n° 21512 | Fiche technique | 56357 caractères | 56357 9728 Temps de lecture estimé : 33 mn |
06/02/23 |
Résumé: Antoine est un homme perdu quand il rencontre une fille perdue. Qui va sauver qui ? | ||||
Critères: fh prost vacances voir -rencontre | ||||
Auteur : Amateur de Blues Envoi mini-message |
La vie d’Antoine était grise et terne depuis si longtemps qu’il avait cessé d’y penser. Il avait parfois l’impression qu’il glissait vers la mort à une vitesse vertigineuse, sans une rencontre à laquelle se raccrocher. Il avait tout perdu.
Jadis, il s’était cru le roi du monde. Il avait créé son entreprise et gagné beaucoup d’argent, il vivait avec une femme merveilleuse et il avait deux enfants qu’il aimait profondément et qui le lui rendaient. Mais personne n’a jamais assez de ce qu’il a. On en veut toujours plus, n’est-ce pas, et c’est ce qui est arrivé à Antoine, le beurre et l’argent du beurre. Son assistante est devenue sa maîtresse et il se croyait le plus heureux des hommes avec ces deux femmes qu’il aimait et qui se disputaient ses faveurs.
Mais quand l’une a appris l’existence de l’autre et que toutes deux lui ont demandé de choisir, ce dont il était incapable, tout est parti en live. Sa femme l’a mis à la porte et ses enfants ont refusé de lui parler. Sa maîtresse le largua quand il hésita à l’épouser et comme elle était la cheville ouvrière de son entreprise, il s’en rendit compte à cette occasion, il vendit le tout, entreprise et assistante, à un fonds de pension.
Dès lors, il vivait seul, dans un petit studio qu’il se refusait à rendre confortable. Il ne travaillait pas, vivant chichement de ses rentes, la majeure partie de son capital ayant été versée à sa femme et à ses enfants. Il ne sortait plus, n’avait plus d’amis, leurs amis communs ayant choisi de continuer à voir sa femme. Il faisait des mots croisés, regardait des séries stupides sur Netflix, marchait la nuit dans la ville, chaque nuit, car il n’arrivait plus à s’endormir.
Cela durait depuis des mois, mais un soir, traversant un quartier qu’il ne connaissait pas, il vit un bar ou une sorte de club ouvert après minuit. Il s’arrêta un instant devant l’entrée, mais on ne voyait rien de l’intérieur. Un homme était là, devant la porte qui lui adressa la parole.
Antoine rougit et continua son chemin. Depuis longtemps, alors, il n’avait pas de vie sexuelle, pas de désir. Il marcha encore, plus vite, plus loin et puis il s’aperçut qu’il avait envie de faire demi-tour, de repasser devant la boîte de striptease. Il ne savait pas pourquoi, mais il reprit la même rue, changea de trottoir pour être plus loin de l’homme qui se tenait toujours devant l’entrée. Il ne savait pas ce qu’il espérait, que quelqu’un sorte, peut-être et qu’il voit de quoi avaient l’air les clients de ce genre d’établissement, ou qu’il puisse voir un peu l’intérieur, imaginer l’ambiance. Mais rien. Il n’osa pas s’attarder, rentra chez lui.
Cette nuit-là, il fit un cauchemar, sa femme criait, elle hurlait qu’il était un salaud, elle était nue et un homme qu’il ne connaissait pas se tenait derrière elle et lui caressait les fesses. Il se réveilla en sueur. Il faisait jour. Il se rappela ce matin-là qu’il était malheureux, qu’il ne servait à rien. S’il disparaissait, il ne manquerait à personne.
Pendant quelques jours, il cessa d’aller marcher la nuit et il tenta de s’abrutir devant son écran. Puis il reprit ses excursions, mais évita systématiquement le quartier où il savait trouver le club spécial. Pourtant, il savait qu’à un moment ou à un autre, il allait y retourner. Un soir, pendant une émission de variétés, l’animateur fit entrer une femme qu’il présenta comme stripteaseuse. Elle était jeune, belle et bien habillée. L’animateur lui demanda pourquoi elle faisait ce métier et elle répondit que c’était amusant. Antoine avait la télécommande à la main et changea de chaîne. Il ne voulait pas en savoir plus.
Le lendemain, il s’habilla avec soin avant de sortir et se rasa pour la première fois depuis au moins une semaine. Il se regardait faire avec mépris, comme si ce n’était pas lui qui décidait de ce qui allait arriver. Il essaya de marcher sans penser à rien et il y réussit presque puisqu’il fut étonné de se retrouver devant le club. Il se rappelait d’un trajet beaucoup plus long. L’homme devant la porte n’était pas le même que la première fois. Antoine lui demanda ce qu’il fallait faire pour entrer et l’homme rit, disant ensuite qu’il suffisait de pousser la porte.
Le cœur d’Antoine battait fort, comme autrefois, quand il avait rendez-vous dans un hôtel avec sa maîtresse. La salle était plus petite que ce qu’il avait imaginé. Il y avait une petite scène éclairée par des projecteurs de couleur et autour, une douzaine de tables dont cinq ou six étaient occupées par des hommes seuls. Une seule table, la plus dans l’ombre était occupée par un couple. Une très jeune femme, presque une adolescente, ce qui gêna beaucoup Antoine, s’approcha de lui avec le sourire. Elle ne portait qu’un bikini minimaliste et des chaussures à talon haut.
Antoine bredouilla des remerciements, commanda un whisky et s’assit à la première table devant la scène. À peine était-il assis que la musique changea. Elle se fit plus forte et trois jeunes femmes entrèrent sur la scène, à quelques mètres de lui. Elles étaient enveloppées dans des capes de satin bleu et des spots de même couleur les éclairaient. Elles dansèrent un peu, assez mal, mais danser en talons aiguilles était un exercice certainement difficile. Antoine observa leurs visages et les trouva laides, avec des bouches vulgaires et des yeux trop maquillés.
Il cessa de regarder leurs visages quand elles jetèrent les capes au sol. Elles étaient nues, déjà… et Antoine trouva cela désagréable. Cela venait trop vite et leur chair bleue n’était pas appétissante, leurs gros seins ballottaient comme de la viande et leurs mollets étaient trop musclés. Il fut distrait par la jeune serveuse qui lui amenait son verre, et quand il redressa la tête, une des danseuses exhibait sa chatte juste en face de lui, cambrée en arrière pour mettre son pubis en avant, écartant les grandes lèvres des deux mains pour bien montrer son intimité. C’était affreux. Antoine avait envie de partir, mais il n’osait pas, pas encore. Les deux autres femmes mimaient une copulation de l’autre côté de la scène. Il voyait leurs grosses fesses s’agiter et n’en ressentait aucun émoi.
Il ferma les yeux un instant, il avait honte et envie de vomir. Quand il les rouvrit, la scène était vide. Il regarda autour de lui, les spectateurs ressemblaient à des zombies et la jeune serveuse qui avait l’âge de sa fille lui sourit. Il se concentra sur le whisky. Il avait une jolie couleur, mais il sentait l’alcool à brûler. Antoine trempa ses lèvres dans son verre, c’était de l’alcool à brûler. Il le siffla donc d’une traite pour en être débarrassé. Mais la petite serveuse s’approcha aussitôt pour lui proposer un nouveau verre.
La petite jeune fille hocha la tête.
Elle repartit vers le bar et Antoine ne put s’empêcher de suivre ses minuscules petites fesses du regard. Puis la musique changea et une nouvelle danseuse entra sur la scène. C’était une femme un peu moins jeune que les précédentes, peut-être la trentaine, et elle portait une sorte de petite chemise de nuit en lin blanc. Elle était nu-pieds et marchait autour de la scène en rythme avec la musique, sans vraiment danser. De temps en temps, elle soulevait la courte chemise et on voyait sa culotte, une simple culotte blanche en coton. Antoine aimait la musique, le What’s going on ? de Marvin Gaye, et il aimait la simplicité de la tenue. Il était fasciné et ne tourna pas la tête quand la serveuse lui apporta sa boisson.
En marchant, la danseuse regardait chacun des spectateurs dans les yeux, les uns après les autres. Elle ne souriait pas. Quand ce fut le tour d’Antoine et que leurs regards se croisèrent, il ressentit ce contact comme une décharge électrique. Elle avait de grands yeux gris, de beaux yeux tristes, et plus tard, Antoine se dit que c’est à cet instant qu’il était tombé amoureux d’elle. Finalement, elle regagna le centre de la scène, et d’un geste gracieux, elle se débarrassa de sa chemise de nuit.
Elle avait de gros seins lourds et elle se contenta pendant un moment de les agiter doucement de droite à gauche. Elle avait une sorte d’anneau en or autour de chaque téton et Antoine aurait voulu les voir de plus près. Elle se pencha en avant, posant ses mains sur ses genoux pour que ses seins pendent devant elle, et elle continua à les balancer doucement, bien en cadence, avec le rythm&blues de Marvin Gaye.
Pour finir, elle se redressa et fit glisser doucement sa culotte le long de ses jambes. Elle avait un corps très particulier, pas du tout dans les normes. Son torse était long et étroit, la taille très fine, tandis que ses hanches étaient larges avec une impressionnante culotte de cheval, sur des jambes courtes et charnues. Elle n’était même pas rasée et son pubis était orné d’un buisson noir très dru. Quand elle se tourna pour présenter ses fesses au spectateur, Antoine fut subjugué par sa silhouette, par cet énorme derrière sous une femme aussi mince. Mais elle ne s’attarda pas assez longtemps à son goût, ramassant sa culotte et la jetant vers le public où un des zombies se réveilla et se précipita pour la ramasser avant de la porter à son visage. Pendant ce temps, la danseuse quittait tranquillement la scène, levant juste la main pour un au-revoir assez charmant dans le contexte.
Le cœur d’Antoine battait à cent à l’heure. Il ne s’attendait pas du tout à un effet aussi foudroyant en entrant ici et le premier numéro l’avait conforté dans cette idée que ce n’était pas pour lui. Il essaya de se reprendre. Il but un peu de rhum – qui était aussi mauvais que le whisky –, mais quand la musique changea à nouveau et que deux danseuses habillées en Sissi impératrices entrèrent sur scène, sur une valse de Strauss, il se leva et partit.
Comme chaque nuit, il eut beaucoup de mal à s’endormir. Il pensa et pensa encore à ce qu’il venait de voir, essayant d’imaginer une suite, une histoire, une aventure, un moyen de revoir cette femme sans retourner dans cet horrible endroit, mais il ne trouvait rien. La musique du show lui trottait dans la tête, il avait envie de se masturber pour la première fois depuis si longtemps, mais il avait encore honte de ce qu’il était, de ce qu’il avait été, de ce goût pour le sexe qui avait détruit son existence, et il se dit qu’il valait mieux se taper la tête contre les murs plutôt que de se caresser. Il ne le fit pas, ou il le fit métaphoriquement en descendant une bouteille de Knockando de 15 ans d’âge.
Les jours suivants, il écouta en boucle what’s going on ? dans ses différentes versions et marcha la nuit à travers la ville en faisant attention de ne jamais se rapprocher du lieu maudit. Mais un jour qu’il était dans le centre et qu’il passait devant un magasin de lingerie, il vit en vitrine une petite chemise de nuit blanche et le souvenir le brûla comme un acide. Il fallait la revoir.
Dès le lendemain soir, il était de nouveau à la même place, devant la scène. La serveuse n’était pas la même, mais elle était tout aussi jeune. Celle-ci avait les seins nus, des petits seins à peine formés, on voyait ses côtes et son string n’avait dans le dos qu’une misérable ficelle rouge qui lui rentrait dans la raie des fesses. Quand elle lui apporta son verre de Gin, il remarqua qu’elle avait des billets glissés dans la culotte, sur son pubis. C’était sans doute un moyen élégant de lui donner un pourboire.
Et il lui tendit un billet de vingt euros qu’elle glissa elle-même dans son string. Il dut supporter le show des valseuses. Au début, elles avaient de grandes robes de soirée et tournaient l’une contre l’autre d’un bout à l’autre de la scène. Elles s’embrassaient sur la bouche en valsant, ce qui provoqua les sifflets de quelques copains assis à la même table. Puis chacune détacha la robe de l’autre qui ne tenait qu’avec quelques agrafes et elles continuèrent à danser nues. Finalement, elles s’arrêtèrent pour présenter leurs anatomies rougeaudes au public. Antoine demanda un autre verre de Gin.
Puis la scène devint noire, et dans l’ombre, une femme s’avança, tout habillée de noir, un loup vénitien cachant son visage. Et si c’était ma danseuse ? pensa Antoine et son cœur se mit à battre. Mais il dut vite déchanter. Sur une chanson de Céline Dion, la femme mystérieuse perdit tout son mystère en se déshabillant à la vitesse de l’éclair. Elle avait des seins gonflés au silicone, anormaux et hideux et son sourire était celui d’une hyène. Antoine se réfugia dans l’alcool. La petite serveuse le surveillait et vint lui proposer un troisième verre dès qu’il eut fini le deuxième.
Et enfin, What’s going on ? a résonné dans les enceintes et le numéro qu’il attendait a commencé. Tout était semblable à la première fois. Visiblement, chaque pas, chaque regard avait été chorégraphié. Quand le regard de la fille croisa celui d’Antoine, se passa-t-il quelque chose ? Il eut l’impression qu’elle le reconnaissait, qu’elle était contente de le voir, mais cela fut si bref et aucun sourire ne put conforter cette impression. Elle se déshabilla, elle balança ses seins comme une professionnelle, et pour finir, comme la dernière fois, elle lança sa culotte dans la salle, sauf que cette fois, elle la lança sur Antoine qui n’eut même pas à se lever pour la prendre.
Il la regarda partir avec un soupir, fourra la culotte dans sa poche et se prépara à partir.
La nuit fut terrible. Il essaya de dormir avec la petite culotte blanche sur le visage, mais c’était impossible. Les démons le poursuivaient. Il trouva un café ouvert à cinq heures, près de l’entrée du métro, s’installa au comptoir et lut le journal de la veille jusqu’à ce qu’il sente ses paupières trop lourdes pour garder les yeux ouverts. La culotte était dans sa poche et elle pulsait comme si elle avait été radioactive. Il dormit toute la journée et se réveilla avec l’envie de retrouver Cynthia. Cela ne servait à rien d’esquiver. Il fallait qu’il la revoie.
Il fut servi par la première jeune fille, celle qui était un peu timide et qui se promenait en bikini. Il pensa à sa fille, une fois de plus. Heureusement, il savait qu’avec l’argent qu’il lui avait donné, elle n’aurait jamais besoin de se promener presque nue devant des vieux tous les soirs pour gagner sa vie. Cynthia aussi aurait dû pouvoir gagner sa vie sans se déshabiller comme ça, même si c’était un vrai plaisir de la regarder, et même si, peut-être, c’était pour elle un plaisir d’être regardée.
Ce soir-là, Cynthia inaugurait un nouveau spectacle. Elle arriva vêtue d’un uniforme de collégienne japonaise, comme on en voit souvent dans les mangas, de longues chaussettes blanches, une jupe plissée et un chemisier blanc bien fermé. Elle virevoltait sur une musique de pop anglaise joyeuse et sautillante. C’était frais et charmant. La jeune femme qui avait pourtant passé l’âge des jeunes filles en fleur jouait parfaitement son rôle. Elle avait l’air heureuse et innocente bien qu’elle montre souvent sa culotte, blanche évidemment, synonyme de pureté. De temps en temps, elle descendait près du public et posait un bisou sur le front d’un homme. Antoine espéra qu’il en recevrait un, mais cela n’arriva pas et il fut affreusement jaloux. Quand elle eut bien sauté partout, elle s’assit sur une chaise, quitta lentement ses chaussettes et déboutonna son chemisier pour montrer sa belle poitrine puis elle recommença à sautiller et à danser, avec ses gros seins qui sautaient dans tous les sens. Ensuite, elle quitta sa jupette et se mit à genoux sur la chaise, le dos tourné au public, ses grosses fesses bien moulées dans la culotte blanche. Elle agita un moment son popotin sur cette musique toujours festive et elle finit par descendre la culotte, nous offrant le spectacle de sa vulve coincée entre ses cuisses épaisses. Puis elle quitta la scène avec la culotte à moitié baissée, faisant de petits pas et agitant une main pour dire au revoir.
C’était formidable. Les hommes, si taciturnes habituellement, étaient excités, applaudissaient et parlaient fort entre eux. Antoine était aux anges. Il savait depuis le début qu’elle était une personne extraordinaire. Selon lui, ce show le démontrait définitivement. Il but encore plusieurs verres, pensant que s’il était patient, il la verrait revenir, mais cela n’arriva pas. Quand il fut ivre, il accepta de prendre la petite serveuse, qui s’appelait Marjorie, sur ses genoux. Il lui demanda comment elle imaginait son avenir et lui glissa un billet dans le maillot. Il y glissa aussi la main, il sentit sa petite chatte toute sèche et il eut honte. Il finit par se reprendre et repartit dans la nuit. Il se réveilla sur une pelouse, dans un petit parc, alors que le jour se levait et qu’un camion ramassant les poubelles passait dans la rue.
Il retourna voir le nouveau spectacle plusieurs soirs de suite. Il ne pouvait plus s’en passer. Toujours, il espérait qu’elle le choisisse pour un baiser sur le front, mais elle semblait l’éviter… lui qui était toujours au premier rang et qui la mangeait des yeux. Il se méfiait, maintenant, et évitait de trop boire. Dès que Cynthia avait fini son show, il repartait. Il passa des heures sur internet et dans les magasins de disques pour chercher la chanson du spectacle, mais il ne trouvait pas. Pourtant, il l’avait en tête en permanence et la chantonnait à longueur de temps.
Et puis un soir, pendant une pause avant le show de Cynthia, la jeune femme qu’il n’avait jamais vue que sur scène entra dans la salle. Antoine faillit ne pas la reconnaître. Elle portait un grand boubou africain, très coloré qui ne laissait rien voir de ses formes. Ses cheveux qu’elle avait toujours détachés étaient serrés dans un chignon strict. Elle traversa la salle à grands pas et vint directement devant la table d’Antoine sur laquelle elle posa ses deux mains, approchant son visage de celui de son admirateur.
Elle fit demi-tour et disparut dans les coulisses. Antoine était rouge de honte et de déception. Il faillit appeler la serveuse du jour pour la tripoter un peu. Il faillit partir puis il décida de rester pour attendre Cynthia. Il sortit une feuille de papier et un marqueur de la poche intérieure de sa veste. Il réfléchit un moment puis écrivit quelques mots sur la feuille. Quand la danseuse entra sur scène, il était prêt. Au moment où elle s’avança en sautillant dans sa direction et où il croisa le regard gris de la jeune femme, il brandit sa feuille à deux mains pour qu’elle puisse lire. Il avait écrit :
EST-CE QUE VOUS PRENEZ DES VACANCES ?
Il vit la jeune femme essayer de retenir un rire et tourner vivement la tête dans une autre direction pour se reprendre. Cela lui suffit, tout n’était pas perdu, et il sortit aussitôt après, finalement moins abattu que d’habitude.
Le lendemain, il abandonna ses mots croisés habituels pour fouiller dans ses cartons et ressortir un livre qu’il avait déjà lu plusieurs fois, mais qu’il voulait lire à nouveau. Il le retrouva, prenant cela pour un présage, et retourna dans son lit avec le livre et une tasse de café. Il éternua quand il l’ouvrit, le livre sentait le moisi, mais il s’en moqua. Dans ce livre, les détectives sauvages, de Roberto Bolaño, un jeune poète tombe amoureux d’une prostituée et ils traversent ensemble le Mexique, poursuivis par des gangsters. Antoine lut toute la journée, puis le début de la nuit. Quand ce fut l’heure où il sortait de la boîte à striptease après avoir vu le numéro de Cynthia, il s’habilla et se dirigea vers une petite rue à l’arrière de l’établissement. Il avait repéré la veille une porte par où sortaient probablement les danseuses.
Il attendit, fuma quelques cigarettes. En fait, jusqu’à la veille, il ne fumait plus depuis plus de vingt ans. Mais il s’était dit que sa nouvelle vie pourrait être accompagnée de cigarettes et il s’en était acheté un paquet le matin en même temps que le café et le pain frais. Quelques femmes qu’il ne reconnut pas sortirent, puis deux hommes, des armoires à glace probablement employées à la sécurité, puis une petite femme à lunettes avec son petit chien dans les bras. Il essaya d’imaginer quel pouvait être son rôle dans la boîte, mais ne devina pas. Il alluma une nouvelle cigarette et attendit encore.
Quand la femme de ses rêves sortit enfin, elle semblait si ordinaire qu’il en fut un moment décontenancé. Mais elle passa sous un lampadaire et regarda l’autre jeune femme qui l’accompagnait, la petite serveuse qu’il n’avait vue qu’en bikini et un instant, il put voir ses grands yeux gris briller de vie. Il se cala contre le coin du mur pour qu’elle ne puisse pas le voir et attendit un moment avant de les regarder s’éloigner. Dans le presque matin qui s’éclairait à l’Est, la ville était déserte et il dut les suivre de loin, se contentant de silhouettes lointaines. Les deux jeunes femmes étaient mal assorties. Marjorie était grande et maigre et Cynthia plutôt petite et ronde. Il se demandait si elles étaient amies. Il entendait les talons de la serveuse résonner sur le bitume, mais pas Cynthia qui avait de simples mocassins. Antoine était un poète mexicain échappé d’un roman. Il traversait une des plus grandes villes du monde dans la nuit en poursuivant une femme.
Finalement, les deux collègues se séparèrent. Il leur laissa le temps de s’embrasser et de se dire au revoir puis il continua sa filature derrière la danseuse. Elle avait un jean qui moulait ses belles fesses et un blouson de cuir élégant, ses cheveux retenus dans un chignon plus lâche que la veille.
Une voiture les dépassa, la ville était en train de se réveiller. Cynthia poussa une lourde porte cochère et entra dans un immeuble haussmannien. Antoine attendit un peu puis entra à sa suite. Il y a toujours un moment où on doit prendre des risques. Il trouva l’ascenseur et vit qu’il montait. Les étages étaient affichés au-dessus de la porte. Visiblement, la jeune femme était allée jusqu’au cinquième étage. Il monta à son tour, par l’escalier de pierre enroulé autour de la cage de l’ascenseur. Sur le palier du cinquième étage, il y avait trois portes. Monsieur et Madame Barthes ; J. Vian ; Cécile Maggieri.
« J » pouvait être Jeanne ou Julie, mais Cécile commençait comme Cynthia. Jeanne et Julie étaient des jolis noms de scène, mais Cécile était ringard. Antoine décida que la femme qu’il aimait s’appelait Cécile. Maggieri faisait Italien ou Corse, et Cynthia avait plutôt le teint mat et les cheveux sombres. C’était suffisant pour un poète mexicain. Il redescendit sans bruit, ressortit dans la rue et rentra chez lui.
Il passa la nuit sur internet, à dépenser de l’argent, à boire du Knockando et à écrire. Le résultat lui sembla satisfaisant. Quand il finit par se coucher, il était détendu, presque serein comme il n’avait jamais été depuis la fin de son mariage. Plus tard dans l’après-midi, il alla jusque chez Cécile Maggieri et glissa une lettre dans sa boîte. Ensuite, il rentra chez lui pour commencer à préparer sa valise, vider le frigo et faire un peu de ménage.
Mademoiselle Maggieri,
Je m’appelle Antoine, je suis cet homme qui vous mangeait du regard au bord de la scène et que vous avez gentiment renvoyé chez lui. Je vis seul depuis trop longtemps et vous êtes, je le sais, une personne auprès de qui je pourrais recommencer à imaginer l’avenir. Ne vous effrayez pas, ma proposition est simple, honnête et très raisonnable.
J’ai besoin de vacances. Aussi, je viens de réserver un billet de train pour aller de Paris à Toulon. J’en ai pris deux au cas où vous voudriez venir. J’ai ensuite réservé deux places sur le bateau de Toulon à Bastia, une seule cabine, mais avec deux lits séparés, et s’il le faut, je passerai la nuit sur le pont. Je dors très peu de toute manière. Une voiture de location m’attend à Bastia et j’ai réservé un petit bungalow au bord de la plage près de l’île Rousse. Petit, mais avec deux chambres tout de même. Le départ est après-demain, gare de Lyon, à 9 h 12.
Je serais ravi que vous puissiez m’accompagner dans ce voyage, mais si ce n’était pas le cas, je partirais tout de même, loin de vous, pour me laver dans la Méditerranée de cette idée puissante que vous pourriez être la femme de ma nouvelle vie.
Je pense que vous auriez tort de ne pas venir. Ce serait simplement un moyen agréable de faire connaissance, de parler de nous, de nous allonger au soleil et d’écouter de la musique dans les bars. Je ne vous demanderai pas de danser ni de… Vous savez bien ce que je ne vous demanderai pas, j’ai parlé d’une proposition simple et honnête.
Vous n’avez pas besoin de répondre à cette lettre. Nous nous reconnaîtrons bien après-demain, sur le quai de la gare, et si vous n’êtes pas là, il n’y a rien à dire de plus.
Quoi qu’il en soit, je vous remercie de ce que vous êtes, de m’avoir fait rêver pendant ces quelques semaines, et je vous souhaite une vie riche et heureuse… si possible en ma compagnie.
Antoine était sur le quai de la gare, très en avance. Il avait perdu toute sérénité. Il acheta des cigarettes alors qu’il avait décidé la veille qu’il était idiot de se remettre à fumer en approchant des cinquante ans. Le temps passa. Trois cigarettes plus tard, l’aiguille des minutes de la grande pendule de la gare était sur le onze et les gens qui montaient maintenant dans le train arrivaient essoufflés, en courant. Antoine comprit qu’il partirait seul. Il se rendit compte qu’il le savait depuis le début. Sa lettre était une manœuvre de désespéré. Quelle femme accepterait de partir dix jours en vacances avec un inconnu ?
Il souleva sa valise et alla se hisser sur le marchepied quand une voix l’arrêta dans son geste.
Il se retourna et se trouva face à des yeux gris qu’il connaissait bien. Cynthia souriait.
Dans le train, ils se retrouvèrent côte à côte. Ils parlèrent peu, surtout de la méprise d’Antoine et de la chance qu’ils avaient que les voisines soient amies. Puis le voyage commença. Antoine regardait sa compagne à la dérobée et celle-ci lisait un roman policier suédois. Il ne l’avait pas remarqué jusque-là, mais elle avait une très jolie bouche, si bien dessinée qu’on aurait dit un travail d’artiste. Quand elle leva son nez de son livre et surprit son regard, elle ne dit rien.
En arrivant à Marseille, ils changèrent de train et s’installèrent à nouveau. Cette fois-ci, ils étaient face à face.
Elle sourit à nouveau, et il y avait tant d’humanité, tant de chaleur dans ce sourire qu’Antoine en eut des frissons. À Toulon, ils prirent un taxi jusqu’au port et embarquèrent au coucher du soleil. Il faisait beau, la mer était belle. Après un repas quelconque à la cafétéria, ils retournèrent sur le pont et parlèrent de voyages, d’écrivains et de peintres en regardant la mer. Ils étaient cultivés l’un et l’autre et avaient certains goûts communs. La conversation fut intéressante et sans arrière-pensées. À un moment, Juliette frissonna et Antoine lui proposa de rentrer.
Quand il se réveilla, Juliette était penchée sur lui et le secouait.
Antoine émergea vraiment en regardant la jeune femme. Elle avait la petite chemise de nuit du spectacle et, visiblement, rien en dessous. Ses cheveux étaient emmêlés et elle était tout simplement adorable. Il la regarda chercher des vêtements dans sa valise et se glisser dans la minuscule salle de bains de la cabine. Il avait fait un cauchemar, mais il avait dormi un peu, ce qui n’était déjà pas si mal. Quand il s’était glissé ivre et en slip dans son lit, la respiration apaisée de Juliette qui dormait lui avait fait un bien fou. Ce matin, il se sentait en vacances, pour la première fois depuis si longtemps.
Deux heures plus tard, ils roulaient sur les petites routes corses, sous le soleil, fenêtres ouvertes. C’était le printemps et l’air sentait le sud, la garrigue, la mer. Juliette avait une jupe en jean et un tee-shirt. Quand il baissait les yeux vers son levier de vitesse, Antoine voyait ses genoux et le début de ses cuisses. Il décida que c’était là les bonheurs de la vie qu’il ne fallait surtout pas négliger. Avant, il ne cherchait qu’à consommer, le sexe comme le reste, et il en voulait toujours plus. Baiser la femme interdite, essayer une nouvelle position, baiser dans l’ascenseur ou dans la voiture, c’était comme s’il cochait des cases dans un petit carnet. Là, le rire de Juliette était plus important que ses nichons.
Le bungalow était rustique, mais propre. Ils passèrent l’après-midi sur la plage. Juliette portait un bikini jaune qui la mettait en valeur. Antoine remarqua avec plaisir que tous les hommes la suivaient des yeux quand elle allait marcher au bord de l’eau ou en revenait. Elle avait demandé à être tranquille et il se fit discret pour ne pas la déranger. Il avait amené Les détectives sauvages et se plongea dans la lecture.
C’était un premier jour. Ils en avaient encore neuf devant eux. Dans son lit étroit, son livre sur la table de chevet, Antoine revivait chaque instant, les moments sérieux, les fous rires, les silences. Jamais il n’avait été aussi serein, jamais il n’avait senti une telle proximité avec une personne, même avec sa femme, quand ils avaient vingt ans et qu’ils hésitaient entre la révolution et un voyage en Inde.
Puis il reprit son livre. De jeunes poètes mexicains buvaient du mescal et de la téquila avec un vieux poète mexicain. Antoine était loin de lui-même, loin du bungalow, aussi il ne comprit pas très bien quand on frappa doucement à la porte de sa chambre. La tête de Juliette se glissa dans l’espace de la porte entrouverte.
Antoine actionna l’interrupteur et il entendit les petits pas de Juliette qui trottinait dans la chambre, puis un bruit de couette, et enfin, il sentit sa chaleur tout contre lui.
Juliette se serra un peu plus contre lui et il sentit sa petite main chaude se saisir de sa queue. Il faillit ouvrir la bouche, mais elle posa l’index de son autre main sur ses lèvres en murmurant un « chut » très agréable à entendre.
Antoine hocha la tête et Juliette l’embrassa sur la bouche, tout en le masturbant avec énergie. Sa bouche était chaude et humide dans le noir, un vrai paradis. Puis ses lèvres le quittèrent et descendirent le long de sa poitrine, suçotèrent chacun de ses tétons et continuèrent à se promener sur son ventre. Il avait les bras le long du corps et essayait de ne rien faire pour la gêner. C’était comme si un petit oiseau était venu se poser sur son épaule et qu’il aurait fallu rester immobile pour qu’il ne s’envole pas.
Les lèvres arrivèrent en bas du ventre et une petite langue commença à lui lécher le gland. De petits slurp rapides, puis de longs coups de langue plus appuyés, et finalement, elle avala sa queue en entier. Elle le suça longtemps tandis qu’il contemplait le noir autour d’eux. Il essayait de ne pas respirer fort, de ne pas crier son plaisir, de ne pas éjaculer, de ne pas envoyer ses mains en exploration pour attraper un sein ou une fesse. Pourtant, la jeune femme faisait le maximum pour le faire venir. Sa bouche montait et descendait énergiquement le long de son membre et, quand elle suçait, il avait l’impression qu’elle l’avalait tout entier en elle.
Mais elle ne voulait pas finir ainsi. Elle se redressa et la couette tomba du lit.
Elle sortit un préservatif d’on ne sait où et l’enfila adroitement sur le mât dressé. Elle enjamba Antoine et s’assit sur sa queue, s’empalant d’un seul coup. Il sentait la chaleur de ses fesses sur le haut de ses cuisses. Son con était très mouillé et brûlant, serré autour de lui comme un fourreau autour d’une épée. Elle posa ses mains sur sa poitrine et commença à bouger tout doucement d’avant en arrière. Antoine aurait voulu éclairer pour la voir, mais il se retint. Elle n’était pas lourde sur lui, pas plus que l’oiseau sur son épaule. Il sentait les cuisses de la jeune femme contre ses hanches et il avait envie de lui dire du bien de ses cuisses, mais il se retint. Juliette bougeait toujours très lentement, mais d’un mouvement plus ample, se cambrant jusqu’à ce que ses fesses remontent et que la queue de son amant soit presque sortie d’elle, puis elle plongeait à nouveau vers le bas et le reprenait tout entier. Elle devait bien le sentir en elle puisqu’elle se mit à gémir à chaque mouvement, couinant comme un chaton.
Elle accéléra son mouvement… « flic flic », faisaient ses fesses en retombant sur Antoine. Lui essayait de respirer sans faire de bruit, sans grogner comme il se rappelait le faire quand le plaisir arrivait.
Elle se déchaîna sur lui, lui griffant le torse, se tendant comme un arc, se mettant à pleurer, puis elle retomba sur son amant comme un sac, molle et lourde, pleurant à chaudes larmes, cherchant l’air par à-coups. Antoine l’entoura de ses bras et la berça un moment. C’était très, très agréable. Elle était fragile et elle avait besoin de lui.
Il la fit rouler sur le lit et se retrouva sur elle. Il plongea son regard dans celui de la jeune femme et malgré l’obscurité, il vit une lueur dans ses yeux gris qui signifiait qu’elle acceptait qu’il la baise. Il commença par aller et venir doucement en elle et la reprise du mouvement la fit gémir à nouveau. Mais Antoine s’aperçut qu’il avait grillé une étape. Il ressortit lentement son membre du fourreau de la dame et descendit sa tête entre ses cuisses chaudes.
Et il lui lécha la fente avec sa langue de chien, il lui mangea le clitoris, il lui mit un doigt dans le fondement. Chaque geste électrocutait Juliette qui allait d’orgasme en orgasme sans plus rien savoir du temps qui passe ou du nom de son partenaire. Elle n’aurait même pas su dire si tout cela était réel ou si elle rêvait. Antoine s’appliquait. Il se souvenait subitement qu’il avait été un excellent amant et que ses partenaires en redemandaient, alors il fit le travail correctement. Juliette réagissait si bien que c’était un merveilleux plaisir que de retarder le moment de l’avoir vraiment pour lui. Il lui téta les seins en continuant de la masturber avec ses gros doigts experts. Mais finalement, tandis qu’elle n’était qu’un pauvre tas de chair molle et poisseuse, il fut aussi au bout du rouleau. Il vérifia l’état du préservatif et s’enfonça en elle, d’un seul coup de reins. Elle réagit tout de même par un petit « oui, Antoine, prends-moi ». Alors il la baisa, sans gentillesse, sans ménagement, avec fougue, comme un mâle baise une femelle de toute éternité, s’enfonçant dans son con plus loin que jamais, déclenchant des sensations qu’elle ne connaissait pas. En allant de plus en plus vite, il parvint à cet instant alchimique de la fusion des corps quand on ne sait plus qui fait jouir qui, quelle partie est à nous et laquelle est à l’autre. Et bien sûr, comme toujours à la fin, il remplit de foutre le petit sac au bout de sa queue et se laissa retomber sur elle comme un homme mort. Il ne s’était pourtant jamais senti aussi vivant. Juliette venait de le ressusciter.
Ils baisèrent toute la semaine, comme des forcenés. Ils avaient l’un et l’autre les organes génitaux en feu, mais ils recommençaient, encore et toujours, avec tendresse au début, de douces caresses et des petits coups de langue, puis avec férocité ç la fin, presque dans la violence, les mains de l’un empoignant les cheveux de l’autre tandis que les doigts s’enfonçaient dans tous les trous sans ménagement. De temps en temps, ils se traînaient jusqu’à la plage et s’endormaient au soleil. De temps en temps, ils écoutaient du jazz ou du blues dans un bar. Mais ensuite, toujours, ils rentraient baiser et parfois, ils ne parvenaient même pas jusqu’à une chambre et baisaient dans la voiture ou sur la table de la cuisine.
La dernière nuit, ils s’endormirent l’un contre l’autre, emmêlés comme des petits chiots, mais quand Juliette émergea dans la matinée, Antoine n’était plus là. Elle le trouva assis sur le seuil, devant le bungalow, son téléphone à la main. Elle s’assit à côté de lui.
Elle était pâle et elle avait peur. Les yeux gris fixaient Antoine comme pour l’empêcher de dire ce qu’elle ne voulait pas entendre.
Les yeux gris retrouvèrent tout leur éclat. Leurs bouches se trouvèrent et leurs langues s’emmêlèrent. Antoine porta Juliette jusqu’à un lit. Elle était légère comme un oiseau posé sur son épaule. Ce jour-là, ils ratèrent le bateau qui devait les ramener au continent. Ils durent prolonger un peu leur séjour, mais finalement, chacun commença une nouvelle vie quelques jours plus tard.