Une Histoire sur http://revebebe.free.fr/
n° 21170Fiche technique28607 caractères28607
4538
Temps de lecture estimé : 19 mn
23/09/22
Résumé:  En ce 23 septembre, le temps s'est arrêté. L'automne ne vient pas. Serait-ce lui qui gît inanimé au pied d'un chêne moribond ? Violette saura-t-elle le ramener à lui et lui redonner goût à la vie pour sauver le monde de la catastrophe ?
Critères:  #fantastique fh forêt amour
Auteur : Maryse  (Je m’évade en écrivant en secret. Soyez indulgents !)      Envoi mini-message

Projet de groupe : 23 Septembre 2022
Equinoxe sextraordinaire

L’humanité tout entière était au bord du gouffre. Un rien pouvait mettre le feu aux poudres, précipiter le monde dans la folie et le chaos le plus total. Comme tout un chacun, Violette avait les yeux rivés sur l’écran de sa télévision. Toutes les chaînes relataient en boucle l’information du jour. Aucun mot ne pouvait décrire ce qu’elle ressentait. Elle était littéralement dévastée, complètement anéantie. Elle avait d’abord cru à un canular, mais, très vite, elle avait dû se rendre à l’évidence. Depuis, elle luttait tant bien que mal contre le désespoir le plus noir qui était sur le point de l’emporter et qui lui donnait la chair de poule.


En ce 23 septembre, jour de l’équinoxe d’automne, le temps s’était, de façon inexpliquée, aboli. Dès l’aube, toutes les horloges du monde s’étaient mises à ralentir progressivement avant de s’arrêter définitivement au moment précis où le soleil s’immobilisait en plein ciel, bien au-dessus de l’horizon. Avec la suppression du temps, le jour s’était immuablement figé. Ni le crépuscule, ni la nuit ne pourraient arriver tant que cet état de fait perdurerait. Pour la toute première fois dans l’histoire de l’Humanité, l’équinoxe d’automne n’aurait certainement pas lieu. Tout s’était détraqué ! Personne n’y comprenait rien, rien ne pouvait expliquer un tel phénomène. Toutes les sommités qui se succédaient sur les plateaux de télévision pour commenter l’évènement avouaient leur incompréhension. Tous se perdaient en conjectures. Les supputations allaient bon train mais personne n’avait d’explications vraisemblables, dignes d’intérêt. Les débats faisaient rage : ce dérèglement était-il temporaire ou définitif, anticipait-il la fin du monde, la fin des temps ?


Violette pressentait que c’était la Planète dans sa globalité qui était en train d’agoniser. Dans son entendement, le temps, les saisons et la vie étaient interdépendants, intimement associés. Retirez le premier et les deux autres disparaissaient par voie de conséquence !


C’était pour cette raison qu’elle célébrait avec ferveur les saisons, même si cela pouvait paraître à certains, anachronique ou passéiste. À ses yeux, chacune d’entre elles avait son importance. Toutes étaient essentielles à la vie. Après l’effervescence du printemps, puis de l’été, durant lesquels la nature produisait et donnait à foison, succédait l’automne, période faite pour souffler, se ressourcer avant de reprendre des forces et de reconstituer, pendant l’hiver, toute la vitalité et la vigueur indispensable au bon déroulement du cycle suivant. Rendre hommage aux saisons permettait de se remémorer leurs rôles et leurs intérêts. Le faire était non seulement bénéfique à soi mais aussi à la nature et au monde entier.


Pourtant, la société moderne, technologiquement avancée, obnubilée par ses chimères, engagée dans une course contre le temps qu’elle ne pouvait pas gagner, avait fini par l’oublier. Les gens souhaitaient vivre ardemment comme s’ils étaient perpétuellement en été sans se soucier de ce qu’il en coûtait à la Nature pour fournir tout ce qu’ils exigeaient d’Elle. Surexploitée, exsangue d’avoir trop donné, n’ayant plus le temps ni la possibilité de se régénérer, elle avait fini par jeter l’éponge et tout s’était bloqué…


Violette s’arracha de ses pensées accablantes et jeta un vague coup d’œil à la télévision. Rien de nouveau, toujours le même baratin. Elle soupira à s’en fendre le cœur. Brusquement une évidence la frappa de plein fouet en la faisant vaciller jusqu’aux tréfonds d’elle-même : qu’espérait-elle au juste, puisque le temps n’avait plus cours et que sans lui, plus rien ne pouvait se produire.


Pendant un instant, elle eut la sensation d’être comme une noyée se débattant dans une mer démontée pour garder la tête hors de l’eau…


Elle résista à la tentation de se laisser couler et d’en finir une bonne fois pour toutes. ​


En pleine confusion, elle ne savait plus quoi faire ni comment réagir. Devait-elle se mettre à prier ? Les chaînes de télévision diffusaient des reportages provenant de toutes les parties du globe, montrant d’immenses rassemblements où les gens agenouillés imploraient leurs Dieux en se lamentant. Devait-elle se mettre à vociférer, laisser exploser la colère qui couvait en elle ? Rejoindre ces mouvements de foules déchaînées qui saccageaient tout sur leurs passages, mettaient le feu aux voitures, pillaient les magasins et s’en prenaient violemment aux forces de l’ordre incapable de contenir toute l’agressivité qui montait crescendo ? Ou alors mener la politique de l’autruche en refusant de regarder la réalité en face et en continuant à vivre comme si de rien n’était, comme si tout allait se remettre en ordre, redevenir comme avant ?


Restait-il une once d’espoir ? Nul ne le savait… Mais le désespoir qui lui broyait le cœur lui faisait craindre le pire. Elle ne devait pas se bercer d’illusions. Quelle ironie, la fin du monde était proche et elle se demandait ce qu’elle pouvait bien faire pour meubler le temps qui lui restait. Le temps qui lui restait ? Mais il n’y avait plus de temps, il avait disparu !


La panique qu’elle avait réussi à contenir tant bien que mal monta d’un cran. Elle serra les dents pour les empêcher de claquer, à s’en faire mal aux mâchoires. Les larmes aux yeux, elle éteignit d’un geste rageur la télévision. Le silence qui s’ensuivit l’oppressa davantage. Elle tendit l’oreille en se demandant ce qui pouvait bien se passer dehors, dans la nature. Rien, pas un bruit ne lui parvenait. Juste un calme sinistre et terrifiant, le calme d’avant la tempête. Le cœur glacé, redoutant le pire, elle s’approcha d’une fenêtre et scruta l’extérieur. Aucun mouvement, pas le moindre oiseau dans le ciel. Rien ne bougeait, tout semblait figé. Ce qu’elle voyait lui faisait penser à un paysage sans vie, une nature morte…


Elle n’en pouvait plus d’attendre sans rien faire, enfermée chez elle, dans son chalet, à se morfondre en broyant du noir. C’était peut-être idiot, mais elle préférait sortir, marcher dans le bois voisin qu’elle aimait tant. Peut-être que cela dissiperait un tant soit peu la tension qui l’accablait et lui éclaircirait les idées…


L’effet bénéfique escompté ne se produisit pas, bien au contraire. Sa promenade ne fit que renforcer sa profonde affliction. Aucun souffle d’air, ni bruissement de feuilles. Pas le moindre bourdonnement, ni pépiement, pas un seul animal, fût-il insecte ou autre. La végétation était ternie, flétrie, les arbres avaient perdu une partie de leurs feuilles qui jonchaient le sol, desséchées. La nature tout entière semblait vidée de toute substance, moribonde à l’instar du temps.


Elle n’y avait plus aucun espoir, se répétait-elle comme un leitmotiv, en marchant droit devant elle comme un automate.


Brusquement quelque chose attira son attention. Quoi, elle n’aurait pu le dire. Intriguée, elle regarda autour d’elle, sans savoir ce qu’elle cherchait. Un immense chêne au tronc imposant se dressait sur sa droite. Comme tous les autres arbres du bois, sa frondaison était clairsemée et fanée, ses branches affaissées comme si elles n’étaient plus capables de supporter leurs propres poids.


Au début, elle ne le remarqua pas. Mais ses yeux, comme captés par une force invisible y revenaient sans cesse. Au pied de l’arbre, à moitié enseveli par les feuilles mortes, allongé entre deux épaisses racines noueuses, gisait un corps inanimé. Le moment de stupeur passé, elle se précipita et ce qu’elle découvrit la stupéfia. Elle mit plusieurs secondes avant d’en croire ses yeux. Il s’agissait d’un homme nu. Ses cheveux longs et hirsutes, éparpillés autour de sa tête, étaient gris argenté. Sa peau livide, parcheminée, était toute fripée. D’innombrables tatouages représentant des symboles cabalistiques parsemaient son corps. Sa corpulence indiquait qu’il avait été d’une forte constitution avant que ses muscles ne s’atrophient. Elle n’aurait pu dire s’il était mort ou encore vivant. Alors rassemblant tout son courage à deux mains, elle s’agenouilla et posa l’extrémité de son index tendu à la base du cou à la recherche du pouls. Après un temps qui lui parut interminable, elle perçut un très léger battement.


Il vivait ! Elle ne pouvait pas le laisser là ! Elle devait le ramener chez elle. Avec les évènements qui frappaient le monde, elle ne pouvait compter sur personne et devrait se débrouiller toute seule.


Plus facile à dire qu’à faire ! Lorsqu’elle tenta de soulever le corps, le poids la surprit et elle faillit perdre l’équilibre. Se redressant sur un genou, elle parvint finalement à le hisser sur son épaule. De sa main gauche, elle prit appui sur le tronc du chêne et poussant sur ses jambes, réussit tant bien que mal à se mettre debout. Les chevilles et les pieds de l’inconnu se balançaient mollement sous ses yeux tandis que, alourdie par son fardeau, elle titubait en avançant péniblement sur le chemin.


Elle était épuisée. Ses poumons étaient en feu, ses muscles tremblaient sous l’effort et tout son corps lui faisait mal. A plusieurs reprises, elle avait été tentée de s’avouer vaincue, de renoncer. D’ailleurs elle avait toutes les bonnes raisons de le faire. À quoi bon secourir un mourant alors que le monde vivait ses derniers instants ? S’acharner comme elle le faisait était inutile. Mais chaque fois qu’elle était sur le point d’abandonner, quelque chose la poussait à continuer. Comme une exhortation provenant du plus profond d’elle et qui lui rappelait que toute vie, même la plus insignifiante, méritait d’être sauvée quelles qu’étaient les circonstances. Et lorsqu’elle se remettait en route, chancelant et ahanant sous le poids, elle avait l’impression de percevoir une douce vibration, certes faible et fragile, mais qui pulsait encore dans la terre qu’elle foulait de ses pieds. Quelque chose qui l’encourageait à persévérer quoiqu’il puisse lui en coûter. Quelque chose qui la convainquait que son effort n’était pas vain.


Comment arriva-t-elle au chalet ? Elle ne s’en rappelait pas. Elle avait parcouru les derniers mètres dans une espèce de brouillard opaque, n’ayant plus qu’une idée en tête, mettre un pas devant l’autre et recommencer en évitant de tomber. Une fois arrivée au chalet, elle avait tiré le corps inerte jusqu’à sa chambre et péniblement, après moult tentatives, elle avait finalement réussi à l’installer sur son lit. Puis elle s’était effondrée, au-delà de l’épuisement, et avait perdu connaissance quelques secondes… quelques minutes peut-être. Lorsqu’elle avait rouvert les yeux, elle s’était redressée pour vérifier que l’homme était toujours en vie. Puis, elle s’était traînée jusqu’au salon avant de se laisser lourdement tomber sur le canapé. Elle était exténuée et avait besoin de se reposer. Malgré sa fatigue extrême, elle n’y arriva pas. Ô bien sûr elle avait de nombreuses raisons pour ne pas y parvenir : le temps n’existait plus, les saisons non plus, le monde courait à sa perte, un inconnu frappé d’un mal mystérieux agonisait dans sa chambre. Mais c’était autre chose qui l’y en empêchait. Chaque fois que ses paupières lourdes se refermaient, comme des flashs de lumières éclataient dans sa tête en la faisant sursauter. Comme si des images brouillées dont elle n’arrivait pas vraiment à distinguer les formes ni à comprendre leurs significations, cherchaient à s’imposer à son esprit. Il y avait aussi cette étrange impression qu’une espèce de…, que quelque chose d’indéfinissable cherchait à entrer en contact avec elle. Comme un appel qui semblait venir du fin fond de son cœur et qui résonnait comme un écho répétitif, partout en elle…


Était-elle en train de devenir folle ?


Incapable de rester en place, elle se leva et déambula sans but précis, jetant de temps à autre un regard par la fenêtre devant laquelle elle passait et repassait. Le soleil restait immanquablement à la même place, désespérément immobile. Le jour se prolongeait inexorablement. Un comble pour cette journée d’équinoxe ! Elle en aurait ri si la situation n’avait pas été aussi dramatique.


Ses pas la conduisirent à sa chambre. Du seuil de la porte, elle contempla le mystérieux inconnu qui n’avait pas bougé, ne fut que d’un millimètre. Tout comme le soleil dans le ciel. Paradoxalement, la tragédie qui se déroulait à l’extérieur la préoccupait moins que l’état de cet homme. Malgré la silhouette amoindrie, la peau ridée et l’apparence cadavérique du corps inerte allongé sur son lit, elle n’arrivait pas à détourner les yeux comme s’il y avait quelque chose d’indéfinissable, une sorte d’aura invisible qui se dégageait de cet être aussi étrange que mystérieux et qui captait son attention.

Sûrement les tatouages ésotériques et fascinants qui parsemaient la peau parcheminée, songea-t-elle tandis que son regard passait lentement d’un symbole cabalistique à l’autre. Elle réprima un cri de surprise lorsque ses yeux s’immobilisèrent sur celui situé en bas du ventre, juste au-dessus du pubis qu’elle avait pudiquement recouvert d’une serviette. Il représentait la lettre M en majuscule manuscrite stylisée avec un trait horizontal sur le pied vertical central qui formait de ce fait une croix inversée. Elle l’aurait reconnue entre mille. Il s’agissait de l’emblème de Mabon, l’idéogramme celte pour désigner l’équinoxe d’automne ! Stupéfaite, elle cligna plusieurs fois des paupières pour s’assurer qu’elle n’avait pas la berlue mais non, c’était bien ça, elle ne s’était pas trompée !


Une fois le moment de surprise passée, une idée farfelue s’imposa peu à peu à elle. Impossible ! se censura-t-elle en essayant de la chasser de son esprit. Mais elle revint avec plus de force encore. Se pourrait-il que… Absurde ! se reprit-elle encore.


En temps normal, elle aurait sûrement écouté la voix du bon sens. Mais aujourd’hui, rien n’était cartésien, ni ne se déroulait comme prévu. Tout était chamboulé, insensé, démentiel. Plus aucune logique n’avait cours et l’invraisemblable devenait réalité. Alors pourquoi ne pas croire qu’en réveillant Mabon, l’équinoxe d’automne tant attendu se produirait et que le temps se remettrait en marche ? Cette possibilité, qui lui redonnait espoir, la galvanisa. Qu’avait-elle à perdre d’essayer ? Rien ! Mais comment y parvenir ? Elle n’avait aucune notion de médecine et ne savait pas comment s’y prendre. La perspective de ne pas y arriver l’épouvanta et elle se mit à réfléchir à toute allure. Peut-être qu’en lavant Mabon, le contact de l’eau fraîche sur sa peau le ramenerait à lui.


Comment n’y avait-elle pas pensé plus tôt !


Elle se précipita à la cuisine pour récupérer une bassine, puis à la salle de bain pour la remplir et prendre une éponge avant de retourner au chevet de Mabon, le cœur battant sourdement d’impatience.


Elle s’assit directement sur le bord du lit sans regarder par la fenêtre. À quoi bon ? Elle était sûre que le soleil n’avait toujours pas bougé d’un iota. Seul le rétablissement de Mabon permettrait à l’automne d’arriver, à l’astre de reprendre sa course et au temps de se remettre en route. Il fallait qu’elle y parvienne avant que les Hommes, emportés par leur fureur destructrice, ne ravagent tout sur leur passage.


Faites que j’y arrive, pria-t-elle, avec ferveur, en lançant un regard appuyé au corps qui gisait près d’elle. Et comme à chaque fois qu’elle le contemplait, une étrange émotion la gagna. Elle résista à l’envie d’attraper la main inerte pour la serrer contre sa poitrine. Pour nouer le contact. L’équinoxe d’automne avait besoin d’elle et elle ferait tout ce qui était en son pouvoir pour sortir Mabon de sa profonde léthargie. Le sort de l’Humanité en dépendait !


Dès qu’elle posa l’éponge imbibée d’eau sur le front de ce dernier, elle ressentit comme une vague bienfaisante se propager partout en elle. Contrairement à ce qu’elle craignait, elle ne ressentait aucun dégoût, mais une vive satisfaction, presque de l’euphorie, à laver ce corps qui pourtant, ressemblait à celui d’une momie. Non, pas à une momie, mais à un… Qu’importe ! se rappela-t-elle à l’ordre. Elle avait une tâche capitale à réaliser qui méritait toute son attention. Elle ne devait pas se laisser distraire par des futilités qui la détournaient de son but.


Lorsqu’elle pressa l’éponge au-dessus de la bassine, l’eau qui s’en échappa était noire. Intriguée, elle fronça les sourcils. Elle inspecta la partie qu’elle venait de laver. Celle-ci semblait être plus rose, moins blafarde mais rien qui ne pouvait expliquer la salissure qu’elle avait récoltée. Elle se remit à la tâche en se demandant d’où pouvait bien provenir cette espèce de suie que la peau excrétait lorsqu’elle la nettoyait. La pollution ! Oui, c’était ça ! C’était la pollution qui avait intoxiqué Mabon et qui l’avait plongé dans le coma. Elle redoubla d’ardeur et s’attacha à n’oublier aucune zone qu’elle frottait minutieusement, avec délicatesse.


Quand elle eut fini, elle retourna délicatement Mabon sur le ventre. Se faisant, elle entraperçut fugacement le pénis balancer entre les cuisses décharnées. Surprise et gênée, elle ferma aussitôt les yeux. Au lieu de disparaître, l’image du sexe masculin resta bien présente, comme gravée derrière ses paupières. Elle prit alors conscience que Mabon, toute divinité de l’Automne qu’il était, n’en était pas moins homme et qu’il se trouvait nu sur son lit. Sa proximité, l’intimité qu’ils partageaient, ne la laissaient pas indifférente. Réalisant du tour que prenaient ses pensées, elle rougit de confusion. Qu’allait-elle chercher là ? Mabon était inanimé et n’avait besoin de rien d’autre que de ses soins. Elle se remit à l’ouvrage.


L’éponge lui échappa des doigts, roula sur le dos humide et s’immobilisa sur le lit. Alors qu’elle s’apprêtait à la reprendre, sa main, comme mue par une volonté propre, bifurqua pour atterrir bien à plat entre les omoplates de Mabon, ​juste en dessous de la nuque. Elle eut aussitôt l’impression qu’un lien s’établissait au point de contact et elle sentit les battements de son cœur s’accélérer. Elle tenta de recouvrer sa lucidité, s’efforça de ne pas y penser, de faire le vide dans son esprit, de se convaincre que si elle réagissait de la sorte, c’était que les événements l’avaient ébranlée nerveusement et qu’inconsciemment elle avait besoin de réconfort mais rien n’y fît. Son regard, son corps tout entier semblait comme aimanté par l’homme étendu près d’elle. Elle était incapable de songer à autre chose. Elle tenta de retirer sa main mais sa paume semblait s’être soudée au dos sur lequel elle était posée. En pleine confusion, elle laissa ses doigts glisser le long de la colonne vertébrale, suivre la courbe des reins, remonter le long des fesses…


À leurs contacts, elle se raidit, rattrapée par la réalité. Mais qu’était-elle en train de faire ? se réprimanda-t-elle avec un vif sentiment de culpabilité, en ayant la désagréable impression de profiter de l’inconscience de Mabon pour lui violer son intimité.


Elle reprit l’éponge, la mouilla puis l’essora avant de reprendre son travail. Elle nettoya méthodologiquement tout le reste du corps en évitant soigneusement les fesses et l’entrejambe pour ne pas prendre le risque d’effleurer par mégarde les parties génitales. Malgré tous ses efforts, Mabon restait toujours sans réaction. Elle le retourna sur le dos et scruta son visage. Que pouvait-elle bien faire d’autre pour le ramener à la vie ? Au bord du découragement, elle repoussa machinalement les mèches de cheveux gris qui recouvraient les yeux clos de Mabon. Ce simple effleurement à peine esquissé la fit frissonner. Prise d’une envie subite, elle lui empauma la joue. Aussitôt, ce qu’elle avait ressenti un peu plus tôt se reproduisit. L’espèce de déflagration, la sensation de chaleur, l’émotion à la fois douce et grisante qui se répandait partout en elle, l’impression qu’ils étaient connectés l’un à l’autre.


Et puis, soudain, elle prit conscience de ce qui était en train de se produire. Son imagination lui jouerait-elle un tour ? Mais non, ce qui se passait était bien réel ! Un immense bonheur éclata en elle, balayant tout sur son passage. Sous sa paume, la peau semblait reprendre vie, devenait plus tonique, plus chaude aussi. Elle percevait même une imperceptible palpitation. Mabon était en train de reprendre conscience ! Le miracle tant espéré était en train de se réaliser.


Partout où sa main passait, la vie se réveillait. Elle en sentait les prémices. Elle percevait avec ravissement, chaque frémissement, chaque vibration du corps qui se réanimait. Elle exultait, folle de bonheur. Elle vivait intensément, de tous ses sens, de tout son être, la renaissance de Mabon. Le sang battait vivement à ses tempes, ses oreilles bourdonnaient, son corps était électrique.


Le corps de Mabon se transformait de plus en plus rapidement comme si une irrépressible réaction en chaîne s’était enclenchée. Les tatouages bougeaient à toute allure sur la peau qui se réchauffait, se retendait en retrouvant toute son élasticité. Un halo bleuté s’y dégageait. La corpulence de ce dernier changeait, s’élargissait, grandissait pour prendre l’allure d’un homme dans toute sa maturité. Éblouie, émerveillée, elle suivait la métamorphose en la vivant intensément dans sa propre chair. Elle en percevait chaque modification avec une incroyable intensité. Elle avait l’impression d’entendre le battement puissant et répétitif du cœur de Mabon résonner dans sa tête, se synchroniser au sien.


Elle était dans un tel état de grâce qu’elle avait l’impression d’être en apesanteur, de flotter libérée de toute attache. Pourtant, cette histoire surnaturelle aurait dû l’alarmer, l’effrayer. Mais elle était subjuguée par le réveil de Mabon. Elle en suivait chaque détail qu’elle gravait dans sa mémoire pour n’en oublier aucun. Elle ne voyait rien d’autre tel un papillon fasciné par la flamme d’une bougie qui risquait à tout instant de lui brûler les ailes.


Lorsque ce dernier se redressa et s’assit sur le lit, elle crut défaillir tant sa joie était extrême, prodigieuse. Ils se regardèrent longtemps, sans rien dire, avec ravissement. Elle avait l’impression que plus rien d’autre qu’eux deux, n’existait…


Ce fut Mabon qui rompit le silence. Elle ne comprit pas les mots que ce dernier lui chuchotait. Sûrement du celte ancien, se surprit-elle à penser. Elle aurait dû être déçue de ne pas pouvoir engager la conversation. Elle aurait eu tant de questions à poser, mais c’était certainement mieux ainsi, car il était préférable que certains mystères, notamment ceux relatifs à la vie, ne soient jamais dévoilés. Comme pour dissiper ses éventuels regrets, la voix, aussi douce et chaude qu’un bel après-midi d’automne, l’emplit tout entière et elle en fut bouleversée. Mabon continuait à lui parler lentement, posément aussi délicatement qu’une brise légère de saison. Elle était tout autant troublée par les yeux qui la contemplaient. Des yeux vert-mousse, couleur de sous-bois. Tendres, apaisants, réconfortants. Mabon était, sans aucun doute, l’incarnation même de l’automne. Et brusquement, elle se dit qu’il devait être bon de se blottir dans ses bras, de poser la tête sur sa poitrine et de se laisser emporter par cette tendre étreinte, comme deux amants l’auraient fait un soir d’automne, au coin d’un feu de cheminée, en contemplant les flammes danser dans l’âtre…


Leurs visages étaient très proches. Très lentement, Mabon se pencha vers elle. Tout à coup intimidée, elle se raidit et recula la tête. Alors qu’elle s’attendait à subir un assaut passionné, elle fut complètement troublée par la douceur de la bouche qui caressa la sienne, ponctuant ses effleurements de baisers aussi légers qu’un souffle. Elle ne put résister à un tel déferlement de tendresse et se laissa aller…


Lorsque le baiser prit fin, elle avait la vue brouillée, le cœur chaviré et un doux vertige lui faisait oublier où elle se trouvait. Un tic-tac répétitif finit par traverser le cocon ouaté qui semblait l’envelopper en l’isolant du reste du monde. La grande horloge du salon s’était remise à battre ! Le temps était reparti. La pénombre qui envahissait progressivement la chambre indiquait sans conteste que, dehors, la nuit était en train de tomber. Au loin, un rouge-gorge gazouillait des notes sifflées et roulées, caractéristiques de leur chant d’automne. L’équinoxe tant attendu arrivait enfin.


Devant elle, Mabon souriait et son visage resplendissait dans l’obscurité. Elle sentait tout autour d’elle crépiter des ondes vivifiantes et bienfaisantes. La vie certes fragile et à préserver, reprenait son cours. Rien ne pouvait plus la combler et pourtant, une sorte de mélancolie l’étreignait. À minuit, l’équinoxe passé, Mabon disparaîtrait en la laissant seule. C’était dans l’ordre des choses.


Demain sera un autre jour, tant pour elle que pour l’humanité tout entière, se consola-t-elle tout en se demandant quelles leçons, les Hommes tireront de cet évènement qui avait été à deux doigts de provoquer leur disparition et si la terrible épreuve qu’ils venaient d’endurer les rendait dorénavant plus sages et plus respectueux de l’environnement dans lequel ils évoluaient. Pour l’heure, elle voulait profiter du moment présent, célébrer ce premier jour d’automne…


Elle réalisa alors à quel point elle avait envie de faire l’amour… Avec une audace dont elle ne se serait jamais crue capable, elle avança la main, la fit courir sur le torse de Mabon, l’effleurant langoureusement, insistant sur les mamelons, glissant plus bas pour parcourir d’un doigt impatient, toute la longueur de l’érection vibrante.



Et tout se précipita. Mabon la déshabilla délicatement, progressivement en embrassant, en caressant voluptueusement chaque portion de corps qu’il dénudait. Un instant plus tard, ils s’enlaçaient tous les deux nus, leurs corps étroitement imbriqués. Elle avait conscience de la solennité du moment. La célébration de l’automne…


Ils s’explorèrent, se caressèrent, se goûtèrent avec lenteur. Leurs doigts, leurs lèvres étaient à la fois doux, audacieux et insatiables. Leurs soupirs, gémissements, murmurés toujours renouvelés, se disaient combien ils étaient heureux de partager ce moment ensemble, cette expérience quasi initiatique.


Violette se sentait belle et désirée, elle s’offrit sans fausse pudeur, découvrant de nouveaux horizons insoupçonnés. Mabon, avec un art consommé, parcourut chaque partie de son corps, même les plus intimes, qu’il explora avec maestria, la faisant gémir, haleter et parfois pleurer de délice et de félicité confondus. Ils prolongèrent leurs jeux amoureux jusqu’au moment où l’attente devint insupportable. Alors, incapables de contenir les forces qui se déchaînaient en eux, ils s’unirent. Ce fut comme un éblouissement, une extraordinaire fulgurance, l’immersion dans un monde secret et merveilleux qui n’appartenait qu’à eux. Plus rien ne comptait que le bonheur de ne faire qu’un.


Leur rythme parfaitement accordé les emmenait inexorablement vers la fusion totale. Sensation de complétude fabuleuse, étourdissante qu’elle n’avait jamais éprouvée auparavant. Quelque chose d’intense et d’une pureté extraordinaire. Si pur qu’elle en fût effrayée. Instinctivement elle ferma les yeux et voulut résister, mais elle ne pouvait plus contrôler son propre corps. Il ondulait de lui-même, parcouru de spasmes puissants et brûlants, arqué et tendu comme s’il cherchait à se fondre en Mabon. Alors murmurant le nom tant désiré comme une litanie, elle s’abandonna aux vagues de jouissance qui déferlaient en elle, chacune plus intense que la précédente. Elle cria une première fois, accueillant Mabon au plus profond d’elle, en expérimentant l’extraordinaire sensation de renaître par lui, partageant le même orgasme, s’efforçant de faire durer l’instant présent aussi longtemps que possible.


Ils refirent l’amour encore et encore. Leurs corps ne leur appartenaient plus. Lâchés, ils allaient à la rencontre de l’autre, comme poussés par une force incoercible. Leurs mains liées se serraient si fort que leurs doigts se tordaient. Réunis dans une même extase sans fin, ils montèrent progressivement au firmament du pur plaisir.


Ce ne fut que longtemps, bien longtemps après, qu’elle reprit conscience. Elle était seule. Mabon avait disparu. Elle se leva lentement et, les jambes flageolantes, se dirigea vers la fenêtre. Dehors, la nuit était incroyablement belle, le clair de lune cristallin. Les étoiles étincelaient de mille feux. Le chant mélodieux des oiseaux qui, malgré l’heure tardive, s’en donnaient à cœur joie, formait la plus belle des symphonies. Des larmes d’émerveillement lui montèrent aux yeux. Un automne radieux s’annonçait ! Cette journée d’équinoxe, la plus belle de sa vie, resterait à jamais dans son cœur…