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n° 21375Fiche technique18633 caractères18633
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Temps de lecture estimé : 11 mn
25/12/22
Résumé:  Quand un orage d’été cache la vérité.
Critères:  nonéro -fantastiq
Auteur : Loaou            Envoi mini-message
Tout est mensonge

L’orage est là. Pendant de longues minutes, les bourrasques secouent la voiture qui fait des embardées malgré mon attention et ma vitesse réduite. Elles plument les arbres, leur arrachent des brassées de feuilles qui tournoient sur la route et se collent sur le pare-brise déjà mouillé par les premières gouttes. Les éclairs se succèdent sans discontinuer, éblouissants, accompagnés de coups de canons qui font trembler mon véhicule dont l’habitacle semble subitement bien frêle. Le vent cède brutalement la place à une pluie torrentielle qui masque tout décor au-delà de quelques mètres.


Après la chaleur lourde et oppressante qui a crû toute la journée, l’orage était prévisible, mais sa violence dépasse tout ce que j’ai connu. Le toit résonne comme si cent personnes tapaient dessus. La route disparaît presque et je roule si lentement que j’ai allumé les warnings. Leur clignotement lancinant ajoute autour de la voiture un halo stroboscopique qui se mêle aux craquements lumineux de la foudre. Impossible de continuer ainsi…


C’est alors que je longe une grande ombre : un mur haut et sombre qui apparaît brouillé dans le ruissellement des vitres latérales. Une grande inscription peinte en blanc s’y devine à peine, déformée par les filets d’eau : « Auberge », suivie d’une grande flèche qui indique l’entrée. Sa présence est on ne peut plus providentielle. Je tourne sans même réfléchir, lentement, concentrée sur l’embranchement, en oubliant de mettre mon clignotant. Je pense tardivement : de toute façon, il aurait été invisible à cinq mètres !


Sans le repère des lignes blanches qui bordaient la route, je suis réduite à chercher les limites herbeuses du chemin, presque invisibles. Je roule au pas pour rester sur ce que j’espère être la voie, recouverte d’une nappe d’eau crépitante de pluie dans laquelle s’ajoutent maintenant des petits grêlons. Le vacarme monte encore d’un cran dans l’habitacle. Heureusement, après quelques mètres et un nouveau virage à droite, le chemin passe entre deux murs et débouche dans une cour bordée par un long préau sous lequel je me gare sans aucun scrupule.


Immédiatement, l’infernal tambourinement cesse, remplacé par le crépitement moins sonore qui vient du toit de tuiles. J’arrête le moteur et me détends un moment, appuyée de tout mon long contre le dossier. Je réalise combien j’étais crispée, toute mobilisée à la conduite presque aveugle.


Dans les rétroviseurs, le déluge s’interrompt à moins d’un mètre du coffre. Je réalise que je n’ai aucune idée de la taille de la cour : je n’en distingue que le bord, puis un rideau gris et opaque masque tout. Il avale le décor et la majeure partie de la lumière, on se croirait presque de nuit. Le préau est en fait un hangar, sous lequel sont rangées des machines agricoles aux contours agressifs. Elles brillent d’éclats lugubres à chaque éclair, dont la fréquence ne diminue pas. Tout au bout, à gauche, une large porte précède une fenêtre, toutes deux illuminées de l’intérieur. Un écriteau mal éclairé semble indiquer l’entrée de l’auberge. Plutôt qu’attendre dans cet enfer glauque, je décide d’aller prendre un café en attendant la fin de l’orage.


J’ouvre la portière et pose un pied sur le sol. Je suis presque surprise de le trouver solide, après cette impression d’avoir roulé sur de l’eau, d’être plongée dans de l’eau. En provenance de la cour, des grêlons sautent de toutes parts et les plus vifs vont jusqu’à m’agresser la jambe avant de fondre lamentablement dans le gravier mêlé de sable poussiéreux. Je sors de l’auto et la ferme à clé par réflexe : de toute façon, personne ne viendra. Sous l’auvent, l’air est encore terriblement chaud de la journée torride, mais il est maintenant saturé d’humidité. Un mélange d’odeur de terre, de fioul, de graisse et de plantes pourrissantes m’agresse. Je me hâte vers la porte d’entrée.


Elle est grande ouverte, un filet de musique d’ambiance s’en échappe, étouffé par le déluge. Je franchis le seuil et m’arrête, éblouie par la transition depuis le hangar sombre. L’aubergiste est derrière son comptoir. Il lève les yeux de son journal et me lance jovialement :



Je jette un coup d’œil en arrière et mes cheveux se hérissent : venant de la cour saturée, l’eau envahit le hangar en grandes avancées. Une immense flaque entoure largement ma voiture qui s’y enfonce, comme dans des sables mouvants. Ses roues arrière ont déjà disparu dans la boue, l’eau lèche les portières. Je ne peux retenir un cri et me cramponne au chambranle de la porte. L’homme m’apostrophe :



Je me tourne vers lui, je voudrais lui crier que la voiture disparaît, mais je n’articule que quelques mots hagards. Il me rejoint, examine le contenu du hangar. Je me tourne pour en faire autant. La voiture est là, immobile, posée sur la poussière sèche à peine parsemée de grêlons.



Il me guide par le bras, me soutient presque, pendant que je titube jusqu’à une chaise sur laquelle je me laisse tomber. Il se précipite et revient avec un tout petit verre au contenu ambré. Rien qu’à l’odeur, le contenu est fort.



Il se sert un verre identique.



J’hésite un instant, puis en bois une trop grosse gorgée et me mets à tousser.



Je ne réponds pas. Il me regarde en silence, avec insistance. J’irai même jusqu’à dire qu’il me déshabille du regard. Pourtant, je ne dois pas offrir un bien beau spectacle. Je termine mon verre à toutes petites gorgées. Il reprend, bavard :



Il l’énonce sans rire ni l’appuyer, mais, sans savoir pourquoi, je le prends pour moi :



Il reste une seconde dans ses pensées, avant de reprendre :



Il fait les questions et les réponses, pérore d’un ton un peu monocorde. Il essaye de m’entraîner dans un dialogue que je ne suis pas certaine de vouloir suivre. Je réponds quand même :



Son ton suinte de sous-entendus, je me demande si j’ai bien entendu « ce qui » ou seulement « qui ». Ses yeux me scrutent à nouveau et ne s’arrêtent pas sur mon visage, mais sensiblement plus bas, sur ma poitrine. Son regard fixe et insistant me pousse irrésistiblement à regarder, moi aussi : se pourrait-il qu’une tache, une déchirure ou Dieu sait quoi… ? Je baisse les yeux, mais n’observe que mon décolleté, le haut de mes seins, l’amorce du sillon entre eux, le pendentif de mon collier en hématite. Pas de tache, rien d’anormal. Un « bang » énorme me secoue en même temps qu’un flash monumental m’éblouit.



Par réflexe, je tourne la tête vers la fenêtre, à droite du comptoir, où il n’y a bien sûr rien d’autre à voir que le gris de la pluie. Au passage, dans le brouillard de l’éblouissement, j’accroche la forme du tavernier qui a quitté son comptoir. Il se précipite vers moi, les bras en avant, pour me saisir. Il est nu et terriblement excité.


Je me lève précipitamment, renverse la chaise. Elle tombe avec un fracas épouvantable qui me déchire les tympans pendant qu’un nouvel éclair m’aveugle, pile en face de moi, derrière lui. Je ne vois plus que du blanc avec la forme de l’homme en contraste. Je recule et me prends les pieds dans la chaise, je bascule en arrière en hurlant et ma tête heurte le sol.




---XXX---





Je reprends connaissance, allongée sur le carrelage dont le froid s’insinue dans mon dos. Une odeur de vinaigre émane d’un léger courant d’air qui va et vient au ras de mon nez. J’ouvre les yeux. Une main agite un carré d’essuie-tout.



Le carré s’éloigne. Une main se tend pour m’aider. Je l’attrape, fais mine de me relever. Elle me laisse en plan, assise.



Je me cale sur un bras, les yeux qui papillonnent légèrement. L’homme est penché sur moi et, bien sûr, correctement habillé, tel que je l’ai vu derrière son comptoir. Il sourit :



Je ne peux quand même pas avouer que je l’ai vu se précipiter sur moi, nu.



Il hoche la tête et parle sans me laisser le temps d’en placer une.



Il se sauve par la porte qui jouxte le comptoir avant que j’aie pu proférer un mot, toujours en parlant, plus pour lui que pour moi.


Je me relève lentement, guettant un vertige ou un malaise. Je ne ressens rien de désagréable, en dehors d’une douleur un peu lancinante derrière la tête. J’y passe doucement la main et y trouve une bosse sensible, même pas grosse. Je rajuste ma tenue, remonte légèrement mon décolleté après avoir vérifié l’absence de tache ou de fil sur son avant. La tête me tourne un peu, très légèrement. Probablement cette « gnole » maison. C’est vrai que mon dernier repas est loin. Oui, un morceau de gâteau sera bienvenu, avec ce café que je voulais. Ce ne serait pas raisonnable de reprendre la route ainsi.


Je réalise alors que le gros de l’orage est passé. Le tonnerre roule encore au lointain, mais il n’y a plus d’éclairs vraiment visibles. Par contre, la pluie continue à tomber dru. La fenêtre reste grise, mais semble plus lumineuse. Je vais regarder par la porte, toujours grande ouverte. Sur la droite, le mur d’eau est moins opaque : je vois la cour, que je remarque goudronnée, sur quelques mètres de profondeur. Il n’y a plus de grêle, ni même de sa trace : tous les grêlons ont déjà fondu. L’air est plus respirable : nettement moins chaud, moins chargé de relents désagréables. À gauche, rangées le long du mur, les machines agricoles ont retrouvé quelques couleurs et perdu toute leur agressivité. Au fond, ma voiture est là. Je ferme les yeux, je sens des odeurs dans lesquelles je ne retrouve pas celles qui m’avaient assaillie.


Je les rouvre et là, la vision de ma voiture sombrant dans la boue revient, violente, nette, vraie. Je la vois inclinée, les roues arrière disparues, celles de l’avant qui s’enfoncent aussi. Rapidement, l’eau atteint le milieu des portes. Je me secoue, me pince. Rien n’y fait. Je vais hurler… Tétanisée, je veux refuser cette vision, mais elle reste, vivante, réelle. Je me retourne subitement et me trouve nez à nez avec l’aubergiste. Je hurle de frayeur, manque de tomber en arrière. Il me retient par un bras, surpris.


Avec une tension innommable, je regarde à nouveau vers le hangar. Il n’y a rien d’anormal. Ma voiture est là, sagement garée. Seul, un fin liseré indique l’eau qui s’en est égouttée. La tête me tourne. Je ferme les yeux. Je dois devenir folle. Est-ce que je le suis déjà ?


J’ai conscience de m’appuyer inconsidérément sur le bras qui me soutient, mais je n’ose pas ouvrir les yeux, de peur de le voir à nouveau nu, tel un Priape inassouvi. Il me tire par le bras vers l’intérieur, il veut me prendre, par surprise. Je me dégage vivement avec un cri et m’écarte, les yeux grands ouverts. Je le regarde. Il est habillé et m’observe, le front plissé, les yeux dans les yeux, le visage sculpté d’incompréhension.



Il me guide gentiment, je le suis comme un automate :



En parlant dans sa barbe, il regagne le zinc d’où viennent les bruits du percolateur.


J’examine l’assiette, la part de gâteau alléchante. Placé derrière elle, à plat sur la table, je découvre avec effroi un petit carton manuscrit sur lequel est écrit : « le gâteau est un mensonge ».


Surprise, je me tourne vers le comptoir pour en demander la signification au patron. Un frisson de terreur me dévaste. Dans le grand miroir, je ne vois ni le tenancier, ni la banque, ni le mur qui devrait fermer la salle, avec ses tableaux et décors vieillots. Le seul reflet visible est le mien, avec, en arrière-plan, un mur en ruine, écroulé, dévasté et noirci.



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J’avais écrit ce texte pour un défi que vous retrouverez peut-être sur internet, dont l’intitulé était :


Vous devrez raconter l’histoire d’une famille (ou d’une seule personne) qui se réfugie dans un hôtel ou une auberge, à vous de choisir. Cependant, l’endroit est étrange et il s’y passe des évènements surnaturels. De plus, vous devrez inspirer le doute au lecteur et inclure les mots suivants : lugubre, froid, pâle, miroir, gâteau.