n° 21309 | Fiche technique | 53213 caractères | 53213 9134 Temps de lecture estimé : 31 mn |
23/11/22 |
Résumé: Il est étudiant, elle est une épouse délaissée, 30 ans les séparent. | ||||
Critères: fh fplusag douche -extraconj -diffage | ||||
Auteur : Amateur de Blues Envoi mini-message |
La vie de la plupart des étudiants est de plus en plus difficile et précaire et celle d’Antoine ne faisait pas exception à la règle. Quand on est issu d’un milieu populaire et qu’on ne doit compter que sur soi-même, la vie est un combat permanent pour simplement assurer l’essentiel. Antoine recevait une bourse bien sûr, et les APL mais cela n’assurait que le strict minimum, loyer, alimentation. Avec ça, pas question de s’acheter des vêtements, de sortir au cinéma ou en discothèque.
Aussi, lorsqu’en mars 2020 le confinement a été décrété, la fac et surtout la bibliothèque universitaire où il passait la plus grande partie de ses journées ont fermé et il s’est retrouvé plus isolé que jamais, coincé dans sa misérable chambre, sans autre accès à internet que son téléphone portable. Antoine habitait dans un ancien grenier, divisé en huit chambres minuscules et mansardées, 12 m2 avec des toilettes et deux cabines de douche au bout du couloir. Au bout d’une semaine, il tournait en rond dans cette pièce comme un lion dans une cage.
Il ne pouvait plus étudier. Préparant un mémoire de master en histoire de l’économie, il passait tout son temps à engranger toutes les références possibles sur son sujet, c’est-à-dire un aller-retour permanent entre des recherches sur le net et les documents disponibles à la bibliothèque universitaire, lieu qu’il avait élu comme bureau de travail car il y avait l’usage d’un ordinateur connecté et aussi parce qu’une certaine bibliothécaire, souriante et serviable, commençait à beaucoup lui plaire. Il n’avait pas encore fait le premier pas et maintenant, il était hors de question de l’inviter à quoi que ce soit et de toute façon, il n’avait même pas ses coordonnées. Il ne savait que son prénom, Noémie, et il se le répétait à longueur de journée, allongé sur son lit, le seul endroit de sa chambre où il pouvait s’installer confortablement.
Pour éviter de devenir fou, il s’écrivait des autorisations de sortie fréquentes pour aller acheter une bricole dans les magasins du quartier, il descendait quatre fois par jour pour inspecter sa boîte aux lettres qui était toujours vide. Il habitait un vieil immeuble haussmannien du centre-ville et si la plupart des étages étaient desservis par un ascenseur antique aux grilles en fer forgé, il devait lui descendre et remonter ses six étages à pied car on ne lui avait pas confié de clef ouvrant les grilles de l’ascenseur. Descendre et remonter était donc devenu son activité sportive principale, son activité unique d’ailleurs car le reste du temps, il déprimait sur son lit, lâchant les livres au bout de quelques lignes incompréhensibles, délaissant son portable, les messages plus ou moins humoristiques de ses copains lui semblant d’une vacuité complète.
Il en était là au bout de deux semaines, en pleine dépression, quand il croisa une voisine devant les boîtes aux lettres. Elle était en train d’ouvrir la sienne quand il déboula de l’escalier, sautant les marches deux par deux pour se donner l’impression qu’il se passait quelque chose. C’était une dame d’une cinquantaine d’années, visiblement une bourgeoise des étages inférieurs, grande et mince. Elle sursauta d’abord à l’arrivée bruyante d’Antoine dans le couloir d’entrée, puis elle lui sourit. Enfin, il imagina qu’elle souriait car le masque ne laissait voir de son visage que de grands yeux clairs, mais ces yeux, fatigués et ternes l’instant d’avant, s’éclairèrent aussitôt quand ils croisèrent son regard.
Et il s’éloigna dans le couloir, tandis qu’elle le suivait des yeux. Ce jeune homme est la vie même, pensait-elle.
Antoine n’était jamais entré dans un tel appartement. Chez lui, il n’y avait pas de tableaux au mur, ni de vieilles assiettes dans des vitrines ou de canapé en cuir de buffle. Il n’était pas impressionné mais plutôt dérouté, ne se sentant pas à sa place et ayant envie de partir dès qu’il était entré. Pourtant, son hôte était charmante, simple, et sa conversation plutôt intéressante. Sans masque, elle avait des traits de beauté classique et il se dit qu’elle avait peut-être été mannequin quand elle était jeune. Son sourire illuminait la pièce, il devait le reconnaître et il essayait d’oublier l’impression que lui faisait le décor.
Ils parlèrent d’Histoire. Antoine dut expliquer l’idée de son mémoire qui était de retrouver quand et comment l’économie avait pris une place centrale dans le monde moderne. Il étudiait les discours des philosophes et des hommes politiques du XIXe siècle et du début du XXe pour comprendre comment les décisions avaient cessé d’être prises par les représentants du peuple et avaient atterri entre les mains d’experts tels que les économistes, les banquiers et les grands industriels. Madame Azoulay savait beaucoup de choses et posait des questions pertinentes et même certaines qu’il ne s’était pas assez posées. À un moment, il avait presque envie de prendre des notes.
Antoine suivit Olympia dans l’appartement sans comprendre où elle l’emmenait, ils parcoururent un long couloir pour entrer dans une petite pièce qui donnait sur la cour intérieure. Alors, Antoine changea d’avis sur l’appartement. Un mur entier de la pièce était couvert de livres, des milliers de volumes du sol jusqu’au plafond, de la littérature, la meilleure autant qu’Antoine puisse en juger en quelques instants, de la philosophie, des livres anciens. Il n’avait jamais vu cela ailleurs qu’au cinéma. Au centre de la pièce, il y avait un bureau de ministre recouvert de cuir rouge, un fauteuil à accoudoirs et sur le bureau un ordinateur relié à une imprimante.
C’est ainsi qu’Antoine s’est installé dans le bureau-bibliothèque des Azoulay tous les après-midi pour travailler à son mémoire et en commencer enfin l’écriture. Cela est venu lors de leur première conversation pendant le thé, le lendemain de la proposition de madame Azoulay. Parlant de son travail, Antoine expliqua honnêtement qu’il avait un problème sérieux de procrastination et qu’il accumulait depuis des mois des références, des citations et des notes parce que l’idée de rédiger le terrifiait. Il avait à un moment donné eu une idée si extraordinaire de ce qu’il était capable de produire que maintenant, il avait tout simplement peur de ne pas être à la hauteur de lui-même. Olympia le regarda un instant en penchant un peu la tête sur le côté et Antoine, sans la regarder vraiment, remarqua que c’était tout à fait gracieux.
Plus tard, allongé sur son lit dans sa petite chambre, les mains croisées derrière la tête, Antoine repensa longtemps à cette discussion, il se repassait chaque phrase de son hôte pour comprendre ce qui se jouait entre eux. Elle avait dit « je veux », elle voulait quelque chose de lui. Pourtant, elle n’était pas sa mère même si elle en avait l’âge et ils se connaissaient à peine. Et puis, cette tête penchée, ces lèvres parfaites dessinant un si beau sourire le laissaient perturbé. Y avait-il des enjeux qu’il ne comprenait pas encore tout à fait ?
Les autres jours, ils abordèrent des sujets variés, et se trouvèrent curieusement très souvent d’accord, bien que leur expérience du monde soit si différente. Ce n’était jamais ennuyeux et jamais difficile. Il y avait toujours entre eux une légèreté qu’Antoine avait du mal à s’expliquer. Olympia (dans sa tête, il disait Olympia) était une femme libre, intelligente alors que tout ce que disait cet appartement, ce quartier bourgeois du centre-ville, lui indiquait des gens riches et bornés, incapables d’humour. Il avait tout faux, elle n’était pas comme ça, elle était ouverte, l’homosexualité ne la choquait pas, elle était pour l’accueil des migrants, indignée par les violences policières dans les banlieues, et elle pouvait rire de tout. Il la faisait rire et il aimait ça.
Finalement, il lui parla de Noémie. C’était idiot parce qu’il n’y avait rien à en dire mais il en parla tout de même. Olympia avait évoqué l’idée qu’il devait bien avoir une jeune fille qui l’attendait quelque part. Elle l’avait dit comme une affaire sûre et entendue et Antoine aurait voulu que ce soit vrai.
Et cette fois encore, la conversation le poursuivit dans la soirée. Elle a raison, se disait-il, qu’est ce qui cloche chez moi ? La question le poursuivit même durant tout le week-end, puisque le mari rentrant à la maison, il était logiquement persona non grata au troisième étage.
Le lundi matin, vers treize heures, il traînait encore dans son lit dévasté, se demandant à quel moment il allait avoir le courage de s’habiller et de descendre s’acheter de quoi manger quand on frappa. Il pensa au loyer mais on n’était pas en fin de mois, à la police, mais pourquoi la police ? Et il ouvrit la porte, tel qu’il était, torse nu, il faisait beaucoup trop chaud dans cette mansarde, il ne portait qu’un vieux pantalon de pyjama délavé avec un trou mal placé en haut de la cuisse gauche.
Olympia était derrière la porte, amusée du spectacle qu’il présentait, ses cheveux en pétard, son air ahuri, le désordre dans la pièce.
La pièce était dans un état apocalyptique. Il n’y avait aucun endroit pour s’asseoir et Madame Azoulay tournait en rond autour de lui en regardant partout d’un air désapprobateur. Et lui restait là, comme un idiot, incapable de trouver un mot à dire ou un geste à faire. Finalement, Olympia posa son thermos et ses tasses sur une pile de livres, ramassa le slip sale qui gisait sur la seule chaise de la pièce, le fit élégamment tourner autour de sa tête et le lança dans un coin, avant de s’asseoir au bord du lit.
Olympia avait posé une main sur sa cuisse à la fin de sa tirade. C’était la première fois qu’ils se touchaient et la main était chaude à travers le pyjama, elle était brûlante et il se demandait si elle aussi s’en rendait compte, au lieu d’écouter ce qu’elle lui disait. Puis le jeune homme comprit quand elle était déjà debout. Elle l’invitait à venir habiter chez elle. Cela ressemblait même à un ordre qu’il ne voyait pas trop comment discuter. Aussi, il la regarda disparaître dans le couloir, puis il commença à mettre son linge sale dans un sac de sport tout en essayant de comprendre ce qu’il ressentait mais il n’y parvenait pas. Tout était confus, la honte, le respect, la peur, le désir, l’envie de se sauver en courant, mais dans quelle histoire il s’était embarqué ? La honte, surtout, quand il retrouva le slip kangourou qu’elle avait jeté dans un coin, puant le sperme et si taché qu’elle n’avait pas pu ne pas le remarquer !
Ainsi, Antoine se retrouva dans la chambre d’amis des Azoulay, une grande chambre confortable munie d’une salle de bain. Olympia insista pour qu’il lui confie son linge sale au plus vite, ce qu’il refusa énergiquement, parce qu’il était féministe, dit-il, ce qui la fit rire. Il lava et étendit lui-même dans la buanderie ses slips et ses chaussettes, son jean et ses trois tee-shirts et il retourna travailler dans le petit bureau où les livres le détournaient en permanence de sa tâche. Il y avait là Arnaud et Le Clézio, Modiano et Céline, Irving et Hemingway, il avait envie de tout lire, et de ne plus jamais rien faire d’autre que lire. Mais son hôte attendait du texte, alors il écrivait, dans le désordre, passant de Saint-Simon à Keynes, de la révolution de 89 aux trente glorieuses. Il ne savait pas encore si cela lui servirait à sauver son année mais la pratique de l’écriture le ramenait dans le monde et il aimait, il adorait regarder Olympia lire son travail de la journée quand il la rejoignait à l’heure du thé.
Elle mettait des lunettes pour lire et se concentrait sur sa prose, lui permettant de l’observer pendant un moment sans être gêné, le dessin de ses lèvres, l’arête droite de son nez, ses fins sourcils, l’extrême délicatesse de son oreille. C’était délicieux. Sans compter les remarques élogieuses qu’elle ne manquait pas de faire à chaque fois et qui lui allaient droit au cœur qu’il sentait parfois proche d’éclater. Il était dans un état qui ressemblait au bonheur, le souvenir de la petite Noémie s’effaçait petit à petit et bien sûr, quelque chose manquait à cette situation étrange mais il ne parvenait pas à dire exactement ce que c’était.
Maintenant qu’il était installé à demeure, ils avaient plus de temps de conversation. Il y avait toujours le rituel du thé, mais aussi la préparation des repas à laquelle Antoine avait exigé de participer et le temps des repas eux-mêmes, Ils commentaient les informations, qui tournaient toutes encore et toujours autour de la pandémie, du professeur Raoult et du futur vaccin et parlaient aussi de leurs lectures, de cinéma, des endroits du monde qu’ils avaient visité l’un et l’autre, Olympia semblait être allé partout. Cependant, maintenant qu’ils étaient engagés dans un tête-à-tête permanent, ils ne parlaient plus d’eux-mêmes, comme s’ils devaient contourner le sujet parce qu’il y avait quelque chose qui ne devait pas être dit.
Et puis il y eut les petits déjeuners. Le premier, le mardi matin, Antoine entra dans la cuisine, une immense pièce lumineuse et très bien équipée, avec notamment un énorme percolateur qui le fit rêver, à huit heures parce qu’il avait fait sonner son téléphone pour se réveiller, pour la première fois depuis des semaines. Olympia lui tournait le dos, elle lavait un mug devant l’évier. Elle portait une longue chemise de nuit fleurie, légère, sous laquelle on ne remarquait pas de marques de sous-vêtement. Ses cheveux étaient défaits et tombaient en longues grappes dans son dos. C’était la première fois qu’Antoine la voyait ainsi. Jusque-là, elle portait toujours un chignon sophistiqué et assez strict et le jeune homme s’étonna de la longueur de ses mèches et en vit aussi quelques-unes de grises, ce qui l’étonna car il ne pensait pas à elle comme à une vieille femme. Mais ce qui le marqua surtout, ce premier matin, ce fut la largeur des hanches et la grosseur des fesses de son hôte. Olympia était grande, mince, élancée et il n’avait jamais remarqué qu’elle était tout de même pourvue d’un derrière rond et proéminent.
À partir de ce premier jour, il attendit avec impatience et terreur les petits déjeuners. Il désirait Olympia, il ne pouvait pas se le cacher, même si elle avait l’âge de sa mère, même si elle le traitait plus ou moins comme un gosse « Allez, au travail, jeune homme, il ne va pas s’écrire tout seul, ce mémoire » et il était terrorisé à l’idée qu’elle s’en rende compte. Car il bandait dur chaque matin, devant ses tétons qui pointaient sous le tissu, ou en observant ses fesses lourdes quand elle circulait dans la cuisine, et ensuite, il n’osait plus sortir de table de peur qu’elle se rende compte de son état. Ensuite, dans la journée, il parvenait plus facilement à ne pas y penser et le soir, ils s’enfermaient chacun dans leur chambre, d’un accord tacite, cela n’avait jamais été discuté et le jeune homme pouvait enfin se laisser aller, l’imaginer en amante, inventer des phrases qu’il pourrait prononcer pour faire basculer la situation, même s’il savait bien qu’il n’aurait jamais le courage de les dire. En fait, il avait honte de son désir qui lui semblait anormal et il ne pouvait imaginer qu’Olympia puisse ressentir la même chose que lui.
Pourtant, chaque soir, Madame Azoulay fermait les yeux, abandonnant un livre qu’elle ne comprenait plus, glissait une main entre ses cuisses et retrouvait en gémissant l’Antoine torse nu qui lui avait ouvert la porte de sa chambre, sa poitrine glabre, ses larges épaules, sa bouche aux lèvres sensuelles, ses cheveux hirsutes. Elle se caressait en pleurant sur son âge, sur l’injustice de la vie qui faisait entrer un homme formidable dans sa vie au moment où elle devenait trop vieille pour ce genre de jeu. Dans sa tête pourtant, elle était encore une jeune fille qui tombait amoureuse.
Le mercredi, quand Antoine rejoignit son hôte au salon pour la séance traditionnelle de lecture, avant une traditionnelle tasse de thé vert, il trouva Olympia en larmes sur le canapé où elle ne s’asseyait jamais, son téléphone abandonné à côté d’elle. Aucune théière sur la table, pas la moindre odeur de biscuits sortant du four, Antoine sentit qu’un drame était en cours. Olympia l’avait vu mais elle ne disait rien. Simplement, elle laissait les larmes couler sur ses joues. Alors, il ne dit rien non plus et s’assit à ses côtés. Le silence s’installa, Olympia pleurait sans bruit. Antoine savait que cela ne le concernait en rien et il se demanda s’il ne valait pas mieux qu’il s’éclipse, qu’il aille acheter des chocolats ou des fleurs mais il était incapable de la laisser seule. L’envie de la prendre dans ses bras était dévorante.
Il lui prit la main. La main d’Olympia était chaude, un peu sèche. Il regardait devant lui ses feuilles imprimées, abandonnées sur la table, qu’il avait amenées pour qu’elle les lise, les lunettes d’Olympia, le tableau sur le mur d’en face qui représentait des péniches sur le fleuve, un tableau triste qui rendait la situation encore plus pénible. Puis Olympia se mit à parler, d’une voix nouvelle, fragile qui lui serra les tripes :
Elle se leva, traversa la pièce tandis qu’il regardait son cul se balancer au rythme de sa marche et disparut dans le couloir. Le soleil de la fin d’après-midi entrait à flots dans la pièce, depuis le début du confinement, il faisait toujours beau et Antoine avait terriblement envie de sortir, de marcher dans les rues sans penser à rien, d’écouter de la musique en buvant des bières, loin de cet appartement où ses sentiments devenaient trop complexes. Les larmes et les aveux d’Olympia lui avaient fait prendre conscience qu’il ne désirait pas seulement cette femme, il en était profondément amoureux.
Jeudi matin. Antoine avait mal dormi. Il pénétra dans la cuisine, inquiet, se demandant si la meilleure solution ne serait pas de partir pour laisser son hôte tranquille. Cela lui semblait agréable d’être materné par une jolie femme, mais il n’avait pas l’impression de lui apporter quoi que ce soit en échange. Olympia était assise à la table, éclairée par le soleil du matin, les yeux fatigués et un petit sourire timide pour lui quand elle releva la tête. Il s’apprêtait à proposer son départ mais elle ne lui laissa pas le temps d’ouvrir la bouche.
Il bredouilla des mots inintelligibles et la contourna pour aller se faire un café. Il ne pouvait plus la regarder sans lui sauter dessus. Il commença par ajouter du café en grains dans le réservoir et vérifier le niveau d’eau quand il sentit Olympia se coller dans son dos et entourer ses épaules de ses bras. C’était quelque chose qu’il n’avait même pas osé imaginer et elle était vraiment là, contre lui, son corps chaud contre le sien, ses seins collés dans son dos, son ventre brûlant contre ses fesses, sa tête posée sur son épaule, ses mains sur sa poitrine. Il était tétanisé, n’ayant aucune idée de ce qu’il devait faire et d’ailleurs il ne voulait rien faire car il voulait juste que le contact se prolonge.
Avant qu’il ait fait un geste, elle était sortie de la pièce. Il commença par continuer de préparer le percolateur puis, au moment de lancer la confection du café, il interrompit son geste. Il imaginait Olympia sous la douche et c’était intolérable. Si cette femme avait besoin de lui, alors elle devait savoir qu’il avait besoin d’elle. En tant que femme. Il sortit de la cuisine et se dirigea vers la chambre d’Olympia dans laquelle il n’était bien sûr jamais entré. Il n’hésita pas sur le seuil et pénétra dans la pièce. Le lit était défait et des vêtements attendaient sur une chaise, un soutien-gorge blanc en dentelle sur le dessus. La porte de la salle de bains était ouverte et on entendait l’eau couler dans la cabine de douche. Antoine se déshabilla rapidement et avança jusqu’au seuil.
Le silence se fit entre eux lourd et dangereux. Antoine devait faire un effort pour empêcher ses mains de trembler. De l’autre côté de la paroi opaque, l’eau coulait toujours mais Olympia s’était appuyée contre le mur carrelé pour ne pas tomber. Elle crut un instant qu’elle ne pourrait pas répondre et puis une barrière s’effondra en elle et elle se sentit libérée. « Viens » dit-elle en le tutoyant pour la première fois.
Il entra dans la cabine, refermant les portes en verre derrière lui. L’eau coulait entre eux, comme une cascade infranchissable. Antoine était un homme élancé et musclé par des années de natation, les poils sur son bas-ventre étaient noirs. Olympia se tenait appuyée contre la cloison, blottie dans l’angle. Elle s’était un peu recroquevillée sur elle-même, comme pour se protéger, une main devant son pubis et l’autre bras replié en travers de ses seins. Ses cheveux mouillés la faisaient paraître plus vieille que d’habitude, on voyait vraiment son âge tandis que son expression apeurée et timide lui donnait l’air si jeune, presque une petite fille.
Olympia obtempéra sans répondre et, restant dans son coin, se tourna contre le mur. Il s’approcha d’elle, coupa l’eau, prit une fleur de douche qui pendait, y versa un peu de gel et commença à lui frotter les épaules. Elle avait une belle peau, des attaches fines et il prit son temps pour en profiter en promenant sa fleur des clavicules aux omoplates, en regardant de près chaque centimètre d’elle tandis qu’il l’entendait respirer juste là, à quelques centimètres de son visage, en laissant des traînées moussues partout où il passait. Il descendit le long de la colonne, comptant les vertèbres, embrassant chacun d’eux avant de le savonner. Antoine était ébloui par la perfection de ce corps, par l’idée que cette femme qu’il en était venu à vénérer s’offrait à lui ainsi, dévoilant un postérieur qu’elle estimait certainement disgracieux tant ses fesses étaient grasses et molles pour sa silhouette de liane et qui le faisait bander comme un cerf. Il était l’homme, le mâle et elle était la femelle. D’un coup, cela n’avait plus rien à voir avec les petites amies qu’il avait pu avoir, il avait changé de catégorie.
Il hurla comme un fou son désir et se colla contre elle, la bite contre ce cul confortable, ses mains passèrent côté pile, une lui empoignant un sein et l’autre plongeant entre ses cuisses, celle du haut trouvant un petit nichon qu’il pétrit comme de la pâte à pain avant de serrer entre son pouce et son index un téton gonflé et dur, gros comme une noisette, et les doigts du bas fouillant une fente poisseuse de mouille, le majeur trouvant vite le clitoris et se mettant à la masturber avec énergie.
Pour toute réponse, Olympia gémit, elle tendit ses fesses vers lui de toutes ses forces pour mieux les encastrer l’un dans l’autre. Elle aurait voulu qu’il la baise, qu’on en finisse. Il y avait tellement longtemps qu’elle n’avait pas eu d’orgasme que la montée du plaisir la paniquait, elle avait peur de faire n’importe quoi. Mais Antoine ne voulait pas la prendre, pas encore, il voulait la faire jouir, c’était son projet et il s’y tenait, il pressait, il frottait, il lui embrassait le cou, lui mordait l’épaule tant et si bien qu’elle lâcha prise, elle laissa faire, elle fut soudain toute molle et le jus coulait bouillant entre ses cuisses. Elle eut un orgasme dévastateur, peut-être n’en avait-elle jamais connu un pareil, elle crut qu’elle allait perdre connaissance et elle se mit à pleurer. Antoine la tenait serrée entre ses bras, il lui demanda pardon, il remit en route le jet d’eau chaude et il l’attira avec lui sous la cascade et ils restèrent ainsi de longues minutes immobiles, le silence seulement troublé par l’eau sur leurs corps et les pleurs d’Olympia.
Lorsqu’elle se fut calmée, elle s’écarta de lui.
Elle coupa l’eau et reprit la fleur de douche qu’elle imprégna de gel. Elle s’approcha de son amant et lui frotta la poitrine et les épaules, lentement, en cercles concentriques, puis ce fut son ventre et ce fut toujours aussi lent et minutieux. Ensuite, elle s’accroupit, laissa tomber la fleur et savonna la bite d’Antoine à pleines mains avec le même sérieux, le visage à quelques centimètres du membre dressé. Elle avait de petites mains et Antoine avait l’impression d’être un éléphant avec une trompe énorme. Elle leva les yeux vers lui, Antoine ne les avait jamais vus aussi verts, comme si l’eau qui venait de les laver avait emporté toutes les impuretés de ses iris. Il vit aussi dans ce regard à quel point elle était déterminée à le faire jouir.
Avec deux mains, tout d’abord, puis avec une seule tandis que l’autre lui massait les couilles. Antoine ferma les yeux, la main chaude le branlait de plus en plus vite. Le plaisir montait en lui, il imaginait son sperme sur le visage d’Olympia et cela le mit mal à l’aise. Il eut presqu’envie de tout arrêter, de se soustraire à la caresse, il avait honte, se sentait comme une bête pleine de foutre, mais Olympia continuait sans se lasser, toujours plus vite. Alors à son tour il se laissa aller, il éjacula, de grosses rasades qui giclaient partout, une autre et encore une autre. Quand il eut fini et qu’il ouvrit les yeux, Olympia rouvrait l’eau et le lavait à nouveau, avec attention. Elle souriait.
Et elle le prit par la queue pour l’entraîner derrière elle. Ils quittèrent la cabine de douche, ruisselants, laissant l’eau couler et allèrent jusqu’au lit sur lequel ils se jetèrent pour forniquer aussitôt. Antoine avait déjà retrouvé toute sa puissance, son engin bien dur. Olympia écarta les cuisses et il la pénétra aussitôt. Ils baisèrent longtemps, changeant régulièrement de position. Ils dirent tout ce que disent les amants quand ils copulent.
Dans les jours qui suivirent cette première fois, ils forniquèrent de multiples fois et dans toutes les pièces de la maison. Antoine prit Olympia devant l’évier de la cuisine pendant qu’elle épluchait des carottes. Il arriva simplement derrière elle, écarta sa culotte, elle ne portait rien d’autre, et l’enfila. Son amante le suça dans le bureau tandis qu’il tentait de se remettre à son mémoire. « Tu es si beau quand tu écris, je n’ai pas résisté ». Il la prit sur le canapé, sur la table du salon, dans la buanderie. Elle le chevaucha et il la fessa. Rien n’était interdit, tout était nouveau pour lui, tout redevenait possible pour elle. Ils étaient comme ivres, la tête leur tournait, ils riaient sans savoir pourquoi. Ils se regardaient pendant des heures avec des yeux flous et un sourire idiot sur les lèvres.
Ensuite, au bout de cinq jours, alors qu’ils avaient les organes sexuels si douloureux qu’ils eurent besoin d’une pause, Olympia tenta de se reprendre. Elle enfila un pantalon et un soutien-gorge pour la première fois depuis le début de leur aventure, elle convoqua Antoine au salon aussi sérieusement que possible et refusa de s’asseoir sur ses genoux.
Et il passa ses bras autour d’elle, et il mit sa langue dans sa bouche, et elle le laissa faire, et elle s’échauffa, et glissa une main sous sa chemise pour lui caresser la poitrine, et le soir doucement descendit sur la pièce, et bientôt ce fut la nuit et ils s’embrassaient toujours.
Quelques jours plus tard, Antoine était seul dans l’appartement. Olympia était allée rendre visite à une amie qui s’inquiétait qu’elle ne sorte plus de chez elle. Quand elle avait parlé « confinement », on lui avait ri au nez et expliqué qu’elle était bien la seule à croire encore qu’il fallait respecter les règles… on l’assura que tout son groupe d’amies se fréquentait régulièrement depuis déjà un bon moment. Et donc, pour montrer que tout allait bien, elle était allée prendre le thé, et peut-être jouer au whist, et médire de leurs maris respectifs, et maudire ce gouvernement d’incapables chez sa meilleure amie. Et donc Antoine était seul pour la première fois depuis deux semaines mais il lui semblait que c’était dans une autre vie. Il essaya de lire mais en était incapable. Il ferma les yeux en se disant que le temps passerait plus vite s’il dormait mais cela ne fonctionna pas et au bout de cinq minutes il était déjà debout. Il eut l’idée de se masturber en reniflant une culotte d’Olympia mais il préférait attendre qu’elle rentre pour la prendre en vrai.
Il en était là de ses réflexions, debout dans le salon, quand on frappa à la porte. Ce n’était pas Olympia qui avait ses clefs et personne n’avait sonné à l’interphone. Intrigué, il alla ouvrir et se trouva devant un homme qu’il reconnut pour l’avoir vu en photo dans un album qu’il avait feuilleté pour en trouver d’Olympia plus jeune. C’était Philippe, le mari. Il avait un sac en bandoulière et une valise derrière lui, un costume, une chemise blanche et la cravate de travers, les cheveux dégarnis et emmêlés par le vent. Il rentrait chez lui parce que le vol pour Hong Kong avait finalement été annulé, l’épidémie redoublant de rage dans l’ex-colonie chinoise.
Ils s’agrippèrent violemment l’un et l’autre, une chemise craqua, des boutons volèrent et ils roulèrent au sol, renversant un vase certainement ancien et précieux qui attendait depuis le début qu’une bagarre survienne. Philippe tenta de décocher un coup de poing à la figure de son adversaire mais leurs corps emmêlés et la proximité de leurs visages empêchèrent la manœuvre de réussir. D’un coup de reins puissants, Antoine envoya valdinguer le mari qui tentait de lui grimper dessus et il entreprit à son tour de le chevaucher comme un taureau furieux, mais ce fut aussi un échec car l’autre se tortillait comme un ver et gueulait comme un putois. À ce moment, la scène aurait pu mal tourner car Philippe venait de ramasser un coupe-papier sur la table basse et s’apprêtait à s’en servir comme d’une arme de deuxième catégorie. Mais la porte d’entrée était restée ouverte tout ce temps et Olympia qui rentrait poussa en les voyant un hurlement si puissant qu’il arrêta le combat aussitôt.
C’est ainsi qu’Antoine retrouva son horrible petite chambre, vide, car toutes ses affaires étaient dans la chambre d’ami du troisième étage. Il s’allongea sur le lit et il croisa les mains derrière sa tête. Il ne savait pas quoi faire. Il pleura. Un vrai gosse, pensa-t-il, et il essaya de s’arrêter de pleurer mais il n’y parvenait pas. Il avait plusieurs endroits du corps qui lui faisait mal mais il avait surtout mal à l’intérieur. C’était très très douloureux. Il s’endormit.
Quand il se réveilla, il faisait nuit. Par la fenêtre, il voyait les lumières de la ville et il se dit qu’il devrait descendre chercher un bar pour se saouler avant de se rappeler qu’ils étaient fermés jusqu’à nouvel ordre. Retour à la case départ, donc. Cela avait été une merveilleuse aventure mais il allait falloir reprendre comme avant, les repas merdiques, les nuits merdiques, la solitude et le dégoût de tout. Antoine se dit qu’il n’aurait pas ce courage. Il se demanda si le plus simple ne serait pas d’ouvrir la fenêtre et de sauter, la petite cour pleine de rats l’accueillerait six étages plus bas mais pour ça aussi il n’avait pas le courage. Il aurait voulu pleurer encore, mais il n’avait plus de larmes.
En regardant autour de lui, il vit au pied du lit un livre oublié « Les détectives sauvages ». Il l’avait lu trois fois. Il y a une scène où un jeune homme devient un héros. Un gangster terrorise la famille de la femme qu’il aime. Ce type est armé et dangereux, et sans réfléchir plus que ça, le jeune homme balance son poing dans la figure du bandit qui mord la poussière, ce qui donne le temps à notre héros et à ses compagnons de filer en voiture à travers Mexico, la nuit et le désert, une fuite qui dure la moitié du livre. Antoine pensa qu’il n’avait pas été un héros, juste un gosse mal élevé, un petit mâle jaloux qui avait gâché toutes ses chances de pouvoir encore approcher la femme qu’il aimait. Il prit le livre qui traînait au sol et chercha une autre scène qu’il adorait, quand son jeune héros fait l’amour pour la première fois, mais il tomba sur une autre, où un vieux poète discute du passé avec de jeunes poètes en buvant du mescal. Et il se mit à lire.
C’est alors que la porte s’ouvrit et qu’Olympia entra dans la pièce, sans même avoir frappé. Elle était belle, elle s’était changée et démaquillée et c’est ainsi qu’il la préférait. Elle vint aussitôt s’asseoir sur le bord du lit, tout près d’Antoine. Celui-ci ne posa pas son livre parce que s’il l’avait fait, il n’aurait pas su que faire ensuite alors il fit semblant de continuer à lire tandis qu’Olympia lui parlait.