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n° 21508Fiche technique20544 caractères20544
Temps de lecture estimé : 14 mn
05/02/23
Résumé:  Une secte, un gourou, des adeptes idolâtres et la police confrontée aux mensonges.
Critères:  religion chantage nonéro
Auteur : Melle Mélina      Envoi mini-message

Concours : Mythomane
L'oasis

Hieronimous Carl, notre maître, notre père, notre guide, notre prophète, le faiseur de rêves, le sauveur de notre monde, l’archange tombé du ciel pour nous sauver vient d’être arrêté.

Pourtant, en l’an 1999, il nous a sauvés et le monde ne peut pas ne pas le savoir, rappelez-vous, la station Mir devait tomber sur la terre, entraînant la fin du monde. Grâce à ses pouvoirs psychiques effarants, il a empêché cette catastrophe.

La fin du monde était programmée en 2012 comme en atteste le calendrier des Mayas et qui sinon Hieronimous a empêché les catastrophes naturelles qui entraîneraient la chute de l’humanité ? Les preuves sont devant nos yeux et certains doutent encore.

Nous, les disciples de L’Oasis, nous sommes sacrifiés pour le bien de l’humanité, mais le tribut que nous avons payé n’est rien comparé à ce que notre maître a dû subir, a dû encaisser. Tandis que nous dormons paisiblement, à l’abri, bien au chaud dans nos couvertures, notre maître empêche l’invasion de Lémuriens prêts à asservir notre terre. C’est un combat sans répit, c’est un peu comme de vouloir empêcher la montée de la mer avec un seau d’eau. Toutes les nuits, sans fatigue, sans relâche, il combat ces Lémuriens pour que nous puissions vivre convenablement.

Ce qu’il nous demande en retour ? Juste un peu d’amour. C’est tout. Il ne demande même pas de reconnaissance.

Je l’ai rencontré sur la grand-place de Brussels, il nous prévenait de l’imminence de la fin du monde. Les gens, en grande partie, se moquaient, insouciants du danger qui planait au-dessus de leur tête, mais quelques-uns, dont moi et ma femme, s’arrêtèrent et écoutèrent ses arguments. Petit à petit, nous comprîmes sa révélation. La planète était en danger, la station Mir, les catastrophes écologiques, les guerres, le manque de spiritualité qui menait l’être humain à ne plus avoir de rêves, et donc plus d’avenir.

Il nous ouvrit les yeux. Le dormeur doit se réveiller.

Pour la société, nous sommes une secte. Nous nous défendons de ce postulat, mais notre maître nous a suggéré de ne pas répondre à ces perfides attaques, à ne pas nous défendre de ce terme rabaissant.



Il nous a rappelé qu’en son temps, la Chrétienté était considérée comme une secte pour le Judaïsme, et qu’il en était de même avec l’Islam. Toute religion est considérée comme une secte avant d’être reconnue.

Les mauvaises langues parlent « De la secte de l’ambre Solaire » en parlant de nous, notre appellation officielle « L’ordre de l’Ambre Solaire Irradiant du Sauveur », l’OASIS.


Mais revenons avant cette arrestation injuste qui me met hors de moi.

Cette nuit-là, Hieronimous s’était engagé dans un combat titanesque contre les Lémuriens et avait bien besoin de repos le jour. Pour se reposer, il a demandé l’aide de ma femme, il faut qu’il puisse jouir de distractions pour revenir encore plus fort à son combat. C’est un honneur. Notre maître est certes un prophète, mais il n’en est pas moins homme, avec des besoins comme tout un chacun. La sexualité en fait partie. Aussi, a-t-il l’élégance d’honorer nos femmes de sa considération.

J’envie beaucoup ma femme d’avoir cette proximité avec notre sauveur, de le connaître dans son intimité, j’aimerais moi aussi bénéficier de toute son attention. Non, que je sois un anonyme à ses yeux, Hieronimous met un point d’honneur à connaître par son prénom chaque membre de notre confrérie, et je suis son comptable, mais je voudrais tellement partager des moments privés, profonds et secrets. Être son confident, c’est ce dont je rêve la nuit. Je ne jalouse pas ma femme, mais je l’envie.

J’avoue ma faiblesse de caractère à mon maître et tel un père voulant le meilleur pour son fils, il ne me morigène pas, m’encourage à en parler à ma femme et me rappelle que la chance qu’elle a, la rend heureuse et qu’il est bon de profiter du bonheur des autres.

Nous avons besoin de fonds, l’Oasis a ses comptes moribonds : notre maître a dû faire des dépenses pour continuer son combat. Aussi, avons-nous décidé que chaque membre de la confrérie devrait à présent s’acquitter d’un droit d’un montant de 1 000 € par mois. Un ou deux membres ont montré leurs mécontentements, mais Hieronimous leur a démontré l’importance de s’acquitter de ce droit.

Si le bonheur de faire partie des élus était gratuit, nous nous sentirions redevables et cela nuirait à notre véritable bonheur, un bonheur désintéressé, pur. Le fait de payer, c’est comme un contrat tacite qui nous permet de vivre pleinement cette chance d’être au premier rang des miracles que notre prophète accomplit chaque nuit.

Et de faire partie des élus, ça n’a pas de prix. Qu’est-ce que 1 000 € par mois pour jouir du bonheur jusqu’à plus soif ?

Notre communauté compte désormais une trentaine de familles, une quarantaine d’enfants et déjà une dizaine à naître, fruits du travail acharné de Hieronimous. Ces enfants occuperont la nef principale de notre havre et seront élevés par des nourrices triées sur le volet, « les âmes féminines de Carl », c’est ainsi qu’on les appelle. Ma femme en fera peut-être partie, c’est toutefois ce que j’espère.

Les « Âmes féminines de Carl » sont toutes de très belles femmes, elles ont été choisies notamment pour leur physique, car elles sont la vitrine de notre communauté. Mais bien sûr, il n’y a pas que la beauté physique qui entre en compte, il faut qu’elles soient belles à l’intérieur également, dévouées entièrement à notre cause, qu’elles aient une foi inébranlable.

La dernière fois, le mari de Faustine Marécaux a proposé au maître sa femme, Hieronimous a décliné l’offre parce qu’il avait des doutes quant à la force de la foi de cette femme. Et évidemment, les cyniques se sont empressés de diffamer les arguments de notre maître, il aurait, d’après eux, refusé de coucher avec Faustine parce que cette dernière est grosse. Mensonges ! Calomnies !



********



Imaginez que notre vie soit étalée sur un écran géant, un écran gigantesque, incommensurable. Imaginez que je parle de toutes les vies terrestres, la vôtre, la mienne, celle de votre voisin, celle de votre chien.

Sur cet écran, il y a des brèches, l’usure du temps, toute toile finit par s’éroder et par endroits se déchirer − des brèches comme des coups de poignard qui permettent à l’œil aiguisé de voir ce qu’il y a derrière cette toile.

Imaginez maintenant que derrière notre toile, se trouve une autre toile. Elle paraît identique, mais elle ne l’est pas. Sur cette toile, ce rideau, se trouve un monde, des humains, des hommes, des femmes, des enfants, des chiens, des chats. Mais sur cet écran, le monde n’est pas régi par les mêmes règles, le temps y est différent.

Derrière cet autre monde, on peut apercevoir au travers les déchirures de l’usure, un troisième monde et ainsi de suite et devant nous, parce que nous avons vu ce qu’il y avait derrière, mais devant, ce n’est pas du néant, il y a une toile avec des déchirures.

Vous visualisez ? Plusieurs univers superposés les uns aux autres avec des déchirures qui permettent d’entrevoir au-delà de notre voile. C’est ce don. C’est ce don que je possède, je vois au-delà. Je vois l’ « ailleurs ».

(Je laisse toujours un laps de temps pour que ces informations puissent être digérées par mon assistance avant de reprendre.)

Non seulement, je peux voir, mais je peux m’y déplacer. Je peux voyager d’un univers à l’autre mes amis.

L’espace-temps diffère de ce que nous connaissons. Parfois, une minute dure une heure et parfois, c’est le contraire. L’histoire que je vais vous raconter se déroule sur plusieurs semaines alors que pour vous, cela n’a duré que le temps d’une nuit.

J’avais traversé plusieurs voiles avant de tomber au beau milieu d’un désert de sable. Un désert implacable, un océan argenté à perte de vue. Tout autour de moi, des montagnes de dunes plus hautes les unes que les autres. Au-dessus de moi, un ciel bleu sans l’ombre d’un nuage et un soleil à son zénith, éclatant, brûlant.

Je regrettai d’avoir traversé les mondes pieds nus, mais telle était la bêtise que j’avais commise. Le sol me brûlait la plante des pieds et les rayons dardaient leur ardeur sur ma peau qui vite se boursouflait.

Je fus vite en proie à une cruelle déshydratation, mais je continuai ma marche en avant. L’inertie est synonyme de mort. J’ôtais ma chemise pour couvrir ma tête, et ainsi protéger mon cerveau qui était le meilleur atout que j’avais en ma possession pour survivre à ces conditions hostiles. Ma vue devint à son tour affectée, sur des étendues de sable se dessinaient des vagues de vapeurs, des ondes luisantes altérant l’horizon, lui donnant un aspect trouble.

Je titubais, j’avais du mal à placer un pied devant l’autre, chaque pas était une douleur et une victoire, mais chaque pas me coûtait en énergie. Combien de fois ai-je failli tomber au sol ?

Enfin, la nuit arrivait subitement comme le ferait un volet que l’on ferme. Et à la chaleur, la froideur la plus extrême lui succédait. Impossible de dormir et de reprendre des forces par ce froid intense. La soif omniprésente et maintenant la faim qui me cisaillait, mettaient ma foi sérieusement en doute, mais je gardais en tête que mon père tout-puissant ne m’abandonnerait pas aux éléments. Je m’adressais à lui, lui demandant le pourquoi de ces épreuves. Il voulait me dire quelque chose et n’avait trouvé que ce moyen cruel pour me faire comprendre son message.

Hélas, je restais sourd à ses demandes.

Cela dura plusieurs jours et plusieurs nuits. Je faillis abandonner, peut-être que mon père réclamait que je quittasse mon enveloppe charnelle pour me faire comprendre que seule l’âme importe.

L’inertie est synonyme de mort.

Je continuai ma funeste marche. Soudain, je vis briller devant mes yeux brûlés : une oasis ! Retrouvant une énergie que je ne pensais plus avoir, j’arrivais à courir vers cet havre de bonheur, mais plus je m’avançais, plus cette promesse s’éloignait jusqu’à disparaître devant moi. J’avais été victime d’un mirage, un mensonge, une ineptie.

Croyez-moi mes amis, j’ai pleuré.

Et les larmes qui coulaient me donnèrent à boire. Ainsi, moi qui pensais que le message de mon père était la vacuité de notre enveloppe charnelle, il me prouvait que l’âme et le corps étaient indissociables. Que l’un se nourrissait de l’autre et inversement.

Je vous le dis, chérissez vos corps, ils ne sont pas qu’amas de chair, de viscères et de boyaux.

Je retrouvais le peu de force qui me manquait pour traverser ce désert infernal, mais surtout, je retrouvais l’espoir.

Avez-vous compris ? Quelle que soit la situation, qu’elle paraisse désespérée ou injuste, gardez l’espoir. Car vous êtes les enfants de notre père tout puissant et sa miséricorde est infinie. Il ne vous abandonnera pas.

Suivez-moi, car la fin du monde est proche, suivez-moi, car je connais le chemin. Gardez l’espoir, je suis l’espoir mes amis !



********



Ainsi cette nuit, Hieronimous avait affronté une épreuve des plus dures, il avait enduré les éléments, les mensonges, la privation pour nous montrer le chemin.

Son discours me fit pleurer, je dois bien le dire. Je comprenais à mi-mot que bientôt les Lémuriens gagneraient leur guerre contre nous, mais que nous devions garder l’espoir et qu’une fin heureuse nous attendait. Hieronimous avait vu sa foi mise à rude épreuve, mais jamais il ne remit en doute l’amour de notre père tout puissant − même lorsqu’il s’adressa à lui, il ne douta pas. Quelle force ! Aurai-je eu assez d’engagement pour ne pas renier notre créateur ?

Je regagnais ma chambre dans le dortoir le cœur léger, apaisé comme beaucoup de mes confrères. Je vaquais à mes occupations tandis que notre guide et les « Âmes féminines de Carl » préparaient l’avenir.

Notre épreuve allait bientôt se découvrir sous la forme d’une arrestation massive par une escouade de policiers.



********



Notre maître nous avait prévenu des mensonges, aussi étions-nous préparés au flot ininterrompu de mensonges, de médisances, de diffamations dont nous ont abreuvé les policiers. Ils l’accusèrent de tous les vices, abus de pouvoir, abus de biens sociaux, abus de faiblesse, corruption de mineur aggravée, viol, vol, arnaque…

La calomnie n’a pas de limite, ils accusèrent Hieronimous de pédophilie. Je témoigne devant Dieu que la petite Dita avait été consentante, que ses parents avaient donné leur accord.

De quel droit ? De quel droit peuvent-ils prétendre confisquer nos enfants sous prétexte qu’ils seraient en danger ? Nos enfants ne manquent de rien, ni d’amour, ni d’éducation.

Et de nouveaux des mensonges, des mensonges plus horribles les uns que les autres. Si je témoignais contre Hieronimous, on m’offrait une sortie de secours honorable. Me revint alors l’allégorie de l’Oasis que notre maître avait entrevue dans le désert, dans un autre monde et qui s’est avérée n’être qu’un mirage. Une promesse non tenue.

Certains de mes amis désapprouvant ma foi m’avaient demandé ce que pouvait être « Ces Lémuriens » dont nous parlait notre maître et ma foi, je n’en savais rien. Je savais juste qu’ils avaient pour but de nous envahir. À présent, j’avais la réponse, ces Lémuriens n’étaient autres que les autres.

Le dormeur vient de se réveiller !

Mais quel abruti je fais ! Je n’avais pas compris que les autres, ces lémuriens étaient déjà parmi nous et qu’ils allaient prendre le contrôle, le pouvoir. Je vivais dans un monde de mirage, mais maintenant je vois. Je discerne le mensonge de la vérité, je distingue les mirages des oasis.



********



Journal de Xavier Babelaere, Commissaire divisionnaire à la OCRVP (Office central pour la répression des violences aux personnes) :


Je consigne ici dans mon journal, les éléments qui m’ont interpellé lors d’une affaire très particulière. Le Procès-verbal étant beaucoup trop factuel, il me fallait accoucher quelques impressions que m’a suscité cette arrestation.

En ce matin de décembre 2022, nous avons donc interpellé M. Carl Hieronimous au lieu-dit « havre de paix de l’Oasis » ainsi que toutes les personnes vivant dans cette communauté, Hommes, femmes et avons placé sous tutelle de l’état les enfants pour dérive sectaire.

Tout ceci est bien sûr consigné dans le rapport officiel.

Mais si j’écris ses quelques lignes sur mon journal, ce n’est évidemment pas pour répéter le rapport de police. Le fait d’écrire dans mon journal me permet d’employer des termes qu’un avocat de la défense utiliserait pour rendre l’arrestation caduque.

Pour moi, qui aime appeler un chat un chat, Hieronimous, le « sauveur » n’est rien qu’un arnaqueur, doué certes, mais un arnaqueur qui profite de la faiblesse (la bêtise) des gens. C’est un gourou. Un beau parleur, une belle salope.

Ce qui m’a frappé au-delà de son côté profiteur, c’est qu’il est très persuasif. Il croit en ses propres mensonges, donc il est très sincère en quelque sorte. Même quand, lors de l’interrogatoire, je le mettais face à ses contradictions, il s’en sortait avec une pirouette, et restait sûr de lui. C’est assez perturbant.

Il nous a assuré être un champion du monde de VTT. Amusant. Pour ne pas dire pathétique. Comme c’était une donnée vérifiable, nous lui avons montré qu’il n’existait aucune trace de ses performances, ni sur internet, ni sur le site officiel du CIO. Il ne s’est pas démonté, il nous a expliqué que le CIO avait volontairement effacé la performance parce qu’elle était trop impressionnante et ne permettait pas qu’on puisse la surpasser. D’après lui, c’était en 2019. Évidemment, l’année de la COVID.

Il aurait eu une aventure sentimentale avec l’actrice Julia Néné, l’étoile montante d’Hollywood, il aurait gravi l’Everest, il aurait réchappé de justesse à une attaque de grand requin blanc, il aurait conseillé notre Président de la République avant son ascension au pouvoir. Le pire, ce n’est pas tant qu’il y croit, c’est que ses adeptes gobent tout. Plus le mensonge est énorme, plus il passe disait Joseph Goebbels, j’en ai malheureusement encore une fois la preuve.

Hieronimous Carl, né à Weserbergland en Allemagne, était arrivé assez tôt en Belgique et avait réussi à s’intégrer dans la société bourgeoise bruxelloise en épousant à l’âge de 18 ans, une femme de trente ans son aînée, Mme Agrippa. C’était une femme dévote qui enseigna au jeune Hieronimous la théologie. Au bout de cinq ans de mariage, sa femme mourut dans des circonstances à jamais énigmatiques.

On le retrouve trois ans plus tard au monastère « Taratin de Tarascon » et se spécialise dans l’ésotérisme et la démonologie avant d’être renvoyé du monastère pour manquement à l’honneur et manquement de probité.

Une année plus tard, il crée à Bodenwerder « La Nouvelle Église du Firmament », c’est à partir de ce moment que les autorités auront un œil sur les activités de cet homme après que le diocèse ait alerté les autorités quant à la dangerosité de cette NEF. C’est également à ce moment-là que Hieronimous saura s’entourer de bons avocats.

Se sachant dans le viseur des autorités allemandes, on le verra à Bruxelles où il prêchera la bonne parole. Et quelque temps plus tard, il crée l’Oasis dans les Ardennes françaises, près de Charleville-Mézières.


Il aura fallu une plainte d’une mère à propos d’abus sexuels sur la personne de sa fille de 14 ans, la petite Dita pour que nous dépêchions enfin une compagnie procéder à son arrestation. Pour toute défense, Hieronimous soutient qu’il s’agit d’un mensonge de la part de cette femme, elle serait « une mythomane », diagnostic médical confirmé par un psychiatre.

La défense du suspect va démonter notre dossier en deux trois mouvements. C’est pourquoi, j’ai interrogé les adeptes sur ce psychiatre. Rien ne prouve qu’il soit lui-même un disciple de l’Oasis, mais comme par hasard, c’est le psy qui s’occupe de tous les fidèles de la secte.

L’avocat ? Un membre de l’Oasis.

Le médecin ? Un membre de l’Oasis.

Le banquier ? Un membre de l’Oasis.

Comment des personnes aussi instruites, aussi intelligentes, peuvent-elles suivre un homme comme ce Hieronimous ? Je me pose la question, mais à vrai dire, c’est une question rhétorique, tout ce qui m’intéresse, c’est de pouvoir les confondre. Malheureusement, cette enquête m’échappe et j’ai reçu un appel de Monsieur le préfet qui ne veut pas trop se mouiller. Voyant les chances d’incarcérer ce vil gourou et démanteler cette secte être minces comme une feuille de papier, il m’a fait comprendre de classer sans suite cette affaire.

Quel monde de fou !


Toutefois, il me reste encore une carte dans mon jeu, une carte qui, je l’espère, sera maîtresse : le comptable. J’ai senti qu’il avait du mal à digérer de voir sa femme dans le lit de son maître. Alors, afin de l’amadouer et de l’emmener où je voulais, je lui racontais ma vie afin qu’il puisse s’identifier, je lui racontais mon amour pour ma femme. Bien sûr, c’était un bobard, hors de question de lui dévoiler ma vie privée.

Il n’était pas aussi imperméable à mes arguments qu’il l’aurait voulu. Je le sentais vaciller, mais il feignait d’être offusqué. Il avait pour rhétorique celle de son sauveur, nous ne pouvions le comprendre, nous étions des « Lémuriens » dont le but était de prendre le pouvoir pour asservir les êtres humains. Bien sûr, je tentais de le raisonner. Puis, j’appuyais sur la relation qu’entretenait sa femme avec son guide.

J’avais suivi une formation de communication basée sur la PNL (Programme Neuro-Linguistique) pour mes interrogatoires et j’avais une palette d’astuces à utiliser pour arriver à mes fins. Il était aveugle, mais pas bête, il avait bien analysé ma façon de communiquer et cela ne lui avait pas échappé. Que je le veuille ou non, je le manipulais. Et il me le fit remarquer.

Ce fut comme un coup de couteau qui me traversait les idées et mon intellect pour les agrafer comme un post-it dans ma mémoire. Pour arriver à mes fins, j’avais utilisé les mêmes procédés que Hieronimous. Je ne valais pas guère mieux finalement. J’avais utilisé le mensonge pour persuader ce comptable afin d’arriver à mes fins. Se peut-il que ce soit le mensonge qui nous permette d’y voir plus clair ?

Il était temps pour moi de faire une pause. De réfléchir.

« La fin justifie les moyens » dit l’adage, je pourrai en débattre, mais la vérité, c’est que je n’arrive pas à m’en accommoder. J’ai joué au jeu « du mensonge et de la vérité » plus d’une fois dans ma vie de flic sans me rendre compte que cela heurtait mes valeurs.

À présent, le dormeur s’est réveillé.

La vie n’est que duperie, tout le monde ment, que ce soit pour de bonnes ou de mauvaises raisons. Et je me souviens de cette pensée de Jean-Marie Adiaffi :

« Le monde n’est qu’un vaste mensonge, un bouquet de douleurs, un complot contre la vie, un funeste complot contre la liberté et la justice ».