n° 21343 | Fiche technique | 129904 caractères | 129904 21881 Temps de lecture estimé : 88 mn |
13/12/22 |
Présentation: Ah oui, c’est long. Mais plus c’est long... | ||||
Résumé: Un voyage dans l’espace qui se transforme en voyage dans l’espace-temps. | ||||
Critères: #aventure #sciencefiction #rencontre fh amour pénétratio | ||||
Auteur : Roy Suffer Envoi mini-message |
Rien qui ne me fait plus râler que ça, cette horrible sonnerie qui me torture les oreilles pour m’obliger à aller en cours. J’ai dû trop picoler hier soir, j’me sens vaseux : pâteux et tout frissonnant. Je tends la main pour mettre une claque à l’odieux engin qui ne respecte pas ma gueule de bois. Bang ! Aïe ! Ma main a tapé contre un truc. Au moment où j’ouvre les yeux pour constater la douce lumière qui croît progressivement, je vois le couvercle de plexiglas qui me recouvre s’ouvrir progressivement et je sens mon lit qui bascule lentement vers la verticale.
Ça y est, j’y suis… Plus dans ma chambre d’étudiant, mais dans ma couche de capitaine, et l’ordinateur de bord m’a sorti de l’hibernation. Il y a donc soixante-douze années terrestres que nous sommes partis et voguons dans l’espace à fond les manettes, genre 150 000 km/seconde… Oui, vous lisez bien, 150 000 kilomètres en une seconde et ce pendant soixante-douze ans ! On a fait du chemin, c’est peu de le dire. Belle invention que ce moteur électromagnétique qui nous fait flirter avec la moitié de la vitesse de la lumière. Si ça se trouve, on l’atteindra sous peu, ou même, c’est déjà fait depuis soixante-douze ans, et il y a des copains qui nous ont dépassés et qui sont peut-être déjà revenus. Va savoir. Peu importe, nous devons accomplir notre mission. C’est quasi militaire à la WSA (World Spatial Agency). Il a fallu attendre 2040 et cette fameuse invention du moteur électromagnétique, très coûteux à développer, pour qu’enfin tout le monde se mette d’accord pour partager les moyens, les progrès et les succès, s’il y en a. Et nous voilà neuf, issus de pays différents, embarqués dans le même vaisseau pour aller visiter une exoplanète, l’une de celles potentiellement capables d’abriter la vie, ou du moins des conditions favorables à son développement.
Étonnamment, j’ai été désigné comme capitaine de l’expédition, moi le Français, pour deux raisons : d’abord, le meilleur site de lancement, le plus proche de l’équateur, est français, en Guyane. Ensuite, c’est moi qui me suis le mieux démerdé au stage de survie. Mon père avait été scout dans son enfance, moi pas, parce que c’était devenu une association de jeunes cathos qui passaient leurs dimanches à sortir les vieux. C’est gentil, mais rien à voir avec le maniement de l’Opinel, les brêlages, les cabanes, les ponts de singes, les courses d’orientation et les raids survie. Alors, mon père, pour lutter contre mon penchant naturel pour les écrans, m’a fait chier toute mon enfance et tous les week-ends : partir les mains dans les poches avec juste un couteau, construire un abri, faire du feu sans rien, trouver à manger, fabriquer arc et flèches, pièges, canne à pêche, que sais-je encore. On quittait la maison en VTT le samedi matin, au grand désespoir de ma mère, et on ne rentrait que le dimanche soir, crottés à souhait. Mais il était fier de moi et ça, ça n’a pas de prix. Même étudiant, il nous arrivait encore de partir tous les deux en stop, avec un sac à dos chargé du minimum vital, et de visiter deux ou trois pays, sans pognon, juste en se débrouillant. Et si on ne sortait pas, alors c’était peinture, maçonnerie, menuiserie, soudure, plomberie, carrelage, etc. Tout dans la maison était prétexte à une nouvelle activité. Là, ma mère ne se plaignait pas, sa baraque était au top du top. Elle en profitait même pour m’apprendre à cuisiner, au moins l’essentiel. Et par-dessus le marché, lorsque j’allais goûter un repos qui me semblait mérité chez mes grands-parents, c’est mon grand-père qui en rajoutait une couche avec le jardinage :
Alors je donnais un coup de main, et en échange, en plus des admiratifs « c’est beau d’être jeune », il m’emmenait en promenade dans la campagne, m’apprenant à reconnaître les plantes, les champignons, les traces des animaux selon les saisons, les chants d’oiseaux. Du coup, la WSA a hérité non seulement d’un ingénieur surdiplômé, d’un compétiteur acharné au triathlon, mais d’un touche-à-tout qui n’appelait pas les équipes de dépannage pour un oui ou pour un non. Lorsque le stage de survie s’est présenté, je me suis frotté les mimines quand d’autres angoissaient. Nous avions à disposition une table complète de matériels et d’équipements divers, des provisions même : ça allait de la mini-tente au réchaud, en passant par les conserves et le duvet, les casseroles gigognes, les jumelles, les lampes, on se serait cru au « Vieux Campeur ». J’ai pris le plus petit des trois sacs à dos proposés, un couteau, une carte, une boussole, un quart métallique, une pelote de ficelle, une bobine de fil et un briquet. Premier sur le terrain, le moins chargé donc le plus rapide, de bonnes chaussures légères et des guêtres, bien plus pratiques et saines que des bottes, des vêtements de toile de coton et un chapeau. Si, j’ai pris aussi une sucette que je me suis mis immédiatement à sucer et ciao la compagnie. En apercevant les autres essayer de loger encore une boîte de cassoulet ou un paquet de biscuits dans leurs grands sacs déjà trop pleins, je me remémorai cette phrase de Lanza Del Vasto que mon père citait toujours :
« C’est au poids du sac sur le dos que l’on connaît le poids des choses inutiles. »
Nous avions sept jours pour parcourir trois cents bornes, d’abord dans une jungle épaisse parsemée de marigots et de cours d’eau, puis franchir une belle petite montagne bien abrupte débouchant sur une portion désertique. Bien joué, les G.O. ! De quoi en faire craquer plus d’un, et d’une, puisque le groupe était mixte. Vingt-trois au départ, les neuf premiers seraient retenus. Mais les largués devraient attendre que la semaine soit écoulée avant qu’on ne lance des recherches. Tout le monde était prévenu. On a eu quand même deux fractures, un début de gangrène, et une fille en réa suite à une déshydratation. J’ai mis près de vingt heures dans la vue du second, j’étais douché (longuement), rasé, restauré et reposé quand il est arrivé, ça l’a achevé ! Merci papa, papy et compagnie…
Je ne sais pas pourquoi tout ça me revient maintenant, peut-être pour me prouver que soixante-douze ans d’hibernation n’ont pas endommagé ma mémoire et que je mérite d’être réveillé le premier à l’approche d’Aknor. Car c’est la proximité de cette planète qui a déclenché le processus de réveil, l’arrivée sur l’objectif. Avant de réveiller les autres, je vais faire un tour au poste de pilotage, sans trop de difficulté parce que la gravité artificielle a été réactivée aussi. Je rallume tout le bazar, les écrans, les caméras d’approche, les radars… Je monte un peu la température, parce que celle de mon corps est encore un peu basse, autour de 35°. Il va falloir me réalimenter rapidement, mais en douceur, parce que tout ça n’a plus fonctionné depuis soixante-douze ans. Et puis faire un peu d’exercice pour remettre la machine en route, je me sens faiblard comme après une forte grippe. J’ouvre les boucliers de protection, oui, c’est bien le soleil d’Aknor qui chauffe une moitié de la carlingue. Ce qui rend un peu vaseux également, c’est que notre vaisseau sort de l’ultra-vitesse pour ralentir et se stabiliser sur une orbite proche d’Aknor. Je réveillerai les autres quand nous y serons. En attendant que le pilote automatique ait fait son boulot, je vais jusqu’à la cuisine. Pas de quoi faire des folies, tous les aliments sont déshydratés, mis en conserves ensuite et congelés enfin, histoire de les conserver sept décennies. Et puis le régime de sortie d’hibernation n’est pas fameux, genre petits pots pour bébés, le goût en moins. Beurk ! Trois jours à ne bouffer que ça, de plus en plus dense. Le jambon beurre, c’est pour plus tard, dans soixante-douze autres années peut-être. En revanche, boire tiède et sucré semble me faire le plus grand bien, et dissiper un peu cette sensation de gueule de bois. Je me prends aussi une douche tant que je suis seul, ce qui est rare. Ce n’est pas que je sois pudique, je suis habitué aux conditions de vie dans le vaisseau et nous nous connaissons tous très bien, mais un peu d’intimité n’est pas désagréable. Surtout que nos deux douches, jets et aspiration, se trouvent dans la partie « soins du corps » du vaisseau, avec toutes les machines de musculation et d’exercice. J’ai dû maigrir un peu, mais pas tant que ça. Et puis je pète, et ça, c’est très bon, si si, c’est dit dans le manuel : signe que le tube digestif se remplit progressivement et reprend ses fonctions. Allez, maintenant, debout tout le monde !
Je déclenche le réveil général qui va sortir en quelques dizaines de minutes tous mes compagnons de vol de leur torpeur artificielle. Par souci d’égalité et de proportionnalité au vu de la contribution au projet, il y a là un couple américain, un couple russe, deux Chinois, une Allemande et une Japonaise. Tous des cadors dans leur domaine : géographe, ethnologue, botaniste, linguiste, toubib, biologiste, et puis deux techniciens capables de réparer à peu près n’importe quoi dans le vaisseau. Moi je suis le seul un peu polyvalent, même si nous sommes tous pilotes de haut niveau, on me demande surtout de prendre les décisions et de veiller à la sécurité de l’équipage. Qui émerge lentement. Bonjour les amis ! Tous sont également un peu dans le coltar avec cette sensation de gueule de bois, il y en a même une qui vomit un peu… quoi ? On se demande.
Le vaisseau est en orbite et suit tranquillement Aknor à bonne distance, on ne sait jamais. J’envoie le premier Explorer faire une reconnaissance. C’est un petit module qui va se satelliser autour de la planète en tournant très vite, et qui va peu à peu la cartographier et faire des repérages dans les différents spectres, visibles et invisibles. Pendant que l’électronique bosse, nous essayons de récupérer la forme. Toutes ne l’ont pas perdue. Passant beaucoup de temps à la gym, ça me donne l’occasion d’observer tranquillement mes compagnes de vol sous la douche. On ne les a pas choisies pour ça, mais elles pourraient toutes participer à un concours de Miss, si ça existe encore. Niroko a une silhouette très nipponne : jambes courtes, peu de fesses, des seins menus, mais très fermes, peau d’ivoire absolument parfaite, et toison noire très développée. Si elle ne colle pas aux canons occidentaux de la beauté, elle a cependant un charme fou et cette réserve pudique qui lui fait baisser les yeux quand elle constate que je la mate à pleines rétines. Ça me permet de constater que certaines fonctions vitales sont parfaitement restaurées, je bande comme un taureau dans mon uniforme, un deux-pièces pantalon/sweat-shirt très ajusté pour ne pas risquer de s’accrocher dans les zones d’apesanteur. Alors évidemment, la belle Asiatique sort de son cube une fois séchée et s’avance vers moi dans le plus simple appareil. Tonnerre, quelle démarche féline !
Je découvrirais volontiers tous les secrets de l’Orient avec Niroko. Manque de chance, ce sont les deux Chinois qui prennent sa suite, je vais au poste de pilotage.
L’Explorer a balayé les trois quarts de la surface d’Aknor, et les puissants ordinateurs du bord commencent à sortir des images assez intéressantes, dans le spectre visible d’abord. Cette planète a une allure très semblable à la Terre, avec des continents et des océans, bien qu’étant environ un tiers plus petite. À première vue, et à moins d’une surprise dans la zone encore inconnue, elle comporterait essentiellement deux continents principaux, l’un très massif malgré des côtes très découpées, l’autre un peu plus petit et plus désertique, car plus montagneux. Mais il faut encore attendre la fin du balayage pour avoir des images en 3D. Manifestement, le choix de la WSA était bon, parce qu’il y a effectivement de la vie, au moins végétale, sur cette planète. Après l’imagerie, l’explorateur procédera aux analyses de l’atmosphère, de la température, de la composition des océans et des continents. En continuant de tourner autour, il nous fera aussi une cartographie nocturne pour repérer d’éventuelles lumières. Tout le monde est très excité, car, avec ou sans scaphandres, nous allons presque à coup sûr aller nous y poser et faire notre boulot d’explorateurs, de découvreurs de Nouveaux Mondes. Dans les heures qui suivent, les informations tombent presque chaque minute. Oui, il y a une atmosphère respirable, un peu moins dense que la nôtre à cause de la taille inférieure de la planète, mais plus chargée en oxygène, près de 30 %, le reste étant essentiellement du… néon. Ce gaz, rare chez nous et dont on faisait de l’éclairage, est non toxique et totalement inerte. Oui, les océans sont bien composés d’eau contenant une grande quantité de sel de bore, du borax dilué, pas dangereux, mais ça doit chasser les puces. Oui, une végétation parfois luxuriante est présente, avec des espèces différentes de celles de la Terre cependant. Et enfin, OUI, les images infrarouges montrent bel et bien des points chauds, correspondant à des êtres vertébrés à sang chaud, donc une forme de vie animale évoluée. Pas de radioactivité, mais également pas de magnétisme, ce qui exclut un noyau ferreux comme la Terre, et par conséquent, l’utilisation d’une boussole. Les choses semblent donc se présenter à peu près bien. Je dis à peu près, parce que qui sait comment les différences avec notre planète seront acceptable pour des terriens. Jusque-là, nous n’avons pas encore de vues précises de la faune, voire des habitants éventuels. Allons-nous tomber sur des dinosaures ou des petits hommes verts ? Il vaudrait mieux le savoir avant, pas question de prendre des risques inconsidérés. Je décide d’envoyer Explorer II, un engin particulier un peu gourmand en énergie. Il peut se mettre en orbite géostationnaire suffisamment bas pour prendre des vues au sol haute définition. De plus, il est capable de déposer des petits modules munis de sondes et de caméras, et il joue le rôle de relais. C’est moi qui le piloterai depuis le vaisseau, la transmission sert également à lui transférer de l’énergie, nouvelle technologie des années 40. Il est vrai que le XXIe siècle avait bien commencé avec les lampes à LED, et « faire plus avec moins » est devenu la philosophie dominante de la recherche et de l’industrie. Il était temps !
En attendant que tout se mette en place et que les infos nous reviennent en suffisance, comme nous sommes maintenant tous remis de notre longue hibernation, nous nous offrons un petit repas de fête pour célébrer la réussite de la première phase de notre exploration. Nous envoyons plein de données vers la Terre, mais il leur faudra plus de trente-cinq ans pour arriver… ! Inutile d’attendre une réponse. Coupe de champagne et dinde rôtie aux marrons, des trucs vieux de soixante-douze ans qui ont malgré tout vaguement le goût et l’aspect des originaux. En tout cas, c’est pas plus dégueulasse maintenant qu’au lendemain de notre départ, nous ne sommes pas surpris par cette bouffe dénaturée. J’en profite pour taquiner un peu la Japonaise, espérant qu’elle a recouvré tous ses moyens. Mais elle reste impassible, yeux baissés et sourire énigmatique. Ah, l’imperturbable caractère asiatique ! Je crois malgré tout avoir provoqué une réaction lorsque, après l’extinction des feux, on vient frapper à mon huis. C’est une belle expression pour désigner la trappe qui sert d’entrée à nos cabines, des cylindres entourés de placards dans lesquels nous rangeons nos petits foutoirs personnels et où nous dormons sanglés, car situés dans une partie sans pesanteur artificielle. Il faut simplement éviter d’aller dormir juste après un repas, reflux assurés. Je suis déjà à poil et en train de me distraire avec l’un des rares bouquins du bord, hormis les notices techniques emportées sous différentes formes, numérique et papier bible. Mon palpitant s’accélère un peu quand j’ouvre. Puis-je dire : déception ? Pas vraiment. Ce n’est pas la Japonaise, mais l’Allemande, elle aussi nue comme un ver, qui vient me demander un coup de main. Elle a un peu forcé sur la musculation et s’est chopé une petite tendinite à la cuisse et…
Faute de petite Japonaise, va pour la grande Teutonne et ses tétons étonnants. C’est fou comme l’apesanteur va bien à certaines femmes. Elle se glisse dans ma cabine et défile devant mon nez, des pieds à la tête, et au passage ses deux obus ont failli m’arracher le pif. Vache, je savais que c’était un bel animal, mais pas à ce point-là ! Presque aussi grande que moi, baraquée et musclée à souhait sur une charpente longue et très féminine, avec tout ce qu’il faut là où il faut. Blonde de partout aux yeux bleus, en d’autres temps, elle eut été le prototype de la race pure. Ben oui, mais là on est nez à nez et son problème est à la cuisse. Je referme la trappe et je me laisse glisser d’une impulsion jusqu’à la hauteur de sa moustache du bas. Elle me file un tube d’onguent, elle se cale contre mes placards et j’opère. La peau est douce, tendre et chaude, à chaque fois que ma main remonte sur les muscles de la cuisse douloureuse, je heurte doucement sa vulve charnue. En deux temps trois mouvements, le dessus de ma main est tout mouillé. Je comprends bien que la belle germaine n’est pas venue que pour se faire masser, d’ailleurs il y a un toubib pour cela. Je laisse donc ma main traîner sur son entrecuisse, tandis que l’autre masse moins fermement puis virevolte en caresses, déclenchant une belle horripilation de la chair de cette poule prussienne. Quelques instants plus tard, nous échangeons nos salives, flottant, tendrement enlacés. Faire l’amour en apesanteur a ses avantages et ses inconvénients. L’avantage, c’est qu’il n’y a pas de limite ni de fatigue pour pratiquer les figures les plus acrobatiques. L’inconvénient, c’est qu’il faut des points d’appui pour s’arrimer et ne pas déjanter au mauvais moment : un jet de sperme en liberté dans cet espace relativement étroit pourrait se poser n’importe où, ou pire, être respiré. Après un fantastique 69 d’anthologie, je termine attelé à la croupe de l’Allemande elle-même arc-boutée des pieds et des mains dans mes placards. C’est drôle, c’est bon, ça fait un bien fou au corps comme à la tête. Et puis nous savons l’un et l’autre que ce n’est pas une grande histoire d’amour qui débute. Elle m’avait vu prendre un râteau avec la petite Nipponne, comme ses hormones la travaillaient, elle s’est dit que c’était le bon moment pour nous apaiser tous les deux. Danke schön, Helena ! Je plaisante en lui disant :
Nous nous quittons en rigolant pour nos six heures de repos obligatoires et nécessaires. À ce point du récit, je dois apporter quelques précisions indispensables. Les femmes de l’équipage ne sont pas épilées. D’abord parce que ça présente peu d’intérêt, sinon éventuellement hygiénique, mais surtout parce que le rasage est un des problèmes majeurs de la vie dans l’espace. En apesanteur, un petit poil coupé est un déchet qui risque de se promener partout, d’atterrir dans un œil ou d’être inhalé. Le rasage électrique a été testé avec des rasoirs aspirants qui récupèrent 99 % des poils coupés. Insuffisant, le 1 % restant présente un réel danger. Le mieux est donc le rasage mécanique avec de la mousse et une lame, mais c’est aussi consommer de l’eau, la denrée la plus rare, au point que nos urines ou même la vapeur de nos respirations et de nos sueurs sont recyclées. Alors nous nous rasons la barbe une fois par semaine en essuyant la lame avec des lingettes. Nous avions tous le choix avant le départ de supprimer cette contrainte par une épilation définitive au laser, mais les coqs ont préféré conserver leurs crêtes et les poules leurs buissons. Ensuite, nous avons conservé un rythme de vie terrestre, en attendant de nous adapter éventuellement à celui d’Aknor, à savoir huit heures de repos, dont au moins six heures de sommeil, huit heures de travail, et huit heures de soins du corps, comprenant les repas, la toilette, l’indispensable entretien physique d’au moins quatre heures et l’entretien mental personnel ou collectif, jeux de société (échecs par exemple), méditation, yoga, lecture, etc. Nous avons adopté tous le même rythme, autant par convivialité que par souci d’économiser l’énergie du bord ; en effet, quand tout le monde dort, la pesanteur artificielle est coupée, comme la climatisation et l’éclairage des locaux autres que nos cabines. Mais dans cette période d’approche de l’objectif, avec des robots Explorer envoyés, une veille permanente est assurée à tour de rôle dans le poste de pilotage.
Je prends mon tour après la période de repos, l’esprit et le cœur léger de l’homme dont les testicules sont bien essorés. La totalité des clichés de la surface d’Aknor est maintenant arrivée, assemblée, traitée aussi bien en 3D qu’en infrarouge et tutti quanti. Une belle planète bien ronde avec une majorité d’océans, deux calottes glaciaires assez restreintes et principalement deux continents et quelques îles. Les vues diurnes ne permettent pas vraiment de repérer d’activité de type humaine, à peine si ici ou là on pourrait avoir quelques doutes. En infrarouge cependant, on détecte des concentrations importantes de points chauds sur l’un des continents et, en grossissant ces zones, les points chauds ne semblent pas organisés au hasard, mais bien par figures quasi géométriques. Il y aurait de la pensée là-dessous, ça ne ressemble pas au comportement de troupeaux d’animaux à sang chaud. Problème : en superposant avec les vues diurnes, on se trouve en pleine forêt. Rien de visible. Sur les vues nocturnes, ces traces d’activité sont encore plus marquées, avec clairement des taches lumineuses qui pourraient être des feux et qui, eux, se trouvent parfois en terrain découvert. On superpose les images de jour et de nuit, à l’emplacement des feux de nuit, il y a des traces noires de carbonisation le jour. Mais pas de traces de leurs auteurs. Ça devient compliqué, il faut aller voir.
Je décide d’envoyer un module au sol depuis Explorer II, près de l’une de ces traces repérées. J’en pilote la trajectoire en programmant les coordonnées relevées. Le largage se passe bien, la descente et l’entrée dans l’atmosphère aussi, l’atterrissage est parfait. Quelques minutes plus tard, le petit robot entre en action et nous recevons les premières images : un sol minéral un peu orangé, de sable et grès semble-t-il, avec la forêt dans le lointain, la tache noirâtre d’un reste de foyer est repérée et j’y dirige le robot, quand soudain les images balbutient, pixelisent, et puis plus rien, le noir. On se mobilise tous, on contrôle tous les paramètres, on cherche à voir le robot depuis l’Explorer, on le trouve, il semble fonctionner encore. Je le fais reculer à l’écart, inutile que des êtres le trouvent s’ils reviennent ce soir. Mais deux minutes plus tard, le robot ne répond plus et devient inerte à son tour. Bon, c’était possiblement un robot défectueux qui de surcroît a « dormi » soixante-douze piges, il n’a peut-être pas aimé. Ou alors, il a dérangé quelque chose qui lui a fichu un coup sur la tronche, détruisant la caméra, et l’a achevé ensuite parce qu’il bougeait encore. Nous analysons les images une par une, surtout les toutes dernières. Au premier plan, on voit nettement l’ombre du robot sur le sol, il a le soleil de trois quarts dans le dos. Si quelque chose l’avait frappé, on verrait donc son ombre sur quelques images avant la dernière. Ce n’est pas le cas. Reste l’hypothèse d’un tir, d’une arme de jet quelconque.
L’un des ingénieurs chinois n’est pas d’accord. Il dit que l’image Z, la dernière, est identique à l’image Y. Si le robot avait été touché par un impact, avant que la caméra soit morte, la dernière image aurait été décadrée, bousculée, floue. Lui opte donc pour la panne. Un autre émet alors l’hypothèse que ce soit l’antenne, une petite parabole, qui ait été touchée en premier, coupant ainsi le flux de la communication et de l’énergie transmise. Pas possible, puisque le robot a continué à se déplacer ensuite. On vérifie quand même en récupérant les données de contrôle de flux de l’Explorer, c’est non. Donc, c’est la panne qui est privilégiée. Il nous reste deux Explorers II dans le vaisseau, l’Américain et le Russe enfilent des scaphandres et sortent dans l’espace récupérer un module pour le tester à bord avant de le lancer. Au bout d’une heure de tests, l’engin fonctionne à la perfection, se balade dans tout le vaisseau et nous retourne des images parfaites. Nouvelle sortie pour le remettre en place avant lancement, il arrivera en situation « demain », ou plutôt après le prochain moment de repos. En attendant, les nouvelles images infrarouges envoyées par Explorer I sont comparées aux précédentes : il y a bien déplacement des points chauds selon des tracés bien précis, que nous commençons à dessiner et à cartographier. Il y a une « ville » là-dessous, ou du moins un gros village, en pleine forêt. Curieux. Les conversations vont bon train durant le repas et les autres activités. Tous ces points d’interrogation nous interpellent et les hypothèses les plus saugrenues sont évoquées. Moi j’essaye d’échanger avec Niroko, mais elle est vraiment imperméable à mes tentatives d’approche. Sa seule réponse se résume à :
Voui Madame ! Fin de conversation. Second râteau. Peut-être a-t-elle des attirances sexuelles d’une autre nature et devrai-je me consoler en faisant un autre tour de croupe teutonne ? Elle se marre comme une baleine avec l’américain et le russe, Helena, leur sortie dans l’espace a semblé l’impressionner. C’est comme si elle était partante pour être la tranche de jambon dans un petit sandwich coquin. Bon, eh bien dans ce cas, je vais aller marcher sur un tapis roulant et prendre une douche pour me calmer avant d’aller me suspendre dans mon cylindre. Chouette, la petite Japonaise se dirige également vers les cabines de douche. En conséquence, j’abandonne le tapis roulant pour la bicyclette, bien mieux positionnée pour mater les douches. Il faut comprendre que nous ne sommes pas à plat comme sur un pont de bateau, mais dans un anneau qui tourne autour de son centre, et c’est la force centrifuge qui crée la pesanteur artificielle. Alors en m’éloignant un peu des douches, le sol incurvé me donne une vision partielle de l’intérieur, par-dessus la cloison aspirante qui récupère l’eau. Elle est vraiment très japonaise, buste long et jambes courtes. C’est potentiellement cette morphologie différente qui me la rend si désirable. Et puis ces seins et cette peau, parfaits… Elle me sort presque de ma torpeur érectile :
Sur ce, elle me plante là avec mes regrets et ma bite sous le bras. Malgré nos mois d’entraînement, notre formation et toutes nos compétences d’astronautes, il reste des sensibilités et des traces lourdes de notre nature profonde et de notre éducation. Niroko est une femme fragile et sensible, blessée par mon comportement inconséquent et qui devient blessante à son tour. Peut-être que le temps… Qui vivra verra.
Bien sûr, elle n’est pas venue, et je me suis réveillé d’assez sale humeur. Et rien n’allait l’arranger. Le second Explorer II était arrivé sur site, et pour éviter toute éventuelle, bien que peu probable, collision, j’ai fait tomber le précédent dans l’océan. Quelques centaines de milliers de dollars, mais depuis le temps ils ont dû oublier. Je reprends en copie les paramètres du trajet du premier module et je le lance le second. Bon largage, bonne descente, bon atterrissage sur Aknor. Des images pendant une minute environ, puis plus rien. Le pilotage reste possible pendant environ deux minutes, puis rideau. Merde ! Shit ! Et celui-là, nous sommes certains qu’il fonctionnait impeccablement. Analyse des images : idem. Réunion débriefing, interrogation du superordinateur neuronal « Kissétou » du bord : « unknown shutdown », panne indéterminée. Vraiment une sale journée ! Nous décidons d’essayer de rapatrier Explorer II sans son module, histoire de l’analyser. C’est peut-être lui qui est à l’origine de la panne. Le problème qui se pose à moi, c’est que je ne peux pas décider d’une exploration humaine d’Aknor tant que nous n’avons pas une idée précise de ce qui s’y passe. De plus, les deux défaillances successives des modules envoyés n’augurent rien de bon. Pannes peut-être, mais pour quelle raison ? Destruction, possible, mais avec quelle arme ou quel moyen ? Nous ne sommes que neuf et pas neuf candidats au suicide. Et puis, la réussite de la mission passe par la survie, le retour ou, a minima, la transmission de données vers la Terre. Nous projetons, malgré la consommation d’énergie exigée, les images d’Explorer I en 3D, dans la plus grande définition possible.
On a l’impression d’y être, comme en ballon à deux ou trois cents mètres du sol. Ce qui est remarquable, c’est cette forêt dense sous laquelle il se passe des trucs. Ça bouge, ça circule, ça s’agite et, semble-t-il, de façon organisée. Mais pourquoi structurer une vie qui pourrait être sociale, complètement dissimulée sous la canopée ? Même les Indiens d’Amazonie s’installent plutôt dans des clairières. Quel danger menace la vie en dehors de la forêt ? Il ne semble pas qu’il y ait d’activité sur les côtes non plus, nous ne remarquons pas d’embarcations. En faisant acquérir le peu d’images fournies par nos deux modules HS et les images du premier Explorer à notre super calculateur, il finit par nous sortir nos deux séquences en 3D. Ce qu’il reconstitue est étonnant : apparemment, la forêt est composée d’une espèce inconnue d’arbres très hauts, environ quarante mètres, assez souples et dont les feuilles ressemblent plutôt à de grandes plaques de mousse bleu vert situées exclusivement au sommet.
Enfin un mot gentil, pensé-je au fond de moi. J’ai marqué un point. Mais serait-ce suffisant ? On verra ce soir… Nous décidons de tirer notre dernière cartouche, le troisième Explorer II, mais cette fois de l’envoyer dans la forêt, à quelque distance des concentrations de vie repérées. C’est parti pour vingt-quatre heures d’attente, le temps que le module arrive sur place. Nous en profitons pour définir les coordonnées précises de l’atterrissage et pour tester le fonctionnement du matériel, comme pour le second. Après cette bonne journée de travail, je vais faire mon exercice quotidien, espérant secrètement y retrouver la fille de l’empire du soleil levant. Juste à point pour voir défiler la Russe et l’Américaine dans les douches. Pas mal, l’une comme l’autre, assez balaises, mais un peu moins que la Teutonne. La Russe est forte du bas, larges hanches et fessier charnu, gros seins en gouttes assez tentants, les cheveux tressés en deux nattes enroulées en coques au niveau des oreilles. À l’opposé, l’Américaine est plutôt large d’épaules à forte poitrine et assez étroite de hanches avec de longues jambes et un petit cul rebondi. L’essentiel de son charme résidant dans sa tignasse rousse comme du cuivre et ses grands yeux verts. Ma foi, je me serais bien laissé câliner par ces deux belles plantes, en même temps si possible, mais il faut savoir ce que l’on veut et je me recentre sur Niroko. Elle vient enfin et se met à pédaler près de moi.
Purée, pas facile à manœuvrer cette fille. C’est toujours pas gagné. J’attends patiemment qu’elle termine son entraînement, faisant ainsi un peu de rab, et c’est ensemble que nous nous dirigeons vers les douches. Je nourris le secret espoir que nous la prenions ensemble… Raté ! C’est avec la queue sévèrement dressée que je me laisse asperger, et je finis par lui lancer par-dessus la cloison :
Et re-vlan ! Elle ne l’a vraiment pas digéré. Dire qu’elle était prête à s’offrir… Regrets ou remords, rien n’y fera, donc inutile de me prendre la tête avec ça, mais j’aurais préféré qu’elle me prenne la queue. Dodo, la bite sous le bras encore une fois.
Dernière tentative possible, et il faut réussir à poser ce module, c’est une condition sine qua non de la réussite de la mission. Sans cela, pas d’atterrissage pour nous non plus. Dans le poste de pilotage, la tension est à son comble. Malgré les roulements de tour de garde, tout le monde est présent, chacun veut voir et apporter sa contribution, conscient des enjeux. Je pilote le largage puis la descente du module avec un joystick rendu solidaire du bras de mon fauteuil. La forêt est visée, suffisamment éloignée des points supposés habités. À cinquante mètres de la cime des arbres, largage des éléments de la capsule de protection. Ce qui a pour effet de gonfler instantanément les ballons de protection qui entourent le module. Il touche les « feuilles », mais ne les traverse pas. Il rebondit, roule. Pétard, ces saloperies sont tellement rigides qu’elles l’empêchent de passer. Il roule et normalement dévale vers le point le plus bas, puis s’arrête. S’il reste au soleil, il est cuit ! Heureusement, le point le plus bas ajouté au poids du module provoque un décalage entre les feuilles. Les ballons se dégonflent et le libèrent.
Première image, il est à moitié à l’ombre, mais à moitié seulement. Je le fais avancer droit sur l’ombre. La caméra automatique se règle au bout d’un instant, le module semble bien passé entre deux de ces grosses feuilles, il regarde même en direction du sol : il doit être en bascule, prêt à tomber. Si ces foutus arbres font bien quarante mètres de haut, il a toutes les chances de se fracasser. Vite, j’actionne sa « main », une sorte de pince qui permet de prélever des échantillons même à une cinquantaine de mètres du module : un puissant ressort permet de la projeter et un câble de la commander et de la récupérer. J’ai visé la tige de l’une des feuilles, la pince s’y est agrippée. L’enroulement du treuil tire le module en équilibre précaire, il tombe. La pince résiste, mais le poids du module fait dérouler le câble. En donnant quelques coups de treuil, je parviens à freiner la chute. Il est vrai que la pesanteur est moindre sur Aknor que sur Terre, ce qui limite un peu les risques d’une descente trop rapide d’une part, d’un éventuel décrochement de la pince d’autre part. On est au bout du câble. Les images sont renversées et tournent, car le module fait comme tout objet au bout d’une ficelle, il tourne dans un sens puis dans l’autre. Certains analysent déjà les images, notamment celles des moments où le module ralentit sa rotation et s’arrête avant de repartir dans l’autre sens. Plusieurs constats : une étrange lueur bleuâtre éclaire ce sous-bois ; dans un premier temps, on met ça sur le compte d’une légère transparence de ces feuilles bizarres. Et puis le module est encore assez loin du sol, et ça, c’est ennuyeux. Les images ne permettent pas de le mesurer précisément. Un rapide calcul nous permet d’évaluer cette hauteur à moins de dix mètres : l’arbre fait donc moins de quarante mètres. De plus, le module d’environ soixante kilos sur Terre ne pèse plus que quarante kilos sur Aknor. Oui, mais dix mètres de chute sur un rocher, par exemple, et le module est endommagé.
Que faire ? Quel système embarqué pourrait nous tirer d’affaire ? Pour l’instant, j’attends que le bazar se stabilise un peu avant de prendre la décision qui pèse lourdement sur mes épaules. Au bout de quelques minutes, les mouvements de rotation sont très ralentis et plus courts. Je peux manœuvrer la caméra. En fait, le module est assez proche du tronc de l’arbre qui le soutient, environ un mètre. Et les images montrent nettement que la clarté du sous-bois provient de ces troncs. Encore plus bizarre ! La mesure de distance au sol est assurée par un télémètre qui indique sept mètres. C’est beaucoup, c’est trop risqué, d’autant que même en zoomant au maximum on n’arrive pas à identifier précisément la nature du sol. Il reste une petite chance : le module dispose d’une foreuse prévue pour faire des carottages du sol jusqu’à environ trois mètres de profondeur, par un système astucieux de tubes gigognes, un peu comme une antenne repliable. Si l’on parvenait à forer le tronc, ce serait un point d’appui pour l’appareil. Mais il s’agit d’un forage à l’horizontale sans le poids du module pour exercer une pression. Il faudrait que le bois soit tendre. On essaye, positionnement, tâtonnements, jusqu’au moment où l’extrémité de la foreuse se cale à peu près au milieu du tronc. Début de forage, rien. La caméra semble montrer que le tronc est mou et que la foreuse s’y enfonce sans le percer. Alors, pour pousser plus fort, j’allonge le tube télescopique de la foreuse au maximum. Du coup, le module a quitté la verticale et appuie un peu plus fort sur le tube. Vitesse maximale du trépan au tungstène. Et paf ! L’enveloppe molle du tronc cède. Ça fait une tache sombre sur le tronc, soudain moins lumineux à cet endroit. Notre bazar fait son boulot de robot explorateur, et des données affluent sur un autre écran : H2O… H2O… H2O ! Ce qui sort du tronc, c’est essentiellement de l’eau, avec quelques dizaines d’autres composants en faible quantité. On a percé une barrique !
Soudain, le trépan peine un peu plus et les données changent. On est en train de forer des chaînes carbonées dont le chimiste de l’équipage dit que ça ressemble à de la fibre de carbone. En somme, ces troncs ressemblent à des mâts de bateau en fibre de carbone avec un matelas de flotte autour. Au moins, la fibre de carbone va nous permettre d’arrimer le module. Au bout d’un long moment, plus de dix minutes, l’analyseur annonce à nouveau de l’eau, on a dû traverser. J’arrête le forage et commence à rentrer la foreuse télescopique, mais en laissant un mètre sorti. Est-ce que le tube va supporter quarante kilos sans plier ? On verra bien. Décrochage de la pince, ça tient. Embobinage du câble et choix d’une nouvelle cible. Le problème c’est que ces fichus arbres n’ont pas de branches basses. Mais ils se reproduisent et nous finissons par repérer un sujet jeune à une dizaine de mètres de là, ne mesurant guère plus d’une quinzaine de mètres de haut. Visée, tir, raté. J’ai droit à combien de tentatives ? La seconde est la bonne, une des branches est agrippée. Il ne faudrait pas maintenant qu’en se balançant le module aille se fracasser sur le tronc du petit arbre qui n’est pas lumineux, lui. Pas certain qu’il ait un matelas d’eau. Et puis dix mètres de câble pour descendre de seulement sept mètres, il va falloir que le treuil bobine fort et vite. Sinon crac. Ce truc n’est pas Tarzan, c’est sûr. Le bouton de rétractation de la foreuse dans une main, celui du treuil dans l’autre, je me lance mon compte à rebours mental, et hop ! Le module bouge un peu, penche puis commence à tomber dans le vide, mais le treuil le tire, le tire, pas tout à fait assez, premier choc, rebond, second choc. Il est au sol, j’arrête tout bien qu’il soit couché sur un côté. Mais ça, c’est prévu, et il suffit d’enclencher la rotation de deux petits disques avant et arrière qui sont chargés de le remettre en douceur sur ses huit roues. Libération de la pince, procédure de vérification générale, tout est OK. Il ne reste plus qu’à le piloter vers les points chauds, environ deux kilomètres, tout en analysant l’environnement.
C’est d’autant plus facile que l’on bénéficie de la lumière bleuâtre émise par les troncs des arbres. Le sol est jonché de feuilles mortes, comme dans toutes forêts, sauf que celles-ci font entre cinquante et quatre-vingts centimètres de diamètre et deux à trois d’épaisseur. Les plus récentes ont encore une couche de mousse à la surface, qui dessèche et se racornit en vieillissant. Les plus anciennes ressemblent un peu à des plateaux ou à des grands plats légèrement concaves, mais beaucoup sont abîmées, déchirées ou repliées, voire en partie grignotées par de nombreuses entailles arrondies aux bords déchiquetés. Elles constituent de vrais obstacles à la progression du module, car elles semblent très dures, un peu comme du bois. Autrement, le sol est constitué de minéraux, terre, cailloux, rochers affleurants. Très peu de végétation autre, certainement à cause du manque de soleil. Plusieurs vues vers le haut nous montrent que la canopée forme un écran de feuilles très efficace en plusieurs couches, pratiquement sans trous. Soudain, un animal vient s’intéresser au module, animal à sang-froid parce qu’il n’est pas repéré en thermique. Il ressemble effectivement à un gros lézard, avec des écailles, et un corps arrondi et important, un peu comme un tatou. Il présente une gueule pleine de dents fines qui cherchent à goûter à la caméra, mais sans réelle agressivité apparente. C’est plus de la curiosité. Une sorte de taser dont le robot est équipé le fait fuir à grande vitesse. Il faut plus de deux heures de pilotage pour approcher des zones intéressantes, plutôt situées en lisière de forêt et assez près de la côte. Je termine la progression avec prudence, d’arbre en arbre, un œil sur l’image en visio, l’autre sur l’infrarouge. Inutile de se faire repérer et d’attiser crainte ou curiosité, et notre bazar doit faire pas mal de bruit dans ce sous-bois.
Soudain, stop. Arrêt des moteurs, mode silence, une silhouette se découpe vaguement sur le fond phosphorescent des troncs, tout près. Les vieilles feuilles craquent sous ses pas. Zoom. Avec cette faible luminosité, impossible d’être en haute définition, l’image n’est pas très bonne. On distingue cependant bien un hominidé, proche de l’homo sapiens, se tenant debout sur ses postérieurs, plutôt petit et fin avec une démarche souple. Nos premiers commentaires sont que la plus faible attraction de la planète Aknor fait que les Aknoriens ont une masse musculaire moindre du fait de moindres efforts à produire pour lutter contre la pesanteur. Il pèserait environ 40 kg sur Terre, mais guère plus de 30 ici. Il s’arrête, regarde autour de lui, puis se dirige vers un arbre. Il semble nu, mais porte une sorte de ceinture autour de la taille avec plein de choses accrochées. Il en saisit une avec laquelle il semble attaquer le tronc à hauteur des yeux. Sa proximité avec le tronc luminescent permet de mieux le voir. Je balaye en gros plan de haut en bas, effectivement c’est un mâle avec un drôle de kiki qui fait glousser les filles de l’équipage : c’est une sorte de tuyau recourbé vers le haut se terminant par un petit entonnoir ou pavillon d’une minuscule trompette. On distingue également ce qui pourrait être un testicule en dessous, de la forme et de la taille d’une poire. Il est complètement glabre de la tête aux pieds. Une fois l’incision pratiquée dans la membrane du tronc, il la tient bouchée avec soin d’un doigt, range le premier instrument et s’empare d’une sorte de petit tube qu’il enfonce dans la cicatrice, penche vers sa bouche, et boit le liquide qui en sort à grandes gorgées. Il avait soif, le bougre, parce qu’il passe ainsi plus d’une minute à déglutir, soupirant de temps en temps de satisfaction lorsqu’il ouvre la bouche pour reprendre son souffle. À l’endroit où le liquide a été prélevé, l’arbre est devenu localement plus sombre. En revanche, l’Aknorien lui est devenu un peu lumineux, le ventre d’abord, tout le torse ensuite, la tête et enfin les membres. Au fur et à mesure que le liquide prélevé sur l’arbre diffuse dans son corps, l’hominidé bénéficie de cette propriété lumineuse. Oh certes, ce n’est pas un phare LED de dernière génération, mais tout de même, ce doit être sympa la nuit, en boîte notamment. Il range sa « paille », obstruant de nouveau la blessure avec le pouce, se saisit d’un morceau de ce qui semble être une feuille roulée, en déchire un bout avec ses dents et l’applique à l’endroit de l’incision. Il appuie, maintient, frotte énergiquement, puis lâche avec précaution en vérifiant bien que l’entaille ne fuit pas. Puis il joint les mains, s’incline vers le tronc en marmonnant quelques trucs incompréhensibles et s’en va. Belle tranche de vie que nous venons d’observer ! En le regardant partir, toujours avec cette démarche souple et fluide, nous constatons qu’il possède un embryon caudal entre les fesses. C’est comme si son coccyx, au lieu d’être rentré vers l’intérieur du bassin, ressortait légèrement en un moignon de queue légèrement arrondi. En dehors de cela, qu’est-ce qu’il nous ressemble ! Compte tenu de sa taille, certains émettent l’hypothèse qu’il s’agit d’un enfant. La suite nous renseignera.
Tout restant calme à l’horizon, je fais avancer un peu plus le robot, progressant d’arbre en arbre comme un militaire au combat. Il approche d’une zone où il n’y a plus de feuilles mortes. Le sol est nettoyé et montre comme une sorte d’allée, toute droite, habilement tracée comme au cordeau en tenant compte de la position des troncs. Sur la droite, nous apercevons une sorte de monticule de feuilles mortes. En progressant à nouveau d’un tronc, il ne s’agit pas d’un tas de feuilles ramassées comme chez nous en automne. Non, les feuilles sont disposées en quinconce et en recouvrement, comme des écailles. En zoomant, il apparaît qu’elles ne sont pas empilées depuis le sol, mais posées sur une structure, comme des lauzes sur un chalet. Oui, c’est ça, il y a un trou creusé dans le sol, rectangulaire, avec des tiges de jeunes arbres pliées en arceaux et les feuilles sont posées ou accrochées dessus. En somme, c’est un abri, une cabane semi-enterrée.
L’infrarouge signale une approche de plusieurs êtres, position de repli derrière un arbre. Ils sont trois. L’un s’arrête le long d’un tronc, la caméra n’en distingue que la moitié depuis sa cachette. Visiblement, il fait la même chose que le précédent : il boit, rote et repart. Sa taille étant sensiblement la même, il est probable que ce soit leur taille adulte. Les deux autres sont cachés par le tronc. Ils auraient pu penser à nous mettre une caméra mobile au bout d’un flexible comme il y en a dans toutes les séries d’espionnage. Au lieu de ça, je suis obligé de sortir légèrement le trépan, sans le faire tourner, pour basculer partiellement le module sur deux roues, juste ce qu’il faut pour que la caméra voie au-delà du tronc. L’image est de travers, mais on penche la tête. Et là, surprise. Les deux êtres sont beaucoup plus grands, je devrais dire « grandes » parce qu’elles sont dotées de deux solides paires de nichons. Elles semblent en grande discussion, et en poussant le micro à fond on parvient à entendre leur conversation. Entendre, mais pas comprendre. C’est un langage très curieux, composé de quelques voyelles, sifflements et de bruits de langue et de bouche.
On rigole tous. Les échanges, s’il doit y en avoir, ne vont pas être simples. En tout cas, ces gonzesses sont bien roulées. On les voit de profil, et on dirait deux jeunes noires d’une tribu africaine, bien cambrées, culs pommés et seins en obus très fermes et bien drus. Toujours cet appendice caudal en bas du dos, elles sont apparemment nues avec une peau bleutée. Et crier, elles le peuvent. Une sorte de cri guttural, aigu et long, finissant en décroissant. Aussitôt, deux petits mâles très lumineux accourent. Chacune en attrape un, écarte les cuisses, colle la tête du mâle entre ses seins et le plaque là en le tenant par les oreilles. Le pénis bizarre en trompette se positionne entre les cuisses contre le bas-ventre, et la femelle agite vigoureusement la tête du mâle entre ses nichons. Apparemment, les deux louloutes ont l’air d’apprécier, en revanche leurs partenaires semblent plutôt à la peine, manquant d’air, battant des bras. Et puis soudain, ils sont agités de violentes secousses et perdent en quelques instants leur luminosité. C’est l’abdomen des femelles qui devient à son tour très lumineux, avant que cette lumière ne se diffuse dans tous leurs corps. Les deux puissantes femelles reprennent tranquillement leur échange incompréhensible, tandis que les deux petits mâles, complètement sombres, se traînent lamentablement en direction des arbres les plus proches.
Tout le monde s’esclaffe, bien que nous soyons tous un peu émus par l’observation de cette scène de vie d’une population extraterrestre, la première que des humains aient pu contempler, au moins depuis notre départ de la Terre. Le tout a été enregistré, codé, et le passionnant message vidéo envoyé vers la Terre. Trêve de voyeurisme, je fais reculer le module pour l’envoyer en limite de forêt, à près d’un kilomètre de là. Pendant qu’il roule, je bricole. Dans les appareils de mesure embarqués, certains sont capables de détecter un tas de choses, comme la foreuse qui analyse les éléments qu’elle perfore. Mais il y a aussi des capteurs pour analyser d’éventuels rayonnements, comme par exemple la radioactivité d’une roche, mais aussi un radiomètre à large spectre pour détecter toute sorte de rayonnement, même inconnu. Mon boulot consiste à utiliser la pince télescopique du module pour extraire le capteur de son emplacement à l’intérieur du module. Il a été placé là initialement pour étudier les sols. Heureusement, et ceci grâce à l’informatique « de papa » avec ses invraisemblables « tuyauteries », nous sommes passés aux transmissions sans fil depuis quelques décennies. Pas besoin de rallonge pour le radiomètre tenu au bout de la pince. Dès que l’appareil est placé au soleil d’Aknor, les relevés s’affolent. Il nous semblait bien que cette étoile était très active, mais on n’imaginait pas à ce point-là. Le rayonnement neutronique relevé fait péter les compteurs. Pire, je pense que même nous dans notre vaisseau bien protégé, sommes en passe de dépasser les doses de radiations autorisées. Non seulement il serait suicidaire d’essayer de se poser sur Aknor, mais même ici nous sommes actuellement en danger potentiel. En tant que commandant de bord, j’ordonne immédiatement à tout l’équipage d’enfiler les scaphandres de sortie dans l’espace, doublant ainsi la protection du vaisseau, et j’entame aussitôt la procédure de replis pour fuir loin de cette source dangereuse.
Mais pourquoi, nom de Zeus, les radiomètres du bord n’ont pas donné l’alerte ? Dès que nous avons atteint la distance de sécurité, nous posons les scaphandres pour nous mettre au travail. Il s’agit d’examiner les relevés enregistrés de ces fichus capteurs pour chercher une anomalie. Tard dans la fausse nuit, ayant sursis aux exercices physiques et au sommeil obligatoire, les yeux flambés à force de scruter les écrans, je finis par trouver la cause. Niroko est restée avec moi, ce que j’apprécie hautement, les autres dorment. En fait, les radiomètres extérieurs ne transmettent plus de données depuis une huitaine de jours. Ils ont probablement été endommagés lors du passage auprès d’un anneau de météorites qui entoure le soleil d’Aknor sur une orbite lointaine. Si une alarme s’est déclenchée à ce moment-là, c’était dans le vide puisque nous dormions encore. Quant aux capteurs intérieurs du vaisseau, le programme est conçu pour alerter lorsque la dose limite de radiations est dépassée. Je trouve ça très moyen ! Effectivement, les enregistrements montrent une augmentation des radiations lorsque nous étions en plein soleil, puis une diminution lorsque nous étions dans l’ombre d’Aknor. Du coup, le calculateur a fait la moyenne et tout va bien. Si je tenais le crétin qui a conçu ce logiciel, il passerait un sale quart d’heure. Je chargerai dès son réveil l’informaticien du club de le modifier, voire de le réécrire. Et nos deux bricoleurs « maison » vont certainement dégoter dans la soute un radiomètre de rechange et iront l’installer à l’extérieur dès que nous aurons repassé la zone dangereuse dans l’autre sens.
Je suis fatigué, énervé, agacé par ces problèmes qui ne devraient pas exister. Et puis j’ai encore mon rapport à faire pour le transmettre à la Terre et l’enregistrer dans le journal de bord, avouant ce semi-échec. Oui, nous avons trouvé une planète, assez semblable à la nôtre, avec de l’air et de l’eau, habitée de surcroît, mais inhabitable pour nous. J’ai donc le moral dans les chaussettes en me dirigeant vers les douches. C’est ce moment que Niroko choisit pour me proposer :
Curieux comme d’un coup, tout paraît moins sombre. Après tout, des petites pannes sur un si long voyage, c’est normal ; et puis mission accomplie, la planète Aknor a été visitée, même si elle n’est pas pour nous. Viens, ma beauté d’Asie, et fais-moi tous les massages dont tu as le secret pour me détendre. Heureusement que l’eau est recyclée, car la douche dure très, très longtemps. Car Niroko est une amante peu ordinaire, capable de délices sexuels que l’on ne m’avait jamais procurés. D’abord, les orgasmes de Niroko sont très particuliers. Elle n’a pas quelques secondes de tétanie, mais plusieurs minutes, au moins deux ou trois, durant lesquelles elle est agitée de soubresauts irrépressibles, totalement absente du monde réel. C’est presque une crise d’épilepsie, car elle vient de subir une contraction considérable qui a éjecté de son vagin à peu près un verre à porto d’un liquide transparent et sans odeur, une éjaculation féminine qui doit lui contracter tout le ventre. Je comprends mieux le choix de la douche, ailleurs c’est danger en apesanteur. De plus, avant elle, aucune femme ne m’avait jamais fourré presque la totalité de sa langue dans l’anus pour me redonner vigueur après le troisième tour de manège. Inoubliable Niroko.
Tiens, en parlant d’anus, une fois les réparations effectuées, nous voilà obligés de nous y brancher un tuyau, sur la zigounette aussi, d’avaler des trucs pas possibles qui vont nous vider, nous endormir et conserver nos corps pendant l’hibernation du retour. Un sale moment à passer. Comment allons-nous retrouver la Terre ? Existe-t-elle encore ? Comment serons-nous accueillis ? Pourrons-nous nous adapter après cent quarante-quatre ans d’absence ? Et j’imagine la tronche d’un poilu de 1914 débarquant en 2048, le pauvre… le pauvre, ça va être moi… nous… ça y est, je m’endors dans mon sarcophage.
Tiens, le réveil et la sortie d’hibernation. Bizarre comme cette fois je ne suis pas paumé, comme je me souviens très bien de mon entrée dans le sarcophage, comme j’ai l’impression fugace que tout cela n’est arrivé qu’il y a quelques minutes. On doit s’habituer à force. Je suis toutes les procédures et vais faire un tour dans le poste de pilotage. Tout a l’air normal, aucune alarme, je lève les boucliers de protection. Elle est là ! Ronde, bleue, striée des bandes blanches des nuages, la Terre. Notre Terre. Retour au bercail avec un gros point d’interrogation : comment c’est maintenant, comment va-t-on nous accueillir ? Je réveille les huit autres, à commencer par la petite Niroko, toujours aussi séduisante dans sa peau d’ivoire.
Après les premiers pots de fausse Blédine, tout le monde se serre pour apercevoir notre planète. Quelques pets se font entendre, on mettra ça sur le compte de l’émotion.
On rigole un peu, Niroko rit jaune, normal. Je termine de placer le vaisseau sur une orbite assez basse, prêt à repartir, pour nous ou un autre équipage, c’étaient les consignes. Inutile de consommer une énergie folle pour arracher cet énorme engin à l’attraction terrestre, on utilisera des navettes. Un truc me chiffonne, je m’en livre aux autres :
L’engin stabilisé, nous passons aux procédures de contact pour entrer en liaison avec notre base. Petit problème : pas de réponse, aucun contact. Ça rouspète, ça râle.
Bonjour la charge ! Je considère qu’il est indispensable d’entrer en contact avec la Terre avant de tenter un quelconque atterrissage, nous pourrions être pris pour un envahisseur hostile et détruits. Il me reste en soute deux modules Explorer, récupérés d’Aknor après le largage des robots. Le troisième a été précipité dans l’océan. Ces modules disposent de l’emplacement des petits robots dans lequel on peut placer des messages, messages numériques, messages écrits, photos, etc. Je décide donc d’en préparer un, de le charger d’un maximum d’informations nous concernant sous toutes les formes et les langues possibles et de le faire atterrir aux coordonnées de notre base de lancement, en Guyane. On l’équipe aussi d’une caméra, une de celles que l’on porte sur nos scaphandres pendant les missions, histoire de voir la tronche de ceux qui trouveront Explorer.
Le module n’est pas à proprement parler fait pour se poser, en fait il tombe. Mais il a tout de même un parachute pour freiner l’approche finale et une carapace de ballons qui se gonflent avant l’impact. C’est parti ! Coordonnées saisies, descente très lente pour limiter l’échauffement, freinage maximal des propulseurs, ouverture du parachute, gonflage des ballons… contact ! Il faut huit à dix minutes pour que les ballons se dégonflent totalement. Ça paraît très long… Enfin, ça y est, le clapet peut s’ouvrir et les premières images nous parviennent.
Grand silence, puis conversations à voix basse qui enflent au fil des minutes. Nous entrons progressivement dans la nuit, comme à peu près toutes les heures et demie. J’enclenche les caméras, normale et infrarouge. Rien en vision normale, pas de lumières. C’est plus que bizarre, autrefois, les villes étaient illuminées « a giorno » et on voyait très nettement toutes les concentrations de population. Tout juste si, en repassant les images, nous parvenons à détecter quelques points lumineux qui pourraient indiquer une présence humaine, et encore. En infrarouge, on détecte tout de même certaines concentrations de points chauds, mais extrêmement limités. L’inquiétude nous gagne. Brainstorming…
Explorer interrogé sur la composition de l’atmosphère ne détecte pas de radioactivité, si ce n’est la très faible radiation naturelle. En outre, l’air est pratiquement pur, exempt de toute pollution d’activités industrielles, de transport ou de chauffage. En bref, une planète d’avant l’ère industrielle. Par ailleurs, les instruments de bord sont formels : nous sommes bien revenus à notre point de départ, aucun doute, il s’agit bien de la planète Terre. La perplexité croit, jusqu’à un cri, presque un hurlement :
L’affaire se complique. Ça confirmerait mon sentiment au réveil de n’avoir pas dormi longtemps en hibernation. Mais là, nos petites cervelles semblent un peu dépassées. Nous voilà dans les choux ! Ultime solution, mettre toutes les données dans le supercalculateur du bord, une machine de type neuronal à intelligence artificielle, le genre d’engin auquel je ne me fie qu’à moitié, et encore, juste les mauvais jours. Le résultat tombe quelques minutes plus tard : « trou de ver à travers une courbure de l’espace-temps ». Conséquences ? « impossible de fournir une date terrestre précise. Estimation : huitième siècle apr. J.-C. ». On n’est pas dans la merde, c’est peu dire. Aussitôt, les questions fusent, la plupart ne pouvant pas être résolues par la machine. À l’exception de celle de Niroko :
Et toc ! Je mets mon mouchoir par-dessus. Je demande alors si un voyage en sens inverse, reprenant exactement la même trajectoire, pourrait permettre de nous recaler dans le temps. Treize minutes de moulinage et de calculs avant qu’une réponse tombe : « La seule action possible est de contrôler la localisation spatiale. Il est impossible de contrôler le paramètre temps ». Le Capitaine veut bien prendre une décision, mais laquelle ? Nous sommes tous concernés par le problème et, démocratiquement, chacun a le droit de donner son avis. J’ouvre les débats en posant quelques questions qui me semblent cruciales :
Personne n’apprécie vraiment le supplice de la mise en hibernation, mais cependant le choix du « voyage à l’envers » est unanimement retenu, avec une proposition intéressante : jouer sur la vitesse du vaisseau qui pourrait avoir une influence sur le paramètre temps. Je donne à tout le monde vingt-quatre heures pour se préparer, durée nécessaire au dernier Explorer en soute pour cartographier précisément la Terre au huitième siècle. Ça pourrait être intéressant pour faire progresser les connaissances historiques si nous parvenons à revenir à la bonne époque.
L’idée n’était pas stupide, nous voyons apparaître en 3D des civilisations disparues, connues comme les Mayas, et inconnues comme l’Amazonie, sorte de jardin d’Éden aux grandes cités, vastes étendues agricoles striées de canaux et de routes, pas du tout la forêt soi-disant « primaire » que nous connaissions. Pour le reste, tout est bien là : les pyramides, la grande muraille de Chine, à la grande fierté de nos deux compères de l’empire du Milieu, les temples grecs et romains et les toutes premières cathédrales comme Trêves et Cologne, et Ursula prend sa revanche. Changement de combinaisons, brouet infect et tuyau dans le trou de balle. Nous avons abaissé notre vitesse de 10 %, soit 135 000 km/s et programmé un demi-tour près d’Aknor avec retour automatique au point de départ.
Nouveau réveil pâteux, j’espère que ce sera le dernier. Dès que je retrouve et mes esprits et un peu d’énergie, je fonce au poste de pilotage et j’ouvre les boucliers. C’est bien la Terre que je vois, à croire qu’on n’est jamais parti. Je manœuvre pour une orbite assez basse, c’est là que je constate que la jauge d’énergie s’affiche en orange. Ce n’est pas encore le rouge, mais nous n’aurons pas d’autre tentative. Je vais réveiller les autres, en commençant toujours par Niroko qui me fait un pâle sourire. Petits pots pour bébés, gros pets de remise en route et nous voilà tous réunis dans le poste. On analyse toutes les données et on questionne le supercalculateur. Les communications restent désespérément muettes sur toutes les fréquences et dans tous les modes. On aperçoit cependant, même à l’œil nu, la grande muraille, signe que l’on n’est pas avant le 3e siècle. Nous avons mis trois ans, huit mois et dix-sept jours pour ce second aller et retour par le trou de ver. La bécane du bord annonce : « Estimation du temps terrestre : treizième siècle apr. J.-C. ».
Le débat est rude. A priori, on n’a pas d’autre choix que d’atterrir avec les navettes. Nous en avons quatre, de trois places chacune. Certains proposent de transférer l’énergie des navettes dans les réserves du vaisseau mère pour tenter un nouveau « voyage à l’envers ». Mais ce ne serait qu’une goutte dans l’océan et en plus on se priverait de tout moyen d’atterrissage au retour. Alors nous lançons l’Explorer pour faire un état de la planète et choisir un endroit calme et propice. Pendant qu’il bosse en tournicotant, nous compilons la documentation historique sur le siècle. Il semble qu’on soit mal tombé. Mais y a-t-il une période sans guerre et sans massacres dans l’histoire du monde ? Peu probable. Mais là, guerres en Europe, expansion du Saint Empire Romain Germanique, guerre en France avec Philippe-Auguste, en Italie, en Sicile, en Espagne, nombreuses croisades meurtrières en terre sainte, guerres en Afrique, au Japon, invasion des Mongols en Europe centrale avec Gengis Khan… Même des confettis comme la Polynésie ou l’Océanie se lancent dans des conquêtes sans fin, et les Aztèques envahissent l’Amérique Centrale. Tout cela ressemble à une pagaille totale et nous fait froid dans le dos. Nous avons le moral dans nos chaussons d’élastomère.
Les deux gars exultent comme s’ils venaient de remporter le jackpot à Vegas. Il y a du sandwich dans l’air ! Au final, ces derniers choix ont mis un peu de gaieté bien nécessaire face à l’inconnu qui nous attend encore une fois. On prépare les quatre navettes en les bourrant d’un maximum de matériel et de nourriture lyophilisée. Un peu dommage d’abandonner un si beau vaisseau dans l’espace. Avant de le quitter, je le placerai sur une orbite très haute, de façon à ce qu’il ne provoque pas une catastrophe en retombant sur Terre. Et puis qui sait, peut-être que dans huit siècles un vaisseau terrien le retrouvera… Je conseille à tous de dissimuler les navettes dès l’atterrissage et que, comme elles sont étanches, munies d’un sas et pouvant servir de sous-marin, le mieux pour ça est au fond d’une eau, stagnante, lac ou étang.
L’équipage se comporte avec hâte, pressé de retrouver la Terre, quitte à affronter des situations difficiles. Dans leur équipement, ils emportent quelques armes prévues pour les dangers de l’exploration, certaines létales, d’autres simplement paralysantes. Et ils foncent, comme des fous. Si bien que nous nous retrouvons seuls tous les deux, Niroko et moi. Pas d’urgence pour nous, nous ne sommes pas si mal dans le vaisseau, en sécurité et avec un certain confort. Nous en profitons outrageusement pour laisser libre cours à nos désirs et nos fantasmes. Et quand il nous reste un peu de temps, nous préparons avec soin notre retour sur le plancher des vaches. Et ce n’est pas facile. Entre le choix d’un climat tempéré et les zones de guerre actuelles ou à venir, il ne reste plus que quelques mouchoirs de poche repérés par le supercalculateur. Je reconnais que les quelques zones neutres situées en France m’attirent plus particulièrement. Mélangées à quelques souvenirs agréables de tourisme, je jette mon dévolu sur la vallée de la Sioule, en Auvergne, actuellement Duché d’Aquitaine. Sur l’imagerie 3D, nous repérons un petit château, en fait une sorte de ferme fortifiée, avec quatre petites tours, une bâtisse intérieure, des douves avec un pont-levis et pratiquement aucune présence infrarouge à l’exception de minuscules points qui pourraient être des volailles. Niroko, qui ne connaît absolument pas cette contrée n’y voit aucun inconvénient, donc nous partons pour cette destination.
Nos navettes lenticulaires se pilotent presque aussi aisément qu’une voiture qui n’aurait qu’un seul levier couvert de boutons pour tout faire. Nous entrons dans l’atmosphère à petite vitesse pour ne pas brûler la coque, puis nous descendons tranquillement vers cette jolie petite vallée tortueuse que nous suivons jusqu’aux coordonnées repérées. En dehors du cours d’eau, ce n’est que forêt dense, et pas âme qui vive d’après les détecteurs. Je pose l’engin en contrebas de la construction sur le lit de sable d’un méandre. Ce qui surprend dès l’ouverture du sas, c’est l’air, tellement différent de celui de notre atmosphère confinée. Et puis les bruits, de l’eau qui s’écoule, du vent dans les feuilles, des chants d’oiseaux… Il nous faut quelques minutes d’adaptation, d’abord pour nous réadapter à la pesanteur terrestre, ensuite parce que cet environnement nouveau nous donne une ivresse passagère. Nous prenons deux sacs à dos avec le minimum vital et grimpons vers le castelet à travers la forêt, faisant fuir quantité de gibier. Le pont-levis est levé, indiquant des présences humaines à l’intérieur de l’enceinte. Aïe ! Ce n’était pas prévu. Cependant, nos détecteurs restent calmes, je mets cela sur le compte de murailles très épaisses, malgré une hauteur relativement faible d’environ huit mètres. Nous faisons le tour à couvert, pas le moindre signe de vie. La construction, sans être à proprement parler délabrée, paraît assez vétuste et manquant cruellement d’entretien. Nous visons une des tours d’angle entre deux créneaux à l’aide de nos petits lanceurs de grappins. Ce petit objet de la taille d’une poignée projette jusqu’à cinquante mètres un cylindre de la taille d’un stylo au bout d’un filin de titane-kevlar comme un fil de pêche au gros. Le « stylo » se déploie et s’accroche aux pierres, il suffit ensuite d’appuyer sur la gâchette et de se laisser tirer. À peine si mes pieds frôlent l’eau de la douve et j’arrive en haut comme en rappel inversé. Je fais signe à Niroko de me suivre, la voie est libre. Nous refaisons un tour par le chemin de ronde, où quelques pierres sont écroulées çà et là. Il y a effectivement quelques poules et canards dans la cour intérieure, de même qu’un tas de fumier qui apporte cette odeur puissante de ferme. Ça pue ! Nous descendons prudemment dans la cour, un vieux clébard à grandes oreilles traîne sa pauvre carcasse efflanquée vers nous avec deux ou trois « wouf wouf » qui finissent de l’épuiser. Le pauvre est sur sa fin et s’effondre sur le flanc.
Curieux endroit qui donne l’impression confuse de déclin total. Le « donjon », en fait le plus gros bâtiment en dehors d’une quantité de granges collées à l’enceinte, semble complètement clos, à l’exception d’une croisée de l’étage. Je joue à nouveau du grappin. Je pénètre dans une grande pièce très sombre, encore plus puante que la cour avec son fumier. Je m’apprête à allumer la lampe de mon scaphandre quand une voix, ou plutôt un grognement d’outre-tombe me pétrifie :
Il parle à voix très basse, roulant les « r », mais le maître est comme le chien, sur sa fin. Mes rétines s’habituent progressivement à la pénombre, et je distingue la forme qui me parle étendue sur sa couche à baldaquin. Un grand vieillard gît, cheveux et barbe blancs, très longs et très sales, il doit baigner dans ses excréments et une autre odeur que j’identifie comme provenant d’une gangrène. Même avec les moyens de la médecine de 2050, le mec est foutu. Alors je ne sais pas pourquoi, peut-être pour apaiser ses derniers instants, je me surprends à répondre :
À cet instant, Niroko franchit à son tour la croisée. Le vieillard s’enquit de savoir qui elle est, je la présente comme celle qui m’a soigné de ma terrible blessure m’ayant laissé pour mort. Il est rassuré, Niroko se bouche le nez, sur le point de vomir.
La porte s’ouvre et entre une vieille femme voûtée aux yeux couverts d’une sorte de membrane blanche bleutée.
Si le repas a le même fumet que les odeurs ambiantes, j’en connais une qui n’y touchera pas. Le vieil homme s’est assoupi. Étrange situation que ce vieillard prêt à mourir qui me prend pour son fils, et cette servante aveugle qui ne le dément pas. Le dîner festif marquant le retour de l’enfant prodigue est à la hauteur de mes attentes ; brouet de froment parsemé de fèves avec un morceau de gras tremblant, servi dans des écuelles ébréchées de terre cuite avec des cuillères de bois. Un jus noirâtre dans des gobelets d’étain l’accompagne, supposé être du vin. Prenant mon courage à deux mains, je goûte. Certes, ce n’est pas bon, pas d’étoile au Michelin. Mais notre bouffe lyophilisée était dégueulasse aussi. Niroko me regarde, je l’incite des yeux à honorer le travail de Pétronille, pauvre aveugle. Elle essaye, un peu de froment, grimace, quelques fèves, grimace, un bout de lard, et là elle se lève d’un bond et file vomir dans la cour.
Niroko aspire l’air à grandes goulées, j’abaisse la lourde plaque de bois et elle semble soudain soulagée.
Direction la navette, la nuit tombe, nous décollons vers le vaisseau. Pas de visite apparemment depuis que nous l’avons laissé, signe que les autres n’ont eu besoin de rien. Niroko fonce vers les douches, comme pour se débarrasser de la puanteur de la journée. Je la rejoins, elle m’accepte avec elle. Nous faisons l’amour furieusement, comme pour des retrouvailles après une longue séparation. Épuisés et en nécessité de pesanteur, nous restons étendus sur le sol de l’anneau rotatif. C’est là qu’elle m’annonce :
Nous avons passé plusieurs heures à charger la navette d’une façon un peu différente, pour un départ sans retour, puisqu’elle n’en disposera plus. Un chargement basé sur la survie et la défense, incluant un puissant émetteur qui lui permettra de m’appeler à l’aide. En analysant l’imagerie 3D et le peu d’histoire de ce pays dont nous disposons, son choix se fixe sur la plus petite des quatre îles principales, Shikoku. Il fait nuit quand je la débarque, je l’aide à établir son camp de base. Nous disposons de tentes assez extraordinaires, conçues pour l’exploration en terrain difficile. Il s’agit de grosses valises qui, une fois posées au sol, développent automatiquement une structure à mémoire de forme, de type rhombicosidodécaèdre. C’est à la fois joli et surtout très efficace : faces transparentes de l’intérieur et réfléchissantes de l’extérieur, quasi inaltérables, sauf au bazooka, température auto-régulée par l’énergie captée, air filtré, sas d’entrée, liaison possible entre deux éléments pour constituer une sorte d’appartement, c’est ce que nous installons. Les accessoires sont constitués du mobilier essentiel à mémoire de forme. Elle s’installe une chambre et une réserve de matériel. Le jour se lève sur notre probable dernier baiser.
Retour au castelet où je m’entête à vouloir essayer de vivre. Avant même que je n’arrive, un malabar hirsute me hèle du pont-levis :
Le vieillard est vraiment sur sa fin, un gros moine est près de lui. Dans un ultime effort, il tend sa main vers moi et fait sortir le moine, Tristan et Pétronille. À deux pas, c’est difficilement supportable, mais quand il me tire à lui pour me parler à l’oreille de sa bouche édentée, j’ai l’impression de plonger dans un égout.
Et pouf, dernier soupir malodorant. Je sors, malgré tout consterné, l’instant est émouvant. À voir ma tête, le moine se signe, Pétronille hurle son chagrin et Tristan reste penaud, balançant d’un pied sur l’autre. Je le soupçonne de vouloir noyer sa douleur dans la vinasse. Si j’ai bien compris, me voilà à la tête d’une propriété et d’une hypothétique fortune qui, dans cette misère crasseuse, ne doit pas être bien importante. Mais également de toutes les responsabilités et emmerdements afférents. Bonjour, le retour sur Terre !
La dépouille du vieil homme est transportée à la chapelle, lieu qui sent le petit champignon, mais c’est un pis-aller. Le chapelain, petit moine dodu, assure la veillée funèbre. Je vais jusqu’à ma « chambre » pour trouver des vêtements convenables et quitter mon scaphandre, pourtant très léger et près du corps, que chacun a pris pour une armure. Les frusques sentent un peu le moisi, certaines sont rongées aux mites. Je dégote tout de même une chemise sans boutons, à enfiler, une sorte de tunique, un pantalon avec cordon de serrage et une paire de bottes à large revers. Je regrette de ne pas disposer de miroir, je dois avoir une drôle d’allure. Si l’habit ne fait pas le moine, il fait peut-être le noble, car les paysans qui accourent des alentours me saluent respectueusement en me donnant du « Monsieur le Comte ». Eh oui, je suis devenu comte de Farges, leur nouveau maître et propriétaire de leurs terres. Pétronille a envoyé Tristan chercher ma « sœur » au couvent de Saint-Georges de Mons à cinq lieues du château. Il revient le lendemain, guidant les deux bœufs tirant la lourde charrette d’où sort la pseudo-frangine.
Et là, c’est un choc lorsque la large capuche choit sur ses épaules et s’ouvre sur la robe de lin. Quelle beauté ! Un minois rond avec un petit menton pointu, souligné par la coiffe serrée d’apprentie nonnette, tourne vers moi des yeux rougis par la peine.
Il ne fallait pas retarder l’enterrement, ce vieux corps pourri pourrait bien tomber en charpie avant. La chapelle était pleine des nobles voisins et amis, les gueux étaient restés dehors et écoutaient la cérémonie par les portes grandes ouvertes dans un silence religieux. Gauthier de Farges rejoint ses ancêtres dans le cimetière du village. Au château, les femmes s’affairent à préparer le banquet pour les nobles parfois venus de loin, Gannat, Clermont, Riom et autres lieux, l’occasion de faire leur connaissance et celle des échanges commerciaux que mon « père » entretenait avec eux. Tous ou presque semblent bien plus riches qu’il n’était, ce qui se mesure au nombre de leurs valets, mais ne dédaignent pas quelques-uns de nos produits, noix, châtaignes, cochons et gibiers. Ils boivent fort et rient gras, les mains lestes sur les croupes des cuisinières qui les servent. Blanche, ma « sœur », semble mal à l’aise et nous quitte très vite. Puis les valets sortent des paillasses des charrettes, et la grande salle se transforme en un grand dortoir ronflant. Je ne trouve pas Blanche dans sa chambre, mais dans la chapelle où elle prie à la lueur de quelques chandelles pas encore terminées.
Elle quitte sa robe et sa coiffe, mais garde sa chemise et, à la lueur tremblotante d’une chandelle, peigne longuement sa chevelure blonde ondulée. Qu’elle est belle ainsi ! Malgré le flou de la chemise de lin, je perçois les pointes de deux seins magnifiques, la voluptueuse rotondité de sa croupe assise, j’en suis tout ému.
J’entends craquer le bois du lit lorsqu’elle s’y étend, puis le silence revient.
J’ai dû avaler trois fois ma salive sans rien oser répondre. Cette fille est fabuleuse, belle et intelligente. Que faire pour la retenir ? Lui sauter dessus et me comporter comme les soudards du rez de cour, juste pour l’engrosser et l’empêcher de devenir nonne ? Ou la retenir prisonnière dans son propre château… Toutes ces idées traversent mon esprit torturé. Non, rien de tout cela, je voudrais la conquérir, l’amener à moi de son plein gré. Ce ne sera pas facile, mais j’aime les défis. Dès le jour naissant, j’entends la couche craquer, la belle se lève comme annoncé. Je reste immobile et joue l’endormi. En silence, elle ôte sa chemise, prend dans son bagage une sorte de grand mouchoir, l’imbibe d’un liquide ambré et se frotte les dessous de bras, les seins, le mont de Vénus et la raie des fesses. Une odeur légère et fraîche de fleur d’oranger diffuse dans la pièce. Puis elle enfile une nouvelle chemise de lin, mais il est trop tard, j’ai pu admirer toute la volupté de son corps parfait. Je fais mine de m’éveiller :
On appelle cela planter un jalon. J’espère qu’elle y repensera longtemps dans sa cellule de nonnette. Je la confie à sa carriole brinquebalante guidée encore une fois par Tristan, qui aura certainement encore grand-soif au retour. Mes nobles voisins repartent chez eux, m’invitant tous à passer les voir et renouvelant leur soutien moral. Merci.
Dans les jours qui suivent, Pétronille veut désormais m’installer dans la chambre du « maître », mais je refuse avant qu’elle ne soit vidée et lavée. Je fais enlever et brûler meubles et tentures, découvrant des murs couverts de zones humides vertes et noires, de toiles d’araignées, de cloportes, de cafards et autres iules. J’exige un passage à la flamme puis un lessivage du sol au plafond. Elle me trouve un peu bizarre, pour ne pas dire fou. Comme elle n’est pas en mesure de réaliser ce travail, je décide d’enrôler des « petites mains » et le fais annoncer dans les villages et hameaux par le crieur public. Une trentaine de femmes, plus ou moins jeunes, se présentent donc au château… C’est un véritable « entretien d’embauche » que je dois effectuer dans la cour. En fait, cela tient plutôt de la foire aux esclaves où, comme un maquignon, j’examine l’aspect, la musculature, la dentition et la propreté de ces femmes. Tout naturellement, je retiens les douze plus jeunes et plus vives, plus fraîches aussi. On fait un feu d’enfer dans les cuisines pour chauffer de grandes marmites d’eau. Dans la grande salle, on installe les deux cuviers disponibles, grandes baignoires de bois cerclé tapissées d’une toile de lin. Et ces jouvencelles doivent commencer par se laver par deux, l’une frottant l’autre. La plupart n’avaient connu que l’eau du ruisseau ou de la fontaine pour leurs ablutions. Je suis présent pour les inciter à bien se frotter l’une l’autre en utilisant de la pâte de savon, et je n’en perds pas une miette. Éternel féminin, toutes ou presque lorsqu’elles se dénudent en public ont la même attitude, qu’avait aussi Niroko en sortant de la douche : un bras replié sur les seins, une main sur le pubis. C’est charmant. L’occasion pour moi de reluquer tous ces jolis petits culs, ces nichons variés, mais tous, jeunes et toniques. L’une d’elles attire particulièrement mon attention. Bien bâtie, rousse, sa silhouette me fait immanquablement penser à Blanche.
Ceci explique cela, la bite du Comte a dû s’égarer dans la foufoune de la servante de son épouse. Cette Mahaut est probablement la demi-sœur de Blanche, voilà un joker intéressant. Quand les filles sont récurées, je m’adresse à elles :
Elles sont courageuses, joyeuses, et la vieille bâtisse résonne de leurs papotages guillerets. Je les laisse œuvrer et descends jusqu’à la navette. Elle est protégée par une toile de camouflage, mais je devrai lui trouver une solution plus sûre. La console de communication m’indique que j’ai des messages vidéo. Niroko se montre en chasuble noire avec un chapeau conique en paille. Elle est contente, elle a pu faire ami-ami avec des paysans qui lui fournissent du riz. Les Chinois sont aux anges. Sortant du lac Titicaca, ils ont été pris pour des dieux et vont construire leur nouvelle civilisation sur le Machu Picchu. Pas de nouvelles des autres, donc bonnes nouvelles. J’en profite pour rapporter des pastilles désinfectantes pour l’eau, qui permettent de rendre potable même une eau croupie. J’en balance deux dans le puits.
J’ai envoyé Pétronille se reposer chez sa fille, au village, et au bout d’un mois le « donjon » est récuré à neuf. Je me trouve devant un réel problème technique : toutes les lourdes tentures enlevées, car mitées et moisies, avaient une fonction, apporter un certain confort, un peu d’isolation. En remettre d’autres, c’est ramener la vermine et puis ce doit être très coûteux. Pas possible d’aller au « Bricotruc » du coin pour acheter des panneaux d’isolant, il faut faire avec ce qui est disponible. Je repense aux écolos fondus de matériaux locaux et naturels, et l’idée me vient d’avoir recours à la paille, car paille + argile = torchis. Premier travail, trouver un maçon ou un « constructeur » de maisons ; il n’y en a pas dans notre village, mais dans le village voisin. Second travail, préparer le torchis. Des paysans montent des charrettes d’argile et de sable dans la cour du château, mes « petites mains » découpent la paille avec des serpes bien affûtées pivotant sur un support comme un tranchoir à pain. Puis elles se transforment en « petits pieds », jupons retroussés, pour fouler ensemble l’argile, le sable, la paille avec de l’eau. Les maçons n’ont plus qu’à tartiner les murs avec ce mélange sur une bonne épaisseur puis à le lisser au plattoir. Les plafonds ne présentant aucun intérêt, poutres toutes bêtes, je leur fais clouer des lattes et les enduire également de torchis. Et puis, pour faire bonne mesure, je fais étaler dans les greniers une couche épaisse de paille recouverte d’une couche d’argile pour éviter rongeurs et incendies. Il faut attendre que tout cela sèche, repasser mille fois sur les fissures, avant de badigeonner le tout à la chaux. Le résultat les stupéfie : c’est net, clair et le moindre feu de cheminée rend la pièce vraiment plus chaude. On verra l’hiver prochain. En attendant, ils peuvent attaquer les autres pièces.
Le chantier terminé, je peux réintégrer ma chambre et l’organiser. Mais d’abord, il me faut trouver la « fortune » familiale. Je cherche un bon moment, le travail du menuisier a été soigné. Grâce à mon couteau multiservice d’exploration, je finis par déceler une lame de parquet qui bouge, un peu. Eh oui, avec le lavage du sol et les travaux humides, le bois a gonflé. Après plus d’une heure d’efforts et divers bras de levier, la planche finit par se soulever, les autres viennent facilement. L’espace révèle un coffre de bois renforcé de métal, niché dans le creux d’une voûte du rez de cour, la cuisine probablement. Bouger ce coffre semble impossible, au point que je crois qu’il est scellé dans la pierre. En fait, non, il a dû être rempli sur place au fil du temps. L’ouvrir est un jeu d’enfant, les cadenas de l’époque sont presque ridicules de simplicité. Je suis déçu, je m’attendais à trouver un trésor de pirate, des milliers de pièces d’or. Il y a bien un peu d’or, mais peu, essentiellement des bijoux et des objets de culte, croix et ciboires. Quelques pièces aussi qui me semblent romaines, tout au fond. Tout le reste n’est que deniers en argent, des milliers, certainement plus de cent kilos. J’ignore ce que ça peut valoir, j’en prends quelques-uns dans mes poches et j’appelle Tristan.
Pas facile à comprendre quand on vient d’un monde où tout a un prix. Ici, tout s’échange, une société de troc, sauf moi puisque je possède tout dans le secteur, semble-t-il, terres, gens et animaux… Il faut que je change de logiciel.
J’en change rapidement en assistant, comme à l’habitude, aux ablutions de mes douze « petites mains ». Cette pratique instituée depuis le début me permet de contrôler leur propreté tout en m’offrant un spectacle érotique tout à fait agréable. Désormais, elles sont habituées à ma présence et se livrent aux jeux d’eau en toute liberté et innocence de leur jeunesse. L’une d’elles, brunette au regard mutin et à l’attitude équivoque, semble tout faire pour retenir mon attention. Jeu de séduction, rêve de se faire épouser par le seigneur, peu importe. Je l’appelle sous prétexte de vérifier sa propreté, en profitant au passage pour lui pincer les tétons et lui fourrer un doigt entre les cuisses et lui souffler :
Nuit épique avec cette jouvencelle qui me quitte au petit matin, les yeux remplis d’étoiles et le corps maculé de trois ou quatre bordées de sperme. Le processus est enclenché, elles vont toutes y passer les unes après les autres. Je déflore à tout va et surtout la belle Mahaut qui devient ma « favorite ». Je prends un immense plaisir à pétrir son corps charnu en pensant bien sûr à Blanche. Elle est moins fine que ma pseudo-sœur, au niveau des attaches et de la taille notamment, mais possède le même cul large et pommé qui m’inspire toutes les turpitudes. Et elle aime ça. Bien sûr, elles parlent entre elles, souvent dans un patois que je ne comprends pas, chuchotant et ricanant à l’envi. Au final, tout le monde sait que toutes ont couché avec le seigneur, il devient inutile de s’en cacher, et la séance d’ablutions, décalée en soirée, finit en bacchanale à la romaine autour d’un repas servi à même le sol, tous nus, mangeant buvant et forniquant. Ça, c’est pour le côté plaisant et plaisir. Mais je leur confie un travail de titan : nettoyer la cour. Enlever l’immonde tas de fumier, gratter la terre accumulée à la houe et à la pelle, charger des charrettes entières de détritus qui vont rejoindre les champs alentour. Pas de nettoyeur haute pression, bien sûr, c’est donc aux balais de rameaux de bouleau et aux seaux d’eau claire qu’elles terminent cette épuisante tâche. Ça en valait la peine. Une grande partie de la cour est pavée et la partie restante est faite du rocher affleurant dont elle suit la pente. On y gagne énormément en clarté et en propreté, puisque des caniveaux, jusqu’ici enterrés, évacuent l’eau de part et d’autre du pont-levis. Elles sont fières d’elles et moi aussi. Je peux faire réinstaller des jardinières de bois et y planter des fleurs.
On passe ensuite aux nombreuses granges adossées aux murs d’enceinte. Sachant que nous sommes en paix pour quelques décennies, je décide d’évacuer les volailles et les cochons vers la ferme la plus proche, devenant « ferme du château » et pour cela, exonérée d’impôt. Je ne conserve que les écuries avec quelques chevaux, ce qui m’amène à reprendre l’équitation, indispensable pour l’époque et pour mon rang. Au début, je suis surpris, car ces chevaux sont très différents de ceux que j’avais montés en manège. Plus petits, plus trapus, la sélection n’a pas encore été faite. Destriers et palefrois sont plus proches des chevaux de trait et de bât qu’un pur-sang d’un boulonnais. Ça me rassure un peu et je copine assez vite avec un bel animal gris très doux qui me promène dans la campagne. C’est pour moi le moyen d’explorer mon fief, à la fois riche et pauvre. Riche de beaucoup de potentiel, pauvre du fait qu’il soit mal exploité. Je vois les gens en rang d’oignon piocher les champs à la houe, avec des rendements minables pour beaucoup de travail. Les masures sont sombres et inconfortables, froides en hiver, étouffantes en été quand on doit faire du feu pour cuisiner malgré le cagnard. Je me dois de les aider à vivre mieux, j’ai ce qu’il faut pour cela.
Dans un premier temps, je vais à la foire de Clermont avec Tristan et trois autres paysans de ses amis. Je suis à cheval, ils sont dans une charrette tirée par deux de mes chevaux. Mes deniers font merveille. J’en rapporte de pleins sacs de nouvelles semences pour régénérer les nôtres qui, au fil du temps, perdent de leurs qualités. Je ramène aussi une douzaine de chevaux de trait puissants, un maître forgeron, un maître verrier, un maître charpentier et un maître tailleur de pierres. Mon projet est de les installer au château, dans les granges libérées, et d’en faire un centre de recherche et de progrès. Le forgeron devra développer l’utilisation des fers à cheval et des outils agricoles comme la charrue. Le verrier sera chargé de fabriquer des vitraux pour équiper les ouvertures, qui n’ont que des volets, de fenêtres transparentes. Ce ne sera pas du Saint-Gobain, mais mieux que rien. Le charpentier devra faire évoluer les charrettes, notamment les roues pleines en bois, pour des attelages plus légers et plus efficaces. Il devra aussi améliorer les structures des logements, plus solides, plus jolis et mieux isolés. Enfin, le tailleur de pierres a quelques années de travail devant lui pour restaurer les murailles du château très abîmées par le temps, et mettre au point des ouvertures plus grandes. Je place deux chevaux de trait par village et, dès qu’elles seront réalisées, une charrue à disposition des paysans.
Ce que je demande est toujours impossible <i>>a priori, puisqu’ils ne l’ont jamais fait. Puis, avec patience, force dessins et croquis, parfois en mettant la main à la pâte, ce qui les étonne énormément, ils finissent par s’y mettre. Je ne fais qu’accélérer la Renaissance dans mon petit coin de France. Un an plus tard, les résultats sont très encourageants. Nous allons à la foire de Clermont avec quantité de produits à vendre, les excédents de nos productions multipliées par trois. J’en ramène des pressoirs pour le vin et l’huile, qui nous permettent de produire une excellente huile de noix et une vinasse presque correcte, au moins buvable. Le château se transforme peu à peu avec de plus grandes ouvertures équipées de fenêtres en vitraux. Il est devenu l’endroit des rencontres, des échanges, des conseils, où l’on vient chercher la solution à son problème du moment. Les gens vivent mieux, sont mieux nourris. Pour montrer les bonnes techniques de construction, je fais ériger dans chaque village une école, avec la participation des villageois qui apprennent en faisant. Le chapelain et d’autres moines recrutés pour cela apprennent aux enfants à lire, écrire et compter. Il y a cinq siècles que Charlemagne a inventé l’école, et elle n’était toujours pas arrivée là ! Pour occuper les journaliers entre semailles, moissons et vendanges, je les embauche aux carrières d’où l’on extrait du gravillon avec lequel on transforme les chemins boueux en allées carrossables. La troisième année, avec des charrettes allégées aux roues étroites à rayons cerclées de fer, nous allons à la foire de Clermont en moins de quatre heures pour quinze lieues. Mes compagnons n’en reviennent pas.
Chaque année, je fais livrer au couvent de Saint-Georges des charrettes de dons de plus en plus belles et riches. Malgré cela, il me faut attendre la quatrième année pour qu’un messager annonce la venue de Blanche. Je fais briquer la plus belle des charrettes, retaper en urgence la route de Saint-Georges et envoie Tristan chercher ma « sœur ». Elle est tout étonnée d’arriver en moins de deux heures, encore plus de la transformation du château.
Je lui fais visiter, je lui explique et, intérieur comme extérieur, tout l’enchante et moi je suis aux anges de la promener à mon bras. Une boule dans mon estomac me rappelle cependant qu’elle est là pour m’annoncer ses prochains vœux, et donc la perspective de la perdre à jamais. Je vais devoir jouer serré. J’ai fait préparer les mets les plus délicats que nous puissions produire, salades mélangées avec notre délicieuse huile de noix, filets de carpes élevées dans les douves, pigeons rôtis aux petits pois frais, fromage bleu de nos brebis, gâteaux tendres et fruits frais.
Elle redescend une heure plus tard, encore une fois émerveillée par mes agencements, la qualité de la paillasse, un mélange de foin sec, de crins et de laine de mouton, le coin du cuvier de bain avec une collection de flacons d’eaux parfumées, le très bon petit miroir fait d’une vitre sous laquelle on a coulé de l’étain en fusion.
J’ai fait aussi bien pour Pétronille qu’au château, lui faisant construire une petite maison chaleureuse près de sa famille. La vieille femme ne tarit pas d’éloges sur moi et les transformations que j’ai apportées dans les villages. Au reste, tous les villageois m’accueillent avec enthousiasme, ferveur et respect. Blanche semble perplexe et déstabilisée. Nous soupons légèrement de bouillon et de fruits, et elle en profite pour me questionner :
Je l’emmène jusqu’à ma chambre où je tire d’un coffre protégé caché sous le lit deux scaphandres légers. Je me dévêts et l’invite à en faire autant. Il suffit d’enfiler les bottines et les manches pour que la combinaison étanche vous colle à la peau. Son revêtement brillant protège des rayonnements hors atmosphère.
Nous descendons vers la Sioule à la lumière de nos puissantes lampes torches et je dégage la navette de son camouflage avec une télécommande. Elle est ébahie et toute tremblante.
Nous décollons, ses bras battent l’air, je la rassure et la laisse se calmer. Puis l’engin prend de l’altitude et dépasse le niveau de l’atmosphère. J’entame une rotation vers l’est, qu’elle puisse admirer le lever du soleil et la rotondité de la Terre.
Je lui prends le bras où se trouve un clavier de commande pilotant diverses fonctions du scaphandre. Parmi elles, il est possible d’ajouter au mélange respiré un léger euphorisant et un remède au mal des transports. En deux minutes, tout va mieux. Je lui montre la grande muraille de Chine, l’immense Pacifique, les Amériques pas encore découvertes, l’Atlantique et de nouveau l’Europe, mais toujours dans le noir.
Quelques instants plus tard, nous nous posons sans encombre. En sortant de la navette, Blanche titube un peu. Je retire nos casques pour qu’elle respire un peu, mais elle s’écroule sur mon épaule, molle comme une chiffe. Je la porte à l’écart, referme la navette et déclenche le camouflage. Certes, elle n’a pas reçu l’entraînement drastique que j’ai pu subir, mais là, c’était une vraie promenade de santé. Je crois cependant que ce qu’elle vient de vivre dépasse son entendement et que quelque chose a disjoncté. Comme pour un transport de blessé, je la hisse sur mes épaules et la remonte au château. Je la trouve légère malgré ses formes et ne peine pas trop pour arriver à ma chambre sans croiser quiconque, si ce ne sont quelques hiboux et chauves-souris. Je lui pose sa combinaison de scaphandre et j’en fais autant, planquant le tout dans mon coffre sous le lit. Encore une fois, je suis étonné par la beauté de ce corps. Oui, c’est Mahaut, mais une Mahaut sans défauts, améliorée, touchant à la perfection. Je bande comme un étalon devant une poulinière. Je l’allonge correctement dans le lit et me glisse près d’elle, presque sous elle, plaçant sa tête sur mon épaule. Elle respire doucement, son pouls est calme, je la laisse se reposer au risque de m’ankyloser sévèrement. J’ai dû finir par m’endormir aussi puisque, lorsque je me réveille, elle n’est plus là. Je vais voir discrètement dans sa chambre, vide aussi. Est-elle partie, m’a-t-elle fui comme on fuirait le diable ? Non, je la trouve agenouillée dans la chapelle. En m’entendant approcher, elle lève la tête.
Nous sortons de la chapelle et même du château pour être loin de toute oreille indiscrète.
Au souper, elle semblait plus perturbée encore, plus sombre et plus fermée.
Avec deux palefrois, nous nous lançons dans « la tournée des grands-ducs » ! Partout le même accueil enthousiaste et respectueux. Partout on mange à sa faim, partout des lavoirs couverts et équipés avec des fourneaux pour chauffer de l’eau et des réserves de pâte de savon. Partout des bains publics, eux aussi équipés pour chauffer de l’eau et des cuviers multiples séparés par des tentures. Et partout des écoles où elle passe beaucoup de temps, admirative devant les progrès des enfants. Au retour, elle me dit :
Nous partons encore de nuit, elle ne panique plus, elle s’attend mieux à ce qu’elle va voir. Quoique… Lorsque je l’emmène jusqu’au vaisseau mère, elle est pétrifiée par le monstre. La visite en apesanteur l’ébouriffe, comme toutes les installations et surtout nos sarcophages de cryogénisation. Ébahie par la pesanteur artificielle autant que par l’imagerie 3D du château, elle comprend bien les choses en lui expliquant avec des mots simples. Il y a juste la notion d’espace-temps, de courbure de l’univers et de trou de ver qui lui demeurent opaques. J’en profite pour faire un check-up général, refaire le plein de la navette et remporter quelques caisses de semences prévues en cas de colonisation d’Aknor. Au retour, nous profitons de l’attente de la nuit pour faire un peu de rase-mottes çà et là, voir de près les pyramides d’Égypte, les plages de Méditerranée, avant de nous poser la nuit tombée.
Nous reprenons nos vêtements « civils » et je remets trois bûches dans le foyer de la cuisine. Puis je taille quatre demi-tranches de jambon, à cause de l’os, bats six œufs pour une grande omelette. Servie sur de grands tranchoirs de pain blanc de la veille, c’est délicieux.
Une main tenant sa chandelle, l’autre retenant les pans de sa robe, je suis Blanche dans l’escalier, tenant ma propre bougie avec laquelle j’allume les quatre photophores de la chambre. Encore une de mes « inventions » farfelues réalisée avec le maître verrier, que j’ai rendue obligatoire dans tout le château pour éviter les incendies. D’abord se dévêtir, et les lueurs hésitantes dessinent le corps sculptural de ma compagne. Premiers bisous qui deviennent baisers puis baisers profonds, mes mains parcourent ses hanches, sa taille fine, palpent les fossettes qui surmontent ses fesses. Plaquée contre mon sexe, elle en ressent les violentes palpitations. Puis je la prends dans mes bras pour la déposer délicatement sur ma couche. S’en suit une longue séance de caresses qui lui déclenchent des vagues de chair de poule et font dresser ses tétons. Elle ne dit rien, respire fort. Ma bouche retrouve ses lèvres, son cou, ses seins, ce qui la fait s’arquer, puis descend lentement sur son ventre pour atteindre sa toison rase et peu dense. L’instinct plus que la volonté lui fait ouvrir les jambes, et ma langue va fouiller son sillon, débusquant le goût musqué de ses premiers émois. Hésitante au début, elle s’offre désormais à la fouille en règle de ses muqueuses intimes, de l’anus au clitoris. Ô magnifique petit bouton rose qui manifestement ne connaît pas l’excitation et provoque instantanément de violents soubresauts, qui s’accélèrent jusqu’à la tétanie.