Je m’appelle Michel Marteau et j’exerce depuis plus de trente ans le métier de détective privé. J’ai installé mon cabinet à mon domicile, situé dans un immeuble sans charme, mais plutôt bien entretenu du quartier de Passy dans le 16e arrondissement de Paris.
Comme dans bon nombre d’appartements parisiens anciens, un couloir dessert l’ensemble des pièces.
À gauche en entrant, une cuisine spacieuse pouvant accueillir quatre convives, suivie d’une grande pièce à vivre qui me sert aussi bien de séjour que de bureau pour recevoir mes clients. À droite, une pièce pompeusement dénommée bibliothèque où officie ma « secrétaire », puis ma grande chambre et enfin les sanitaires.
Je ne vais pas vous mentir. Ce n’est pas mon activité professionnelle qui m’a permis de m’installer dans ce quartier bourgeois. J’ai en effet hérité mon logement de mes grands-parents – aujourd’hui disparus – lorsqu’ils sont partis s’installer dans le Sud pour jouir de leur retraite.
Car mes affaires sont loin d’être aussi reluisantes que je le souhaiterais. Et si je travaille assez pour payer mes charges, c’est parce que je pratique des tarifs extrêmement raisonnables. Comme vous pouvez vous en douter, la plupart de mes missions concernent les affaires d’adultère. En complément, j’ai parfois l’opportunité d’effectuer de la recherche de descendance pour le compte d’un notaire que je croise une à deux fois par mois lors de parties de tarot.
Actuellement, c’est Conchita, une petite femme brune et enrobée de soixante-trois ans qui me tient lieu de « secrétaire », ce qui est un bien grand mot pour qualifier l’activité que cette dame très gentille effectue pour mon compte.
En fait, Conchita est l’ancienne concierge de l’immeuble. Je l’emploie depuis de nombreuses années pour effectuer deux heures hebdomadaires de ménage chez moi et je sais que c’est une femme astucieuse et dynamique.
Conchita a dû prendre sa retraite il y a un an et lorsqu’elle m’a fait part de son souhait de trouver des petits boulots pour s’occuper et accessoirement améliorer sa maigre pension, je lui ai donc rapidement proposé de la déclarer quelques heures de plus comme employée de maison si elle voulait bien assurer en échange un service de secrétariat minimum.
Jusque-là, j’utilisais les services de sociétés spécialisées dans la gestion d’appels pour le compte des professions libérales. Mais je ne regrette pas d’avoir embauché Conchita bien que l’activité du poste justifie à peine un tout petit temps partiel. Car mon ex-concierge prend sa mission très à cœur et elle ne compte pas ses heures de présence passant énormément de temps dans ma bibliothèque que José, son mari, a arrangé au mieux pour que Conchita remplisse sa mission dans les meilleures conditions.
Et cette femme volontaire n’a effectivement pas été longue à endosser le rôle de l’assistante dévouée chère aux romans policiers des années 60.
Elle a donc ressorti la robe noire qu’elle n’avait pas portée depuis sa première grossesse, ses escarpins en cuir verni réservés aux événements religieux et elle a foncé chez sa coiffeuse-maquilleuse attitrée pour arborer une magnifique choucroute couleur de jais et un rouge à lèvres vermillon assorti à ses ongles vernis. Le résultat tient à la fois du bonhomme Michelin et de la Nana de Niki Saint-Phalle, mais je me suis bien gardé de faire la moindre remarque à Conchita concernant son nouveau look.
Ma secrétaire débutante est en tout cas ravie de son nouveau statut. Ce qui semble avoir un effet particulièrement stimulant sur sa libido si j’en crois les commentaires que me font régulièrement les résidents vivant au-dessus de la loge que le couple continue à occuper jusqu’à la retraite de José.
Car celui-ci a en effet repris la fonction de sa femme après avoir mis fin sans regret à une longue et éreintante carrière dans le bâtiment.
Comme je l’ai laissé entendre précédemment, Conchita fait beaucoup d’heures de présence, mais elle ne croule pas sous le boulot. Elle passe donc pas mal temps sur le vieux PC que j’ai mis à sa disposition à améliorer sa maîtrise du traitement de textes et à surfer sur Internet.
Un jour, en me rendant dans son « bureau », j’ai surpris Conchita focalisée sur l’écran de l’ordinateur sur lequel une animation de qualité médiocre montrait une femme nue et plantureuse agenouillée sur un homme allongé tout aussi nu dont le pénis raide et plutôt épais coulissait en boucle dans l’intimité de la dame.
Cette scène m’étonna quelque peu et lorsque Conchita s’aperçut de ma présence, elle devint toute rouge avant de se mettre à bafouiller.
- — Ce n’est pas ce que vous croyez, monsieur Michel… tenta-t-elle de m’expliquer, confuse.
- — Mais je ne crois rien, Conchita. Vous êtes une personne adulte. Vous faites les recherches qui vous semblent utiles sur Internet.
- — En fait, je profite de mes creux d’activité pour lire des Nouvelles, se justifia-t-elle. J’adore lire, vous savez.
- — Vous avez bien raison et c’est tout à votre honneur, Conchita. On n’est jamais assez instruit. Je suppose qu’on parle beaucoup d’amour dans les nouvelles que vous lisez sur ce site aux vidéos fort évocatrices, lâchai-je après avoir examiné la page avec attention.
- — C’est vrai. Mais moi, je ne lis que des beaux récits érotiques, pas des histoires cochonnes mettant en scène des noirs qui couchent avec des femmes mariées pendant que leur mari les contemple en train de gémir avec un énorme pénis dans le minou et un autre dans le derrière.
- — Vous pensez bien, Conchita, que jamais je ne pourrais imaginer une chose pareille de vous, répondis-je alors sur un ton parfaitement hypocrite.
- — Je préfère néanmoins vous le dire, car même si ce n’est pas votre cas, monsieur Michel, les hommes ont souvent l’esprit mal placé.
- — Alors si ce ne sont pas les histoires cochonnes, qu’est-ce qui peut bien vous attirer sur ce site.
- — Eh bien, on y trouve de nombreuses publications rédigées par des écrivains cultivés et imaginatifs.
- — Vraiment ? Qu’entendez-vous par cultivés et imaginatifs ?
- — Eh bien, je pense notamment à une jeune femme qui propose régulièrement de très belles histoires, pleines d’émotion, avec une belle intrigue policière et je me suis dit que les lire pouvait m’aider à devenir une secrétaire plus efficace.
- — C’est une belle preuve de conscience professionnelle, Conchita. Et comment s’appelle donc cette brillante autrice ?
- — Laetitia, monsieur. Vous devriez lire ses récits. Vous découvrirez ainsi une détective très brillante. En plus, c’est une jeune femme blonde très séduisante.
- — Qu’est-ce qui vous fait croire ça ? Si ça se trouve, votre Laetitia est en réalité un gros type chauve, retraité et libidineux qui se fait passer pour une beauté blonde. Je suis bien placé pour savoir qu’il ne faut pas se fier aux apparences, et sur Internet encore moins qu’ailleurs.
- — Je le dis parce que c’est la vérité, m’affirma avec conviction l’ex-bignole. Laetitia est sur le point de devenir une célébrité. Elle a d’ailleurs reçu récemment le Gourdin d’argent, lors d’une cérémonie très médiatisée. Vous n’aurez donc aucun mal à trouver des photos de cette belle jeune femme sur Internet. D’autant qu’elle est déjà passée plusieurs fois à la télévision régionale.
Légèrement dubitatif, mais néanmoins curieux de savoir ce que pouvait représenter ce Gourdin d’argent vanté par Conchita, je décidai de mettre à profit une fin de journée particulièrement oisive pour en apprendre un peu plus sur cette Laetitia qui avait conquis l’estime de mon ex-concierge.
Je commençai donc par visiter le site érotique de prédilection de Conchita. C’est ainsi qu’après avoir refusé quelques propositions d’échanges virtuels avec d’accortes personnes fort peu vêtues, je pus lire mon premier texte de Laetitia.
J’avoue que malgré quelques gauloiseries distillées çà et là, je suis très vite tombé sous le charme de l’écriture alerte et non dénuée d’humour de la dénommée Laetitia, avant d’être définitivement conquis par ses textes originaux au contenu circonstancié rempli de références étayées.
Tout cela me semblait effectivement témoigner d’une culture éclectique loin de la superficialité à laquelle nous sommes malheureusement trop habitués par les temps qui courent.
Cette personne avait donc une tête bien faite. Restait à savoir ce qu’il en était de son corps. Et une fois de plus, je fus édifié même si je dus pour m’en convaincre me fourvoyer sur les pages numériques des magazines people. Où je pus notamment découvrir Laetitia tenant sensuellement son Gourdin d’argent aux côtés de Jacques Sohn-Faïve, son éditeur, accessoirement PDG des éditions Emplomb.
J’appris de la sorte et en un temps record, énormément de choses sur Laetitia, l’espoir montant de la littérature pour adultes, pour reprendre les propos de la presse spécialisée.
Selon « Gras-là », la jeune femme descendrait de la famille royale de Suède. Mais d’après « Poissy », le véritable père de Laetitia serait un important homme politique de gauche aujourd’hui disparu. L’autrice aurait ainsi acquis sa passion pour l’écriture auprès de sa demi-sœur Sarazine.
J’ai aussi appris en parcourant « Marine-France » que Laetitia a récemment eu une aventure avec le jury de « The Voice ». Et lorsque je demandai à Conchita si elle était au courant de cette passade et si elle connaissait le nom du membre concerné, ma secrétaire me répondit simplement qu’il s’agissait du jury complet.
Très vite, je fus donc subjugué par l’œuvre et la vie aventureuse de la belle Laetitia. Et bien sûr, je ne tardai pas à lui envoyer quelques mails pour lui faire part de mon admiration, en lui glissant incidemment que j’étais détective privé et que si un jour, elle avait besoin des services d’un enquêteur, je serais prêt à la faire bénéficier de mes prestations haut de gamme à un tarif particulièrement avantageux.
La jeune beauté me remercia en répondant poliment à mon courrier électronique et je n’en entendis évidemment plus parler. Du moins jusqu’à la semaine dernière.
J’étais alors sur une enquête que m’avait confiée madame Martine P. qui comme la grande majorité de mes clientes soupçonnait son mari d’adultère.
Madame P. m’avait expliqué que Patrick, son époux depuis plus de trente-cinq ans, devait se rendre à une des séances de dédicace organisées après la remise du Gourdin d’argent à Laetitia. Cette dernière avait en effet décidé de remercier quelques admirateurs triés sur le volet en signant personnellement l’exemplaire qu’ils avaient acheté de son livre. Martine aurait normalement dû accompagner son époux à la cérémonie, mais une obligation familiale l’en avait empêchée. Et ma cliente supposa, peut-être à raison, que cette absence constituait l’opportunité idéale pour permettre à Patrick de retrouver une éventuelle maîtresse.
Je possédais moi aussi la version originale de l’œuvre de Laetitia, mais je n’étais malheureusement pas convié à la fête et mes obligations professionnelles ce soir-là me condamnaient à surveiller monsieur Patrick P. avec la plus grande discrétion.
Je fus d’ailleurs étonné de voir mon « client » se présenter trois fois devant Laetitia pour qu’elle appose sa signature sur autant d’exemplaires de son livre.
Conchita m’avait renseigné sur les liens d’estime unissant Laetitia et Patrick qui publiait lui aussi régulièrement sur les sites érotiques de prédilection de l’écrivaine, des textes fort appréciés. Ma secrétaire m’affirma aussi qu’il arrivait parfois à Patrick de collaborer avec la belle artiste.
Mais je n’avais pas pour autant saisi l’intérêt pour le mari de ma cliente de collectionner les exemplaires du recueil de nouvelles signés par son auteur, sinon pour assouvir une forme rarissime de fétichisme.
Patrick ne participa pas au cocktail qui suivit la dédicace. En effet, il s’éclipsa juste après que Laetitia eut dédicacé le troisième exemplaire de son livre et bien évidemment, je lui emboîtai discrètement le pas.
Le séduisant sexagénaire s’engouffra dans la bouche de métro la plus proche pour sortir vingt minutes plus tard à la station Goncourt. Une fois dehors, je le vis se diriger vers un immeuble situé à quelques centaines de mètres de là.
Et je décidai donc d’attendre patiemment dans le bar en face que le gaillard daigne ressortir du bâtiment.
Quelle ne fut pas ma surprise de voir Patrick réapparaître une heure plus tard accompagné d’une jeune femme avenante, vêtue d’une robe courte au décolleté profond et fort bien rempli.
Comme les deux tourtereaux prirent le temps d’échanger un baiser torride avant de se séparer, je pus quitter tranquillement le bar et lorsque la jeune personne me croisa après avoir laissé son amant, j’eus la surprise d’apercevoir le prénom Patrick tatoué sur son avant-bras.
Je laissai la fille s’éloigner avant d’entamer une filature discrète du séducteur grisonnant.
Alors que je me rapprochais de plus en plus, son portable se mit à sonner. Le mari volage s’immobilisa pour répondre.
Lorsque je suis en mission, je ne sors jamais sans mon discret micro directionnel Bluetooth. Je m’en servis donc une fois de plus pour écouter à loisir Patrick échanger avec son correspondant et la teneur de la conversation ne me laissa aucun doute sur leur niveau d’intimité même si je ne pouvais entendre la voix de la personne à l’origine de l’appel.
- — Bonsoir Jessica. J’allais t’appeler, ma chérie. Je viens de quitter la séance de dédicace de Laetitia et je devrais être chez toi pour t’apporter ton exemplaire d’ici une petite demi-heure.
Il ne manque pas d’aplomb le mec ! pensai-je alors, légèrement estomaqué, pendant que Patrick écoutait sa correspondante s’exprimer.
Les propos qui suivirent me sidérèrent encore plus :
- — Mais bien sûr que je vais lui défoncer son petit cul à ma jolie salope ! Crois-moi, mon cœur, tu vas prendre cher !
Après avoir écouté la dernière réplique de Jessica, Patrick eut un petit rire puis il remit son téléphone dans sa poche.
Je pris le temps de remettre de l’ordre dans mon esprit perturbé et de ranger mon gadget dans la poche de ma veste. Puis je me dirigeai d’un pas assuré vers le fougueux époux de ma cliente estimant que c’était le bon moment pour me faire connaître. Je décidai néanmoins dans un premier temps de n’aborder avec Patrick que sa relation avec la jeune femme tatouée.
- — Bonjour, Patrick, lâchai-je alors en me plaçant face à mon interlocuteur, ce qui eut pour effet de lui faire interrompre sa marche en me fixant avec surprise. Vous avez bien de la chance. La jolie jeune femme que j’ai croisée il y a quelques minutes a l’air fort éprise de vous. Elle a même fait tatouer votre prénom sur son avant-bras.
Monsieur P. me regarda avec un visage peu amène avant de répondre.
- — D’abord, je ne vois pas en quoi ça vous regarde. Secundo, Cindy est juste une grande fan de la tétralogie « Camping », et tertio, je ne me souviens pas que nous ayons été présentés.
- — En effet, Patrick. Mais malgré cela, je vous connais un peu. J’ai notamment pu parcourir et apprécier votre œuvre plutôt leste sur divers sites érotiques. Mais surtout, Martine, votre ravissante épouse m’a engagé pour s’assurer que vous ne lui cachez pas quelques péripéties de votre existence.
Patrick devint tout pâle.
- — Je ne vais pas vous jeter la pierre. Je conçois que Cindy puisse constituer un délicieux élixir de jouvence pour un homme alerte flirtant avec la soixantaine, mais je doute que cette relation soit du goût de votre femme.
Le gaillard grisonnant me gratifia d’une moue contrariée.
- — Et que penserait de votre comportement Jacques du Canada qui, comme nous le savons tous les deux, a des opinions bien arrêtées sur les obligations imposées aux membres des couples respectables et aux écrivains dignes d’estime.
En voyant Patrick blêmir un peu plus, je compris que mon coup avait porté, car je me doutais bien que Martine pardonnerait n’importe quel écart à son mari adoré et pour cette raison, je ne voyais pas l’intérêt de faire de la peine à ma charmante cliente en lui révélant les « petites » infidélités de son chéri.
En revanche, je savais bien que si Patrick perdait la considération du redoutable et redouté critique, sa carrière d’auteur était définitivement compromise.
Alors que je laissais le temps au bouillant retraité de réfléchir à ce que je venais de lui dire, je m’aperçus qu’il n’avait plus que deux exemplaires du livre dédicacé sous le bras.
- — Je comprends mieux pourquoi vous vous êtes présentés trois fois lors de la séance de dédicace de Laetitia. C’était pour offrir un des exemplaires à votre amie Cindy. Mais du coup, s’il y en a un pour votre maîtresse et un pour vous à qui est destiné le troisième ?
Je venais bien sûr d’apprendre que, outre Cindy, Patrick montrait aussi beaucoup d’affection à une certaine Jessica, mais j’étais curieux de savoir ce que le Casanova des histoires de cul allait me fournir comme explication.
Son silence en disait plus qu’un long discours et je ne pus m’empêcher d’éclater de rire avant de jouer franc jeu.
- — Ce que j’ai découvert ces dernières heures me donne l’impression que vous avez décidé d’échanger votre femme de cinquante ans contre deux de vingt-cinq. J’admire votre tempérament plutôt rare chez un homme de votre âge. Mais je ne suis pas sûr que votre charmante épouse partage mon enthousiasme.
Patrick resta coi en me considérant avec effarement. Le coco était mûr pour l’estocade et je portai le coup fatal.
- — Voilà ce que nous allons faire : demain, j’expliquerai à Martine que vous avez eu ce soir un comportement exemplaire et vous allez en contrepartie mettre fin dès maintenant à vos relations extra-conjugales et, en remerciement de mon silence, m’offrir le troisième exemplaire dédicacé du livre de Laetitia.
J’accompagnai alors un Patrick tout penaud dans le bar le plus proche où le mari volage fit exactement ce que je lui avais demandé avant d’aller retrouver sa femme la queue basse et, du moins l’espérai-je, le cœur plus léger.
Je ne peux pas dire que j’étais particulièrement fier de la manière dont j’avais traité cette affaire, mais j’avais le sentiment d’avoir sauvé un couple emblématique et, cerise sur le gâteau, j’avais pu enfin apercevoir pour la première fois de ma vie la merveilleuse Laetitia en chair et en os. Bien que la distance qui nous séparait à cette occasion fût conséquente, le simple fait d’y repenser suffisait à faire apparaître des papillons devant mes yeux et une certaine raideur dans mon caleçon.
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Quelques jours plus tard, je vois Conchita entrer rouge d’excitation dans mon séjour-bureau.
- — Que vous arrive-t-il, ma chère ? Vous avez l’air toute retournée ; l’exhibitionniste du troisième vous aurait-il à nouveau montré sa queue ?
- — Pas du tout, Monsieur Michel. Madame S., votre rendez-vous du matin vient juste d’arriver.
- — Très bien et alors ? C’est sa ponctualité qui vous trouble à ce point ?
- — Pas du tout ! Mais figurez-vous que madame S. N’est autre que l’écrivaine Laetitia.
J’encaisse le choc à mon tour puis je demande à Conchita de faire patienter la jeune femme une ou deux minutes avant de la conduire dans mon repère.
Lorsque Laetitia pénètre dans la pièce, juchée sur une paire de sandales Jimmy Shoo aux talons démesurés, vêtue d’un tailleur Chanel à la fois élégant et sexy, je tombe littéralement sous le charme de cette beauté italo-scandinave.
Le sourire discret, mais satisfait de ma visiteuse me fait comprendre qu’elle n’est pas mécontente de l’effet produit sur ma personne.
Cette trentenaire blonde au visage angélique et volontaire est sans aucun doute la plus sublime femme qu’il m’ait été donné de rencontrer tout au long de mon existence et bien sûr je tombe immédiatement amoureux d’elle au moment même où je la salue les yeux embués d’émotion.
- — Ravi de vous conrentrer madame ! Coulez-vous un vafé ? je demande alors en proie à un trouble que je n’avais plus connu depuis mes années de puberté acnéique.
- — Je prendrai volontiers un espresso légèrement corsé sans sucre avec une noisette de lait, s’il vous plaît, lâche alors Laetitia d’une voix cristalline qui me file la chair de poule.
- — What else ? Euh… bien sûr ! je réponds avant de héler ma secrétaire :
- — Conchita ! vous voudrez bien préparer une tasse de colombien spécial numéro 8 pour madame S. avec un soupçon de lait de chèvre.
- — C’est plus digeste, dis-je en m’adressant à la femme sublime qui me fait face.
Après avoir pris acte du consentement de Conchita, j’invite ma future cliente à s’asseoir.
- — Je vous prie de vous installer confortablement dans ce fauteuil et de m’exposer l’objet de votre visite.
Laetitia sort alors avec une grâce exquise une feuille de papier format A4 de son sac Kelly en crocodile avant de me la tendre et de me préciser :
- — Ce feuillet est une copie. La police a l’original ainsi que l’enveloppe à fenêtre qui le contenait et que le facteur a déposée dans ma boîte aux lettres la semaine dernière.
Avant que je commence la lecture du document, Conchita se présente avec un petit plateau pour apporter les deux cafés et quelques mignardises. Je la remercie avant de déclarer à Laetitia :
- — Ma secrétaire est l’une de vos plus grandes admiratrices. C’est d’ailleurs elle qui m’a fait découvrir vos œuvres.
L’écrivaine sourit alors à Conchita et lui dit :
- — Si vous avez un exemplaire de mon livre, je vous le dédicacerai avec plaisir.
- — J’en serai ravie, déclare Conchita avant de retourner dans son bureau bibliothèque pour récupérer le fameux bouquin et le présenter à Laetitia.
La jeune femme sort un luxueux stylo Montblanc en or de son sac et ouvre le recueil que lui tend son admiratrice.
Je la vois sourciller avant de m’adresser la parole :
- — Comment se fait-il que vous disposiez d’un livre que j’ai déjà dédicacé à mon ami Patrick P.
Je pâlis légèrement. Conchita s’est trompé d’exemplaire. Au lieu de prendre celui que j’ai acheté, elle a apporté le livre que m’a remis Patrick en échange de mon silence sur ses incartades.
J’invente une explication vaseuse pour justifier ma possession du recueil paraphé.
- — Il se trouve que j’ai rencontré récemment votre ami et qu’à la suite d’un jeu un peu stupide, il s’est vu dans l’obligation de me le céder.
Conchita reprend aussitôt le bouquin et va récupérer l’exemplaire vierge pour obtenir sa dédicace. Puis elle s’éclipse nous laissant entrer dans le vif de l’affaire.
Laetitia n’a pas pris soin de masquer son adresse sur la copie du document. Son domicile, situé 69 rue Thierry-Ardisson 75021 Paris, m’indique qu’elle vit dans le quartier prisé par les écrivains à la mode.
Cette observation faite, je me mets à lire le texte pour le moins imagé imprimé sur la feuille :
Sale gouine, on t’accorde dix jours pour retourner dans ton pays de bouffeurs de rennes. Si tu n’obtempères pas, on te fera passer définitivement le goût de la tarte à poil et on plantera ton Gourdin d’argent dans ton gros cul jusqu’à ce que les deux soient soudés.
En bas de la page apparaît un paraphe en caractères italiques gras :
La Ligue pour la Garantie de la Bienséance et des Traditions
Je jette un coup d’œil discret au bassin de Laetitia avant de m’exprimer.
- — J’ai l’impression que votre correspondant est un piètre observateur. En ce que me concerne, je trouve votre cul parfait. D’autre part, je n’avais jamais entendu parler de cette LGBT avant aujourd’hui.
- — Moi non plus. Et d’après le Renseignement Intérieur, cette association est inconnue au bataillon.
- — Je constate qu’il ne vous reste plus que trois jours pour faire vos bagages si j’en juge par la date inscrite sur le courrier. Vous m’avez laissé entendre que vous avez déposé une plainte auprès de la police. Y’a-t-il eu enquête ? Avec quels résultats ?
- — Oui et non ! J’ai une amie très proche qui est commissaire principale, ce qui a contribué au déclenchement immédiat des investigations, mais les analyses d’empreintes et d’ADN n’ont rien donné. Et la lettre a été postée il y a une semaine dans une boîte aux lettres du dix-neuvième arrondissement de Paris éloignée de toute caméra de vidéosurveillance.
Je réfléchis un court instant avant de m’adresser à ma future cliente :
- — Je suis flatté que vous m’ayez sollicité. Je suppose qu’avec les droits de votre livre, vous auriez pu opter pour une agence plus prestigieuse.
Laetitia baisse les yeux une fraction de de seconde avant de répondre :
- — Si vous connaissez un peu mon œuvre, vous savez qu’il m’arrive de jouer au poker. Et disons que ces derniers temps, j’ai quelque peu manqué d’inspiration. Sans ce fâcheux revers, vous pensez bien que j’aurais fait appel à un vrai professionnel.
- — Je vous remercie pour votre confiance, je réponds alors en faisant la grimace.
Mon air contrarié fait sourire Laetitia.
- — Allons ! ne vous vexez pas. Avant de venir vous voir, je me suis légitimement renseignée sur votre cabinet. A priori, votre spécialité, c’est plutôt les maris volages et les employées de maison kleptomanes. Je n’ai pas l’impression qu’on ait déjà fait appel à vous pour des affaires criminelles. Mais comme je vous l’ai expliqué, je suis un peu prise de court et si je me souviens bien, vous m’aviez écrit dans un mail que je pouvais compter sur vous en cas de besoin.
J’acquiesce avant de la laisser poursuivre :
- — D’autre part, je n’ai pas l’impression que vous crouliez sous le travail. Donc si vous êtes disponible, je suis prête à vous engager pour les trois prochains jours afin que vous m’aidiez à identifier l’auteur de la lettre de menace et que nous puissions, si nécessaire, le dénoncer preuves à l’appui à la police.
J’examine un court moment le visage angélique de Laetitia avant de me prononcer. Et lorsque je sens un soupçon d’érection gagner l’intérieur de mon caleçon, je déclare :
- — C’est d’accord, vous me versez 50 % de la prestation maintenant et le reste lorsque ma mission de trois jours sera terminée.
Puis j’ajoute magnanime :
- — Et comme c’est mon jour de bonté, si vous avez quelques soucis de trésorerie, nous devrions pouvoir trouver un arrangement pour le règlement du solde.
Laetitia me regarde légèrement incrédule avant de déclarer dans un grand sourire :
- — Il ne faut pas croire non plus tout ce que j’écris. Ce n’est pas parce que certaines de mes héroïnes règlent leurs affaires en payant de leur personne que je procède de cette manière dans la vraie vie. Et puis de toute façon, inutile de fantasmer, vous n’êtes pas du tout mon genre. Voyez-vous, moi je raffole des grands Blacks avec des grosses bites.
Son aveu provoque aussitôt l’arrivée de sang dans mes joues et dans ma queue donnant de fait un coup de fouet énergique à ma gaule naissante.
Je profite donc brièvement de cette excitation aussi soudaine qu’agréable avant de me défendre avec virulence d’avoir pu seulement oser envisager le moindre paiement en nature d’une partie de mes honoraires.
Ce qui n’empêche nullement Laetitia, quelque peu sidérée par mes dénégations faussement offusquées, de partir dans un formidable éclat de rire déversant de ce fait une douche glaciale qui me fait débander à vitesse supersonique.
Je suppose qu’on a tous connu ça un jour ou l’autre :
Alors que je touche au Nirvana faisant face à la personne la plus merveilleuse qui soit, mon fantasme absolu, symbole ultime de mon idéal féminin, un événement sordide et inattendu vient briser le charme divin qui embrase tout mon être.
Et je n’aurais sans doute pas été plus désappointé si, à ce moment-là, Laetitia m’avait montré sa bite.
Évidemment, la blonde sublime n’a pas lâché une longue caisse sonore et nauséabonde. Mais bien pire, elle a ri à gorge déployée : un son long et strident entre ricanement d’hyène lubrique et barrissement d’éléphant asthmatique.
Et une tristesse infinie m’envahit alors que le rire déprimant semble ne jamais vouloir cesser.
Je sais bien que femme qui rit est à moitié dans ton lit, mais moi je ne serais pas sûr d’y être si jamais ce bien hypothétique événement devait se produire un jour.
Lorsqu’enfin la furtive élue de mon cœur récupère sa jolie voix de cristal, elle ne me tient pas rigueur de ma tentative grossière d’abus de faiblesse financière et valide ma proposition de facturation m’assurant que son compte en banque est suffisamment bien garni pour régler le solde de ma prestation lorsqu’elle aura pris fin.
J’appelle donc Conchita, ma secrétaire, et lui demande d’éditer à l’attention de madame Laetitia S., un contrat de prestation de service avec obligations de moyens au tarif journalier habituel, frais non inclus, avec remise exceptionnelle de 10%.
- — Permettez-moi de vous accorder cette petite ristourne qui, je l’espère, vous conduira à me recommander à vos relations lorsque j’aurai brillamment résolu votre affaire.
- — Je vous remercie pour ce geste commercial que j’apprécie, mais je vous trouve plutôt optimiste, déclare alors Laetitia avec une moue dubitative. Les gens qui m’ont envoyé ce courrier ont fait preuve d’une grande prudence et je ne suis pas aussi sûre que vous que nous pourrons les identifier rapidement et facilement.
- — Nous verrons bien. Dans un premier temps, je vous propose de réfléchir aux personnes qui pourraient vous en vouloir suffisamment pour vous adresser une lettre comme celle que vous venez de me montrer. Je suppose que vous n’avez pas l’habitude de communiquer vos coordonnées personnelles à n’importe qui.
- — Pas plus que mon véritable patronyme d’ailleurs, me confirme Laetitia.
- — Pourtant ce sont bien vos noms et prénoms qui apparaissent sur l’en-tête de la lettre que vous m’avez montrée.
- — En effet.
- — Ce qui devrait nous permettre de réduire significativement la liste des suspects si on exclut votre employeur, votre banquier, votre contrôleur des impôts, vos parents proches et vos amis…
Je me rétracte aussitôt :
- — Finalement exclure vos amis est peut-être une mauvaise idée. Car comme disait Voltaire : « Mon Dieu, gardez-moi de mes amis, mes ennemis, je m’en charge ». Vous pouvez bien sûr aussi être victime d’un déséquilibré qui vous aurait reconnue et suivi discrètement jusqu’à votre domicile.
- — Ce qui fait malgré tout pas mal d’auteurs potentiels même si je suis beaucoup moins connue que mon homonyme, la veuve de l’ex-idole des jeunes, admet Laetitia.
- — Certes, mais même si ces personnes ne goûtent guère votre mode de vie, je ne vois pas bien l’intérêt qu’ils pourraient avoir à vous harceler de la sorte. À moins que…
- — À moins que quoi ?
- — À moins que nous ayons affaire à un psychopathe pervers. Et là…
- — Et là quoi ? s’exclame Laetitia, légèrement irritée.
Je me mets alors à gamberger avant de reprendre la parole :
- — Pour vous qui êtes une fine linguiste, « psychopathe pervers », c’est un pléonasme ou une tautologie ?
Laetitia me regarde les yeux ronds :
- — Vous êtes sûr que vous allez bien ? Vous me filez la trouille en me disant que j’ai un psychopathe à mes basques et après vous me faites un cours de rhétorique. Je vais finir par regretter d’avoir fait appel à vous.
- — Ah, c’est agaçant…
- — Qu’est-ce qui vous agace ? s’énerve Laetitia.
- — Peu importe. Revenons à nos moutons. Pensez-vous que certaines personnes aient pu être jalouses qu’on vous ait attribué le Gourdin d’argent ?
- — Il y a sans doute quelques déçus, mais de là à m’envoyer une lettre aussi agressive, je n’y crois pas trop.
- — Même parmi le petit groupe d’auteurs si prompts à louer vos écrits ? Votre ami Patrick P., par exemple, n’est peut-être pas aussi franc du collier qu’il veut bien le laisser croire.
Laetitia lâche un rire amer :
- — Vous parlez de Patrick là, la crème des hommes qui avec sa femme Martine, forment le couple idéal et indestructible.
- — Mouais, on ne se méfie jamais assez des apparences.
Laetitia hausse les épaules.
- — Et votre amie hyper sexuelle ! Elle n’aurait pas une bonne raison de vous en vouloir ? Vous êtes une femme jeune et brillante, extrêmement séduisante de surcroît, de quoi agacer n’importe quelle rivale d’autant plus que d’après ce que j’ai compris, son permissif époux a énormément de relations.
- — Et ce critique, Jacques du Katanga, il me semble plutôt virulent et quelque peu psychorigide. Il pourrait fort bien désapprouver votre mode de vie.
- — Je suppose que vous parlez de Jacques du Canada, répond Laetitia.
- — Si vous voulez.
- — Inutile d’énumérer tous mes admirateurs, lâche alors Laetitia légèrement agacée. D’une part, je n’ai nullement l’intention de passer le reste de la journée dans votre bureau et d’autre part, vous perdrez votre temps en les soupçonnant. Penser que leurs compliments à mon égard puissent être feints, relève du domaine de l’élucubration pure.
- — Soit. Réfléchissons un peu : outre un jaloux, qui peut vous en vouloir suffisamment pour vous menacer avec tant de violence ?
• un(e) amant(e) éconduit(e),
• la victime d’un événement que vous auriez involontairement provoqué,
• un psychopathe, bien sûr.
Je fais une pause avant de reprendre mon exposé.
- — Considérons la première catégorie. Avez-vous récemment mis fin à une relation intime ?
Avant que Laetitia ait eu l’opportunité de me répondre, je lui fais part de mon inquiétude naissante :
- — Franchement, je vous avoue que je serais plus rassuré si vous évitiez de rentrer chez vous dans les jours qui viennent. Votre corbeau connaît votre adresse et il est peut-être dangereux. Ça m’ennuierait qu’il vous arrive quelque chose avant que vous m’ayez réglé le solde de ma prestation. Vous avez peut-être de la famille proche à Paris qui pourrait vous héberger. J’exclus vos amis, car c’est peut-être un d’eux qui est à l’origine de ce micmac.
- — Malheureusement non, je n’ai pas de famille en île-de-France. Et puis vous pensez vraiment que je cours un risque ? Si quelqu’un avait voulu me faire du mal, je pense qu’il aurait déjà agi.
- — Croyez-moi, même chez les fêlés, il y a une certaine éthique. On vous a laissé dix jours pour plier bagage. Il n’y a pas de raison que le marché soit dénoncé sauf…
- — Sauf ? s’inquiète Laetitia.
- — Sauf si vous êtes suivie et que l’on a compris que vous êtes venue me voir.
- — J’imagine que si c’est le cas, mon suiveur doit être complètement paniqué, lâche Laetitia avec perfidie.
J’ignore le sourire narquois de la magnifique blonde et la laisse poursuivre sans ciller.
- — Vous pensez que je devrais prendre une chambre à l’hôtel ? demande-t-elle malgré tout.
- — Dans votre situation, je vous déconseille de dépenser de l’argent inutilement. En revanche, je peux vous inviter à résider chez moi quelques jours, et ce, bien sûr, sans vous facturer de supplément d’honoraires.
- — Ah bon ? vous disposez d’une chambre d’amis ?
- — Non, mais j’ai un très grand lit.
Laetitia éclate de rire. Ma mine fortement renfrognée m’évite de subir un nouveau hurlement d’hyène castrée.
Laetitia redevient sérieuse en répondant à une de mes interrogations :
- — Vous me demandiez plus tôt si je n’avais pas mis fin à une relation compliquée. En effet, il y a quelques semaines, peu avant la remise du Gourdin d’argent, j’ai rompu avec Sven. Je n’ai pas apprécié de le surprendre un soir en train de se faire sucer par un ami que je venais de lui présenter alors que je me trouvais dans ma cuisine en train de préparer un plateau apéritif.
- — Avez-vous parlé de cette récente rupture à la police ?
- — Non je n’ai pas voulu attirer davantage d’ennuis à Sven estimant que notre séparation était une punition suffisante pour ce pauvre type.
Je m’accorde un moment de réflexion avant de me préoccuper à nouveau de la sécurité de ma cliente.
- — Avez-vous déjà défini votre planning de la journée ?
- — J’ai en effet planifié quelques rendez-vous cet après-midi.
- — Bien, comme je vous l’ai dit, il faut éviter à tout prix que vous puissiez vous retrouver isolée et constituer ainsi une cible pour un éventuel agresseur.
Laetitia soulève un sourcil avant que je poursuive :
- — Voilà ce que je vous propose. Vous allez me communiquer une liste de contacts susceptibles de connaître votre adresse avec leur activité et les éléments d’information dont vous disposez sur ces gens : numéro de téléphone, adresse, etc. Je transmettrai ces informations à mes correspondants bien placés qui pourront m’en apprendre un peu plus sur la personnalité et les activités des individus que vous m’aurez indiqués. Dans un second temps, vous allez me fournir un planning et un itinéraire détaillés de vos activités pendant les trois prochains jours. Ensuite je vous laisserai vaquer, mais je resterai discrètement à proximité de vous pour m’assurer que personne ne vous suit à un moment ou un autre. Enfin, ce soir, je vous raccompagnerai à votre domicile pour m’assurer que vous n’y risquez rien et vous vous claquemurerez chez vous jusqu’à demain matin en évitant bien sûr d’ouvrir votre porte à qui que ce soit.
- — Rien que ça ? C’est bon ? Vous avez terminé ? demande Laetitia quelque peu agacée.
Je reste calme et courtois avant de répondre :
- — Vous m’avez engagé pour vous aider à identifier la personne ou le groupe qui vous menace. Je pense que la première chose est de vous protéger contre ce risque potentiel.
Laetitia me considère avec une légère lueur de reconnaissance qui m’encourage à poursuivre :
- — Il serait bon que vous contactiez votre ex-petit ami et que nous lui rendions ensemble une petite visite. Le plus tôt serait le mieux, si possible aujourd’hui ou demain. Nous verrons ensuite si nous avons de nouveaux éléments. Et je vous renouvelle ma proposition de venir vous installer chez moi si je pense que vous êtes en danger après nos investigations du jour.
La magnifique blonde me fixe de ses yeux azur et je ne peux réprimer l’érection qui en découle presque immédiatement.
Bon ! pas de panique, je ne porte pas de jean moulant et mon caleçon fait une taille de trop ce qui devrait me permettre de conserver malgré tout un semblant de dignité.
Tout en faisant passer sensuellement sa langue sur ses lèvres pulpeuses, Laetitia retire alors sa veste, puis ouvre largement son chemisier me dévoilant impudemment son soutien-gorge délicat dont elle fait jaillir ses seins ronds en les saisissant à pleines mains avant de diriger leurs pointes orgueilleuses vers mon visage…
- — Ohé ! monsieur Marteau ! Revenez avec nous ! crie une voix qui m’oblige à rouvrir les yeux.
Ce n’est autre que Laetitia qui m’interpelle en me fixant d’un regard inquiet. Comment a-t-elle pu se rhabiller aussi vite ?
- — Désolé dis-je alors. Je réfléchissais intensément.
Finalement, Laetitia se laisse convaincre et accepte ma demande de reprendre contact avec Sven.
- — Mettez le haut-parleur s’il vous plaît que je puisse profiter de la conversation.
L’ex-petit ami éconduit décroche à la troisième sonnerie.
- — Bonjour, Laetitia, attaque le type sur un ton peu amical. Quel mauvais vent te pousse à m’appeler aujourd’hui après le coup pendable que tu m’as fait ?
Je sens que ma cliente est sur le point de lâcher une répartie qui risque de mettre fin prématurément à l’échange et je pose ma main droite sur son bras en lui faisant un geste d’apaisement de la gauche. La belle blonde parvient à se maîtriser contrairement à moi dont le simple contact avec son bras délicat me file illico une trique embarrassante malgré l’épaisseur de la luxueuse étoffe de son tailleur Chanel.
La belle blonde salue son correspondant avant de lui exposer le motif de son appel :
- — Écoute ! Je suis désolée pour ce qui s’est passé et je voudrais me faire pardonner en t’invitant à prendre un verre au Petit Turfiste.
- — Tu es sûre que tu te sens bien ? demande alors Sven. T’es quand même gonflée. Tu ne m’as plus donné de nouvelles depuis qu’on t’a attribué le Gourdin d’argent alors que c’est quand même grâce à mon récit « les vacances terriennes d’un sodomite vénusien » que tu as été nominée pour le prix. Et voilà que tu me rappelles comme une fleur comme si tu avais eu un comportement exemplaire avec moi. Qu’est-ce qui t’arrive ? Tu es en panne d’inspiration ?
Cette révélation me fait débander aussi sec. Mais la suite de l’échange me redonne très vite de la vigueur.
- — Tu oublies la petite pipe que t’a prodiguée Helmut dans mon salon, rétorque Laetitia.
- — Désolé de ne pas t’avoir attendue pour lancer les festivités, mais c’est ton copain qui m’a sauté dessus le premier et je me suis dit que ce serait mieux si j’avais la queue lubrifiée par sa salive avant de te sodomiser pendant que tu le suçais.
Laetitia est de moins en moins à l’aise et ce n’est pas mon air effaré qui la requinque. Néanmoins, elle fait preuve d’un aplomb exceptionnel :
- — Je pense qu’il est temps de passer à autre chose et d’oublier nos petites querelles. J’ai envie de te faire une proposition qui je l’espère t’aidera à me pardonner.
- — Bon OK. Alors pour commencer, tu ne vas pas me payer un pot au « Petit Turfiste », mais un bon gueuleton au « Grand Vefour ». Le premier chef de rang est un copain ; il devrait nous trouver une table pour deux sans problème pour demain soir.
Lorsque Laetitia accepte le deal,
Je commence à m’inquiéter pour le règlement de mes honoraires.
Alors qu’elle vient de mettre fin à l’échange, je ne me prive pas d’une remarque :
- — Je comprends mieux pourquoi vous avez omis de parler à la police de votre rupture récente avec Sven.
Laetitia se contente de hausser les épaules avant que je lui expose mon plan :
- — Demain, vous irez au rendez-vous proposé par votre ami et vous essaierez de le cuisiner subtilement pour savoir s’il a quelque chose à voir avec la lettre anonyme. Je vous attendrai à la sortie et si vous n’apprenez rien de tangible lors du dîner, ce sera alors à mon tour d’intervenir.
Laetitia me fixe quelques secondes. Je soutiens son regard puis je me saisis de la feuille qu’elle m’a présentée avant d’appeler Conchita.
Lorsque ma secrétaire entre dans mon salon-bureau, je lui tends le document et lui demande de constituer un nouveau dossier au nom de madame S. Et de l’accompagner dans son repère pour recueillir les informations sur ses contacts proches et son planning des jours à venir.
Avant de me préparer pour sortir et accompagner discrètement Laetitia pendant le reste de la journée, j’appelle rapidement mon contact à la PP pour l’informer que ma secrétaire lui transmettra prochainement par le canal habituel, une liste d’individus que je souhaiterais voir passer au « criblage ».
Eon, pseudonyme sous lequel le numéro de ce correspondant est enregistré dans mon téléphone me confirme que je pourrai récupérer les informations qui m’intéressent le lendemain et me rappelle de ne pas oublier ma petite contribution à l’association des Orphelins de la police.
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Allongé dans le lit depuis plus d’une heure, je laisse mon esprit vagabonder pendant que Djamila, une ravissante infirmière à la peau d’ébène s’assure de ma position après avoir vérifié le maintien de ma minerve.
- — Vous devriez dormir, me dit-elle de sa voix chantante alors qu’elle s’apprête à quitter ma chambre pour rejoindre celle du patient voisin.
Mais avant de franchir le seuil de la porte, elle se retrouve soudainement face à l’alter ego féminin de Sébastien Chabal.
Djamila ne peut étouffer un cri de frayeur en découvrant le bulldozer humain qui s’immobilise face à elle.
La femme aux courts cheveux châtain coiffés en brosse a le physique d’une lanceuse de disque. La quarantaine révolue, elle est vêtue d’un jean, d’une épaisse chemise à carreaux, de baskets taille 43 et d’un blouson en cuir taille XXL.
- — Bonsoir m’sieur-dame ! lâche la quadragénaire de sa voix tonitruante avant d’examiner avec un intérêt non dissimulé la plastique remarquable de la beauté à la peau cuivrée qui lui fait face.
En examinant le visage de l’arrivante, je comprends qu’elle se demande, comme je l’ai fait une demi-heure plus tôt si la jeune infirmière noire est entièrement nue sous sa blouse.
Un ange traverse la chambre pendant que la visiteuse se rince l’œil avant de se tourner vers moi.
- — Je suppose que vous êtes Michel Marteau ! déclare-t-elle en m’apostrophant du haut de son mètre 85.
- — En effet, dis-je en tendant la main à la femme qui me broie les doigts en me fixant d’un air suspicieux.
Je parviens à extraire ma main de l’étau de chair avant de déclarer :
- — Vous devez être la commissaire Adèle Pettesec.
- — Tout à fait, mon joli, commissaire principale Adèle Pettesec, cheffe du Bureau Urbanisation et Régulation de la Police au ministère, se présente-t-elle brièvement avant d’entamer son interrogatoire.
- — C’est bien vous qui m’avez appelée il y a cinquante-deux minutes pour m’avertir que ma grande amie Laetitia S. avait été enlevée sous vos yeux peu avant vingt-trois heures ?
- — Exactement, commissaire. Madame S. est passée à mon cabinet hier matin pour me faire part de la lettre de menaces qu’elle a reçue il y a un peu moins d’une semaine. Elle m’a ensuite engagé pour que je l’aide à identifier l’auteur du courrier après m’avoir expliqué qu’elle avait déposé plainte à ce sujet et que grâce à vous, une enquête avait pu être diligentée dans les plus brefs délais.
- — En effet, mais comme a dû vous le dire Laetitia, les investigations ne nous ont fourni aucun indice, et l’enquête est pour l’instant suspendue.
- — C’est sans doute pour cette raison que votre amie a fait appel à mes services.
- — Et si j’en crois ce que vous dites, vous avez été incapable de la protéger cette nuit.
J’encaisse avant de répondre :
- — C’est exact : je n’ai pas fait mieux que la police.
La commissaire hausse les épaules avant de me gratifier d’un sourire crispé :
- — Écoutez Marteau, je ne suis pas venu dans cet hôpital à deux heures du matin pour faire un concours de quéquette avec vous. Après votre coup de fil, j’ai essayé d’appeler Laetitia à plusieurs reprises et à chaque fois, la communication a basculé immédiatement sur sa boîte vocale.
D’autre part, suite à l’information que vous m’avez donnée concernant le véhicule dans lequel serait montée Laetitia, j’ai appelé un de mes contacts qui travaille au centre de vidéo surveillance de la ville pour lui demander de visionner les bandes produites entre 22 h 40 et 23 h 00 par les caméras proches du Grand Vefour. Je lui ai précisé de considérer avec une attention particulière les SUV allemands noirs qui ont croisé dans le quartier sur cette période. On me recontactera si cette recherche donne quelque chose.
La commissaire reprend son souffle avant de poursuivre.
- — En attendant, j’aimerais bien qu’on reprenne toute l’histoire depuis le début et que vous m’expliquiez ce qui vous fait croire que Laetitia a été enlevée.
Curieusement, la jolie infirmière semble beaucoup moins pressée de continuer sa tournée. Et elle ne cherche même pas à cacher son intérêt pour la teneur de la conversation que je viens d’entamer avec la commissaire.
Je commence donc à décrire de manière succincte les événements qui ont amené la lauréate du Gourdin d’argent à dîner en tête à tête avec son ex dans un prestigieux restaurant parisien pendant que je planquais à l’extérieur après m’être régalé d’un kebab frites, sauce piquante.
J’avais en effet décidé de me faire passer pour un livreur de repas pour justifier ma présence dans le coin et j’avais donc installé derrière la selle de mon trail Honda un imposant topcase supposé pouvoir transporter des plats cuisinés.
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J’attaque ma relation des faits au moment où Laetitia quitte le grand Vefour.
- — Vers 22 h 50, j’ai vu Laetitia sortir du restaurant en compagnie de Sven Maldini, son ex-amant dont elle est séparée depuis plusieurs semaines. Ils se sont salués courtoisement avant de partir chacun dans une direction différente. Ce qui semblait signifier que Laetitia n’avait rien appris de particulier au cours du dîner. Je m’apprêtais donc à la rejoindre à l’emplacement où je lui avais demandé de m’attendre, une fois son repas terminé.
Le temps de remettre mon casque, de démarrer ma bécane et d’emprunter la rue qui mène au boulevard, et j’aperçois à une centaine de mètres un type cagoulé qui tire violemment Laetitia par le bras avant de la jeter sans ménagement sur la banquette arrière d’un SUV noir qui démarre en trombe sans même attendre que la portière soit refermée.
La voiture est certes puissante, mais beaucoup moins maniable que ma moto et je ne doute pas de rattraper le véhicule rapidement malgré les deux bagnoles que je dois laisser passer avant de griller le feu rouge.
Malheureusement, en tournant dans la petite rue empruntée par le SUV quelques secondes plus tôt, je ne remarque pas des déchets gras sur la chaussée. Ma roue avant décroche et la moto se couche et glisse jusqu’à ce qu’une rangée de poubelles mette brusquement fin à ma course-poursuite.
Évidemment, je suis fou furieux lorsque je me relève comme une furie et je retire mon casque d’un coup. C’est à ce moment que je suis pris de vertige et que je perds conscience.
Constatant qu’Adèle m’écoute religieusement, je poursuis ma narration.
- — Concernant la suite des événements, je me contente de vous répéter ce qu’a m’a dit le médecin de garde : un témoin qui marchait sur le trottoir d’en face a assisté à ma chute. Il s’est approché de moi et a tenté de me parler. Voyant que je ne réagissais pas, il a appelé aussitôt le 17. Le fourgon est arrivé quelques minutes plus tard. Les infirmiers m’ont installé sur la couchette et ils m’ont emmené dans le magnifique établissement où nous nous trouvons actuellement pour me faire subir divers examens qui n’ont heureusement pas révélé de lésion.
La commissaire reste imperturbable et ne pipe mot ce qui m’encourage à poursuivre mon récit :
- — C’est en sortant du dernier examen que je me suis réveillé. Une infirmière m’a alors prise en charge pour me conduire, minerve autour du cou, dans cette chambre où j’ai enfin pu récupérer mon portable et vous appeler après avoir constaté moi aussi que Laetitia était injoignable.
Tout à mon dépit de m’être fait semer aussi bêtement, je continue mon exposé :
- — Je ne comprends pas comment j’ai pu me faire piéger. Je pensais avoir pris les dispositions suffisantes. Ainsi, j’ai placé Laetitia sous surveillance depuis qu’elle a quitté mon bureau il y a un peu moins de deux jours. Et hier, je ne l’ai pas quitté des yeux de la journée, la prenant en chasse dès qu’elle a quitté son appartement jusqu’à la raccompagner à la porte de son immeuble vers 18 h 30. J’ai réservé moi-même le taxi qui est venu la prendre à 19 h 45. J’ai ensuite suivi la voiture à moto discrètement, sur tout le parcours et je mettrais ma main à couper qu’aucun autre véhicule n’a pris le taxi en filature. Laetitia, elle-même, ne savait pas que je planquais en bas de chez elle et que j’avais décidé de la surveiller jusqu’à ce qu’elle pénètre dans le restaurant.
- — Qui était au courant de ce dîner, à part Laetitia et son ex ? me demande Adèle après quelques secondes.
- — Personne justement. Ça s’est décidé en ma présence lors du passage de Laetitia à mon bureau.
- — Alors, brillant détective, vous en déduisez quoi ?
Je fais un clin d’œil à la frangine de Chabal avant de répondre.
- — Qu’il pourrait être utile de rendre une petite visite à l’auteur de science-fiction pornographique.
- — Tout juste Auguste. Et c’est ce que je vais faire de ce pas…
- — Hé commissaire ! Vous n’allez pas me laisser seul ici à la merci de cette infirmière qui en a visiblement après ma vertu.
La jeune femme noire sursaute et lâche une exclamation de protestation :
- — Dites donc, papy ! Il ne faudrait pas prendre vos désirs pour la réalité.
Adèle rigole un bon coup.
- — OK, Marteau, je vous emmène. Il est sûr que dans votre état, la levrette n’est pas tellement recommandée.
- — C’est ça, amusez-vous ! Faites comme si je n’étais pas là, s’énerve la jolie infirmière.
- — Commissaire, on ferait bien d’y aller avant que Djamila n’entre dans une colère noire.
- — Pauvres cons ! lâche la fille écœurée en quittant la chambre alors que la policière se plie en deux de rire.
J’en rajoute une couche :
- — Attendez, Mademoiselle ! ne partez pas avant que je vous ai fourni une décharge.
#########
Moins d’un quart d’heure plus tard, j’ai récupéré mes vêtements et rempli les formalités administratives. De son côté, Pettesec s’est fait communiquer l’adresse de Sven Maldini auprès de collègues de permanence et nous nous nous apprêtons à prendre la route pour lui rendre une petite visite à sa résidence de Montreuil.
Une sonnerie sur son téléphone alerte la commissaire qui s’isole pour passer un rapide coup de fil avant de venir me retrouver :
- — Changement de programme, mon mignon. Le gars de la vidéo surveillance a vérifié les plaques de tous les SUV allemands noirs qui ont croisé dans le quartier du Grand Vefour autour de vingt-trois heures et figurez-vous qu’il a repéré une BMW X5 dont l’immatriculation est officiellement attribuée à une Citroën circulant dans les Hautes Pyrénées. J’ai demandé au collègue de vérifier si Sven Maldini possède un 4x4 BMW, mais je n’y crois pas trop. Le policier me rappelle dès qu’il a l’info.
Quelques minutes plus tard, Pettesec consulte son téléphone et me confirme que Sven Maldini n’a pas de BMW X5.
- — Du coup, on fait quoi commissaire ? je demande.
- — Est-ce que par hasard, Laetitia vous aurait fourni une liste de contacts ? répond la policière. C’est peut-être une de ses connaissances qui est à l’origine de l’enlèvement.
- — En effet, je me suis fait la même réflexion et j’ai bien une liste de coordonnées que je peux récupérer sur mon cloud personnel si on me fournit un PC avec accès à Internet.
- — OK ! On va passer voir un de mes collègues à la PP. Et on va regarder si dans votre liste, il n’y aurait pas un propriétaire de X5.
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Nous roulons depuis une dizaine de minutes en direction du domicile de Jeff Parchemin, l’assistant de Jacques Sohn-Faïve aux éditions Emplomb.
La liste de Laetitia contenait le nom et le numéro de téléphone du bonhomme et en consultant le SIV, le brigadier de la PP a trouvé qu’un certain Jean-François Parchemin résidant à Meudon était propriétaire depuis trois ans d’une BMW X5 noire.
Après une petite recherche sur Internet, j’ai découvert en consultant le compte Linky (le réseau social des professionnels) de Monsieur Parchemin qu’il n’est autre que l’assistant du patron de la maison d’édition de Laetitia.
#########
Je romps le silence en m’adressant à Adèle :
- — Dites-moi, commissaire. Y’a un truc qui me taraude, mais je me demande si je fais bien de vous en parler.
- — Ça dépend, mon gars. Ça concerne notre affaire ou c’est personnel ?
- — Eh bien, je dirais que c’est plutôt personnel.
- — Dans ce cas, laisse tomber le vouvoiement et le commissaire et appelle-moi Pépette comme tous mes potes.
- — OK Pépette. Je sais pas si ça m’aidera, mais…
- — Hé Marteau ! Tu la craches ta Valda ou tu te fais prier comme une pucelle le jour de ses fiançailles ? gueule Adèle avant de se radoucir et de me questionner :
- — Marteau, c’est pas un peu bizarre comme nom pour un privé ?
- — Ben non ! C’est même à cause de mon patronyme que j’ai choisi le métier de détective. Quand j’étais gamin, j’étais un fan de polars américains et je me suis enfilé jusqu’à plus soif les œuvres de Chandler, Chase, Hammett et surtout Mickey Spillane, le créateur de « Mike Hammer » sans parler de San Antonio et Agatha Christie, mais ça n’a rien à voir.
- — Ben, dis-moi, t’es un chaud, toi, de t’enfiler tout ce monde-là, lâche la policière dans un grand rire gras.
- — Ah ! c’est malin ça.
- — Puisque t’es si calé, j’espère que tu apprécies aussi Tardi.
- — Évidemment Adèle et Léo Malet aussi.
Je me tais tandis qu’une larme perle à l’œil de ma conductrice et j’attends respectueusement qu’elle sorte de son mutisme.
- — Bon, arrête de jouer les vierges effarouchées et dis-moi plutôt ce que tu voulais savoir sur moi.
- — En fait, je me demande jusqu’à quel point vous êtes proches, Laetitia et toi.
Adèle reste à nouveau silencieuse plusieurs secondes avant de répondre.
- — Pour faire court, disons qu’il y a quelques années, la belle blonde avait souvent le museau planté dans ma foufoune et je le lui rendais bien.
- — C’est vrai qu’on fait difficilement plus proche, j’admets. Qu’est-ce qui a fait que vous avez mis fin à vos parties de broute minou.
- — La vie, mon pote, rien que la vie. Qu’est-ce que tu crois ? Laetitia avait envie d’autre chose. C’est normal. Elle est jeune, elle est belle, elle est intelligente. Elle a envie de vivre. Elle a droit au bonheur. Alors le jour où elle m’a dit que c’était fini entre nous, j’ai encaissé en silence, mais je lui ai aussi promis que je serais toujours là si elle avait besoin de moi.
- — Je suppose que tu as morflé.
- — Évidemment que j’ai morflé, Ducon ! Alors je me suis laissé aller à la facilité et j’ai trouvé un moyen pour moins penser à Laetitia : pendant plusieurs mois, toutes les nuits, j’accompagnais mes copains de la BAC dans leur tournée et j’expliquais à ma manière aux dealers et aux proxos qui avaient le malheur de croiser notre route que ce qu’ils faisaient n’était pas correct.
Silencieux, je regarde Adèle les yeux rivés sur la route se remémorer cette période douloureuse de son existence.
- — Et qu’est-ce qui a mis fin à ton activité de justicière. Une pénurie de wheed sur Paris ?
Pépette rigole malgré elle.
- — Presque. Un jour, j’ai cogné un peu trop fort et le vendeur de coke a failli y rester. Alors mes potes m’ont expliqué que sur ce coup-là, ils n’allaient pas pouvoir me couvrir et l’IGPN m’est tombée dessus. Et c’est comme ça que je me suis retrouvée à manager des ronds-de-cuir dans un bureau à quelques dizaines de mètres de la place Beauvau.
Le GPS signale la proximité de la maison de Jeff Parchemin.
- — Je crois qu’on arrive, Pépette. Je compte sur toi pour faire preuve de mesure lorsque tu interrogeras l’assistant de Jacques Sohn-Faïve.
Adèle éclate de rire.
- — Détends-toi, Marteau, c’est de l’histoire ancienne. Je sais me tenir maintenant.
Alors que nous nous trouvons à trois cents mètres du pavillon, un signal lumineux clignotant annonce l’ouverture du portail électrique de la propriété d’où s’extrait une 308 grise qui tourne immédiatement à droite avant d’accélérer en douceur.
Je saisis alors brusquement le bras de la conductrice et lâche :
- — Suis discrètement cette voiture. J’ai comme qui dirait un pressentiment.
La commissaire ne moufte pas et cale son allure sur celle de la Peugeot puis elle éteint ses feux.
- — Putain, qu’est-ce que tu fous, on voit plus rien. Tu vas nous envoyer dans le décor.
- — Détends-toi, mon joli. J’ai des yeux de chat. C’est pas par hasard que mes copines m’appellent Minou.
Je me contente donc de serrer les fesses durant la bonne vingtaine de minutes pendant lesquelles nous filons la 308 jusqu’à ce qu’elle s’arrête à un carrefour en pleine forêt à proximité d’une petite maison abandonnée.
Presque aussitôt, le chauffeur descend, bientôt imité par son passager.
Enfin, c’est ce que je parviens à distinguer parce que les phares de la Peugeot sont restés allumés.
Adèle se gare discrètement pendant que je sors mon micro directionnel pour le connecter à mon smartphone.
Les deux passagers de la 308 se sont rapprochés et je baisse ma fenêtre avant de diriger le micro vers eux.
Aussitôt, leur conversation nous parvient grâce au haut-parleur de mon téléphone.
- — Je sais que ce que nous faisons ne te plaît pas trop, mais nous n’avons pas le choix. Tu dois 50 000 euros à Enzo Zalando et ton livre se vend moins bien que tu l’espérais.
- — C’est pourtant bien la première fois que je me fais trahir par un brelan de reines, lâche une voix féminine que j’identifie comme celle de Laetitia.
La réponse de Sohn-Faïve se veut fataliste.
- — Que veux-tu ma belle ? On vit une sale époque ! C’est le triomphe des roturiers. Une vulgaire suite non royale est supérieure à trois reines. Écoute ! Je n’ai pas l’intention de philosopher ici jusqu’au petit jour. Tu as bien compris ce que tu dois faire. Tu me laisses trente minutes pour rentrer chez moi. Ensuite, tu défais les liens de tes mains, tu rallumes ton téléphone et tu m’appelles. Je préviens les flics et la presse dans la foulée. De ton côté, tu téléphones au privé demeuré que tu as engagé et tu lui racontes que tu t’es faite enlever à la sortie du Grand Vefour, qu’on t’a amenée tu ne sais pas trop où et que tu as pu récupérer ton téléphone, mais que tu es solidement attachée et que tu es incapable de te libérer.
- — C’est bon ! Ça fait cinq fois que tu me rabâches la même chose, lâche Laetitia avec agacement.
- — Bon maintenant, on va aller dans la bicoque où je vais t’attacher, puis t’enfermer à clef après avoir mis en évidence cette nouvelle lettre de menace pour que le premier crétin qui entrera dans la baraque la découvre aussitôt.
Je me tourne vers la commissaire avant de la questionner.
- — Qu’est-ce qu’on fait maintenant ? J’ai l’impression que Laetitia s’est bien foutue de nous.
- — T’as raison, Marteau ! On va pas se laisser baiser sans réagir.
Adèle ouvre sa portière et extrait sa gigantesque carcasse de la Renault avant de se diriger vers les deux tourtereaux. Je l’imite.
Le bruit que nous faisons en nous approchant attire l’attention de l’homme qui sursaute.
- — Bon sang, qu’est-ce qui se passe ?
Adèle affiche un calme impressionnant :
- — Tout doux, Sohn-Faïve, on passait dans le coin, on a vu de la lumière. Alors on s’est pointé.
Laetitia reste silencieuse et regarde alternativement la commissaire et son éditeur que j’ai reconnu grâce aux quelques photos de lui que j’ai consultées sur Internet notamment lors de notre passage à la PP un peu plus tôt dans la nuit.
- — Mais bordel qui êtes-vous ? gueule le type.
- — Commissaire Pettesec pour ne pas te servir, connard, déclare élégamment ma nouvelle copine avant de se diriger vers l’homme qui se tourne vers sa complice.
- — C’est toi qui a averti les flics ? demande Jacques à ma cliente.
Adèle répond à la place de son amie :
- — En effet, joli cœur, dit-elle en sortant son flingue de son étui pour le pointer vers l’éditeur. Lève tes sales pattes et recule-toi, lui ordonne Pépette avant d’ajouter à mon attention : Marteau, vérifie si ce salaud n’est pas armé.
Terrorisé, Jacques Sohn-Faïve fait quelques pas vers la maison abandonnée et s’arrête. Je le rejoins silencieusement et le palpe consciencieusement.
- — R.A.S.
- — Parfait ! lâche laconiquement la flic.
Une explosion déchire la fin de la nuit et la cervelle du patron des éditions Emplomb se répand sur l’herbe avant que son cadavre s’écroule sur le sol.
Je regarde la tireuse avec sidération avant de hurler.
- — Putain ! Mais t’es cinglée. Pourquoi t’as fait ça ?
- — Ce mec avait une tronche qui ne me revenait pas, dit simplement Pettesec.
Laetitia s’approche du mort et crache sur le corps.
- — De toute façon, ce fumier ne méritait pas mieux, dit-elle les yeux brillants de colère.
- — Bon, c’est pas tout ça les amis, mais vaut mieux éviter de moisir ici, déclare Adèle en sortant un petit révolver de sa poche gauche pour le pointer vers moi.
- — Tu vois, Marteau, je commençais à te trouver sympathique, ça me ferait presque de la peine de te descendre. Mais bon, tu sais ce que c’est : on ne fait pas d’omelette sans casser des œufs.
Devant mon air ahuri, Pettesec lâche un petit rire avant d’expliquer :
- — L’idée de Sohn-Faïve n’était pas mauvaise, mais elle était un peu étriquée. Tu te doutes bien qu’avec un meurtre, le tien en l’occurrence, et une commissaire qui descend le tueur dans la foulée, on va avoir droit à une couverture médiatique nationale. Rien à voir avec ce qu’on aurait obtenu pour la libération d’une écrivaine peu connue qu’on retrouve choquée dans un bois paumé après s’être fait enlever à la sortie du Grand Vefour.
Je ne peux que m’ébaubir :
- — Chapeau, les filles, c’est pas très moral votre histoire, mais vous m’avez bien roulé dans la farine.
Je marque un temps d’arrêt avant de poursuivre à l’attention de Laetitia :
- — Je suppose qu’il n’y a jamais eu de dépôt de plainte contre la soi-disante lettre de menace que vous m’avez présentée.
- — En effet, admet la sublime blonde, mais j’ai quand même déposé une main-courante et fourni aux policiers l’enveloppe postée par Adèle.
- — En fait, la lettre, c’était l’idée de l’éditeur et on l’a reprise telle quelle, précise Pépette. Il fallait bien qu’on ait du grain à moudre pour la flicaille qui va traiter cette affaire sordide d’enlèvement qui vient de déraper.
Je lâche alors, désabusé :
- — Et évidemment, Pettesec, tu n’as jamais contacté le service de vidéo surveillance de la ville.
- — Dans le fond, Marteau, t’es moins con que t’en as l’air. Tu avais reconnu une BMW X5 avant de te vautrer comme une merde au guidon de ta bécane. Grâce à la liste fournie par Laetitia et que tu lui as obligeamment communiquée, mon serviable collègue de la PP n’a pas eu de mal à retrouver le propriétaire potentiel de la bagnole. D’ailleurs c’était bien vu, le coup de Linky. Je me demandais comment tu allais pouvoir faire le rapprochement entre Jeff Parchemin, le possesseur de la voiture et les éditions Emplomb. Finalement les réseaux sociaux, ça a du bon, conclut Pettesec contente d’elle.
Je regarde tour à tour les deux femmes avec une pensée triste pour Laetitia prête à n’importe quelle compromission pour avoir sa part de gloire et le fric qui va avec.
- — Bon assez causé ! s’exclame soudain la commissaire. On en a pas encore fini avec cette histoire. Il faut qu’on s’occupe de notre petite mise en scène avant d’appeler les collègues. Et c’est con pour toi, Marteau, mais tu vas te faire buter par Jacques Sohn-Faïve.
La policière recule alors de quelques pas et vise mon torse avec le petit flingue qu’elle a précédemment sorti de sa poche.
Je ferme les yeux lorsque le coup de feu retentit.
Le juron de Pettesec me vrille les oreilles. En ouvrant les yeux, je la découvre accroupie en train de tenir sa main en sang à laquelle il manque au moins deux doigts. Elle est pâle comme un linge.
- — Putain Lucca ! je gueule. T’as mis du temps à réagir. J’ai bien cru que la sœur de Chabal allait m’envoyer rejoindre mes ancêtres.
Alors que le soleil pointe à l’horizon, mon copain Franck Lucca, commandant de police et tireur hors pair nous rejoint en maintenant son arme pointée vers la commissaire.
- — Ce que j’aime chez toi, Marteau, c’est la manière dont tu remercies les gens. Il fallait bien que je te laisse le temps d’enregistrer la confession de ma charmante collègue.
- — Ouais ! N’empêche que j’ai bien failli me pisser dessus, je réponds en sortant le mini enregistreur et la balise GPS qui se trouvent dans ma poche.
Puis je m’adresse à la femme blessée.
- — Tu vois, Pépette… T’es pas la seule à avoir des copains dans la police.
La première chose que j’ai faite après que ta copine canon m’a engagée, c’est de vérifier cette histoire de plainte et d’enquête. Quand j’ai appris que c’était bidon, je me suis dit qu’il valait mieux sortir couvert et j’ai contacté mon vieux pote Franck.
Et avant qu’on prenne la route en amoureux toi et moi cette nuit, je l’ai appelé et j’ai activé ma balise. C’est mon côté geek : je peux pas résister à un gadget qui pourrait me servir un jour.
Je me tourne alors vers Laetitia :
- — Je me demande comment Conchita va réagir quand elle apprendra que son écrivaine préférée est la complice d’un meurtre.
Épilogue
En attendant que les policiers contactés par mon pote, Franck Lucca, débarquent pour procéder aux premières constatations, je décidai de m’isoler quelques minutes avec Laetitia pour qu’elle m’éclaire sur quelques points nébuleux de cette affaire.
D’abord je voulais comprendre sa réaction après le meurtre de Jacques Sohn-Faïve. Pourquoi avait-elle marqué un tel mépris en crachant sur le cadavre de son éditeur ?
La belle blonde m’en expliqua la raison en contenant sa colère avec difficulté :
- — Ce salaud avait négocié dans mon dos avec ses financiers africains la somme nécessaire à l’impression et à la distribution de mon livre en échange de ma participation à un gangbang avec de grands Blacks à grosses bites.
- — Je comprends, avais-je simplement répondu en masquant ma tristesse.
Ensuite quel était le rôle effectif de Jeff Parchemin dans le plan initial et dans sa version finale ?
Laetitia ne se fit pas prier pour lâcher le morceau.
- — Comme la plupart des employés des éditions Emplomb, Jeff haïssait son patron qui était la plus belle ordure que le monde de l’édition ait connue depuis la publication des Tables de la loi destinées à Moïse. D’autre part, en cas de disparition de Jacques Sohn-Faïve, Parchemin était à peu près certain d’hériter de la présidence des éditions Emplomb. Dans le plan élaboré par son patron, il devait juste fournir le véhicule et l’assistance pour le faux enlèvement, mais quand je lui ai expliqué qu’avec ma copine Adèle, on avait un peu modifié le scénario et qu’on allait en profiter pour se débarrasser de ce fumier d’éditeur, il n’a pas hésité longtemps à marcher dans notre combine.
- — Malgré les dommages collatéraux ? ai-je demandé, légèrement sonné.
- — Je suppose que vous parlez de votre élimination. J’avoue que je n’ai pas évoqué ce point avec lui, lâcha Laetitia sur un ton détaché avant de poursuivre : Jeff a donc collaboré pleinement et lorsqu’Adèle lui a envoyé discrètement un SMS pour lui indiquer que vous approchiez de son pavillon, nous nous sommes arrangés lui et moi pour convaincre Jacques qu’il était temps de gagner la maison abandonnée où j’étais censée être retenue prisonnière. Et Jeff a déclenché l’ouverture de son portail dès qu’il a aperçu les phares de la voiture d’Adèle au loin.
Complètement abasourdi, j’ai écouté la magnifique et machiavélique jeune femme pendant que mon cœur se désintégrait.
Alors, Laetitia a soudain éclaté en sanglots et malgré tout ce qu’elle venait de faire et de me dire, je n’ai pas résisté et je l’ai prise dans mes bras.
La sublime jeune femme a levé la tête pour me fixer avec un regard de cocker triste et je n’ai pu m’empêcher d’essuyer les larmes qui coulaient de ses beaux yeux rougis de fatigue.
Et avant que j’ai pu esquisser le moindre mouvement, elle a posé ses lèvres sur les miennes et nos langues se sont mêlées dans un ballet endiablé.
Le monde était devenu merveilleux et alors que je m’apprêtais à lui dire combien je l’aimais, que je l’attendrais toutes les années nécessaires et que je serais présent le jour de sa sortie de prison, elle me gratifia d’un magnifique coup de genou dans les parties m’envoyant au tapis me tordre de douleur pour un bon moment.
- — Putain, Marteau ! il faudra qu’un jour je t’explique comment s’y prendre avec les nanas.
Malgré la douleur qui me tenaillait le scrotum, je parvins à tourner la tête vers Lucca qui conclut :
- — À ton âge quand même ! Si c’est pas malheureux de voir ça…