n° 21482 | Fiche technique | 10469 caractères | 10469 1784 Temps de lecture estimé : 8 mn |
25/01/23 |
Présentation: Ce texte avait été publié avec d’autres dans le cadre de la série Antilogies | ||||
Résumé: Les aveux d’un homme en rade à une femme en voyage. | ||||
Critères: vacances voyage telnet cérébral revede nopéné nonéro tutu lettre -lettres | ||||
Auteur : Nycthémère Envoi mini-message Co-auteur : shiva__ Envoi mini-message Co-auteur : Olaf Envoi mini-message |
Ainsi, Madame, vous partez. C’est ce que vous avez glissé, entre deux messages, sur le forum où je vous ai connue. J’ai la fatuité de croire que cette information était un peu pour moi. Merci pour ce clin d’œil.
Vous avez juste omis de préciser la durée de cette absence. Sans doute, supposez-vous que cela m’importe peu. Est-il nécessaire de vous avouer « urbi et orbi » que, pour moi, cet éloignement a valeur de séparation ?
Non que je puisse être jaloux de qui vous allez rejoindre. Vous ne cachez pas que l’intimité masculine vous est agréable, et je vous suppose la faculté de faire s’agiter une forme ou une autre de virilité entre vos reins, ou/et quand il vous plaît.
Que le souvenir de votre dernier amant, l’impatience du prochain ou la superposition de quelques aventures récentes s’imposent, et déjà vous devez avoir quelque troublant visage, la chaleureuse sonorité d’une voix ou l’évanescence d’un désir à glisser sous vos doigts. Je vous sais assez d’imagination pour vous en régaler. Je vous en suppose même friande, au cours de vos nuits de solitude.
Mais cela ne suffirait pas à faire de votre absence une séparation. C’est plutôt la perte de vos petits signes de vie qui en sera la cause. Le manque de ces messages finement ciselés, qui me font croire qu’à l’instant où vous les rédigez, mon immatérialité s’est insinuée dans votre réalité. Qu’avant d’envoyer ces lignes, anodines, lourdes de sens, pudiques ou plus évocatrices, vous m’avez laissé pénétrer en vous ! Certes, pas de manière à faire monter une vague de chaleur au creux de votre ventre. Nous ne nous connaissons pas assez pour cela. Mais assez pour entretenir notre complicité. Celle-là même qui me donne un agréable surplus de vie dans les arcanes de votre toile.
Ne plus avoir ces messages, Madame, et ne pas savoir jusqu’à quand, voilà à quoi me condamne votre départ, voilà ce qui ressemble à une séparation.
Alors, je me dois de vous informer que, pour conjurer le sort, j’ai déposé trois choses dans vos bagages. Trois attaches, aussi légères que celles qui retiennent les dessous que je vous imagine porter sur les sentiers de vos corps-à-corps. De celles qu’un simple baiser suffit à dénouer. Trois infimes traces, aussi virtuelles que nos échanges, sous forme d’un regard, d’une pensée et d’une douceur.
Des regards, vous en provoquerez sans doute des dizaines au cours des prochains jours. Des pensées, encore plus, et de bien plus licencieuses. Quant aux douceurs, je vous souhaite de trouver le temps et les mains pour vous en gaver. Cela ne m’empêche pas pour autant de vous jeter ces sortilèges, par bagages interposés. J’ai veillé à ce que ces respectueuses intentions ne prennent pas trop de place. Elles sauront rester discrètes et ne contrecarreront aucun débordement sensuel, si fugitif soit-il.
En revanche, si la curiosité ou une solitude passagère vous donnait envie de les découvrir, alors amusez-vous à imaginer ce qu’elles pourraient bien être, à partir de ce que nous avons déjà partagé. Je vous confie le soin de donner vie à ces respectueux liens, sous la forme qui vous plaira. À votre retour, vous lirez ici même le fond de mes pensées. Peut-être se révéleront-elles semblables aux vôtres. Je ne le considérerai pas comme une coïncidence.
***
Oui, Monsieur, je suis partie… Pour mieux revenir, comme à chacune de mes escapades. De vous à moi, je ne saurais dire si cette séparation est attachante. Ce dont je suis certaine : je m’attache de plus en plus aux séparations. Avec le temps, peut-être aussi une sorte de maturité ou de sagesse, ces moments sont source de révélations de moi-même, semblables à un lâcher-prise.
Comme si la peur de perdre pour toujours un être cher, la perspective de plénitude éprouvée au détachement d’un autre, toxique/parasite, ou enfin la satisfaction toute simple de me retrouver seule avec « mon vrai moi », m’amènent à poser par les mots tout ce que j’ai dans mon cœur et sur ma conscience. Tel un impact entre mes sentiments et la réalité. Ceux que je ressens sans pouvoir les exprimer, comme s’ils étaient emprisonnés, et qui trouvent la voix de l’évasion au moment du détachement.
Parlant de coïncidences, Monsieur, et pour revenir à votre lettre, je lis « l’Aleph ». Les lignes et philosophies de Paulo Coelho m’accompagnent et me renvoient au souvenir de nos correspondances. Celle, notamment, où nous évoquions d’autres vies que nous aurions vécues ; dans lesquelles nous nous serions connus.
Souvenir immatériel, certes, mais rempli de réalité et, je l’espère aussi (en tout cas, j’aime m’en persuader), de sincérité. Aussi flous qu’une silhouette au travers d’un vitrage translucide, ce sont vos traits que je dessine au gré de nos échanges, car il faut bien donner une image, sans doute idéale, pour donner un soupçon de chair et de vie.
S’agissant des échanges charnels, sachez que pour moi, Monsieur, ils sont une poésie, plus qu’une fantaisie. Fantaisie est affaire d’une nuit, tandis que poésie serait celle d’une vie. À ce jour, aucun n’a été digne de poésie. Souvenez-vous que je suis une jeune femme aux airs faciles, mais à la réalité difficile. Même si je m’amuse, avec un semblant de nonchalance ou d’impudeur, il n’en reste pas moins un acte pur et intense, qui ne se mesure pas dans le temps, mais par la force qu’on lui accorde.
Pour en revenir à vos attaches : des regards, durant mon périple, il y en a eu à chaque rencontre, d’une rare authenticité. De ces gens qui n’ont plus que cette reconnaissance comme raison de survie et rendent ainsi leur quotidien vivable. Des pensées aussi, pas forcément liées aux précédents ; sinon, elles resteront un mystère. Traversant la Méditerranée, bravant les conflits, elles étaient agréables et douces à imaginer, dans l’attente de mon retour. Aussi douces que le velours, d’un amant impatient de me retrouver pour m’enlacer, m’étreindre, me faire fondre de plaisir, torturé par la séparation. Vaste programme…
Pourtant, je reste indifférente et ne suis pas pressée de rentrer. J’aime cette forme de détresse suscitée par la distance, dans laquelle je me sens désirable et désirée. Peu importe que cela soit futile et/ou éphémère. Elle flatte mon ego.
Et puis surtout, je crains de perdre cette intimité avec moi-même, dès lors que je reprendrais mes masques pour mieux me fondre dans la masse.
***
Madame, si vous lisez ces lignes, c’est que vous êtes de retour. Je vous ai promis de vous avouer ce que j’avais déposé dans vos bagages. Il est temps de le découvrir, si tel est votre désir.
Il y avait d’abord l’image d’un homme et d’une femme dans un parc, un jour tiède de printemps. Ces deux – dont je ne sais rien d’autre que la visible harmonie de ce qui les réunit – se sont trouvés, ou retrouvés, disons… sous un platane d’Orient. Ils se parlent, avec une émouvante intensité. La femme, habillée d’une robe légère, tient entre ses mains un livre que l’homme vient de lui offrir. Peut-être est-ce le symbole d’un mystérieux pacte. Ou le gage d’un improbable défi. Cap’ ? Pas cap’ ? Mais de quoi ?
Ils se parlent, longuement, sans se quitter des yeux. Enfin, l’homme entraîne la femme, main dans la main, vers un banc libre non loin de là. Elle s’y assied de manière à pouvoir d’emblée glisser ses pieds entre les mains masculines. Amusé, à peine étonné de cette impertinence, il commence un très lent et, apparemment, très agréable massage. La jeune femme se laisse peu à peu envahir par le trouble que les caresses provoquent en elle. Elle finit par fermer les yeux.
Voilà pour la pensée et la douceur. Quant au regard, je renonce à poser le mien plus longtemps sur ce couple. Tant de tendre complicité rend envieux, et je n’ai aucune propension au voyeurisme. Je les laisse à leurs jeux et me contente d’imaginer de quelle manière, au gré des attouchements, la jeune femme va s’abandonner et finir par écarter les jambes. Ils savent tous deux que cela sera. L’attente de l’instant et de la manière les amuse et les rapproche.
Le regard que l’homme glissera alors jusqu’au haut des cuisses, ce regard attendu, désiré, fera monter en eux quelque chose d’irrésistible. Puissent-ils en profiter de la plus agréable manière, à en perdre le sommeil.
Le peu qu’ils m’ont permis de contempler de leur rencontre suffit déjà à mes prochaines rêveries.
Il n’empêche… je sais un parc, Madame, non loin de chez vous.
***
Un soir, au retour d’une de mes journées de plage et de massages, gavée de fruits exotiques et les yeux remplis d’un paysage à la végétation luxuriante, la tête riche de nouvelles rencontres, au contact d’une population aussi généreuse que malheureuse, j’ai pris une douche.
Aussi simplement, je suis allée fouiller dans ma valise, à la recherche d’un paréo. J’ai trouvé vos présents. Le paréo était prétexte. Ce fut moins pour rompre ma solitude que pour satisfaire ma curiosité. Vous commencez à me connaître, et je pense assez, pour avoir compris que je suis joueuse.
J’ai lu votre message avec attention et j’ai sorti vos présents un à un. Votre regard, comme vous vous en doutiez, n’était pas le premier. Le vôtre a eu ce je ne sais quoi de particulièrement touchant. Associé à votre pensée, il en est devenu troublant. J’ai alors tenté de les séparer l’un de l’autre, mais ils perdaient de leur sens, chacun de leurs côtés. Enfin, votre douceur… elle était fondante comme du chocolat fin au palais et aux papilles. Je me suis délectée de ce présent plus que des deux premiers, que j’ai pourtant précieusement rangés pour préserver leur beauté, comme on cache les fleurs de la lumière pour les faire sécher. On ne pouvait pas m’offrir de plus beaux cadeaux cette année.
C’est ainsi, Monsieur, que par ma main, celle de cet homme a glissé sur ma cuisse, cheminant timidement, mais sûrement les courbes de mon corps. De mon lit, je me suis retrouvée dans ce parc, sous cet arbre, sur ce banc. J’ai senti cette main vivante qui remontait ma jambe, effleurant ma peau, jouant avec le tissu de ma robe, narguant mon entrejambe, juste pour voir…
Je vous connais assez d’imagination pour supposer jusqu’où mes rêveries m’ont amenée. Aujourd’hui, je sais de quelles douceurs vous seriez capable. Je comprends mieux aussi vos regards et pensées. J’aurais préféré qu’ils restent un mystère. Avec eux, votre immatérialité se transforme peu à peu en réalité, piquant au vif ma pudeur.
Qui sait, un jour tiède de printemps peut-être, dans ce Parc, non loin de chez moi…