n° 21321 | Fiche technique | 70603 caractères | 70603 12080 Temps de lecture estimé : 49 mn |
29/11/22 |
Présentation: C’est en prenant mon café que le nom du héros m’est venu et ce qui collait avec, un mini polar. | ||||
Résumé: Pour un "privé", c’était une occasion à saisir ! | ||||
Critères: #policier fh travail revede voir caresses pénétratio | ||||
Auteur : Roy Suffer (Vieil épicurien) Envoi mini-message |
Il crache une dernière fois sur la plaque de laiton, la frotte vigoureusement avec sa fausse peau de chamois et se recule pour l’admirer. Brillante de mille feux, elle affiche fièrement :
OSCAR TEUNOIR
➤ Filatures
➤ Investigations
➤ Recherches
➤ Enquêtes
Ça a vraiment de la gueule ! Et ce « FIRE » des initiales, le feu en angliche, quelle belle trouvaille. Du coup il a utilisé une flamme comme logo, ressemblant vaguement à celui de la gendarmerie. Ça vous pose un homme et une institution. D’autant que la même inscription couvre les quatre fenêtres donnant sur le boulevard, mais cette fois sur un film opalin collé sur les vitres et servant en même temps de stores. C’est que chaque dépense est comptée, pas de petites économies. Car Oscar s’est lancé sans presque un sou vaillant, juste de quoi couvrir le dépôt de garantie pour louer ce local. Un gros coup de bol. Une ancienne loge de concierge dans cet immeuble qui a été cossu. Mais l’immeuble a vieilli et des concierges il y en a de moins en moins. Petit appartement en rez-de-chaussée, personne n’en voulait, justement parce qu’il est en rez-de-chaussée sur ce boulevard où traîne parfois une faune… inquiétante pour le bourgeois. La loge, une ex-salle à manger, la cuisine juste derrière face aux toilettes et une salle d’eau microscopique et au bout du petit couloir, une chambre.
Il a fait son bureau dans la salle, équipé grâce aux anciens collègues qui travaillent toujours dans la police. C’est con de se faire virer pour une histoire de cul, mais bon, fallait pas coucher avec la meuf du chef, ça lui apprendra. Et puis un flic, ça a le pif pour ça et la suspicion en plus. Tout le monde est coupable, sa femme comme ses collègues. Trop facile de repérer les appels téléphoniques de cette petite brunette qui avait tellement le feu au cul qu’elle l’appelait dix fois par jour, jusqu’à ce qu’il passe la sauter dans le lit conjugal de son commissaire de mari. La main dans le pot de confiture. Heureusement qu’il s’était fait accompagner de son adjoint, l’inspecteur Blancasse, pour avoir un témoin. Blancasse a retenu le patron qui aurait volontiers fait un double carton dans sa fureur.
Quarante-deux piges et sur le carreau, comme un malpropre. Quoi faire, quand on ne sait faire que ça, sinon se mettre à son compte ? C’est donc ce qu’Oscar a fait. Enfin, essaye de faire. Parce que c’est pas gagné. Mais bon, il a le local, bien placé et pas trop cher, complètement retapé avec de la toile de verre et de la peinture à l’eau, le mobilier déclassé récupéré dans les sous-sols du commissariat, repeint également. Il a aussi transporté là ses quelques affaires de son studio de célibataire endurci, inutile de payer deux loyers. Dans sa mouscaille, il a quand même un peu de veine. Trouver ce local déjà, et trouver une secrétaire ensuite. Mélanie, une copine d’enfance de la rue Dimentère. Rencontrée par hasard en allant acheter sa peinture au « Bricochose ». Elle cherchait des ampoules, elle l’a reconnu. Petite blonde dodue montée sur échasses, elle était au chômage et assez contente de l’être, mais elle s’emmerdait un peu. Secrétaire ? Ouais, c’était son truc, et dans la police privée, super ! Elle adorait les polars, bouquins et séries. Pas de pognon pour la payer ? Pas grave, tant qu’elle était au chômedu. En cas de contrôle, on dirait qu’elle est juste passée voir un vieux pote. Mélanie a un copain attitré, un mec qui fait la route avec son trente-huit tonnes. Un jour en Espagne, un jour au Portugal, un jour en Allemagne, parfois jusque dans les pays de l’Est. C’est dire qu’il ne la fait pas trop chier, pas assez, même. Et Mélanie est en manque. Du coup en lui faisant visiter son futur bureau en chantier, Oscar a débouché les écoutilles de Mélanie. Le local était inauguré.
Après, eh bien après c’est la longue attente. Malgré les petites annonces dans les gratuits, les flyers déposés un peu partout, pas grand-chose. Quelques recherches d’hérédité pour des successions, rien de bien enthousiasmant ni rémunérateur. Un simple ordinateur et un téléphone suffisent. Mélanie a les ongles impeccables à force de les limer et de les peindre. Sa chatte aussi est bien ramonée, debout, sur le bureau ou dans le lit tout proche. Elle aime ça, elle est comblée. Jusqu’au jour… jusqu’au jour où la sonnette retentit. Oui, la sonnette, et c’est bien la première fois, sauf toutes celles où Oscar l’a testée, craignant qu’elle ne soit en panne. Les talons de la secrétaire martèlent le plancher jusqu’à la porte. Un homme, assez grand, chapeau mou, lunettes noires et col de manteau relevé demande monsieur Teunoir. Professionnelle et totalement dans son rôle, Mélanie appelle son patron au téléphone et demande au bonhomme de s’asseoir pour patienter un instant, reprenant une frappe imaginaire sur son ordinateur. Ben oui, faut faire comme si on était débordé.
Oscar fait asseoir son potentiel client qui reste camouflé par son col relevé, ses lunettes noires et son chapeau. L’œil averti de l’ancien flic repère immédiatement un manteau de vigogne sur un costume d’alpaga, manifestement coupés sur mesures. La classe ! Mais le bonhomme a l’air inquiet, traqué, et parle à voix basse, jetant des coups d’œil autour de lui.
Mélanie est partie, le type rajuste son col et son chapeau, Oscar vérifie que la voie est libre et lui serre la pince, l’autre lui faisant à nouveau signe « motus », d’un doigt sur les lèvres. Le privé retourne dans son bureau et ouvre l’enveloppe. Qu’est-ce que c’est que ces papelards violacés ? Des biftons de Multipoly ? Putain non ! Des billets de cinq cents boules, des vrais, il n’en a jamais vu. Et dix en plus ! Ah ben il peut revenir toutes les semaines jusqu’à la fin de l’année. Soudain la porte s’ouvre à nouveau. Merde, il aurait dû la fermer à clé. Vite, les talbins dans sa fouille intérieure. Ouf ! Ce n’est que Mélanie. La fine mouche sentant une affaire intéressante était montée se planquer sur le palier de l’étage en attendant la sortie du mec.
Elle a bien fait de parler de carte de visite, cette gourde, celle de Montsac est encore en évidence sur le bureau. Hop, au fond de son larfeuille avec les autres biftons. À son tour, il ferme les volets du bureau et de l’accueil, c’est mieux pour écluser les bulles, tranquille en limant le gros cul de Mélanie. Une journée qui se finit bien.
Le lendemain est plus morne, chiant même. Dès huit heures devant l’immeuble de la mère Montsac, il poireaute jusqu’à onze heures avant que ça bouge. Pourtant il a tout dans sa vieille Dachia, jumelles, Cakon avec un petit zoom, tout sous la main, posé sur le siège passager. Mais rien, niente, que dalle avant trois plombes. Il en a des crampes et une envie de pisser pas possible. Et puis ELLE sort. Madone ! Heureusement qu’il est assis. Longue, fine, superbe dans un manteau vert amande qui moule sa silhouette, chapeau de feutre, pantalon, bottines à hauts talons et sac à main vert foncé. Et s’il n’y avait que l’habillement, mais tout en elle respire la classe. Sa façon de lever le museau pour repérer l’arrivée du taxi, les trois pas qu’elle fait pour s’y engouffrer, sa façon de plier le buste pour s’y asseoir sans heurter le chapeau… Oscar est fasciné. Il sursaute presque en s’apercevant qu’il n’a pas mis le moteur en marche et qu’il va la perdre. Heureusement que les encombrements travaillent pour lui. Ce jour-là, c’est institut de beauté, puis déjeuner avec une copine également friquée dans une « brasserie » du boulevard Exelmans, qui n’a de brasserie que le nom. Plutôt un repère de bobos où on te sert des toasts au foie gras pour accompagner la coupe de Dom Pérignon. Un tour chez le coiffeur, mais pas plus de deux plombes, et Madame ressort, le chapeau à la main pour ne pas écraser l’auréole blonde cuivrée qui lui encadre le visage. Quelle beauté ! Ensuite retour peinard à la maison vers dix-sept heures. Direction le bureau. Mélanie lui a laissé une liste des appels, deux demandes de recherches d’hérédité pour des successions, elle en a achevé une sur Internet, l’autre est en cours.
Le lendemain, et le surlendemain et jusqu’à la fin de la semaine, c’est kif-kif. Avec des variantes, bien sûr. Des fois, c’est manucure-pédicure, des fois c’est stretching, des fois c’est massage, et le salon de thé peut remplacer la brasserie ou le resto de luxe. Oscar assiste à la vie d’oisiveté d’une nana de la « haute », tassé dans sa caisse en bouffant des McDo. Il s’ennuie comme un rat mort, rien à se mettre sous la molaire. À croire que cette gonzesse est une sainte. C’est le rapport oral qu’il fait à son commanditaire au bout d’une semaine, lui montrant la longue liste des notes qu’il a prises.
Bon, pour cinq mille boules ça vaut le coup de se faire chier une semaine de plus. Mais le scénario est exactement le même, au point qu’il s’en ouvre à son client le mardi suivant estimant que, sa prestation demeurant toujours aussi vaine, cela confine à de l’escroquerie, défendant ainsi son honnêteté par anticipation.
Bonne chose, pensa Oscar, un système huit caméras et son hub pour deux mille cinq cents et un bon petit drone pour mille, et voilà encore six mille cinq qui resteront dans ma poche. Cette fois, je change de caisse.
Pour l’instant, et en attente du matériel, Teunoir reprend ses filatures, un peu distraitement il faut bien l’avouer. La semaine passe ainsi dans le plus profond ennui. La routine des filatures, tout ce qu’il exécrait déjà en tant que flic : écouter la radio, quelques cassettes, bouffer des sandwiches, pisser dans une bouteille vide… Enfin le mardi arrive, attendu non pas pour un rapport toujours aussi vide, mais pour la grosse enveloppe qui va avec. Quinze mille boules dans les pognes, plus de six mois d’un salaire de flic. Il passe illico ses commandes sur Internet.
Les colis arrivent quarante-huit heures plus tard et, vêtu d’une salopette et d’un faux badge, bonnet, lunettes fumées et fausse moustache, il se présente dans l’immeuble pour l’entretien et la vérification de l’ascenseur. Un grand escogriffe à la voix traînante, sans doute un fils caché de Philippe Castelli, lui signale en tant que concierge une certaine vibration de l’engin en arrivant au sous-sol. Teunoir examine les boîtes aux lettres. Que des bureaux de diverses entreprises au rez, au premier et au second, quatre noms au troisième et un seul au quatrième : De Montsac. Il place deux caméras sur l’unique palier de cet étage, deux autres dans les couloirs du troisième et du second, une dans le hall d’entrée et une au sous-sol qui sert de parking. C’est là qu’il planque son hub, dans un coffre réservé aux pompiers disposant d’une prise de courant. De retour dans sa voiture, il peut constater qu’il reçoit parfaitement les huit images en mosaïque, sur le portable tout neuf qu’il a acheté pour l’occasion. Et en cliquant sur chaque image, les lieux lui apparaissent comme une émission de télé. Il voit la sortie des bureaux, l’arrivée de De Montsac au quatrième et de son chauffeur au garage qui, lui, ne monte que jusqu’au troisième. Ainsi le petit personnel semble logé à cet étage. Confirmation vers vingt-trois heures quand la bonne et le cuisinier regagnent leurs appartements respectifs. Puis calme plat, le privé peut s’endormir, satisfait de son nouveau matos qui fait de lui un vrai pro.
Malgré cela, il lui est impossible de détecter le moindre déplacement suspect de madame De Montsac dans l’immeuble et, à moins qu’elle ne se tape le cuisinier, dont l’épouse fait également le ménage chez elle, la belle dame n’a rien à se reprocher. Chou-blanc à l’intérieur de l’immeuble. La seule personne digne d’intérêt est la petite bonne, un très joli petit lot qui émoustille le privé, scrutant ses apparitions sur l’écran. Sortie d’Hortense vers onze heures comme à l’accoutumée, direction le salon de coiffure pour une petite heure et retrouvailles à sa brasserie préférée avec deux copines, cette fois. Cependant, un fait aussi nouveau qu’inattendu se produit dans le périple de son gibier. Cet après-midi-là, la belle Hortense l’entraîne à sa suite dans le quartier des Buttes Chaumont. Que va faire une bourgeoise dans ces quartiers populaires ? Elle se fait déposer à cent mètres d’une boutique où elle entre. Passage lent devant la vitrine pompeusement dénommée « galerie d’art ». Il est vrai que Montmartre est tout proche et que le secteur doit grouiller de pseudo-artistes et crève-la-faim en tout genre. Il trouve une place de stationnement à proximité et se met en mode poireautage. Il imagine déjà le scénario des bourgeois pétés de thune investissant dans des croûtes d’artistes encore méconnus qui, un jour peut-être, deviendraient célèbres et ce serait le jackpot. C’est comme ça les riches, ils aiment jouer, mais pas au loto ni au tiercé. Au bout d’une heure, Oscar se dit que si la boutique n’est pas très large, elle doit être vachement profonde, la belle Hortense n’ayant pas fini d’en faire le tour. Encore une heure et demie plus tard, lorsqu’un taxi s’arrête devant pour charger la dame, il flaire l’embrouille.
Vu l’heure, elle doit rentrer direct chez elle, et peu importe puisque des soupçons se sont formés sur l’endroit. Il sort innocemment de sa bagnole, passe devant la vitrine, regarde quelques lithos exposées puis entre. En effet, la boutique est plus profonde que large, mais ne nécessite guère plus de cinq minutes pour en faire le tour et regarder la cinquantaine de toiles exposées. Allez, imaginons qu’on prenne le livret disponible à l’entrée et qu’on le lise devant chaque tableau, une minute fois cinquante, une plombe à tout casser. Pas deux et demie. Il n’est pas spécialiste de l’art, et au premier abord ses rétines sont un peu violentées. Comme beaucoup d’artistes, trop, le peintre utilise un « procédé ». Ils font tous pareil, de César à Arman en passant par Soulages et Vasarely, ils trouvent un truc un peu original et ils le déclinent jusqu’à plus soif. Un filon, en gros. Celui-ci en a un aussi. Au lieu de peindre sur une toile blanche, il barbouille sur des toiles de couleur, fonds de couleurs flashy, voire fluo. Toutes côte à côte, ça bousille un peu les rétines. Mais prises une par une, c’est pas si laid. Un coucher de soleil sur un fond orange fluo traduit presque la réalité de certains soirs sur une plage tunisienne, pareil pour cette nuit parisienne sur un rose fluo, comme baignée de néons. De l’idée, un petit talent peut-être. En tous cas, le mec fait du figuratif et ça convient à Teunoir qui abhorre l’art abstrait. Au fond, avec le même procédé, toute une collection d’éléments du corps féminin, un pied, une main, un sein, un cul, un œil… C’est à ce moment qu’une voix le fait sursauter :
Il n’allait pas lui dire qu’il était flic et que la femme coupée en morceaux, il connaissait déjà.
Le privé suit l’artiste, un bellâtre argentin au regard de braise avec un catogan. Ils parcourent une coursive vitrée donnant sur une allée pavée, grimpent un escalier de bois grinçant débouchant sur l’atelier du peintre, un espace mansardé largement éclairé par une grande verrière. Sous les vitres un peu sales, une méridienne de tissus lie de vin, un chevalet soutenant une toile grand format, un tabouret et un meuble à roulettes aux multiples tiroirs. Certains sont ouverts, révélant des collections entières de pastels gras classés par teintes, des dizaines, des centaines même, offrant toutes les variations possibles de chaque couleur. L’œil exercé du privé remarque l’appareil photo numérique sur pied et, suspendu au plafond bas, le projecteur vidéo dirigé vers la toile. Ainsi, tout le talent du danseur de tango réside dans une image projetée qu’il remplit progressivement sur le support à l’aide de ses pastels. Un peu minable comme technique, ne faisant appel à aucun talent de dessinateur. Mais en même temps redoutablement fastidieux, puisqu’il doit faire en gros le boulot d’une imprimante.
Pas de souci, c’est bien Hortense de Montsac, à poil, dans une pose à la Récamier, mais plus ostensiblement sensuelle avec une jambe pliée le pied sur le siège et l’autre pendante vers le sol. Ainsi posée, elle offre à la vue l’intégralité de son intimité, déjà très précisément travaillée sur le tableau. Oscar s’extasie, sans omettre de remarquer sur le sofa des traces encore humides et fraîches, témoins d’une copulation récente. Le tableau n’est pas terminé, la jambe posée au sol n’est encore qu’un tracé grossier permettant juste de reprendre la pose initiale pour la prochaine séance.
Oscar flatte, ils redescendent, discutent tarifs, possibilité d’en faire un second puisque le tableau en cours est réservé pour offrir au mari du modèle. Ils s’approchent de la banque d’accueil de la galerie, le barbouilleur semble devenir plus nerveux, se plaçant systématiquement entre le bureau et son visiteur, allant jusqu’à s’asseoir sur un coin. Inutile, l’ex-flic a aperçu ce qu’il fallait voir, un petit miroir posé à plat près d’une courte paille. Le génial Argentin doit ses yeux de braise à quelques lignes de poudre blanche. Voilà qui fera un rapport chargé à son client et, éventuellement, à ses ex-collègues des stups. Mais il manque les preuves, ou du moins LA preuve de l’adultère consommé. Avec la verrière et malgré sa saleté, c’est là que le petit drone a toute son utilité.
Dans un premier temps, au rendez-vous suivant, il reste évasif avec son commanditaire, signifiant juste qu’il a un petit doute autour d’une galerie de peinture où son épouse a disparu pendant un temps relativement long. Mais il doit encore vérifier un tas de choses, si la galerie dispose de plusieurs sorties, s’il y avait un vernissage avec un cocktail ce jour-là, etc. C’est son client qui se montre le plus rassurant.
Les maris cocus sont-ils toujours aussi cons, se demande Teunoir ? Je vais lui faire la surprise de l’année ! Mais je vais prendre mon temps, il ne s’agit pas de tuer la poule aux œufs d’or trop tôt.
Pendant ce temps, Mélanie, toute gourde qu’elle paraisse, fait merveille avec les recherches de filiations et autres hérédités. Très habile sur Internet et les réseaux sociaux qui occupent son quotidien, elle n’a pas son pareil pour convaincre des secrétaires de mairies ou d’archives pour aller lui pêcher des renseignements. Mine de rien, la réussite aidant, elle développe son petit secteur avec maestria, et des pourcentages d’héritages non négligeables rentrent dans les caisses. Ça tombe bien parce que ses droits aux indemnités de chômage touchent à leur fin. Oscar lui fait donc un contrat et, pour fêter ça, l’invite même à dîner. Mélanie en profite pour se plaindre qu’elle ne le voit plus beaucoup à cause de cette mystérieuse affaire qui n’en finit pas. Elle aurait tant voulu en savoir plus et lui tirer les vers du nez. Mais Oscar reste muet comme une tombe du Père-Lachaise et ne trouve rien de mieux pour couper court à toute discussion que de la ramener dans sa petite loge de concierge pour l’honorer de toutes les façons jusqu’à pas d’heure du matin.
Quand Hortense de Montsac reprend la direction des Buttes Chaumont, Oscar est fin prêt. Il s’est entraîné tout le week-end à piloter son drone dans un coin désert des bords de Seine, les batteries sont chargées à bloc. Dès qu’Hortense entre dans la boutique, le petit engin décolle et vient se poser délicatement sur la toiture de zinc, le museau pointé sur la verrière. La caméra peut bouger légèrement d’une trentaine de degrés dans tous les sens, et le zoom lui permet de cadrer parfaitement la méridienne. Les amants font leur entrée dans la pièce, se tenant presque par les lèvres et l’artiste dévêt son modèle, se mettant aussi à poil. Puis il l’installe sur la méridienne et commence à changer de ton et d’attitude. Alors qu’Oscar zoome comme un malade sur la plastique ébouriffante de la belle Hortense, déjà avec une trique colossale, l’autre maugrée, rouspète, jure dans son idiome sud-américain, et Hortense soupire. Évident que cette technique à la mords-moi-le-neutron exige un positionnement rigoureusement identique au précédent. Même au travers du toit, le micro du drone parvient à capter ses vociférations. Hortense se lève et fait mine de partir. Le bellâtre se jette à ses pieds, la priant à genoux de n’en rien faire. Elle se rassoit, il se jette sur elle et la lutine sans préliminaires avec une incroyable frénésie. En moins de cinq minutes, l’affaire est pliée.
Un lapin, se dit Oscar, un véritable lapin. Merde alors, elle mérite mieux que ça ! De la confiture donnée à un cochon…
Peu importe la façon, l’acte est enregistré, dans la boîte. Le contrat est rempli. Le privé laisse tourner l’enregistrement, le peintre semble plus calme avec les couilles vidées, Hortense reprend la pose et lui son travail. Au bout d’une demi-heure, il va attraper une bouteille de Fernet Branca dont il s’enfile une grande rasade au goulot. Il reprend un temps son crayonnage, puis son goulot, s’arrête, peste à nouveau et jette ses pastels sur le sol, apparemment épuisé. Sa dose doit lui manquer. Tranquillement, madame de Montsac se lève, se rhabille, sort une poignée de billets de son sac à main qu’elle pose sur le canapé et part sans mot dire. L’Argentin se vêt rapidement, glisse les billets dans sa poche et disparaît également. Un taxi arrive quelques instants plus tard pour prendre la dame, le peintre sort également, verrouille la porte de la galerie et part à grandes enjambées vers Montmartre. Il a visiblement hâte d’aller chercher sa poudre. Oscar récupère son drone et rentre. Il passe et repasse la scène de sexe, grossissant l’image sur plusieurs détails, plus ou moins visibles selon l’angle fixe de la caméra. La tronche d’Hortense d’abord, visiblement pas celle d’une nana qui prend son pied. Impassible comme une statue, elle semble compter les chiures de mouches au plafond. Pour un peu, elle aurait pu repérer le museau et les deux bras avant du drone. Mais, putain, pourquoi une telle femme, belle et friquée, se donne-t-elle ainsi à ce type qui, en plus, montre en se retirant qu’il est très modestement outillé ? Quel gâchis ! Aucune réponse ne lui vient, il reprend donc le fil de son travail et imprime plusieurs clichés ne laissant aucun doute sur les personnages et leur activité, ravi que son imprimante fonctionne plus vite que Torrès. Dossier terminé, sauvegarde de la vidéo sur clé USB.
Ce soir-là, Oscar Teunoir a beau se convaincre d’avoir mené à bien une enquête difficile, il ne trouve pas le sommeil. Il tourne et retourne dans son lit, finit par se lever et s’enquiller un grand whisky, le sommeil lui échappe. Il ne parvient pas à se faire à l’idée que son rapport va gâcher la vie de cette femme superbe. Il rallume l’ordinateur et se repasse les images où elle est seule, essayant de reprendre cette pose difficile. Finesse et longueur de ses membres, ovale du bassin, parfaite tenue d’une poitrine bien développée sans être excessive, peau sans défaut, visage étourdissant de beauté, grâce, classe, élégance… un must ! À force de l’épier quotidiennement pendant plus d’un mois, il se demande s’il n’a pas fini par en tomber amoureux. D’ailleurs, cette torsion des boyaux qu’il ressent à chaque fois que le Torrès lui saute dessus… Il lui aurait défoncé le portrait à ce bouc argentin. Petit à petit, insensiblement, une idée germe. Pourquoi ne pas dire au mari qu’il n’a rien trouvé ? Mais l’autre est capable de changer de privé, qui ne manquera pas à son tour de tomber sur le pot aux roses. C’est elle qu’il faut prévenir, d’abord et avant tout. De vive voix et en privé, parce qu’il est tellement facile de piéger un téléphone… Comment entrer discrètement en contact avec elle ? Bon sang, mais c’est bien sûr ! On ne pense jamais assez au petit personnel. La petite bonne, roulée comme elle est, en plus ce ne sera pas désagréable. Oscar se prépare. Nouvelle combinaison de travail, grise et rouge cette fois, nouveau badge, nouvelle valise d’outillage pour frapper à la porte du troisième.
Elle pilote le faux chercheur de mérules partout dans l’appartement. Oscar s’est muni d’une boîte d’épingles qu’il enfonce dans les murs de temps en temps, connectant les têtes à un ohmmètre. À la moindre présence d’humidité, le compteur fait défiler ses chiffres, surtout en milliohms. L’important est que la fille soit impressionnée, et elle l’est. Accroupi ou à quatre pattes, il a tout loisir de lui mater les cannes, du charnu bien fuselé à la peau d’albâtre, pétrissable à souhait. Il se fait prendre à plusieurs reprises en flagrant délit, mais au lieu de protester la cocotte semble se prêter au jeu avec un léger feu aux joues. Cette petite est privée de bilboquet, c’est manifeste, et la température de sa chaudière est en train de grimper en flèche. Quand il se couche à plat dos sous l’évier, la tête dans le placard, et qu’il lui demande d’ouvrir le robinet pour vérifier s’il n’y a pas de fuite, elle doit l’enjamber, attendant qu’il lui demande d’arrêter, lui offrant une vue directe sur son fond de culotte que la lampe frontale éclaire a giorno.
Elle se baisse à demi, éclate de rire, le traite de tous les noms d’oiseaux en continuant de ricaner, et puis finit par s’accroupir complètement sur lui et murmurant boudeuse :
La jolie Marina, Marinette de son prénom, mais Madame préfère Marina, se fait décaper à trois reprises le triangle des Bermudes dans ses moindres recoins, avec injections curatives et préventives. Elle en est ravie, il en est épuisé. Il accepte un grand café serré pour retrouver dans ses guibolles flageolantes l’énergie pour se traîner jusqu’à sa guimbarde. Avant de se quitter, elle lui demande :
Il ne faut pas plus de quarante-huit heures pour que Marina/nette se manifeste. Rendez-vous avec Madame ce jour à quatorze heures. Tiens, la belle a changé son emploi du temps ? Oscar revêt de nouveau sa combinaison de traqueur de mérules, met le dossier compromettant dans sa valise d’outillage et se présente à la porte de l’immeuble. Le grand échalas de concierge le regarde avec un œil plus soupçonneux que jamais et Marina l’accueille avec enthousiasme. Elle le conduit à la double-porte de ses employeurs, digicode, contrôle vocal et carte magnétique. La Banque de France n’a pas mieux que cette lourde à double blindage et serrure multipoints. Elle le fait entrer dans un grand salon où il poireaute cinq minutes, admirant un luxe inouï avec çà et là un Dufy, une danseuse de Degas et un grand Buffet au-dessus d’un buffet, normal. Rien que ces croûtes, il y en a pour des dizaines de briques. La belle Hortense fait son entrée suivie comme un toutou par Marina. Oscar va pour tendre une main, mais doit se la garder pour se gratter le cul.
Elle feuillette le dossier en pâlissant, puis range son flingue. Ouf ! Elle se lève et fait quelques pas vers la fenêtre.
Oscar est sous le charme, regardant s’éloigner cette paire de fesses à l’ovale parfait, à la démarche parfaite. Ému par ces deux grosses larmes qui coulaient tout à l’heure sur ses joues… Quel charme, quelle femme ! Elle revient avec les mains chargées de deux gros paquets de billets qu’elle dépose sur la table. Une vraie fortune !
Oscar remplit sa mallette à outils avec les biftons et rentre vite au bureau. Douche soignée, costard acheté pour le mariage de sa sœur, attaché-case avec cent dix mille boules, direction la galerie. L’imprimante argentine est là.
Oscat emmène le gus jusqu’au petit comptoir d’accueil. Bien sûr, le matériel repéré n’est plus sur le bureau, il ne doit pas être loin. Deuxième tiroir, le miroir, la paille et deux petits sachets. Il en déchire un et la poudre s’échappe façon boule à neige. L’autre panique à mort, mais le privé le cramponne par le catogan.
L’Argentin file comme il baise, comme un lapin. L’instant suivant il est là avec la toile et le reflex numérique. Teunoir sort la mémoire flash de l’appareil qu’il fourre dans sa poche. Puis il sort de sa mallette cinq liasses de billets.
Une heure après, à cause des embouteillages du soir, Oscar se présente à la porte de l’immeuble les bras chargés de paquets. Félicien vient lui ouvrir la porte d’entrée puis celle de l’ascenseur en précisant de sa voix traînante.
Marina-nette vient lui ouvrir en le gratifiant d’un petit clin d’œil.
Eh bien non, ce ne sont pas des toasts au foie gras avec le Dom Pérignon, mais des canapés de caviar. Pas mal non plus !
Oscar Teunoir avait entretenu le secret espoir de tenir Hortense dans ses bras, mais il repart en se la mettant derrière l’oreille. Il n’a pas osé, quand elle lui a demandé son prix, lui répondre simplement « un baiser ». Bah, cette trop riche héritière n’est pas pour lui, petit flic raté, et puis les histoires de cul ne lui ont jusqu’alors rapporté que des ennuis. Il se consolera avec Mélanie et surtout Marina-nette qui a l’air de bien apprécier ses coups de queue. Si toutefois il la revoit. Il bigophone à ses potes pour se rencarder sur les formations de porte-flingue. Avec son passé de flic, il faut compter un mois, paraît-il de « bagne » : tir, muscu, close-combat, jiu-jitsu, pilotage, repérage, protection physique, extraction de personnes et tout le bataclan. Un enfer promis, avec en plus des cours d’habillement, d’attitudes, de comportements, de paroles. Tenir sa place, toute sa place, mais juste sa place, c’est-à-dire être l’ombre de la personne à protéger. Pas folichon en soi. Tout dépend de la personne, dit le collègue, si elle coopère ou si elle considère que tu la fais chier. Dans tous les cas, se dit Oscar, c’est Hortense qui le demande, et au pire ce sera un atout supplémentaire pour son boulot. Alors banco.
Mais dans un premier temps, il faut assurer la survie de son entreprise. Mélanie se débrouille bien et, avec ses recherches en hérédité, assure un petit fonds de commerce qui gonfle au fil de ses réussites. Il lui fait donc une délégation de signature en bonne et due forme, dont elle le remercie très chaleureusement en se faisant pilonner deux heures durant. De quoi se dégager les neurones pour recevoir de Montsac.
Le mec sort en sueur et en rage, la queue basse et les oreilles entre les jambes. Bon vent ! Le privé se saisit de son portable :
Oh putain, le stage ! Quand on vient de passer six semaines à glander dans une tire, ça fait vachement drôle. Lever six heures, douche, p’tit déj’, puis jogging de « décrassage », juste dix bornes. Ensuite cours, deux heures, puis tir. Déjeuner copieux puis muscu en salle, close-combat ou jiu-jitsu, pilotage et techniques de protection. Quand on croit que c’est fini, surprise ! Des fois, c’est exercice de nuit jusque vers minuit et on remet ça à six heures. Ceux qui disaient « le bagne » n’avaient pas tort. Oscar perd cinq kilos dans le mois, mais en sort avec une forme et une assurance insoupçonnées. Il fonce chez le tailleur pour faire ajuster les costards qu’il a commandés avant la formation. Il se met au jus des dernières nouvelles concernant la famille de Montsac. Hans est mort et enterré, sa veuve fait la une de Gali et Voiça, « la très belle héritière du groupe MCC ». Le nouveau garde du corps prévient Hortense de son arrivée par le biais de Marina, c’est comme ça qu’il devra l’appeler dorénavant.
Hortense n’a pas souhaité changer de logement ni de personnel, à l’exception de l’arrivée de Teunoir, seul son mode de vie est modifié. Considérablement. Dix heures de travail par jour, sorties fréquentes, repas d’affaires, négociations, réceptions, tout ce que ne faisait pas son mari qui n’avait que la direction technique du groupe. C’est son père qui restait aux commandes malgré ses soixante-quinze balais. Mais le décès de son fils l’a bouleversé et il s’est empressé de refiler l’intégralité de la patate chaude à sa belle-fille. Une belle manœuvre financière également, puisque l’action du groupe a pris quelques pourcents rien que par l’arrivée de ce sang neuf.
La secrétaire fournit à Teunoir toutes les cartes et codes nécessaires pour aller et venir dans l’immeuble, Marina lui fait visiter les parties qu’il ignorait, toute frétillante d’avoir son amant sous la main, et lui indique sa chambre, à l’étage de ce duplex colossal de six cents mètres-carrés, dans la suite de Madame. Il peut aussi rentrer au garage sa nouvelle petite Audi A1, il avait le choix entre celle-ci avec 90 000 bornes et une 208 avec 40 000, et il peut installer sa nouvelle garde-robe dans les armoires. Plongée dans le luxe pour le petit flic, pas désagréable a priori.
Il aperçoit sa patronne pendue au téléphone qui ne peut lui faire qu’un petit signe de la main, et il déjeune avec tout le personnel dans l’immense cuisine où règne le chef. Il fait ami-ami avec tout le monde, et notamment avec Georges, le chauffeur. En effet, en cas d’urgence s’il est amené à prendre le volant, il veut tester les réactions de la grosse limousine blindée de quatre tonnes, rien à voir avec la BM d’une tonne deux sur laquelle il vient de s’entraîner. Ils vont ensemble sur la piste d’essai, et il doit reconnaître que le V8 double turbo de six cents chevaux donne à ce monstre une pêche de voiture de sport. La seule chose dont il faut se méfier, c’est l’inertie liée à son poids, en virages comme au freinage. Il suffit de s’y habituer.
En rentrant, tout le monde quitte plus ou moins le boulot. Les bureaux des étages inférieurs se sont vidés, quelques-uns dînent en cuisine, mais Oscar reçoit une demande d’Hortense de bien vouloir l’attendre jusque vers vingt-deux heures pour une collation avec elle. Il monte dans sa chambre et allume la télé. Le choix entre quatre cents chaînes et tous les abonnements et services possibles. Vers vingt et une heures trente, il entend quelques bruits de portes à son niveau, mais perceptibles seulement en tendant l’oreille. Un moment plus tard, on frappe à son huis. Juste le temps d’enfiler son veston.
Que faire dans ces cas-là, avec une gaule comme ça ? C’est vrai, dîner à deux pas des lits, en petit peignoir qui bâille comme une carpe affamée, avec un corps de rêve qu’il connaît déjà, c’est un supplice. Un petit texto à Marina, il n’y a que deux étages à descendre… pas de réponse, elle dort déjà. Alors douche-dodo.
Villacoublay, 2 heures du matin
Le Falcon 6X se pose sur la piste et roule jusqu’au tarmac. Une passerelle se positionne, la porte s’ouvre et Oscar Teunoir apparaît, jetant un coup d’œil circulaire. Il reste seul devant la porte, le temps que la grosse limousine noire vienne stationner au ras des marches. Il s’avance et la longue et fine silhouette d’Hortense de Montsac le suit comme son ombre.
Avenue Moche, 2 heures 45
Oscar a trouvé de quoi se faire un petit en-cas. Saucisson sec, baguette, kil de rouge.
Comment se sent-on quand on trouve le Saint-Graal, la Toison d’or, le vaccin contre la connerie, ou qu’on est le premier à poser le pied au sommet de l’Everest ou sur la Lune ? Eh bien, c’est exactement ce que ressent Oscar Teunoir quand il accède au lit king size d’Hortense de Montsac. Intimidé dans un premier temps, car il n’arrive pas à croire que cette si belle et si riche femme peut lui être offerte, il se contente de caresses d’une infinie douceur n’épargnant pas la moindre parcelle de ce corps somptueux. Tant et si bien que la dame part dans les étoiles trois fois avant même qu’il ne la pénètre, notamment lorsqu’elle perçoit que la langue d’Oscar fouille profondément son entrée des artistes tandis que ses doigts prennent en pince son clitoris. Non, pas comme on cueille une pâquerette, index et majeur dans son vagin et pouce sur le bouton rose. Aussi, lorsque le garde du corps est gavé des sucs de sa patronne gorgés d’hormones, c’est une érection de niveau olympique qu’il présente à son vestibule. Les positions non répertoriées dans le Kamasutra, ils les inventent, normal en trois heures de joutes amoureuses. Le petit matin les trouve hébétés d’épuisement et de bonheur.