe : 23 Septembre 2022 |
Quelque chose d’incroyable allait bouleverser à jamais notre monde ce 23 septembre 4018. Nous ne l’avions pas vu venir (à part nos agences de renseignements et encore, même nos agents les plus zélés comme l’agent 7×COQP, connu sous le nom de l’agent Dard Maurice n’avait pas réussi à freiner le malström que représentait cette fille « LHOOQ », celle que l’on connaîtrait désormais sous le nom de « Affro ».
Pourtant, nous étions heureux, l’Homme avait su dompter la nature. Les progrès de la science, les progrès technologiques, médicaux et psychologiques avaient mené l’humanité vers le monde tel que nous le connaissions jusqu’alors.
Nous avions réussi l’impossible, vaincu toutes les difficultés qui se présentaient à nous, nous avions surmonté tous les obstacles. Et nous avions réussi à trouver un équilibre garantissant l’harmonie, une osmose avec la nature.
Inutile que je me présente, cela n’apporterait rien à l’histoire que je vais vous conter. Certains d’entre vous la connaissent déjà. Qu’importe ! Je vais vous la narrer comme si c’était la première fois que vous l’entendiez.
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Arrivés à l’ « Équinoxe », ce moment qui marque le mitan de nos vies, cet instant si particulier où les cellules de nos corps cessent d’évoluer, nous ne déclinions plus, les progrès de la médecine nous garantissaient des maladies et de la vieillesse. Nous ne mourrions plus de causes naturelles.
Dès lors, le problème numéro un qui se présenta à notre société devient la surpopulation.
Pour le bien de l’humanité, il nous fallait une solution, une solution « acceptable ». Il fut décidé, après moult débats, que nous devions quitter la vie, arrivés à l’âge de 100 ans. Nous avons tous accepté, bon gré mal gré, cet ultimatum. Après un siècle de vie sur cette terre, il faut laisser la place aux autres. 100 années nous laissent largement le temps de profiter de tout ce que peut nous offrir la vie.
À l’âge de 25 ans, âge que nous appelons le « premier solstice », la femme enfante de jumeaux, une fille et un garçon. Puis, à l’âge de 25 ans, le fils est envoyé se marier vers une autre ville, un autre pays, un autre continent, afin d’éviter toute forme de consanguinité. Et ainsi de suite.
L’homme est beau, en pleine forme, il existe encore quelques différences physiques entre les hommes, certains sont mats de peau, d’autres plus blancs mais tous ont des traits gracieux et des corps gravés dans l’albâtre.
Nous approchons du 23 septembre, date à laquelle nous fêtons « L’équinoxe », la moitié de la vie mais aussi les nombreuses naissances et nombreuses morts.
Le 23 décembre, la fonction reproduction chez l’homme est opérationnelle, ainsi que la fonction ovulation chez la femme. Le 23 décembre, que l’on nomme la journée « Repro », les couples de 25 ans copulent et, ainsi, le 23 septembre, les enfants, un garçon et une fille naissent tandis que les centenaires laissent leur place. Cela tourne, le monde tourne, tout le monde est content.
Il n’y a que les membres du clergé qui connaissent les arts ancestraux de la lecture. Il a été décidé que la connaissance est trop dangereuse, elle attise les envies. Tout ce qui est de l’ordre des envies ou de pulsions a été éradiqué depuis qu’une seule et unique instruction fait foi. Nous ne connaissons plus ni envie, ni convoitise, ni colère, ni jalousie. Cela nous protège de nos sentiments et de nos folies destructrices.
Finalement, il n’y a que les désirs sexuels que nous n’avons pas réussi à tempérer complètement, les désirs échappent encore au contrôle de la psychologie et pour satisfaire nos besoins, il y a les Luna Park, des lupanars où sont mis à disposition les « SexoRobots », des machines, des mécas.
Parce qu’ils sont considérés comme dangereux, les livres ont été brûlés. Notre passé montre que l’instruction, la capacité à réfléchir, à émettre des doutes, à s’affirmer sont des compétences trop dangereuses pour la société. Il n’y a plus de livres sinon au clergé car seuls les clercs (que l’on appelle les Julien) savent lire puisqu’eux seuls en ont l’utilité.
Prêtre un jour, prêtre toujours ?
Et non ! Et pour preuve, le géniteur de LHOOQ, C1P2Q, ayant eu un comportement déviant, s’était fait jeter de mère l’église. Mais comme son délit n’avait pas été si important, on se contenta de le renvoyer et il reprit une vie ordinaire auprès de ses concitoyens. Comme tout le monde, il se maria avec une femme et le 23 septembre, ils mirent au monde un beau garçon, destiné à devenir gardien du feu et une fille destinée à devenir cuisinière… Sa femme voulait les nommer C3PO et R2D2 mais l’état les nomma CT3 et LHOOQ.
LHOOQ apprit la lecture de son père. Ce dernier ne quitta pas le clergé vierge de compétences et de renseignements, il savait lire et il avait lu quelques écrits qui remettaient en question tout notre mode de vie. Bien sûr, il n’avait pas le droit d’en parler. Mais il entreprit néanmoins d’instruire sa fille qui s’avéra être une élève très douée. Elle sut lire et écrire. Elle lisait ce que son père écrivait à défaut de pouvoir lire autre chose. C1P2Q fut surpris de la facilité avec laquelle sa fille apprenait à déchiffrer la lecture. Il fut dans un premier temps assez abasourdi par de telles capacités mais une fois la stupeur passée, il ne ressentait rien d’autre que de la fierté devant tant de compétences.
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LHOOQ, dite Affro avait plus de besoin que la moyenne et elle entraînait souvent son amie LA1Q2DS rejoindre les SexoRobots. Étrangement, LHOOQ avait ses préférences !
Oui ! Vous m’avez bien entendu, des préférences ! C’est un concept bien particulier, je l’entends : elle aimait satisfaire ses besoins avec un robot en particulier le C1PD.
Ce robot n’avait rien de particulier, rien de plus que les autres, il n’était pas plus prisé que les autres par les femmes.
Dois-je rappeler que les rapports homosexuels étaient considérés comme « contre nature » et le moindre rapport « contre nature » méritait une psychothérapie efficace qui annihilait tout désir de recommencer ? Cependant, il y avait quand même certains citoyens qui recommençaient leur déviance… Beurk !
Les robots étaient bien plus doués que nous autres, faits de chair et de sang, ils étaient plus performants et les coïts pouvaient durer jusqu’à dix minutes sans interruption tandis que, pauvres de nous, la moyenne de nos rapports n’excédait pas les deux minutes.
C1PD avait donc la préférence de LHOOQ, et nous ne comprenions alors pas ce qui poussait notre concitoyenne à n’avoir des rapports qu’avec lui.
Laissez-moi vous raconter une anecdote. Une fois, se rendant à Luna Park, LHOOQ demanda C1PD, mais ce dernier était affairé avec une citoyenne, je ne me souviens plus de son matricule peut-être 7×PP ou bien un autre, qu’importe. LHOOQ fut si contrariée qu’elle entra en trombe dans la cabine et retira littéralement C1PD du vagin de 7×PP, qui était, comme vous pouvez l’imaginer, la larme à l’œil en train de jouir.
7×PP alla immédiatement porter plainte et LHOOQ en fut bonne pour du travail d’intérêt général – à savoir laver les latrines publiques du quartier RED de Mégalopolis !
La punition étant sévère, les dirigeants pensaient que cela calmerait les ardeurs de L (permettez que je l’appelle « L » ). Mais pensez ! Elle ne se calma pas. Son amie de toujours LA1Q2DS voulut comprendre le pourquoi du comment mais L se contentait de lui dire avec un sourire malicieux : « parce que j’en ai envie ».
C’était très étrange comme comportement. Bien sûr, elle fut vite repérée par les autorités et, bien sûr, une batterie de tests fut entreprise, mais rien, les scanners et les IRM ne permirent de distinguer aucune anomalie. Tout était en ordre dans son cerveau. On devait admettre qu’elle avait une libido différente de nous autres.
Elle paraissait rêveuse. C’était ce qui nous échappait le plus ou, devrais-je dire, m’échappait le plus. Je n’ai jamais compris cet attrait pour la flânerie. Flâner ne sert à rien et n’aide pas la société à avancer.
À l’âge de seize ans, elle partit se balader. Seule.
De retour à la maison, son géniteur lui demanda quelques explications. Ce qu’elle lui répondit le laissa coi : elle lui dit vouloir découvrir le monde.
Découvrir le monde ? Pourquoi faire ? Cette idée saugrenue n’aurait jamais, ne fut-ce qu’effleuré, un cerveau sain, mais ainsi sont les esprits retors, ils sont perdus dans des limbes qui les mènent à certaines extrémités.
Elle alla jusqu’à la lisière de la bulle qui recouvrait notre mégalopole pour voir ce qu’il y avait au-delà de la verrière. Sous notre bulle, nous vivons toujours en été, dans ce coin de notre monde, il fait toujours beau, notre mégalopole est un véritable paradis, le ciel est bleu jusqu’à neuf heures du soir, l’heure à laquelle il se couche puis se lève à 7h30. Et pourtant derrière ce rideau de verre, le ciel était grisâtre et pleurait sans relâche une pluie fine de ses nuages épais et lourds.
Elle regarda sa montre, il n’était que 18h30 et juste derrière cette verrière, il faisait sombre. Elle ne comprenait pas ce prodige, mais cela n’avait rien de lugubre. Au-dehors, s’étendait une vaste forêt et les arbres étaient très différents des palmiers qui peuplaient notre ville.
Elle ne reconnut pas ses végétaux, comment l’aurait-elle pu ? Ils étaient inconnus des habitants de Mégalopolis. Il y avait là des sapins, des chênes, des épicéas, des frênes et des conifères. Il y avait même un châtaignier encore un peu vert couvert de bogues, ces boules hérissées comme autant de tumeurs sur les branches.
Et les couleurs ne ressemblaient en rien aux couleurs chatoyantes souvent teintées de vert de nos végétaux. Ici à l’orée des territoires désolés (terme employé pour les territoires situés hors bulle), les jardins tropicaux sont resplendissants, les jacquiers sont recouverts de fruits bien mûrs, les tamaris concourent entre eux de leur couleur rose et les plus belles bougainvillées ajoutent du violet à la palette de couleurs pour émerveiller quiconque traîne par là.
À cette luxueuse nature bien organisée, faisait face une tout autre toile. Derrière le verre transparent, les arbres semblaient malades, à l’exception des grands sapins, les chênes perdaient leurs feuilles, lesquelles se déclinaient sur toute la palette de teintes orangées, jaunes et parfois marrons. Les manteaux des hêtres recouvraient le sol boueux sur lequel des branches plus ou moins épaisses jonchaient quelques flaques marécageuses.
La pluie devenait de plus en plus dense et des bourrasques balayaient les feuilles mortes pour les agglutiner au pied d’un gigantesque orme dont la cime ne pouvait être atteinte par notre regard. Il n’y avait pas âme qui vive, tout semblait mourir, les seuls organismes fidèles au poste étaient des gros champignons pourris beiges et noirs.
Elle resta une bonne heure à contempler ce décor inédit et un frisson lui parcourue l’échine. Elle constata alors avoir la chair de poule et un sentiment qu’elle ne connaissait pas lui emplit le cœur. Un doux souvenir lui revint en tête et, sans qu’elle puisse vraiment analyser ces bouleversements, une petite larme, qu’elle n’attribuait cependant pas à une tristesse, vient à perler le long de sa joue.
Elle n’était pas triste, mais elle ne comprenait pas pourquoi, une légère nostalgie (une sensation rarement perçue de nos jours) se présentait dans son cœur et dans sa tête.
Lorsqu’elle rentra, avec une foule de questions dans sa besace, L demanda à C1P2Q ce qu’il en était. Étant un ancien membre du clergé, son père avait les connaissances suffisantes pour répondre à sa fille. Pourquoi le monde des terres désolées possède une gamme de couleurs que nous ne connaissons pas ? Pourquoi les arbres sont-ils si différents et perdent ainsi leurs feuilles ? Pourquoi ceci, pourquoi cela ?
Tant de questions auxquelles C1P2Q passa la nuit entière à expliquer. Il instruisit sa fille sur les différentes saisons et dut aller bien plus loin dans les explications. Au-dehors, l’été allait bientôt se terminer et laisser place à l’automne.
Bien sûr, ce mot doit vous paraître bien abstrait, vous ne le connaissez sûrement pas, car cela date d’il y a longtemps, lorsque l’homme n’avait pas encore dompté la nature et se contentait de faire avec.
On appelait ça les saisons, c’était dû à la rotation de la terre autour du soleil et de la position de celle-ci par rapport à l’astre.
Mais n’entrons pas dans ces questions purement physiques, et revenons à notre histoire, je ne suis qu’un simple conteur et il est bien des secrets dont je n’ai pas la clé. Je ne saurai vous expliquer, les histoires de vitesse de rotation de notre planète autour du ciel qui explique toute cette fantaisie de la nature. Admettez juste qu’il existe différentes saisons.
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LHOOQ s’éveillait, elle en savait plus que beaucoup d’autres citoyens et L ne pouvait garder pour elle ces nouvelles données. Elle en parlait, bien sûr à son amie LA1Q2DS, mais aussi à d’autres de sa connaissance.
Dans un premier temps, ses proches la pensèrent dérangée, mais les rumeurs vont bon train et bientôt, des oreilles moins innocentes vinrent à entendre des bruits sur une jeune fille de 18 ans à l’attitude un peu dérivante.
Le clergé dépêcha l’agent Dard Maurice rencontrer cette fameuse LHOOQ, afin de procéder à une évaluation. Il arriva peu avant la fête de l’Équinoxe dans le quartier résidentiel de la famille. En vieux briscard, il ne présenta pas directement, préférant épier le sujet de son futur procès-verbal.
Le rythme des saisons bien assimilé, L donnait sa préférence à l’automne. Cela faisait presque deux ans qu’elle partait régulièrement en vadrouille pour aller admirer la nature blêmir et le temps devenir maussade. Cela l’affectait presque toujours et elle se complaisait à ressentir cette petite épée qui lui écorchait le cœur. Au moins, elle ressentait quelque chose.
Au hasard d’une de ses balades, elle découvrit une échoppe d’antiquité. On y vendait un peu de tout : des chapeaux melons, des bottes de cuir, des statuettes, des plateaux d’échec, des voitures miniaturisées, des bocks à bière, des verres à vin, de vieux tableaux représentant parfois des fruits un peu gâtés, des tableaux représentant la mer, des lampes, des cendriers, et tout un tas de fatras plus ou moins utiles !
Rares étaient les clients dans une telle échoppe, les antiquités étaient passées de mode. L entra tandis que le tenancier de l’officine bayait aux corneilles. D’abord étonné, le vieux vendeur accueillit avec un sourire bienveillant sa cliente potentielle bien qu’un seul coup d’œil lui suffit pour comprendre que cette jeune femme ne lui achèterait rien.
Le gérant était un homme quelconque, un homme comme n’importe quel quidam, un homme en somme. Mais, passé ce premier aspect, on découvrait qu’il n’était pas tout à fait lambda. Tout comme son géniteur, c’était un ancien du clergé. Sis devant L, se trouvait le célèbre 7×GAJ connu de tous sous le nom de Bergue Guten. Le hasard fait bien les choses, et c’est bien le hasard qui permit la rencontre de ces deux-là.
Lorsqu’il lui demanda ce qu’elle recherchait, la réponse le stupéfia :
Par curiosité ? C’était un terme que l’on utilisait plus depuis bien des éons. Il s’intéressa d’encore plus près à cette singulière jeune femme. Il se fit affable, du moins plus qu’à l’ordinaire, et engagea une conversation que d’aucun jugerait déjà comme subversive : il parla du passé, de l’histoire. Elle le trouva charmant (sans aucune arrière-pensée, voyons ! ) et très intéressant, puis la discussion se faisant agréable, elle lui promit de revenir le lendemain.
Et ainsi, commença une longue série de rencontres durant lesquelles, ils se dévoilèrent l’un à l’autre et bien sûr l’une à l’autre. Le vieux Bergue n’avait plus qu’une année à vivre et vit en L son passage de témoin. Ces propres enfants étaient tout ce qu’il y a de plus traditionnel : sa fille était mariée à un membre influent de l’état, son fils était parti se marier à GothamCity, la deuxième mégalopole de la planète. Ses petits-enfants suivaient le chemin tout tracé par la société. La normalité, quoi !
Mais cette L avait décidément autre chose à dire, enfoui au plus profond d’elle-même, et le vieux Bergue n’avait pas envie de quitter ce monde sans avoir dit tout ce qu’il avait à dire. Il vit en L, la parfaite oreille.
Aussi, il se confia et quelle preuve de confiance il lui donna ! Il lui confia son secret. Il savait lire, il savait écrire, mais mieux que ça, dans la remise de son magasin, il avait réussi à conserver quelques livres datant de Mathusalem. Et c’est ainsi que L découvrit des livres érotiques. Le vieux la prévient que les auteurs n’avaient pas leur place dans les livres d’histoires qui sont conservés au sein même du saint sacro-saint temple du savoir, au cœur de la cité ecclésiaste.
Elle découvrit et feuilleta plusieurs textes datant du 21ᵉ siècle dans lesquels les personnages féminins, des femmes fortes, libérées assumaient une libido exacerbée. Parmi ceux-ci, il y avait « La balade colombienne » de Charlie67, un texte mettant en scène une femme capable de faire voler un coucou et de faire face à des malfrats. Ou encore, « Échec et Mate » de Loaou où la femme mettait ses charmes en avant afin de déconcentrer son adversaire.
Elle eut besoin d’une bonne semaine pour digérer toutes les informations contenues dans ces petits textes. Ainsi, on pouvait faire l’amour à trois.
Le lendemain, elle découvrit « Mabon ou l’équinoxe d’Automne » d’une certaine Maryse, un texte intitulé « Le club de l’équinoxe d’automne » d’Olaf et encore un autre « Automne des origines » de Marchandisidore, qui avaient la particularité de traiter de manière très différente un même sujet : c’était comme si les auteurs s’étaient concertés pour écrire ces récits.
Pendant les premières semaines de sa découverte des livres cachés du vieux Bergue, L changea. Elle sembla encore plus bizarre qu’auparavant, elle délaissa son amie LA1Q2DS, et c’est à cette époque qu’elle demanda à son père ainsi qu’à sa mère de l’appeler Affro.
Là-dessus, L préféra finir sa crise dans sa chambre, laissant son père et sa mère médusés par cet emportement soudain. Ils restèrent comme deux ronds de flan à tenter de comprendre ce qui n’allait pas chez leur enfant. Ils la comparèrent à son jumeau qui lui, ne posait absolument aucun problème de comportement, ils discutèrent de l’envoyer de nouveau passer une batterie de tests, mais la dernière fois que LHOOQ était allée à l’Hôpital, aucun dysfonctionnement n’avait été décelé.
Lorsque aucune réponse au problème posé ne vient à nous, nous avons tendance à rejeter la balle sur quelqu’un d’autre, comme si nous pouvions déléguer le problème à une autre personne que soi.
Madame suggéra que le problème venait probablement que son mari avait appris à leur fille chérie à lire. Elle avait perdu son innocence. S’ensuivit une violente dispute entre les deux parents, l’une accusant l’autre d’être à l’origine des changements.
Les disputes au sein d’un couple étaient très peu fréquentes, car l’homme comme la femme avait les mêmes aspirations et la même éducation. Une dispute méritait qu’on aille voir le psychologue, mais c’était vraiment extrêmement rare et, surtout, c’était honteux. Les parents de LHOOQ étaient à ce stade de la confusion qu’ils comprirent dans leur for intérieur que leur été se terminait pour laisser place à autre chose. Ils n’avaient jamais ressenti de l’amour entre eux, mais juste un respect. Ensemble, ils avaient trouvé un équilibre de vie, un confort, et voilà que tout était mis en branle, la terre grondait sous leurs pieds.
L’été se terminait mais à quoi allait-il laisser la place ?
Les jours suivants, tandis qu’elle était épiée par l’Agent Dard, L se jeta à corps perdu dans un texte d’une certaine Melle Mélina. Le récit était d’une violence verbale inouïe et c’était un texte qui se voulait volontairement vulgaire et ne parlait plus d’érotisme mais de sexe.
Elle apprit qu’elle n’était pas seule à avoir des désirs assez inavouables en termes de sexualité, mais au travers de ce texte, elle apprit que les femmes du vingt et unième siècle se faisait sodomiser, que cette pratique n’était pas perçue comme une déviance et que la femme semblait y prendre du plaisir.
Cela la perturba. Imaginez : la sodomie ? Comment peut-on prendre du plaisir à se faire enculer ?
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Depuis son éveil à la sexualité, à l’âge de 18 ans, elle s’amouracha du robot C1PD. Il lui fit découvrir la joie d’une pénétration et la différence ressentie selon la position. Il en existe deux : celle que l’on appelle la levrette et l’autre que l’on appelle le missionnaire. Je ne pense pas qu’il faille écrire un paragraphe pour vous décrire ces positions, vous les connaissez tous, nous les connaissons tous, pour les pratiquer régulièrement.
Lorsque vous déverrouillez le mode « Trash » sur le programme du SexoRobot, vous pouvez également offrir au robot une fellation et lui, en retour, vous offre un cunnilingus. Et il sait y faire, le brigand. Évidemment, le contraire se vérifie. Être sucé par une robot de type BB8 vous envoie au plafond ! Par contre, il faut bien l’avouer, offrir un cunnilingus à une Robot n’est pas forcément ce qu’il y a de mieux en termes de plaisir sexuel.
LHOOQ se différenciait également dans ses ardeurs sexuelles. Elle avait décidément une imagination fertile, cette petite. La levrette et le missionnaire ne suffisaient pas à notre coquine. Elle expliqua à C1PD, avec beaucoup de patience, quelle nouvelle position adopter (difficile d’apprendre à un robot quelque chose qui ne figure pas dans ses programmes internes).
A force, elle y arriva. Désormais, C1PD la portait, la prenait debout, la retournait comme elle l’aimait et ce robot commençait, grâce à son intelligence artificielle, à anticiper les désirs de sa maîtresse. Plus d’une fois, sans attendre l’ordre, il enchaîna plusieurs positions pour le grand bonheur de L.
Après sa découverte des récits érotiques, son imagination déborda d’enthousiasme et elle poussa plus loin les limites qu’elle s’était elle-même imposées, se rendant compte que la notion de déviance sexuelle était somme toute relative.
Un jour, LHOOQ vint voir C1PD et lui demanda une pénétration anale. Le pauvre robot en failli perdre le contact avec son unité centrale.
La première fois n’est malheureusement pas à garder dans les annales ! Mais, LHOOQ était persévérante et au bout de plusieurs tentatives, C1PD parvint à entrer son chibre profondément dans l’anus de sa maîtresse sans qu’elle ne se mette à hurler de douleur.
Mais LHOOQ n’avait pas des envies pour avoir des envies, elle cherchait des réponses, donner un sens à sa vie. Elle sentait en son for intérieur qu’il y avait une nature double dans son comportement. Son attitude n’avait rien de léger et d’inconséquent, bien au contraire, il y avait beaucoup de profondeur dans sa vision de la vie, certes à l’opposé de ce que nous vivions. Elle se sentait étouffée dans les dogmes qu’elle trouvait ridicules de cette société si spirituelle, si éthique, si sophistiquée. Elle cherchait à fuir Dieu et toutes les bondieuseries imposées par l’Église. Et elle cherchait à fuir le divin, l’austérité prônée par notre société, en rentrant complètement dans la chair, car la chair est vivante. Pour elle, le bonheur que la main n’atteint pas est un leurre.
Elle continuait de parler avec son amie LA1Q2DS de ses expériences, à tel point que cette dernière commençait à avoir des envies. LA1Q2DS voulut elle aussi connaître d’autres positions sexuelles et demanda à son amie de décrire la position de l’Andromaque, celle de la chaise magique, la position de l’arc-en-ciel et celle qui lui inspirait le plus d’envie : la position « du bien-membré ».
Affro devint une très bonne professeure, très enjouée à dispenser ses cours et bientôt, les élèves devinrent plus nombreux, toujours plus nombreux.
Le cœur des cours ne résidait pas dans la description de ces nouvelles positions, mais bien de faire comprendre aux robots ces nouveaux programmes. Les SexoRobots devinrent vite débordés, quelques-uns eurent en effet, des problèmes de sauvegarde et certains bugs furent à déplorer.
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L’Équinoxe arrivait à grands pas, les préparatifs de la grande fête étaient dans toutes les têtes et occupaient toutes les pensées. Certains se préparaient à quitter la terre et c’était le moment pour eux d’aller voir leur fils parti dans une autre ville, puis de revenir embrasser une dernière fois leur fille.
D’autres allaient devenir parents pour la seule unique fois de leur vie.
Mais le plus important de la fête était de célébrer le milieu de la vie et, pour ces personnes-là, c’était l’évènement le plus attendu de toute leur existence. C’était à partir de ce jour précis que leurs cellules ne vieilliraient plus, ils avaient atteint leur apogée, c’était l’âge de la perfection. C’était l’âge où on perdait son matricule et on se choisissait un prénom.
LHOOQ, que tous ses amis-élèves appelaient désormais Affro sans se soucier des préceptes imposés par l’église, était invitée (ainsi que ses parents et son frère) à l’équinoxe du couple de la maison voisine.
La fête aurait lieu dans le jardin juste devant leur belle maison. On y avait installé un immense chapiteau, où tous les invités partageraient leur repas, avec un coin pour les cocktails un peu à l’écart des tables et, tout à l’entrée, une piste pour danser. Un orchestre était prévu et le thème choisi était les années 1980.
Tous participèrent à l’organisation. Les parents de L, ainsi que son frangin, étaient consignés à l’aménagement des vestiaires. L avait fui ses responsabilités, préférant instruire son « école » de toutes ses nouvelles fantaisies.
Le jour J arriva, le jour que tout le monde attendait avec impatience : le 23 septembre !
Le matin de cette fastueuse journée était consacré au départ du fils des voisins vers Vicecity pour se marier dans la journée. Merci papa, merci maman, vous m’avez bien élevé, Ciao bye-bye.
Les larmes de la mère en pleur étaient taries, la communion pouvait commencer sous l’égide d’un prêtre qui allait donner les sacrements et oindre le couple des huiles consacrées.
Notre sainte mère l’église ayant fait ses devoirs, il était grand temps de passer aux choses sérieuses : s’amuser. Tous étaient parés de leurs plus beaux costumes et de leurs plus belles robes. Affro ne dérogea pas à la règle. Elle portait une simple robe rouge qui mettait en valeur ses courbes gracieuses et musclées. Elle s’était coiffée d’un chignon dont les mèches tombaient le long des joues et, pour sublimer tout ça, elle avait autour du cou une magnifique parure et de jolies boucles d’oreilles.
Un homme vint l’aborder. Elle ne le connaissait pas et il lui suffit d’un seul coup d’œil pour s’en méfier. Il se présenta comme un ami des hôtes et engagea la conversation par des banalités.
Puis elle prit la poudre d’escampette. C’était sa première rencontre avec l’Agent Dard. Toute personne aurait été offusquée d’une telle rebuffade, mais il n’en avait cure, il avait eu la confirmation de ce qu’il pensait : cette fille avait un sacré caractère.
La musique commença sur un air de disco : c’est le D-I-S-C-O !
♬♪♩ ♬
♫ C’est le D, distrayant, ♬
♪ C’est le I, istérique, *♬
♬ C’est le S, superchick, ♩
♩ C’est le C, climatique, ♪
♫ ♩ C’est le o OOOhOOOOH ! ♬
♫♩♪♫♬♪
Tout le monde dansait, se balançait et s’amusait dans une ambiance bon enfant. Tous ? Non, car dans un coin de la maison, l’agent Dard gardait les yeux fixes sur son sujet d’étude.
L’alcool commençait à tourner un peu les têtes, et surtout celle d’Affro qui se déhanchait de manière plus explicite. Au début, les convives ne comprirent pas, ou plutôt firent semblant de ne pas comprendre, mais plus les danses s’enchaînaient, plus la gestuelle devenait manifeste. Elle n’était plus complètement avec les autres, elle était déjà partie dans un monde intérieur où il n’y avait aucun regard, aucune caméra, aucune censure. Il n’y avait plus qu’elle, son corps et son plaisir.
Durant la chanson « YMCA » (faisant suite à « Daddy cool » ), elle oublia tout ce qui l’entourait et elle se laissa aller, elle chanta des cris de jouissance, de plaisirs extrêmes. Dans une danse hyper sexualisée où elle reproduisait des mouvements empruntés aux livres qu’elle avait lu, où les mains caressaient l’entrejambe pour remonter sur ses seins, elle sembla perdre le contrôle. Elle grogna l’extase, elle gémit son ardeur et des mots insensés furent prononcés (le genre de mots que la bienséance m’interdit d’écrire ici même).
Les adultes furent outrés, mais pas les filles et les garçons qui n’avaient pas encore enfanté. Bien au contraire, ils attendaient depuis trop longtemps ce feu vert que LHOOQ venait de leur donner. Ce fut le frère de L qui, le premier, osa se joindre aux tourbillonnements, bientôt suivi par de nombreux autres invités. Ce fut une véritable épidémie de danses frénétiques, danses euphoriques. Un vaudou avait jeté un sort et ils ne pouvaient plus s’arrêter, l’agitation était partout, entre les mouvements désordonnés des parents se sauvant ou tentant de retenir leur ado et les danseurs rivalisant de trivialité dans le mouvement de leur corps.
Un couple de jeunes adultes mima quelques positions sans équivoques et en enchaîna plusieurs à la suite : « le petit pont », « la brouette thaïlandaise » ou encore « le cerf en rut ». Tandis qu’un jeune homme glissait entre les jambes écartées de sa partenaire, deux damoiselles s’enlaçaient langoureusement et leurs langues s’approchaient dangereusement l’une de l’autre.
Les parents restèrent interdits devant le spectacle que donnaient leurs enfants, la bouche grande ouverte, complètement décontenancés par l’attitude douteuse de leurs marmots. Assurément choquée, madame LM1PP dut s’éventer le visage pour ne pas faire de syncope et ainsi imiter Madame GCDA1P. Papa G1R2P2Q se fâcha à l’encontre de son rejeton et lui intima l’ordre d’arrêter illico presto ces singeries, sans quoi il réviserait les bénéficiaires de son héritage, tandis que père CCD×2CD préféra fermer les yeux devant le spectacle que sa fille, ordinairement si timide, donnait à l’assistance.
Le prêtre se signa non sans avoir bien malencontreusement juré « Bordel de Dieu » !
Il y en avait un qui ne perdait pas une miette de la scène, il était caché dans un coin de la maison et rédigeait sur un petit calepin électronique les observations qu’il faisait. À ce moment précis, il arriva à la conclusion que L était dangereuse et que la sainte mère l’église devait s’emparer du problème avant que cette errance licencieuse ne se propage tel un virus.
Mais avant de rendre son rapport, l’agent Dard étant très méticuleux, il voulut savoir comment cette fille qui ne s’était jamais fait remarquer, devenait aussi inquiétante dans son comportement. Il se promit donc d’attendre une semaine avant d’alerter les autorités.
Quelque chose lui échappait et, instinctivement, il se doutait que les réponses à ses questions avaient rapport avec l’échoppe d’antiquité tenu par son vieil ami Guten. Ces deux-là, ne s’étaient pas revus depuis que Gutten avait été congédié de son travail auprès des institutions.
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Arrivés il y a bien longtemps à l’école de formation des ecclésiastes, la fameuse école « L’Endoctrinature », à deux ans d’intervalle, Guten et Maurice, entretinrent des liens forts d’amitié (certaines mauvaises langues sont allées même jusqu’à dire que les liens furent d’une tout autre nature que ceux de l’amitié – je préfère ne pas m’épancher dans ce genre de digressions). Ils partagèrent tout, depuis leur chambre commune jusqu’à leur thèse de fin d’étude en passant par leur goût pour la lecture. Mais tandis que Guten s’éprenait des grands écrivains comme Musset, Hugo ou Dumas, Maurice se passionnait pour les romans policiers et analysait les récits de Doyle ou encore du personnage de Poe, Auguste Dupin avec une froideur mécanique, il aiguisait son sens profond de déduction…
L’autorité cléricale fondait de grands espoirs sur les deux novices mais ne voyait pas d’un très bon œil que ces deux-là s’apprécient à tel point que toute idée de concurrence était exclue. Aussi, la haute autorité, sous l’égide du père supérieur, le père Karasse, mit tout en œuvre pour les séparer et lorsqu’elle trouva la brèche, elle s’y engouffra opposant à jamais ce couple d’amis.
Guten pensait que l’homme était foncièrement bon et qu’il valait la peine qu’on se batte pour lui : le seul et unique moyen de le voir s’épanouir était de lui donner les clés pour comprendre le monde pour pouvoir se forger une opinion qui lui est propre.
Ce n’était pas l’avis de Maurice qui pensait diamétralement l’opposé. Pour lui, il fallait brider l’homme, car le voir s’épanouir, c’était ouvrir la porte sur tout ce que la société s’était évertuée à corriger chez l’homme, sa malice, son arrogance, ses colères, sa méchanceté, sa vanité, son orgueil.
Ce fut le temps des grands débats entre les deux hommes et ce fut le temps où ils ne partagèrent plus leur chambre. Puis de fil en aiguille, ils se perdirent plus ou moins de vue. Maurice devint agent et, de part son statut, il eut l’occasion de prendre des nouvelles de son ancien ami et il fut l’un des premiers à apprendre le renvoi de Guten des ordres.
Il est dit que l’agent Dard Maurice rit à l’annonce de cette triste nouvelle. Ainsi, les ponts furent définitivement coupés.
De retour à la vie civile, Guten prit une épouse qui avait perdu son mari dans un accident tragique deux années auparavant. Comme on prend l’arbre, on prend les racines, en plus d’une épouse, il prit sous son aile les jumeaux de celle-ci.
Ils habitèrent une maison située aux abords de la verrière, un bel endroit, mais quelque peu excentré. Cette déveine arrangea toutefois le néo-civil : il savait que les livres qu’il avait sauvés d’un autodafé seraient plus à l’abri loin du centre-ville de notre Mégalopole. Ainsi, personne ne soupçonna le vieux Bergue d’avoir un si dangereux trésor.
Bien des années plus tard, l’agent Dard en mission pour l’Église se trouvait face à son ancien ami pour lui demander des comptes. Quelle était la véritable nature de la liaison que cet antiquaire entretenait avec la dissidente LHOOQ ?
Lorsqu’il entra dans le sombre hall de l’échoppe, une brise s’y engouffra et alla caresser la colonne vertébrale du vieux Bergue. Il était de dos, occupé de ranger une voiture miniature sur l’étal derrière son comptoir, de sorte qu’il ne vit pas qui était entré. Mais cette brise annonciatrice, ainsi que cet effluve qui remontait depuis son passé, lui donna suffisamment d’indice pour qu’il reconnaisse l’arrivant. Sans se retourner, il dit :
Mais sa voix exprimait tout autre chose que de la sympathie ou du plaisir à se voir confronter à son passé.
Les deux hommes se dévisagèrent, se scrutèrent et se jugèrent de bas en haut, l’un avec dédain, l’autre avec une pointe d’amertume. Un lourd silence, oppressant, s’était soudainement abattu, on pouvait entendre une mouche péter.
Gutten mit tout ce qu’il put de flegme dans sa voix, il ne voulait pas donner d’indice qui aurait permis à son antagoniste de comprendre l’émoi dans lequel il se trouvait. Maurice ne prit pas autant de retenues pour cacher son mépris :
Instantanément, l’antiquaire comprit. Évidemment, LHOOQ. Évidemment, comment aurait-elle pu passer inaperçue et ne pas intriguer ou déranger le clergé ? Évidemment LHOOQ.
Sa voix le trahissait, les mots étaient tremblants et à peine audibles. Il marqua un temps d’arrêt, car il devait bien peser les termes qu’il emploierait. La moindre erreur serait comme donner un bâton pour se faire battre. Au pire, on lui retirerait ses livres, mais ce n’était pas ce qui l’inquiétait le plus, ce qui maintenant occupait toutes ses pensées, c’était bel et bien le sort qu’on réserverait à sa protégée, à son héritage. Affro.
Il commença sa diatribe par parler de la vie. Qu’est-ce que la vie, qu’est-ce que se sentir vivant ? C’était une notion qui avait échappé aux hommes modernes. Alors oui, l’homme avait maîtrisé la nature et sa nature et, depuis maintenant des éternités, l’homme ne tuait plus son prochain, l’homme ne saccageait plus rien autour de lui, mais il avait perdu une chose essentielle : la passion.
Pour lui, l’homme, en se créant un été permanent, était, depuis bien des lustres, entré dans un automne immuable. Toute saveur avait perdu son goût, toute odeur sa senteur. La beauté était devenue factice, tout son était dépossédé de son authenticité et tout ce que l’on touchait ne faisait plus frissonner.
Cette fille redonnait un peu de cet espoir perdu. Elle était en vie.
Autant parler à un sourd, l’agent ne pouvait comprendre les mots déraisonnables de ce fou d’antiquaire. Mais qu’importe, ce qu’il voulait savoir lui, c’était bien le degré d’implication de Gluten. Il savait qu’il ne restait plus qu’une année de vie au vieil homme, il pourrait fermer les yeux, mais ce n’était pas son genre. Maurice était bien top méticuleux, zélé et consciencieux pour ne pas aller jusqu’au bout de ses investigations.
Devant le mur qui s’opposait à lui, le vieux Bergue comprit qu’il n’avait d’autres choix que de tout révéler. Il prit sur lui les dernières facéties libidineuses de sa protégée, arguant que c’était lui qui lui avait appris à se déhancher de façon si lascive et provocante lorsqu’elle dansait.
L’effet fut immédiat. Le vieux Bergue fut arrêté, menotté et envoyé illico presto dans les geôles vides de Mégalopolis.
Le lendemain, les danses euphoriques et provocantes des « jeunes de l’Équinoxe » (c’est ainsi que les médias les présentèrent) s’étaient propagées à la vitesse d’internet dans la quasi-totalité des foyers du monde civilisé et bientôt, les jeunes des quatre coins de la terre dansèrent sans pouvoir s’arrêter provocant le plus grand tumulte connu depuis des siècles.
Bientôt, des duos se formèrent et les danses devinrent encore plus mutines. L’agent Dard comprit qu’il aurait dû agir plus tôt, mais ne dit-on pas « mieux vaut tard que jamais » ?
Affro, qui revendiquait son nom auprès d’une nouvelle audience de jeunes écervelés, vit au fond de sa salle de cours le même homme qu’elle avait entraperçu la vieille.
L’instinct nous permet de comprendre et d’analyser des situations avant même que notre cerveau ne se mette en marche, et l’instinct de LHOOQ lui permit de comprendre immédiatement la raison de cette présence. Qu’allait-elle faire, s’enfuir ? C’était tout à fait possible, mais elle n’était pas du genre à fuir ses responsabilités (à part lorsqu’il s’agit de dresser, avec ses parents, un vestiaire pour une fête pour laquelle elle ne se sent pas vraiment concernée). Aussi décida-t-elle d’écourter sa leçon d’éducation sexuelle pour affronter celui qu’elle avait appelé « l’inopportun ».
En guise d’ouverture, elle lui adressa un glacial :
Loin d’être dérouté, Maurice se présenta de façon officielle, titre en main et sourire sadique aux commissures des lèvres.
Elle n’était pas disposée à fuir, elle suivit donc Maurice sans que ce dernier n’usât de son pouvoir. Face cette docilité inattendue, l’agent devint un peu plus affable et courtois, puis il lui dit qu’elle retrouverait le vieil antiquaire. Affro, qui ne savait pas que son ami et mentor avait été arrêté, reçut cette information comme un coup de poignard, mais n’en fit rien voir.
Montrer à cet agent qu’elle était affectée lui aurait donné des informations capitales qu’il n’aurait aucun scrupule à utiliser lors de l’interrogatoire. Il ne fallait rien laisser transparaître.
Lorsqu’ils arrivèrent aux geôles, Affro pu constater la présence du vieux Bergue, mais elle fut également surprise de voir qu’une autre cellule était occupée. L’agent avait trouvé intéressante l’idée d’interroger le SexoRobot C1PD.
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Dans la salle, une vaste pièce avec des miroirs aux plafonds pour donner de la luminosité et, surtout, pour lui donner l’impression d’être plus grande qu’elle ne l’était en réalité, trois chaises faisaient face à un pupitre où se tenait l’agent Dard.
Il congédia les Clercs (qu’on appelle les Julien) présents dans la salle et s’adressa aux trois personnes, leur priant de s’asseoir sur les chaises sous son ordre et commença ainsi l’interrogatoire :
Les trois s’assirent.
Les trois se levèrent.
Les trois s’assirent.
C’était juste pour asseoir son autorité. Les voyant obéissants et soumis, il fut satisfait. Il dut bien reconnaître qu’il avait un malin plaisir à humilier quelque peu son ancien ami. Un plaisir coupable, mais ce n’était pas grave, il irait à confesse après la séance et hop, il serait absous de ses péchés, blanc comme neige, pur comme du cristal.
L’interrogatoire commença.
Le terme même « interrogatoire » est une supercherie, car l’agent n’avait plus besoin d’interroger, il jugeait, et son jugement était sans appel, LHOOQ était coupable d’incitation à la débauche. L’acte d’inculpation précisait la nature volontairement illégale de se déhancher de manière obscène et lascive, avec intention d’inciter les âmes innocentes à se fourvoyer. Elle n’essaya pas de nier, ni même de se défendre. Il ajouta d’autres chefs d’inculpations dont l’association de malfaiteurs, le malfaiteur en question étant assis sur le banc des accusés juste à ses côtés, et d’abus de pouvoir sur un SexoRobot (lequel, se tenant juste à ses côtés, put témoigner de la véracité de ces graves accusations) afin d’assouvir ses passions et ses désirs sexuels.
C1PD dit toute la vérité, rien que la vérité, sur la nature des derniers rapports qu’il avait entretenus avec la dénommée LHOOQ, et à l’énoncé des positions décrites par le robot, une douce chaleur étreint notre brave agent. Bien malgré lui, une réaction typiquement humaine se fit ressentir, à tel point que ses attributs furent trop serrés dans son pantalon. Il en dégrafa le bouton.
Affro, devenue maintenant experte en la matière, reconnut les signes d’une montée hormonale chez son accusateur. Voilà qui devenait drôlement amusant. Elle soutint son regard et lui sourit de toutes ses dents, cligna des yeux. C’en était trop pour l’agent Dard qui eut une bouffée de chaleur l’obligeant à dénouer sa cravate et à retirer le premier bouton.
L’inquisiteur se racla la gorge et tenta de reprendre l’ascendant, mais sa voix dérailla lorsqu’il voulut lire ses observations faisant offices de preuve. Il fit un lapsus :
Suite à ça, il bégaya, perdit ses mots. LHOOQ, consciente de l’émoi de Maurice, décroisa ses jambes dans un mouvement très naturel, laissant entrevoir sa petite culotte. Elle se rappelait ses lectures, notamment un texte de Loaou où le personnage féminin, pour déconcentrer son adversaire masculin dans une partie d’échec, croisait puis décroisait les jambes et faisait glisser ses lèvres humides l’une sur l’autre. L’atmosphère monta encore en température. Le pauvre agent déboutonna le deuxième pan de sa chemise.
Il avait consacré sa vie entière au réel, au palpable, il était si ancré dans sa réalité, la réalité de son monde, un monde qui ne laisse pas de place à l’inconnu, où tout est maîtrisé de A jusqu’à Z. Lui, qui était si ancré dans le concret, doutait. Lui, qui avait rejeté l’esprit, était à présent harcelé par l’irrationnel, l’incorporel. Il subissait une irruption du sensuel dans sa tête, une sorte de revanche de l’inconnu. Et les mots tournoyaient autour de lui comme des phylactères qu’il pouvait lire aussi facilement qu’il lisait ses notes.
Érotisme, sexe, hédonisme, épicurisme, débauche.
Tous les mots qu’il avait combattus farouchement et remisés au placard depuis de nombreuses années, refaisaient surface et ne lui laissaient pas le temps de reprendre son souffle. Il se noyait dans un océan d’images sybarites.
Le vieux Bergue n’avait pas perdu une miette du spectacle qui se déroulait devant ses yeux et comprit que la métamorphose de son vieil ami ne serait complète qu’à la prochaine provocation de Affro. Il l’encouragea dans ce sens :
Elle ne se fit pas prier. Elle se leva en minaudant et mit dans son mouvement le plus de sensualité possible. Elle s’approcha telle une chatte prête à jouer avec une proie, une proie hypnotisée, une proie consentante.
Elle se plaça, féline, dans son dos et posa les mains sur ses épaules. À leur contact, Maurice ne put retenir un léger sifflement d’exaltation. Cela faisait bien longtemps qu’il n’avait ressenti la chaleur de son sang influer dans les veines. Les mains dévalèrent le torse et des doigts agiles déboutonnèrent un troisième bouton à la chemise, révélant le torse musclé de l’agent. Elles s’insinuèrent entre le tissu et la peau qui, à leur contact, frémit doucement, presque imperceptiblement, mais suffisamment pour être perçu.
La chaleur devenait étouffante, à tel point que les messages nerveux commandés par le cerveau n’arrivaient plus à destination et ce fut le corps qui prit les commandes. Les tétons de Maurice se durcirent et la chair de poule recouvrit tout son corps. Ces réactions n’arrêtèrent en rien la descente des mains. Un quatrième bouton fut ôté. Il n’en restait plus qu’un pour que la chemise soit ouverte.
Les mains commencèrent à devenir caresses et dansèrent une ronde autour du nombril. L’agent Dard hoquetait de plaisir. Cela faisait bien longtemps qu’il ne s’était senti ainsi en vie. Les mots de son vieil ami Bergue résonnaient dans sa tête, les mots sur la perte de toute saveur, de toute odeur.
« Depuis combien de temps ne t’es-tu pas senti en vie ? »
Telle était la question que l’antiquaire lui avait posée lors de son arrestation et telle était la question qu’il se posait présentement. Quelque chose venait de dérailler, son train-train quotidien venait de quitter les rails et partait à vau-l’eau, il n’était plus capable d’aiguiller ce train, mais n’en avait plus du tout l’envie. Il partait dans le décor et c’était une bonne chose. Qu’il casse, qu’il détruise cette ligne directe du quotidien. Plus rien ne comptait que cette sortie de route, où allait-elle le mener ? Le plus important, ce n’est pas la chute mais l’atterrissage.
Maurice bandait ferme et c’était un supplice d’attendre encore quelques minutes que ces mains arrivent enfin vers cette promesse de jouissance à laquelle il inspirait. N’en pouvant plus, il en attrapa une pour la placer sur son vit qui avait quitté son magnifique slip kangourou.
Tandis que ses mains s’affairaient à faire ressurgir l’instinct primaire de l’accusateur, Affro lui mordillait l’oreille, lui donnait des bisous dans le cou. L’homme n’était plus capable de garder les yeux ouverts, il était parti au palais des délices dans un monde loin d’ici. Profitant de ce qu’il avait les yeux fermés, la jeune dévergondée fit signe à son robot préféré d’entrer dans la danse. C1PD, comme tout robot honnête qui se respecte, ne pouvait refuser cette injonction. Il s’approcha, Affro lui fit comprendre par signes ce qu’elle attendait de lui.
C1PD s’agenouilla devant l’agent Dard, prit le pénis tendu et l’enfourna à pleine bouche !
Affro se déshabilla, découvrant sa nudité. Le vieux Bergue ne put résister à l’appel de la chair et entra à son tour dans la ronde. Allongé sur la table, les jambes relevées, Maurice attendait avec impatience et délectation l’intromission d’une véritable barre-à-mine tandis qu’il savourait l’entrejambe de LHOOQ assise sur son visage. Le vieux Bergue n’était pas en reste, debout sur la table, il ajustait son engin juste devant la bouche d’Affro pour pouvoir plonger dans le brasier.
C1PD était un peu perdu, il devait faire face à quelques bugs, son programme n’ayant pas été écrit dans le cas de multiples partenaires, mais depuis son initiation d’avec Affro, il arrivait mieux que n’importe quel autre robot à s’adapter.
Plus vite qu’il n’en faut pour l’écrire, il rectifia dans sa mémoire interne quelques données pour en rajouter d’autres et fut opérationnel pour pouvoir introduire sa proéminente verge dans le troufignon de sir Maurice.
(Coprolalies à qui mieux-mieux, des onomatopées significatives : des Arrghhh, des Mmmmm, des RRRRaaaahhhhh, des Slllluuurrpppps ponctuaient cette grandiose baise ! ).
Ouh, c’est chaud ! Puis les participants se placèrent les uns derrière les autres tandis qu’ils chantaient à – à – à la queue leu-leu !
Un instant magique.
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Le lendemain, l’agent Dard démissionnait de son poste d’enquêteur au sein du clergé et se mettait en couple avec son vieil ami antiquaire.
Quelque chose avait changé. Mais qu’était-ce ?
Les voyant en couple, un homme lambda, GPT2× (ou bien était-ce GHT1MNM ? ) eut pour la première fois un ressentiment de jalousie tandis que cet autre, le bien nommé GHET1WC eut du dédain voire du dégoût : deux hommes ensembles, des pédérastes ? S’en était trop pour lui. Il ne put se retenir de les insulter puis de signer au nom du père. Cela donna l’idée à deux autres femmes de faire « tirlitupinpon sur le chi wouin wouin » ensemble, sans éprouver le moindre remord.
Tandis que quelques-uns ressentaient de l’envie, d’autres de la colère, les tensions qui avaient été annihilées depuis des décennies pointaient de nouveau le bout de leur nez. L’été permanent venait d’arriver à sa toute fin et une autre saison apparaissait. Une saison en demi-teinte, des joies mais des peines, de l’emballement mais aussi de la fureur. Du vent, de la pluie et parfois une bise qui nous déplume et fait tomber nos belles ramures pour nous mettre à nu afin de renaître, l’automne.
C’était le prix à payer dont l’humanité devait s’acquitter pour de nouveau se sentir vivre. La vie n’est pas faite de plénitude et de volupté, il y a des ressentis qui nous font mal, qui nous font paraître petits et mesquins, envieux, des sentiments définis comme étant négatifs, de mauvaises pensées, mais c’est à ça que l’on voit comme nous sommes désespérément en vie. Nos vices nous façonnent encore plus que nos bontés, car on peut faire le bien pour avoir l’approbation de nos frères et ce n’est que par calcul, tandis que nos vices, lorsque nous ne les cachons pas, nous révèlent tels que nous sommes. Nous ne portons pas de masque lorsque nous agissons de façon éhontée ou que nous avons des pensées immorales. Notre dualité permanente, qui nous fait voyager aux frontières du bien et du mal, du bon et du mauvais, un pandémonium de l’âme qui nous coince entre l’été et l’hiver, nous dévoile et nous fait sentir vivants.
Depuis ce 23 septembre 4018, nos vieilles rancœurs sont revenues au galop, on s’engueule dans les hémicycles, on convoite la femme du voisin, on désire ce que l’on a pas, on se bat à grands coups de torgnoles dans la tronche, on se dispute sur un sujet qui pourtant ne prêtait pas à discussion, on supporte une équipe de football pour en insulter une autre, mais, à côté de ça, à côté de ce florilège de conneries qui fait que nous sommes des hommes, nous aimons de nouveau avec passion, engouement, avec force, avec l’âme.