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Temps de lecture estimé : 21 mn
31/01/23
Présentation:  Amour impossible, un thème qui m’a été suggéré par une lectrice. Un texte « plutôt soft et cool » où chacun pourra imaginer la fin qu’il souhaitera !
Résumé:  Une femme se prépare à son mariage. Un inconnu venu d’ailleurs la fait douter. Serait-elle tombée amoureuse d’un mirage ou se serait-elle trompée de mari ?
Critères:  fh bizarre fête amour cérébral fantastiqu -fantastiq
Auteur : Maryse      Envoi mini-message
Réalité ou dualité ?

J-7 :


Elle marchait dans le bois. Elle aimait s’y promener pour souffler, se changer les idées et laisser son esprit vagabonder. Ses pas la conduisirent près du manoir. Une imposante demeure de maître, aujourd’hui inhabitée, qui, en son temps, avait été le centre névralgique de toute la région et le théâtre de nombreux évènements, mais qui, depuis, était laissée à l’abandon. Une soudaine nostalgie la saisit à la vue de la façade décrépie, recouverte de mousse et de lierre.


Enfant, elle avait fait de cet endroit son terrain de jeu de prédilection. Le jardin laissé en friche, dans lequel la végétation avait pris le dessus de façon anarchique, recelait un tas de recoins et de cachettes qu’elle arpentait inlassablement. Cet endroit isolé, à l’abri des adultes, était devenu son territoire, un espace de liberté, loin des règles et des codes, où tout devenait possible. Un monde bien à elle qui stimulait son imagination et dans lequel elle s’était inventé mille aventures. Un endroit auquel elle restait profondément attachée. Même si, depuis son adolescence, elle ne s’y était guère rendue…


Elle chercha du regard l’étroit sentier qui conduisait à l’arrière de la bâtisse. Il n’était pratiquement plus visible. Les ronces et les buissons le recouvraient. Mais cela ne la découragea pas. Elle voulait revoir sa cachette secrète, celle dans laquelle elle se réfugiait lorsqu’elle était triste ou contrariée. Malgré les épines qui agrippaient son jean, lui griffant parfois le bas des jambes à travers le tissu de son pantalon pourtant épais, elle finit par y arriver. Elle écarta le massif d’arbustes qui cachait la vieille grille en fer forgée encastrée dans le mur. Le cœur battant, elle la poussa d’un coup sec. Celle-ci pivota sur ses gonds avec un grincement strident. Elle s’engagea dans l’étroit couloir sombre et humide qui conduisait à l’espèce de cave voûtée, éclairée par quelques soupiraux dont les ouvertures étaient protégées d’épais barreaux. Elle se dirigea vers l’épaisse porte en bois massif et fer forgé du fond. Elle essaya de l’ouvrir sans grande conviction. Comme toujours, celle-ci ne bougea pas d’un millimètre. Elle posa sa main sur le battant et ressentit à nouveau l’étrange vibration, toujours aussi imperceptible, mais bien réelle. Cette subtile pulsation contre sa paume lui avait toujours fait considérer que la maison était vivante, même si plus personne ne l’habitait depuis longtemps. Elle en éprouva un immense soulagement…



La voix grave l’arracha de ses souvenirs. Elle pivota précipitamment sur elle-même et se figea en apercevant la personne qui semblait avoir surgi de nulle part sans qu’elle l’entende arriver. Celui-ci paraissait sortir d’une autre époque, affublé d’une redingote de drap foncé surfin, d’un pantalon ivoire moulant et de hautes bottes étincelantes. Le gilet de satin assorti et la montre de gousset complétaient son costume des plus démodés. Mais ce n’était pas l’accoutrement anachronique, presque ridicule, qui aurait pu paraître comique dans d’autres circonstances, qui mobilisaient toute son attention. Non, ce qui la stupéfiait le plus, c’était l’attitude de l’homme lui-même. Celui-ci semblait tellement à sa place au milieu de la cave qu’elle avait brusquement l’impression que c’était elle qui ne l’était pas… qu’elle était soudainement devenue désuète. L’étrangeté de la situation l’ahurissait. Pour un peu, elle se serait pincée pour vérifier qu’elle ne rêvait pas. Ce qui lui arrivait dépassait l’entendement et elle ne savait pas comment se comporter.


Et pourquoi était-elle aussi décontenancée ? se demanda-t-elle, brusquement agacée. D’ordinaire, elle ne se laissait pas impressionner aussi facilement. Mais elle n’avait jamais rencontré un individu aussi insolite dans un contexte si particulier. Elle ne pouvait dire laquelle de ces émotions, l’incrédulité, la curiosité, la méfiance ou la crainte, l’emportait. Plus les secondes s’égrenaient, plus elle était à fleur de peau. Certes, le mystérieux inconnu était unique en son genre, mais son instinct lui soufflait qu’elle ne devait surtout pas se fier aux apparences et que derrière cette enveloppe à la fois extravagante et affable, se cachait une tout autre réalité.



La réponse sous forme de question à laquelle elle ne s’attendait pas, lourde de sous-entendus, ne fit que renforcer son malaise. Sur des charbons ardents, elle se risqua à un rapide coup d’œil en coin. L’inconnu arborait un sourire aimable, mais les yeux qui la dévisageaient semblaient plonger au plus profond de son âme. Elle eut la sensation désagréable que le regard la transperçait, analysait chaque cellule qui la constituait et qu’aucun recoin de son être n’échappait à la méticuleuse investigation. Cet homme à la mine débonnaire, mais aux yeux inquisiteurs lui donnait l’impression d’être mise à nu et de se retrouver sans défense.


Le silence qui s’installa ne fit que renforcer son embarras. Elle dut faire un effort sur elle-même pour se ressaisir. Elle prit alors toute la mesure du grotesque de la situation. Que pouvait bien signifier la présence de cet énergumène venu tout droit du passé ? S’interrogea-t-elle, fébrilement, avant de passer en revue toutes sortes d’explications, des plus rationnelles aux plus farfelues. Elle finit par abandonner, n’en trouvant aucune de plausible. Absorbée par ses pensées, elle mit un moment à se rendre compte que l’inconnu avait disparu, ou plutôt s’était évanoui aussi soudainement qu’il était apparu.


Bon sang ! Décidément, ce qui lui arrivait n’avait ni queue ni tête !


Elle scruta attentivement la cave à la recherche du moindre indice. Elle remarqua sur le sol en terre battue la marque en arc de cercle que le battant en bois massif de la porte avait gravé en pivotant. Ainsi, cette dernière qu’elle avait toujours connue fermée, s’ouvrait et se fermait bel et bien… et silencieusement, en plus. Les charnières en fer forgé devaient donc être en bon état et régulièrement graissées pour fonctionner sans bruit, déduisit-elle, les sourcils froncés, signe chez elle d’une intense réflexion.


Ce qui s’était produit était incroyable, rocambolesque. Le mystère restait intact…


Perplexe, elle quitta sans plus tarder les lieux, incapable de se défaire de l’étrange pressentiment qui l’habitait. Elle s’éloigna à pas rapides, la tête rentrée dans les épaules tant elle craignait qu’une main lui agrippe le bras pour la retenir.


Une fois arrivée chez elle, elle se rendit directement à sa chambre pour s’y enfermer, toujours aussi chamboulée par l’incompréhensible rencontre qu’elle n’arrivait ni à oublier ni à s’expliquer. Une fois à l’intérieur, elle inspecta attentivement la pièce, redoutant de voir surgir le mystérieux inconnu. Le décor familier finit par la rassurer et sa tension se relâcha. Pour se changer les idées et s’éviter de ressasser, elle sortit son téléphone de sa poche et appela Paul, son fiancé. Ils allaient se marier dans une semaine. Ils discutèrent longuement des derniers préparatifs. Son futur époux prenait très au sérieux leur prochain engagement et l’organisation de la cérémonie au cours de laquelle ils allaient mutuellement se promettre l’un à l’autre. Elle ne pouvait être que ravie de voir avec quel empressement Paul s’occupait de tout et à quel point il était prêt à vivre avec elle…


L’était-elle autant que lui l’était ? se demanda-t-elle brusquement.


Elle chassa cette pensée de son esprit et vaqua à ses occupations qui lui firent oublier tous ses doutes, somme toute bien naturels pour une personne comme elle qui allait prendre une décision aussi impliquante pour le reste de son existence.


Incapable de se coucher, elle resta un long moment devant la fenêtre, le regard perdu dans l’obscurité de la nuit. D’épais nuages cachaient la lune et les étoiles. Tout semblait opaque, bouché. Même le bois qu’elle affectionnait tant formait une masse sombre tel un mur infranchissable. Quelque part, caché par les arbres, se dressait le manoir. Le souvenir de son étrange occupant l’assaillit une fois de plus. Qui pouvait-il bien être ? réfléchit-elle, le visage collé à la glace, cherchant à percer le mystère. Et pourquoi s’était-elle bien gardée d’en parler à Paul alors qu’à plusieurs reprises cela lui en avait brûlé la langue ? Sûrement parce qu’avec son esprit cartésien, celui-ci n’aurait pas compris, se serait inutilement inquiété sur son état de fatigue et lui aurait conseillé de se ménager. Pour ce dernier, tout fait avait une explication logique et il suffisait de la trouver. Et c’était précisément à cause de son manque d’imagination que son futur époux avait parfois du mal à se mettre à sa place et à comprendre ses réactions dont certaines devaient lui paraître insolites, voire saugrenues. Combien de temps resta-t-elle ainsi ? Elle n’aurait pu le dire. Ce ne fut que longtemps, bien longtemps après qu’elle réussit à s’arracher de ses pensées et à aller se préparer pour la nuit… Elle devait dormir, se reposer, afin d’être dans les meilleures dispositions pour faire face aux nombreuses obligations des jours suivants qui allaient être, à ne pas en douter, intenses.



J-2 :


Comment se retrouvait-elle là, dans le bois, elle n’aurait pu le dire avec exactitude. Sûrement la force de l’habitude ! Pourtant, elle s’était promis de ne plus jamais s’y rendre pour ne pas revivre l’espèce d’hallucination qui l’avait assaillie l’autre soir, dans la cave, et qui la perturbait toujours autant. En tout cas, elle ne s’approcherait pas du manoir pour ne pas prendre le risque de se retrouver nez à nez avec l’incompréhensible apparition qu’elle ne s’expliquait toujours pas. Heureusement, les ultimes préparatifs du mariage l’avaient happée et mobilisaient toutes ses pensées, de sorte qu’elle n’avait pas eu le temps de trop s’appesantir sur ce qui lui était arrivé.


L’épisode de la cave, était-il le fruit de son imagination ? Était-elle sujette à d’étranges divagations ? Tout cela l’avait tellement ébranlée qu’elle se demandait même si elle ne devait pas porter une amulette de protection pour se prémunir d’éventuels sortilèges. Ce qui était advenu était tellement étrange et ridicule qu’elle ne savait plus quoi penser.


Tout cela était sûrement dû à la tension et à la fatigue nerveuse que ne manquait pas de provoquer l’organisation des noces, de cet heureux événement… se rassura-t-elle tandis qu’elle s’avançait dans l’étroit sentier qui serpentait entre les arbres.



La voix qui retentit dans sa tête la cloua sur place. Elle l’aurait reconnue entre mille. Celle de l’inconnu. La respiration coupée, elle tenta de se convaincre qu’elle s’était trompée, qu’il n’était pas là, qu’elle prenait ses craintes pour des réalités. Mais non, elle n’avait pas la berlue, il était bel et bien là !


Que lui voulait-il ? Pourquoi avait-il jeté son dévolu sur elle ? Pourquoi la poursuivait-il de ses assiduités ? Quelles en étaient les raisons ?


Saisie d’une brusque panique, elle regarda fébrilement autour d’elle à la recherche d’un quelconque refuge.



Incapable de la moindre réaction, ne serait-ce que du moindre battement de cils, elle ne pouvait rien faire d’autre que de constater qu’il était tout près d’elle, plus près d’elle que quelques jours avant, dans la cave.


Et puis, soudain, elle eut l’impression qu’un étrange brouillard tombait, les enveloppait, que tout s’effaçait autour d’eux. Comme si la réalité n’avait plus cours et que seul subsistait eux deux, face à face, à quelques centimètres l’un de l’autre. Cette situation aurait dû l’effrayer, mais paradoxalement ce n’était pas le cas, plus le cas. La présence de cet homme, ou plutôt de cette espèce de mirage créé de toutes pièces par son imagination, agissait étrangement sur elle. Comme si toutes ses craintes, toutes ses défenses s’évanouissaient tandis qu’une coupable et inexplicable exaltation montait en elle.


Le regard qui l’enveloppait lui assurait qu’elle n’était pas une femme quelconque, mais une femme que l’on désirait vraiment et cette sensation était incroyablement grisante. Sensation toute nouvelle pour elle, sensation que Paul, l’homme à qui elle se destinait, ne lui avait jamais fait éprouver.



Elle devait résister, ne pas laisser l’étrange émoi monter en elle.



Les deux mains qui enveloppèrent les siennes en les serrant déclenchèrent une réaction irrépressible en elle. Elle ressentait la chaleur des doigts sur sa peau, toute la sensualité de ce contact, ce qu’elle n’aurait jamais dû éprouver, sensation qui ne fit que renforcer le trouble profond qu’elle n’arrivait pas à réprimer. Elle se figea et ils restèrent là, immobiles, les yeux dans les yeux, comme si le temps s’était suspendu. Elle avait l’impression de suffoquer. Sa poitrine se soulevait de plus en plus rapidement et elle se mit à haleter. Elle était dans un tel état d’effervescence que sa vue en était brouillée et elle n’arrivait plus à distinguer quoi que ce soit.


Elle inspira profondément et s’efforça de recouvrer sa lucidité pour analyser la situation et sortir du tumulte émotionnel dans lequel elle se débattait.


Elle était littéralement tombée sous l’emprise de son interlocuteur, du regard ensorcelant qui ne la quittait plus, de cette espèce d’attraction coupable contre laquelle elle ne pouvait pas lutter, de l’effet que celui-ci semblait produire sur elle, lui donnant envie de… Non, c’était impossible. Elle ne pouvait pas se le permettre… Dans deux jours, elle allait se marier… Elle ne pouvait pas tout remettre en cause pour un stupide coup de cœur… Et puis l’homme qui la plongeait dans un tel embrasement n’était pas réel ! Enfin, en toute logique… Tout cela n’était qu’un rêve éveillé, les conséquences des légitimes appréhensions que ne manquait pas de susciter son futur mariage.


Et pourtant une étrange langueur, inédite pour elle, était en train de prendre le contrôle de tout son être. Une langueur qui était savamment entretenue par le subtil effleurement des pouces sur sa peau et qui lui faisait perdre toute volonté. Elle tremblait imperceptiblement sans qu’elle puisse y mettre fin et elle aurait été bien incapable de bouger si elle l’avait voulu. Mais le voulait-elle seulement ? Elle n’avait plus de prise sur ses émotions et son corps ne semblait plus entendre les injonctions que lui lançait la raison. Le cœur battant, le souffle court, elle restait là, incapable de faire quoi que ce soit d’autres que d’attendre ce qui allait se passer.


Elle tressaillit en sentant les mains se poser délicatement sur ses épaules après avoir libéré les siennes de leurs emprises, exacerbant la bouillonnante excitation qui grondait en elle. Elle voulut reculer d’un pas, se dégager, mais elle en fut incapable. Son corps refusait de bouger. Elle crut défaillir en sentant le doux effleurement du doigt, repoussant délicatement la mèche qui lui barrait le front.



Lorsque la bouche lui effleura le sommet du crâne, toute sa peau s’enflamma sous le tissu de sa robe en devenant terriblement sensible. Une goutte de sueur coula lentement entre ses omoplates puis le long de sa colonne vertébrale.



Qu’est-ce que ce dernier voulait-il lui faire comprendre en prétendant qu’ils n’étaient pas des étrangers l’un pour l’autre ?



Jamais elle n’avait été aussi troublée. Son pouls battait si vite qu’elle ne parvint pas à répondre. Elle était incapable de s’opposer à l’espèce d’embrasement qui était en train de prendre possession d’elle. À ce moment précis, chaque portion de son corps avait une conscience aiguë de la présence masculine qui se pressait contre elle. C’était la première fois qu’elle était emportée par un tel déchaînement sensuel. Jamais elle n’aurait cru que cela puisse exister. Encore moins que cela puisse lui arriver. Et il fallait qu’elle le découvre dans les bras d’un inconnu. Oh, bien sûr, Paul, son futur époux, l’avait déjà enlacée, mais cela n’avait rien de comparable avec ce qu’elle était en train d’éprouver. Cet homme, cet inconnu qui n’était pas vraiment réel, dont elle ne comprenait rien, avait le pouvoir de déclencher en elle des émotions incontrôlables, inconvenantes, illicites. En avait-elle le droit ? N’allait-elle pas se marier dans deux jours ? Elle devait retrouver ses esprits et se comporter raisonnablement ! Dans une ultime tentative, sa raison essaya de la forcer à se détourner de cette emprise dangereuse et malsaine. Elle s’obligea à penser à Paul, mais l’image de son futur mari n’arrivait pas à remplacer celle de celui qui l’enlaçait de ses deux bras et qui, malgré tous ses efforts, restait comme gravée dans son esprit tourmenté. Bon sang, que lui arrivait-il ? Comment pouvait-elle se montrer aussi faible ?


Sans lui laisser le temps de réagir, l’inconnu se pencha en avant pour déposer sur sa joue un baiser qui lui fit l’effet d’une brûlure. Tout son être en tressaillit. Jamais elle n’aurait cru qu’un baiser aussi simple, presque affectueux, puisse devenir aussi intense, intime. Qui était vraiment cet homme ? se demanda-t-elle avant de perdre définitivement le fil de ses pensées. Puis les lèvres frémissantes se détachèrent de sa joue, passèrent au-dessus des siennes, s’y attardèrent un instant, avant de reprendre leur course, balayant sa bouche d’un souffle tentateur pour ensuite se poser de l’autre côté de son visage. Prise de vertige, elle se sentit vaciller. Ses mains s’agrippèrent aux bras masculins pour s’y retenir.



La voix grave, chaude, vibrante, murmurant à son oreille, ne fit que rajouter à son émoi. Et comme si ce n’était pas suffisant, ils étaient si proches l’un de l’autre que ses seins se trouvaient à quelques millimètres du torse viril. Ses pointes durcirent dans l’anticipation du contact. Pourquoi l’envoûtant inconnu lui demandait-il de devenir son ami… pour quoi faire, au juste ? s’interrogea-t-elle avant de se perdre dans un long frémissement tandis que ce dernier l’enlaçait plus étroitement et qu’une main se perdait dans ses cheveux.


La gorge nouée, le cœur battant la chamade, comme hypnotisée par les yeux rivés aux siens, elle restait pétrifiée, subjuguée tandis que son mystérieux interlocuteur se saisissait d’une de ses mèches, la froissant du bout des doigts. Elle était incapable de mettre de l’ordre dans ses pensées. Tout se bousculait dans son esprit. Tout ce dont elle avait conscience, c’était de la main contre sa joue, du doigt qui s’enroulait autour de sa boucle de cheveux en se rapprochant à chaque tour de son oreille. Elle ne put retenir un léger sursaut au premier effleurement. Elle sentait fondre ses dernières résistances, elle avait atteint un point de non-retour. Et lorsqu’à nouveau, une caresse à peine esquissée lui effleura le lobe de l’oreille, elle arrêta de respirer, folle d’espoir. Les muscles de son corps frémirent sensuellement. Ses lèvres s’écartèrent d’impatience.


Et puis plus rien. L’apparition avait disparu. Elle en aurait presque hurlé de déception.



Frustrée et totalement désorientée, elle mit quelques secondes avant de retrouver ses esprits et de remettre de l’ordre dans l’écheveau emmêlé de ses émotions. Les remords l’assaillirent en lui mettant le feu aux joues : qu’avait-elle imaginé ? Comment avait-elle pu perdre toute maîtrise d’elle-même ? Ses poings se serrèrent de contrariété et son visage se crispa.


Que n’aurait-elle pas donné pour reprendre le fil normal de son existence en effaçant ce qui venait de se passer ? Comment avait-elle pu se fourrer dans une telle situation ? Elle était consternée de son inconduite et se sentait ridicule. Et puis l’idée d’avoir manqué à ses obligations de future épouse ne faisait qu’accroître son sentiment de culpabilité et son malaise. Elle rentra chez elle, la mort dans l’âme…



Jour J :


Le joyeux brouhaha assourdissant la grisait tout autant que le Champagne pétillant qu’elle dégustait à petites gorgées. Elle était mariée, se répéta-t-elle, débordante d’émotion. Le magnifique anneau serti de diamants qui scintillait à son doigt lui allait merveilleusement bien et elle le trouvait parfaitement à sa place. Tout comme elle l’était aux côtés de Paul qui ferait un mari attentionné sur qui elle pourrait compter en toutes circonstances.


Car ils étaient maintenant mari et femme !


La joie des invités, le sourire émerveillé de Paul, tous les compliments et les vœux de bonheur qu’elle avait reçus auguraient un avenir prometteur. La liesse qui l’entourait la ravissait. Jamais elle ne s’était sentie aussi heureuse, d’autant plus que la cérémonie se déroulait à la perfection. Paul avait pensé à tout, sans négliger le moindre détail. L’ambiance était digne de celle d’un conte des Mille et Une Nuits, le buffet copieux, varié et savoureux, les bouquets de fleurs répartis un peu partout égayaient divinement les lieux, l’orchestre jouait remarquablement bien, les convives dansaient, riaient et lui lançaient continuellement des sourires radieux. Comment n’aurait-elle pas pu être comblée de vivre un moment aussi exquis ?



La voix s’étrangla et la fin de la phrase resta en suspens. Étonnée, elle tourna instinctivement la tête pour découvrir ce qui semblait stupéfier son époux. Son cœur se bloqua dans sa poitrine lorsqu’elle reconnut le mystérieux inconnu qui s’avançait vers elle, traversant la foule incrédule qui s’écartait sur son passage. En pantalon rayé et queue-de-pie anthracite, celui-ci était superbe dans son habit à la coupe parfaite. Une rose rouge ornait sa boutonnière.


En proie à la panique la plus totale, elle le regardait s’approcher à pas assurés, sans vraiment le voir tant elle était bouleversée. Pourquoi apparaissait-il le jour de ses noces ? Qu’allait-il maintenant se passer ? Que pourrait-elle répondre lorsqu’on l’interrogerait au sujet de cette présence à la fois inopportune et embrassante ?


Une fois arrivé à sa hauteur, l’inconnu s’inclina avec élégance devant son mari :



Elle pria le ciel que son époux interloqué refuse, mais avant que celui-ci réagisse, l’inconnu lui avait pris la main et l’avait attirée à lui. La musique qui s’était arrêtée reprit comme par enchantement, et bientôt elle dansait au milieu de la piste que les convives avaient libérée. Tous les regards étaient braqués sur eux.


Son cavalier dansait admirablement bien et la conduisait de main de maître. La magie opérait malgré elle. La raideur qui l’avait saisie s’estompait peu à peu et elle dut se rendre à l’évidence, ils s’accordaient parfaitement bien. C’était la première fois qu’elle ressentait une pareille émotion en dansant avec quelqu’un d’autre. Elle se sentait enveloppée de la tête aux pieds par l’aura sensuelle et envoûtante qu’irradiait son partenaire. Elle n’avait plus la force ni l’envie de résister. À quoi bon, d’ailleurs ?


Dansaient-ils vraiment ? Leurs deux corps, parfaitement synchronisés, s’ajustaient à merveille l’un à l’autre. Celui de son irréel partenaire glissait contre le sien, la jambe de ce dernier précédait la sienne tandis que les mains de celui-ci la maintenaient de façon presque possessive. Il la guidait avec une assurance naturelle et une sensualité innée qui la domptaient, ou plutôt qui la subjuguaient. C’était la première fois qu’ils dansaient ensemble et pourtant elle anticipait le moindre mouvement de celui qui l’entraînait dans une ronde enivrante, comprenant d’instinct ce que ce dernier attendait d’elle.


Bon sang, que lui arrivait-il ? Comment interpréter le fait qu’elle s’appariait aussi bien avec son mystérieux visiteur ? Comme si un lien invisible les connectait l’un à l’autre. Ils étaient à l’unisson, en osmose. Sous les yeux de son mari ! Elle avait besoin de savoir, de comprendre. Et si c’était un homme comme lui qu’il lui fallait, un homme aux antipodes de Paul ? s’interrogea-t-elle, soudainement. Un homme capable de lui faire sentir qu’elle était vraiment vivante, capable d’éveiller ses désirs et de déclencher la passion contenue en elle. Jusque-là, elle s’était persuadée qu’elle n’en avait pas besoin pour être une bonne épouse, mais depuis qu’elle avait commencé à danser, son corps lui affirmait le contraire.


Elle devait à tout prix conserver son sang-froid, se reprit-elle. Surtout ne pas lâcher la bride à ses élans, ne pas succomber à la tentation. Elle ne pouvait pas se le permettre… ni de remettre en cause l’avenir qu’elle s’était tracé.



Plus une prière qu’un ordre, regretta-t-elle, en son for intérieur. Mais les bras qui l’entouraient par la taille resserrèrent leur étreinte. Ses seins s’écrasèrent contre le torse masculin tandis que le trouble vertigineux qui l’avait assaillie ne faisait que s’intensifier. Des émotions interdites pour une femme qui s’était promise à un autre homme ! Ce jour béni aurait dû l’immuniser contre les tentations du sexe opposé. Mais ce n’était pas le cas. Pourquoi était-elle incapable d’endiguer l’intense excitation qui montait en elle en lui faisant perdre tous ses moyens ? Le jour de son mariage !


Elle avait beau se raisonner, elle ne pouvait empêcher son corps, ses sens, elle tout entière, de réagir de façon illicite et excessive à la présence de cet énigmatique inconnu qui réveillait ce qu’elle avait de plus féminin en elle. Jamais elle ne s’était aussi bouleversée, aussi tourneboulée. Ses émotions échappaient à tout contrôle. Son corps ne désirait plus rien d’autre que cette étreinte. Mais pouvait-elle se le permettre ? Être sexuellement attirée par une personne du sexe opposé était dans l’ordre des choses, un mécanisme biologique naturel. Ce qui était répréhensible n’était pas de ressentir une telle attraction, mais d’y succomber sans discernement, tenta-t-elle de se convaincre pour essayer de minimiser ce qu’elle ressentait. Mais malgré tous ses efforts désespérés, elle ne pouvait occulter le fait que Paul ne lui avait jamais fait battre le cœur si vite, mise dans un tel état ! Ce qu’elle ressentait avec une telle puissance était totalement nouveau pour elle. Comme une révélation… Mais elle venait d’épouser Paul, elle devait se reprendre, faire comprendre à son ensorcelant cavalier qu’il ne devait pas insister.



Les propos énoncés avec une telle conviction, comme s’ils s’agissaient d’une vérité absolue, la firent vaciller. Elle aurait dû les chasser de son esprit, ne pas les laisser s’infiltrer en elle et la tenter. Mais c’était peine perdue. Elle était comme envoûtée par la virilité qui émanait de ce corps d’homme pressé contre le sien. Et surtout totalement impuissante à refuser quoi que ce soit ! Qu’était-il en train de se passer ? se demanda-t-elle, à la fois terrifiée et exaltée. Son propre corps ne lui appartenait plus, or elle n’avait pas été encore embrassée ni touchée ! Encore heureux, s’admonesta-t-elle en se rappelant qu’elle était le point de mire de toute l’assemblée.



Tandis qu’elle protestait sans grande conviction, pour la forme, elle savait qu’elle avait perdu, que plus rien ne serait comme avant. Le fantomatique occupant du manoir emplissait ses pensées, ses sens, ses émotions, chaque parcelle d’elle, à tel point qu’il ne restait plus de place pour rien d’autre… ni personne !


Pantelante, elle capitula. Aussitôt, leurs corps se soudèrent plus étroitement encore et se mirent à onduler l’un contre l’autre. Chavirée, elle se laissa emporter par le flot furieux qui se déversait en elle emportant tout sur son passage. Elle était si sensible, si réceptive qu’il lui semblait que chaque effleurement la faisait défaillir ! Elle n’était plus que sensations. Elle avait perdu tout contrôle. La réalité s’effaçait dans une brume ardente…


Jamais elle ne s’était sentie aussi excitée. Toute son attention se concentrait sur l’intensité du désir qui se pressait contre son ventre. Un désir partagé d’une intensité inouïe ! Elle n’était plus que chaude moiteur, pulsations dévorantes ! Elle vacilla, vaincue par un trouble extraordinaire, insensé. Plus rien d’autre ne comptait que l’envie charnelle qui la consumait, son envie viscérale du corps d’homme qui se pressait contre le sien. Le besoin d’assouvir l’espèce d’urgence sensuelle qui l’avait saisie et qui lui faisait oublier tout le reste. Elle ne voyait, n’entendait, ne sentait plus rien d’autre que les mains viriles qui s’appropriaient d’elle en lui caressant voluptueusement le dos. Son être tout entier convoitait cette étreinte…


La musique s’arrêta. Les applaudissements et les acclamations des convives l’arrachèrent de son mirifique et incandescent envoûtement. Elle sentit comme une déchirure en elle lorsque son cavalier la lâcha, recula d’un pas en s’inclinant pour la saluer, avant de disparaître en fendant la foule. Elle restait là, frigorifiée, des larmes de déception aux yeux.


« Je serai toujours là pour toi. Tu sais où me retrouver ! », puis plus rien. Pendant une seconde, elle eut la terrible sensation de sombrer dans un vide absolu.


Elle se reprit en réalisant qu’elle se donnait en spectacle. Elle tourna la tête vers son mari qui la regardait attentivement, d’un air interrogatif presque soucieux comme s’il cherchait une réponse à une question difficile. Pour donner le change, elle se précipita vers lui. Le baiser qu’ils échangèrent lui parut bien fade et n’arriva pas à lui faire oublier l’étreinte brûlante, mais malheureusement inachevée, qu’elle venait de vivre…



7 ans plus tard :


Assise sur une souche, elle profitait du soleil qui l’alanguissait de sa chaleur. Un peu plus loin, sa fille Marie jouait à cache-cache avec son père. Leurs cris joyeux la réjouissaient. Elle était heureuse de les voir s’amuser avec autant d’entrain. Tout lui souriait. Paul était un merveilleux père et un bon époux. Marie, une enfant vive et enjouée qui faisait sa fierté. Elle ne pouvait que s’enorgueillir de leur vie de famille épanouie et de la solidité de leur couple ! Beaucoup la complimentaient pour ce qu’elle avait accompli, mais parfois, sans qu’elle ne sache pourquoi, une espèce de nostalgie, de regret la taraudait. Qu’est-ce qui lui faisait croire que son mariage était plus réussi et plus équilibrant que celui des autres ? se demanda-t-elle brusquement. Ne ressentait-elle pas parfois comme un vide, un manque de fantaisie dans son existence ? Elle repoussa avec force cette pensée en se disant qu’elle était une femme sensée, déterminée, et qu’elle comptait bien le rester pour que son foyer puisse continuer à vivre dans l’harmonie.


Déstabilisée par la tournure que prenaient ses réflexions, elle regarda autour d’elle pour se changer les idées. Sa fille et son mari avaient disparu. Cela faisait un certain temps qu’elle n’avait pas entendu leurs voix ni leurs cris. Une inquiétude subite l’assaillit et elle se redressa pour aller les retrouver.



Silence. La panique la gagna. Folle d’inquiétude, elle se mit à courir dans tous les sens en criant à tue-tête, le prénom de sa fille. Elle porta une main à sa bouche pour refouler un accès de nausée. Non ! Elle ne devait pas succomber à l’affolement. Marie devait être avec son père.


Lorsqu’elle vit Paul surgir d’un petit sentier, seul, le visage angoissé, elle crut mourir.



Paul se contenta de hocher négativement la tête en écartant sombrement les bras. Elle l’aurait frappé ! Épouvantée à la perspective d’avoir perdu sa fille, elle le contourna et se rua sur le sentier qui s’enfonçait dans le bois, sans prendre le temps d’écouter les explications bredouillantes de son mari. Elle appela et appela encore sans que personne ne lui réponde. Elle s’exhorta au calme. Elle devait réfléchir et agir ! Le bois était peu fréquenté, aucun animal sauvage n’y rôdait. Et si Marie était tombée et avait perdu connaissance ? Cette journée qui avait si bien commencé se transformait en cauchemar…


Tandis qu’elle courait dans tous les sens, en hurlant le prénom de son enfant, en proie à l’affolement le plus total, elle aperçut deux silhouettes qui se dirigeaient tranquillement vers elle. Le mystérieux occupant du manoir lui ramenait sa fille en la tenant par la main. Celui-là même qui s’était invité à son mariage et qui l’avait fait douter de son choix. Celui-là même qu’elle avait enfoui au fin fond de sa mémoire pour l’oublier. Et voilà qu’il ressurgissait une fois de plus dans sa vie ! Mais pour l’heure, la seule chose qui lui importait, c’était d’avoir retrouvé sa fille. Elle se précipita.



Elle secoua négativement la tête en serrant contre sa poitrine, son enfant chéri. Des larmes d’émotion, de joie et de soulagement lui inondaient les joues.



Et elle releva les yeux pour remercier celui qui lui avait ramené sa fille. Il était toujours aussi élégant dans ses habits seyants d’une autre époque. Lorsque leurs regards se croisèrent, elle se figea, les muscles tendus, la tête étourdie par le flot d’émotions qui la submergeaient. Elle avait les mains moites et son cœur s’affola. Le temps sembla se suspendre tandis qu’elle se noyait dans les yeux immenses qui la contemplaient. Et si…


Un bruit dans son dos l’arracha de son tumulte intérieur et lui fit tourner la tête. Paul s’approchait à grands pas, la mine soulagée.



Elle ne répondit pas, se contentant d’embrasser les cheveux soyeux de Marie, blottie contre elle. Elle en voulait à Paul pour son manque de vigilance. Heureusement que son énigmatique, mais fidèle soupirant veillait sur elle et sa fille. Elle tourna le visage dans sa direction. Comme à l’accoutumée, celui-ci avait disparu discrètement, sans faire le moindre bruit, comme un fantôme… Son cœur se contracta douloureusement.


« Ne t’avais-je pas dit que tu pourrais toujours compter sur moi ? Je continuerai à t’attendre. Tu sais où me retrouver », crut-elle entendre chuchoter à ses oreilles. Elle réprima sa déception tandis que ses poings se serraient si fort que ses ongles pénétrèrent dans la chair de ses paumes.