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n° 21607Fiche technique27056 caractères27056
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Temps de lecture estimé : 18 mn
13/03/23
Présentation:  Si la magie existait, elle pourrait apporter merveilleux et grands espoirs. Elle pourrait également être terrifiante...
Résumé:  Le personnage avait immédiatement intrigué Madeleine Astre. La tenancière et propriétaire du gîte « Les bons gobelins » l’avait trouvé quelque peu étrange, aussitôt qu’elle le remarqua.
Critères:  #nonérotique #aventure #fantastique #merveilleux #sorcellerie
Auteur : Juliette G      Envoi mini-message
Aux temps anciens...

Un étrange personnage



Le personnage avait immédiatement intrigué Madeleine Astre. La tenancière et propriétaire du gîte « Les bons gobelins » l’avait trouvé quelque peu étrange, aussitôt qu’elle le remarqua, et ce sans qu’elle sache véritablement pourquoi. L’homme était très grand et d’une minceur proche de la maigreur. Son nouveau client avait le geste lent et fluide et donnait l’impression d’économiser chaque mouvement. Pourtant, il se dégageait du personnage comme une aura de force contenue. À peine sa réservation faite, l’homme avait commandé un grand verre d’eau plate qu’il avait consommé au comptoir. Il avait alors levé et repoussé un haut tabouret de bar de bois massif pour s’y asseoir. Le nouveau venu avait bougé ce siège relativement lourd, comme s’il ne pesait rien. Madeleine était même certaine qu’il ne l’avait tenu que du bout des doigts.


Un visage ascétique et des yeux clairs. Un regard un peu fixe et comme perpétuellement pensif. Un nez puissant et légèrement aquilin. Une large bouche mince, perdue dans une broussaille de poils. Barbiche et moustaches paraissaient soigneusement entretenues. Une barbichette épaisse et taillée en pointe. Chevelure et poils, poivre et sel. Cheveux gardés longs aux épaules, sous un large chapeau de vieux cuir noir. Un long manteau qui semblait tissé de lin sombre. Une chemise blanche et large, sur des pantalons de tissu noir. Et, il y avait les bottes. De hautes bottes de cuir noir, façonnées à l’ancienne et parfaitement cirées. Madeleine se souvenait avoir observé son étrange client avec une drôle de pensée à l’esprit. Si l’homme lui avait demandé de prendre soin de sa monture restée au-dehors, elle n’en aurait pas été plus surprise que cela.




Monsieur Merlot



Madeleine Astre se sentait fortement attirée par ce récent client. Un drôle de personnage. Elle ne le connaissait pas. Elle ne l’avait même jamais vu. Et pourtant, elle appréciait sa présence. Une présence rassurante, dégagée par un individu que l’on pouvait trouver un peu inquiétant. C’était véritablement étrange. Madeleine avait plusieurs fois engagé une conversation avec ce visiteur si peu ordinaire. À chaque petit déjeuner. C’était par ailleurs la seule occasion qu’elle avait, d’approcher son dernier client en date. Après ce repas matinal, elle ne le revoyait plus qu’au moment où il rentrait pour gagner sa chambre. L’homme ne déjeunait, ni ne dînait jamais. Il prenait chaque premier repas de la journée seul, ignorant les quelques autres personnes qui avaient choisi de passer quelques jours au gîte. Il arrivait dans la salle à sept heures précise, saluait poliment ceux qui étaient là et s’installait à une table en retrait. Il commandait ensuite un menu du matin qui ne variait pas. Un petit pain rond de farine noire coupé en tranches, qu’il tartinait de beurre salé. Un beurre artisanal salé et non demi-sel, et un pain travaillé à l’ancienne, que Madeleine produisait elle-même. Et puis, il y avait cette curieuse habitude que l’homme imposait. Madeleine lui apportait un grand bol d’eau encore frémissante, pour accompagner son repas. Son client sortait alors un petit sac en tissu blanc de la poche du manteau qu’il ne quittait jamais. Le petit objet de toile baignait un long moment dans l’eau presque bouillante, avant que l’homme ne se décide à toucher à son bol. Il appelait cela, sa décoction. Le visiteur avait expliqué à Madeleine qu’il ne pouvait malheureusement pas lui faire goûter sa petite recette personnelle.


C’était une sorte de médecine.



Le mot de médecine employé par son client avait intrigué Madeleine Astre. Un mot désuet et d’un autre temps.



Madeleine s’était reprise en bafouillant. Elle était incapable de donner un âge à cet étrange personnage. Quarante ans ? La cinquantaine ? Plus de soixante ans ? Parfois, ce monsieur Merlot lui paraissait très vieux. Et puis un regard ou un sourire de l’homme faisait disparaître le poids des années.



L’homme avait souri et ses longs doigts avaient joué à tirer doucement sur le cordon du petit sac de toile.



Son client s’était toujours montré affable avec elle. Il était là en visiteur. Il avait récusé le mot de touriste, expliquant qu’il avait vécu très longtemps dans la région. Il préférait dire qu’il était revenu pour une visite. Il avait eu très envie de revoir des lieux qu’il avait quittés, il y avait de cela bien longtemps.



Madame Astre avait eu une petite mimique désabusée.



Les yeux clairs fixés sur le bol fumant s’étaient assombris. Comme voilés par les vapeurs du breuvage que l’homme buvait à petites gorgées. Puis, monsieur Merlot avait toisé Madeleine avec un sourire triste.



La légère tristesse du sourire du visiteur s’était muée en un amusement enfantin.



Madeleine n’avait pas quitté des yeux son client, incapable de bouger et comme captivée par sa voix basse et grave.



Le petit rire grave étonna la tenancière du gîte.



Une nouvelle fois, le regard clair s’était assombri, puis le visiteur avait vidé son bol.



Madeleine Astre avait trouvé la tenue vestimentaire de son client, assez originale pour passer pour un peu étrange. De plus, elle n’avait jamais vu monsieur Merlot habillé autrement. Par ailleurs, il était venu au gîte à pied et sans bagages, hormis un long étui de cuir marron craquelé et moisi par endroits. Un vieil objet qu’il portait en bandoulière sur l’épaule. C’était à croire que le bonhomme ne se changeait pas. Pourtant, ses vêtements semblaient toujours impeccables et sa chemise immaculée. Monsieur Merlot était quelqu’un de très soigné de sa personne et il n’émanait de lui aucune odeur désagréable. Encore un petit mystère ! Et pourquoi trimballait-il avec lui, cet étrange étui de vieux cuir usé par l’âge ? Le visiteur semblait tenir à cet objet, autant qu’aux prunelles de ses yeux…




L’étang



L’homme ne passait que peu de temps à l’auberge. Ce qu’il appelait une auberge. Le gîte était réputé et le couvert convenait. C’était plus que suffisant. Il était arrivé la semaine précédente et resterait encore quelques jours. Il n’avait pas de date de départ précise en tête. Le petit bourg de Paimpont avait beaucoup changé. En un certain sens. La petite bourgade restait pourtant telle qu’il l’avait toujours connue. Un petit village perdu dans ses forêts. Le bourg n’intéressait pas le visiteur. Il était là pour les forêts. Un endroit précis d’une certaine forêt. Ce serait sa prochaine étape. Il avait tout le temps du monde, et pourtant il était pressé. Pressé d’en finir, alors qu’il devait encore réfléchir à tant de choses. Et en premier lieu, à ce qu’il ferait de ce temps à venir.


Les lueurs dorées de ce début de matinée faisaient doucement luire les vieilles pierres de l’abbaye et se baignaient dans les eaux de l’étang. Un bain de douceurs orangées. Il n’était pas revenu en ces lieux depuis des éternités. Cet endroit avait été chargé d’histoire. Il avait également inspiré tant d’histoires. Des récits devenus des contes, avant de donner naissance à des légendes. Debout sur la berge, immobile, le visiteur fixait les miroitements du soleil sur l’eau.



Le tant fameux lac n’était qu’un étang.



Caliburn n’avait été qu’une épée ordinaire. Une épée dégagée d’une roche ordinaire, par un homme tout aussi ordinaire. Une épée brisée dans une première bataille.



Excalibor avait été une épée exceptionnelle. Un artefact puissant. Une arme forgée de runes et de grande magie. Elle avait pourtant été inutile. Monsieur Merlot s’était retourné avec une lenteur extrême. Comme s’il prenait sur lui pour reculer l’instant. Ou peut-être, était-ce pour l’apprécier pleinement ?



Proche d’être aussi grande que l’homme, la jeune femme le fixa longuement, ses yeux sombres plantés dans le regard clair. Un étrange sourire flottait sur les lèvres pleines de la fée du lac.



Viviane, debout face à l’enchanteur, manipulait avec grâce sa longue canne de roseau. Elle faisait doucement tourner la poignée entre ses doigts, la pointe de l’objet posée sur l’herbe tendre. La belle magicienne portait des bottines rouge sang et des pantalons noirs, moulant des fesses et des cuisses, que monsieur Merlot savait superbes. Un pull léger de la teinte exacte des bottes emprisonnait un buste mince et une poitrine lourde. Viviane était d’une beauté que l’on pouvait qualifier d’irréelle. Un visage d’une grâce exquise, et quasi inhumaine. D’immenses yeux sombres, nuancés de noir. Des traits d’une délicatesse extrême. Les lèvres de la magicienne étaient un appel à de doux baisers. Un bonnet de couleur identique aux bottes et au pull coiffait une masse de cheveux de jais, longs et bouclés serrés.



Un sourire énigmatique éclaira le visage de Viviane.



Le mage eut un regard amusé et esquissa une petite grimace.



Monsieur Merlot s’était retourné vers l’étang et sentit la présence de Viviane contre lui.





La grande bataille



Une bataille faisait rage au-dessus du petit étang. Une grande bataille. Un combat autant épique que terrifiant. Le dernier combat d’Arthur Pendragon à Camlann.


Aujourd’hui, l’on aurait pu parler de film aux effets spéciaux impressionnants de réalisme. Il ne s’agissait pourtant pas de cela. Des images d’une netteté époustouflante survolaient l’eau calme. Des images d’un réalisme étonnant. Des chevaliers d’un autre temps guerroyaient avec une détermination farouche. Des scènes épiques autant que banales se mêlaient étroitement. Le fracas des aciers qui s’entrechoquaient. Les galops sourds des destriers caparaçonnés. Les éclats de voix et les cris. Des hurlements de rage et de douleur, enchevêtrées en plaintes sourdes ou aiguës. Les bruits de la guerre. Mais l’illusion élaborée par Merlin était bien plus qu’une imagerie parfaite. Elle apportait également des senteurs d’herbe tendre et de fleurs de prairie. De lourds fumets de chevaux écumants. Des effluves écœurants de sang, et des odeurs de mort. Les combattants s’écharpaient comme des damnés condamnés à se battre sans autre choix, dans une gorge de rocailles serrée entre deux collines.


Sur chacun des petits monts surplombant la petite vallée se tenaient d’autres combattants. L’un d’eux, un vieillard vêtu d’un long manteau sombre et d’un large chapeau noir, tonitruait des sortilèges en gesticulant. De ses mains tendues vers la bataille naissaient des boules de feu qui volaient vers la gorge. Des flammes et des explosions grillaient et culbutaient les chevaliers en armures, comme les simples hommes d’armes. Sur l’autre colline, une femme enveloppée d’une tunique diaphane immaculée qui ne cachait rien de son corps psalmodiait des incantations en de douces mélopées. Ses longs doigts bougeaient lentement et l’air semblait se figer, avant de se durcir. Des pointes de glace étincelantes filaient alors vers la gorge où les armées combattaient. Là, hommes et chevaux étaient déchiquetés ou lacérés. Certains mouraient debout, empalés par de longues pointes de glace translucide. Les magies faisaient des ravages. Feux et glaces bousculaient et détruisaient des grappes entières d’hommes, éparpillant avec force les ennemis du roi Arthur Pendragon.



Viviane s’était détournée, abandonnant la fresque si réaliste que Merlin avait créée. Elle ne voulait pas revoir ce drame. Un drame qu’elle n’avait pas oublié. Un échec cruel. Une défaite cuisante entraînant la mort d’un roi, qu’elle avait appris à aimer comme un fils. La fin d’un monde qu’elle n’oublierait jamais et dont elle avait en mémoire chaque détail.



Le regard sombre de la magicienne s’était durci. Les bruits des chevaliers guerroyant avec rage emplissaient le ciel au-dessus d’elle.



Merlin s’était rapproché de la magicienne, tandis que la fresque magique s’évaporait lentement.



Le vieux mage avait posé une longue main maigre sur une épaule habillée de lin. La magicienne semblait proche de laisser exploser sa colère. Son corps était agité de tremblements nerveux. Elle n’avait pas aimé revoir l’ultime bataille d’Arthur Pendragon. Viviane avait disparu après la mort d’Arthur, se contentant de garder Excalibor, le vrai nom de l’épée, dans les eaux de l’étang. Maintenant, elle en était certainement à se laisser aller à songer à Lancelot et à Camelot. Merlin en était certain. Il avait éveillé rancune et colère chez une terrible magicienne. C’était pourtant un risque à prendre.


Viviane leva son beau visage vers le mage et sa bouche sensuelle se tordit en un rictus mauvais.



Le regard clair du mage caressait les yeux sombres.





La dame du lac



Viviane et Merlin avaient fait le tour de l’étang, déambulant sur la berge comme des visiteurs désœuvrés. Ils n’avaient pas prononcé un mot, se contentant de profiter du calme du lieu.


Celle que l’on appelait la dame du lac depuis des siècles semblait plongée dans ses pensées. Parfois, elle arrêtait sa marche et laissait sa main caresser un ajonc ou un roseau. La magicienne murmurait alors des mots inaudibles, un triste sourire aux lèvres. L’on aurait pu penser qu’elle parlait aux plantes. Et peut-être leur parlait-elle réellement. L’étang était l’un de ses domaines. Le seul qui avait été connu des hommes à une lointaine époque.


Viviane n’avait rien répondu aux dernières paroles du mage et il n’avait rien ajouté. Elle avait toujours été tempête, alors que Merlin était un souffle léger. Le mage caressait des doigts la lanière qui attachait le long étui de cuir à son épaule. Viviane avait beaucoup changé. Fut un temps, elle aurait été incapable de taire sa curiosité. Il en était là de ses réflexions quand la magicienne s’était arrêtée. Son regard sombre fixait intensément un endroit précis du plan d’eau.



Après une hésitation très courte, monsieur Merlot avait poussé un soupir.



Le feu sombre des yeux de Viviane s’était adouci. Un geste gracieux, et sa canne s’élevait du sol. La poignée délicatement ouvragée de runes brilla, quand la magicienne l’approcha de ses lèvres de la couleur des fraises des bois. Une lueur douce dansa dans l’air, avant de devenir presque aveuglante.





L’alliance



Un creux de forêt secret. Un lieu inaccessible aux mortels. L’un des nombreux domaines cachés de Viviane. Le mage était revenu en ces lieux chargés de souvenirs, pour une unique raison. Retrouver la dame du lac. Et il était enfin avec elle. Maintenant, il devrait la convaincre. Ce qu’il allait demander à Viviane allait bien au-delà d’une simple assistance. C’était beaucoup plus qu’une aide qu’il désirait d’elle. Il exigerait de Viviane beaucoup plus qu’une alliance entre deux mages. Monsieur Merlot était parfaitement conscient que la dame du lac pouvait lui refuser son soutien. Plus qu’un plan de bataille, il proposerait un accord très particulier. Un pacte d’ordre intime. Cet espoir, ténu jusqu’ici, s’était pourtant ravivé aux premières paroles prononcées par la magicienne.


L’immense saule pleureur à l’écorce d’un blanc laiteux trônait au centre d’une clairière, baignant sous les feux d’un soleil flamboyant. Son feuillage argenté scintillait sous les lueurs dorées. Merlin sentait la présence alentour d’une petite faune sauvage, qui vaquait à ses occupations sans se soucier d’eux. Cerfs et biches, chevreuils et sangliers. Des lièvres et des lapins gambadaient en pleine clairière, et un magnifique étalon blanc comme neige broutait une herbe tendre au pied du roi des saules.



La magicienne, main levée vers l’enchanteur, désignait le long étui qu’il portait à l’épaule. Enfin, Viviane donnait libre cours à sa curiosité.



D’un mouvement lent et pourtant leste, Merlin dégagea l’étui de vieux cuir de son épaule, puis délassa le fourreau de ses longs doigts secs. L’espace d’un instant, il ne se passa rien, puis la longue épée qui semblait forgée d’or pur se mit à luire doucement. Des runes brillaient de feux dorés.



Le rire de la dame du lac fit se lever une douce brise. Un souffle frais sur leurs visages.



Le regard sombre de la magicienne s’était levé vers les yeux clairs de Merlin.



L’enchanteur resta un long moment à regarder l’épée briller sous la lumière du ciel, puis il fixa son attention sur sa compagne.



Un sourire triste passa sur le beau visage de la magicienne.



Merlin avait rangé l’arme magnifique et remit le fourreau à son épaule.



Le rire doux de la magicienne fit s’approcher quelques oiseaux. Un couple de mésanges osa même s’aventurer à se poser sur les épaules de la belle Viviane.



La longue main de l’enchanteur bougea et Viviane la laissa emprisonner doucement la sienne.



La clairière paraissait s’être soudain arrêtée de vivre. Plus aucun souffle d’air, aucune feuille ne bougeait. Les animaux semblaient s’être figés sur place, seul le grand étalon blanc piaffa, troublant un silence pesant.



La vie renaissait sous les mots de la maîtresse des lieux. Des piaillements d’oiseaux lointains firent danser les mésanges perchées sur les épaules de la magicienne.



La dame du lac, immobile, fixait le saule-roi. Son corps gracieux était agité de légers tremblements.



Le regard de Viviane s’était comme voilé, et son doux visage, comme rigidifié.



Le couple de mésanges s’envola quand la dame du lac vint se lover contre le corps maigre de l’enchanteur. Un corps pourtant si fort, qu’elle connaissait bien. Tout ce temps passé, tout ce temps perdu par la faute des hommes.




Temps anciens et nouveaux temps



La main de la magicienne caressa doucement le cuir craquelé de l’étui qui contenait l’épée.



Monsieur Merlot prit la taille de Viviane. Le mage aurait pu être heureux. Un mage, enchanté par les propos de sa dame. Pourtant, Merlin se sentait las, las, et triste.



Viviane, la tête sur l’épaule du mage, souriante malgré les mots tragiques prononcés par son compagnon, laissa filer un petit soupir.