n° 21612 | Fiche technique | 41906 caractères | 41906 7655 Temps de lecture estimé : 31 mn |
16/03/23 |
Résumé: La vie, des fois, c’est noir… | ||||
Critères: fh dispute reconcil pied -extraconj | ||||
Auteur : Amateur de Blues Envoi mini-message |
Ce jour-là, au cours du petit-déjeuner, je me rendis compte une fois de plus qu’Anna, ma femme, était l’âme de notre famille, son moteur, sa joie de vivre. Nous étions assis autour de la table, tous les trois, mon fils, ma fille et moi, trois adolescents embrumés de sommeil et Anna qui virevoltait autour de nous, distribuait les toasts, souriait, lavait les mugs. Elle avait un mot pour chacun, une main dans les cheveux de mon garçon qui faisait semblant d’être exaspéré, mais qui adorait ça, un conseil vestimentaire à ma fille, un baiser sur mes lèvres quand je me suis levé pour partir. Elle n’était pas obligée de sortir du lit si tôt, c’était son jour de congé, mais elle était là pour nous, elle nous aimait. C’est pour ça que… Mais je vais raconter l’histoire.
J’avais une réunion importante sur un chantier, une heure de route. Je suis parti serein, le cœur empli d’images de famille heureuse. Arrivé sur place, je me suis rendu compte que j’avais oublié mon cartable, j’avais bossé la veille à la maison et tous mes calculs étaient dans la sacoche que je revoyais exactement posée sur la table du living-room. J’ai prévenu le chef de chantier, repoussé la réunion en fin de matinée et suis reparti en sens inverse. « Il y a des jours comme ça… », ai-je pensé. J’ai écouté de la musique pendant le trajet, Cat Power, j’aime beaucoup la puissance et la voix de cette chanteuse.
Je me suis garé dans l’allée et suis entré sans sonner. Pourquoi sonner quand on rentre chez soi ? D’abord, j’ai cru qu’une bête s’était introduite dans la maison. Je suis resté interdit dans l’entrée, le bruit venait de la grande pièce dont nous avions supprimé la porte pour circuler plus facilement. D’où j’étais, je voyais que ce n’était pas une bête, mais deux personnes plus ou moins nues qui étaient là. Mon esprit trop lent n’arrivait pas à analyser ce que je voyais, puis j’ai reconnu un homme qui baisait une femme par-derrière. Elle était à moitié couchée sur la table, ses grosses fesses dans ma direction ; l’homme était debout derrière elle. Ce n’était pas mon fils qui est blond et frêle, ce type-là était poilu dans le dos et était sacrément costaud. Je ne savais pas qui ils étaient, c’était chez moi, j’étais en état de choc. Puis j’ai reconnu la jupe d’Anna, la bleue, celle que j’aime bien, roulée autour de sa taille, et sa chevelure, ses magnifiques cheveux blond vénitien détachés dans son dos, et même sa culotte, coincée au niveau de ses genoux, une culotte que je lui avais offerte pour la Saint-Valentin.
Je suis resté longtemps immobile, il me semble, mais je n’ai aucune idée du temps qui s’est passé en réalité, parce que je n’étais plus dans le monde réel, mais dans un monde parallèle, un monde en cours d’effondrement. Les deux amants ne m’avaient pas entendu. Le type grognait et Anna simulait. Je la connais bien, quand elle couine comme ça, c’est qu’elle simule, pour me faire plaisir, pour que j’en finisse au plus vite, peut-être, mais je sais faire la différence. Cela étant, l’idée que je devais agir a tout de même fini par me traverser l’esprit. « Je ne peux pas atteindre mon cartable sans passer devant eux », ai-je d’abord pensé. Je le voyais, ce cartable, posé à l’endroit même où je l’avais laissé la veille, bien en vue sur la table pour ne pas l’oublier en partant ce matin.
Si j’avais eu un fusil, je les aurais tués… tous les deux, en vidant mon chargeur avant de téléphoner à la police, mais je n’en ai pas, je milite contre le droit des citoyens d’en posséder un. Et je sais pourquoi : dans certaines circonstances, nous ne sommes plus nous-mêmes, et si nous avons une arme, nous nous en servons. Des personnes sont tuées tous les jours parce qu’ils ont oublié leur cartable sur la table du living rom.
J’ai fui. Je suis ressorti sans bruit et ai regagné ma voiture. Je n’ai même pas fermé la porte. Ensuite, je suis retourné à ma réunion. Sur la route, j’ai eu de la chance parce que je conduisais n’importe comment. J’allais trop vite et j’oubliais que j’étais en train de conduire, j’aurais pu tuer quelqu’un en roulant ainsi, mais j’ai eu de la chance et suis arrivé au chantier sans encombre. La journée a été très longue. La réunion n’a servi à rien parce que je n’avais pas les nouveaux calculs avec moi. Puisque j’étais là, on m’a proposé de visiter le chantier, mais je n’ai rien vu. On m’a posé des questions, mais je n’ai pas su répondre. Finalement, je suis rentré chez moi. On était au début du printemps et j’ai roulé avec la fenêtre ouverte dans le soleil couchant. Je n’ai pas mis de musique, car je crois qu’elle m’aurait fait pleurer et je ne voulais pas pleurer en conduisant, j’avais assez pris de risques dans l’autre sens.
Une fois rentré, j’ai entendu des voix joyeuses dans la cuisine, celles de ma femme et de ma fille. Ma fille racontait sa journée de classe et faisait rire sa mère en imitant son professeur d’anglais qui était un vieux monsieur original. Je suis resté dans l’entrée et je les ai écoutés, puis Anna qui sortait de la cuisine m’a trouvé dans l’entrée.
J’ai posé mes lèvres sur les siennes et elle est montée à l’étage. Je ne lui ai pas demandé si elle avait passé une bonne journée, pourtant, quand elle a un jour de congé comme celui-là en semaine, elle a toujours des tas de choses à raconter, car elle est très active et elle ne se contente pas de passer l’après-midi dans une chaise longue. J’ai demandé à ma fille si elle voulait venir jardiner un moment avec moi, car il y a toujours beaucoup à faire à la fin de l’hiver, mais elle avait une dissertation à rendre pour le lendemain et elle devait se mettre au travail.
Plus tard, mon fils m’a rejoint au jardin. Il est en dernière année de collège et il avait des questions existentielles au sujet de ses demandes d’admission à l’université. Je compris vite que la vraie question était de savoir si je lui payerais une voiture après son diplôme pour qu’il puisse venir nous voir les week-ends. Nous avons ri et j’ai retardé ma réponse. À l’étage, j’entendais l’eau couler. Anna prenait une douche.
Le repas a été un moment un peu long pour moi. Ensuite, je me suis calé sur le canapé devant un film. J’attendais qu’Anna me rejoigne, mais elle a décliné. Elle voulait lire un magazine, c’était pour le travail. Nos enfants n’étaient presque plus des enfants et les adolescents se couchent souvent assez tard, il arrive même que je sois le premier endormi de la famille. Ce soir-là, j’ai veillé, regardant un deuxième film après le premier.
Vers minuit, je suis monté faire un tour à l’étage. Il n’y avait plus aucun bruit, plus de lumière sous les portes des chambres des gosses. Anna était au lit, avec son magazine et une chemise de nuit très sage, un truc de grand-mère en coton qu’elle avait déniché dans une brocante et qui lui allait si bien. Je me suis assis sur le bord du lit et elle a levé les yeux.
Il y eut un silence interminable. Je ne voulais pas la regarder et elle ne disait rien. Est-ce qu’elle se cherchait des excuses ? Est-ce qu’elle se demandait ce que j’avais vu exactement ?
Elle s’est tue et je ne la regardais toujours pas. Le silence a recommencé, mais je ne pouvais ni bouger ni parler.
Elle se leva et se tint devant moi, attendant visiblement une réponse, mais je ne pouvais pas lui en donner parce que je n’étais pas d’accord. Je voulais qu’elle me dise qu’elle m’aimait et elle ne le disait pas. Je voyais ses pieds nus devant moi, ses petits orteils que je me rappelais avoir sucés les uns après les autres un nombre incalculable de fois. Finalement, devant mon immobilité, elle est sortie de la chambre et j’ai entendu une autre porte se fermer.
Je suis resté assis à regarder le tapis. Je ne savais pas si notre situation était désespérée ou si nous allions trouver une solution. Je ne savais pas comment je pouvais vivre maintenant, ni même si je le voulais. Je voulais cesser de penser. À l’idée de m’allonger seul dans ce lit où nous avions fait l’amour des centaines de fois, j’eus la nausée.
Je suis redescendu et j’ai rallumé la télé pour avoir un peu de bruit. J’ai zappé sans voir les images. Je me suis arrêté sur un match de boxe. Deux types que je ne connaissais pas se tapaient sur la figure et j’avais l’impression que tous les coups m’étaient destinés, puis j’ai remarqué qu’un des deux boxeurs avait des poils dans le dos et j’ai arrêté la télévision.
J’ai pris ma voiture et je suis parti. J’ai roulé toute la nuit, en direction du sud. Au début du printemps, c’est toujours ce que j’ai envie de faire, partir vers le sud. Chez nous, dans le Massachusetts, il peut encore faire froid et moche jusqu’à fin mai alors que dans les états du Sud, c’est le meilleur moment de l’année. Une fois, avec Anna, quand nous étions étudiants, nous avions filé en stop jusqu’en Floride. Nous faisions l’amour dans des motels miteux, plusieurs fois par nuit et nous nous sommes baignés nus dans l’océan.
Quand le jour s’est levé, j’étais en Caroline du Sud et j’ai trouvé un motel au bord de l’océan dans une station balnéaire triste et vide. J’ai dormi quelques heures, mais je me suis réveillé en sueur vers midi. J’avais fait un cauchemar dont je ne me rappelais rien, mais qui m’a laissé une boule au creux du ventre. J’ai appelé mon patron et me suis arrangé avec lui. Il m’a donné une semaine. J’ai rejoint la plage, les estivants n’étaient pas encore arrivés et pourtant la mer déroulait ses vagues, comme toujours. À un moment, mon portable a vibré parce qu’Anna m’avait envoyé un SMS, j’ai eu si peur de le lire que je l’ai jeté dans la mer, loin, d’un grand geste du bras, il a sombré dans les vagues et je me suis senti tellement bête. J’ai marché longtemps sur la plage déserte et quand il a fait nuit, je suis rentré dans ma chambre pour écrire à Anna ; j’étais parti sans même laisser un mot sur la table de la cuisine.
Anna,
J’ai fui, ne m’en veux pas. Tu voulais qu’on parle et je n’ai rien à te dire. J’avais besoin d’explications, d’être rassuré sur nous deux, mais pas de dire ce que je pense. Je ne veux pas être coupable, je ne veux pas être victime, je veux que tout redevienne comme avant. Comme ce n’est pas possible, il faut que je prenne le temps de savoir ce que je ressens, ce que je peux accepter… Comment je peux t’aimer maintenant puisque rien ne sera plus jamais pareil ?
J’ai négocié une semaine de congés et je reviendrai dès que je serai capable de faire face. Je suis en Caroline, au bord de l’océan. Je me souviens de cette chambre, certainement pas très loin d’ici, qui donnait sur un petit port de pêche. Tu t’appuyais à la fenêtre ouverte, nue, mais protégée par une serviette de l’hôtel, et moi, allongé sur le lit, je regardais ton cul magnifique pendant que tu saluais les vieux marins qui passaient sous la fenêtre.
Depuis, nous sommes devenus une famille, mais l’idée de toi me trouble toujours autant. Tu es toujours la braise où je veux me brûler.
J’ai acheté une enveloppe et un timbre à la réception et l’employé a bien voulu poster ma lettre en rentrant chez lui. J’ai passé une nouvelle nuit blanche, à ressasser de vieux souvenirs. J’ai essayé de comprendre le moment où j’ai perdu Anna, mais je n’ai pas trouvé… rien. J’étais un imbécile de cocu aveugle. C’est curieux, je n’arrivais pas lui en vouloir, pas une seconde. Pourtant, je me rappelais l’instant où je m’étais imaginé avec un fusil entre les mains, le désir de mort qui m’avait envahi. J’ai recommencé à écrire quand le soleil se levait :
Anna,
Je ne t’en veux pas. C’est curieux, mais il me semble que si tu as fait cela, c’est parce que tu ne pouvais pas faire autrement. Mais pourquoi ? L’aimes-tu ou est-ce juste un plan cul ? Je n’ai qu’entrevu l’homme que tu as choisi. Je n’arrive pas à imaginer que tu sois amoureuse de lui et je n’arrive pas à t’imaginer mouiller comme une folle à l’idée de vous envoyer en l’air. Quand je vous ai vu, tu simulais, j’en suis sûr. À quoi bon prendre un amant si c’est pour simuler ? Je n’arrive pas à comprendre.
Je commence à penser que si tu veux encore de moi, je suis prêt à accepter beaucoup de choses, mais il faut que je comprenne.
J’ai essayé de déjeuner, mais quand on m’a servi des œufs et du lard, je suis allé vomir dans les toilettes. Je suis allé porter ma deuxième lettre au bureau de poste. Ils vendaient des téléphones prépayés, mais je n’en ai pas acheté, je me sentais plus léger depuis que je savais le mien au fond de la mer.
J’ai recommencé à marcher au bord de l’eau. Je me suis imaginé nager droit vers l’horizon et disparaître dans l’océan. C’est une fin romantique, mais j’en suis incapable et l’idée de ne pas revoir mes enfants me condamne à survivre. En marchant, je me remémorais toutes les fois où nous avions été ensemble sur une plage. Je revoyais nettement tel ou tel bikini d’Anna, comment je me couchais sur le ventre pour qu’elle ne voie pas à quel point je la désirais. Mais un autre souvenir, sans bikini, est venu effacer tous les autres. J’ai eu l’irrésistible envie de lui en parler et je suis retourné à ma table pour écrire :
Anna,
Le printemps avant la naissance de Scott, nous sommes descendus en Floride et nous avons cherché une plage naturiste parce que tu voulais un bronzage intégral. Un jour, nous étions allongés l’un à côté de l’autre. On sortait de l’eau et nous étions encore mouillés. Un type, un homme très brun d’une quarantaine d’années, c’est-à-dire un vieux pour nous qui n’avions pas vingt-cinq ans, s’est installé près de nous. La plage était immense et il n’y avait pas grand-monde, mais il a étalé sa serviette à quelques mètres de nous. Il s’est déshabillé et je me rappelle qu’il avait une grosse bite sombre, mais je ne sais pas si tu l’avais regardé. Lui en tout cas ne te quittait pas des yeux. Je me suis rapproché de toi pour te prévenir que cet homme me semblait suspect, et en murmurant, tu m’as dit ceci, je crois :
- — La vue sur mon corps ne t’est pas réservée, Anton. Nous sommes dans un lieu public, si cet homme prend du plaisir à me voir, qu’il en profite.
Puis, tu t’es tournée sur le côté, les fesses pointées vers lui, et tu me demandais s’il regardait toujours. Comme j’ai répondu par l’affirmative, tu as avancé une jambe et tu m’as dit :
- — Il doit bien voir ma chatte entrouverte. Sacré spectacle ! Il s’en souviendra longtemps.
Puis, quelques minutes plus tard, tu t’es levée en me disant :
- — Viens, on rentre à l’hôtel, je n’en peux plus, je veux que tu me baises.
Cette histoire est très ancienne, mais le souvenir en est particulièrement vif, sans doute parce qu’il y avait là quelque chose de toi que je ne comprenais pas. Nous n’en avons jamais reparlé. Je n’osais pas te questionner et, de toi-même, tu n’as plus jamais abordé le sujet. Y a-t-il quelque chose que je devrais savoir sur tes goûts ou tes fantasmes… ?
Si j’étais en face de toi, je ne pourrais jamais évoquer ces questions. Je suis pudique, impossible de me refaire et tu le sais, tu t’es si souvent moquée de moi pour cette raison, mais s’il fallait me débarrasser de cette satanée pudeur pour te retrouver, je le ferais, Anna, je le ferais.
Pendant la nuit, les yeux ouverts sur les phares des voitures qui passaient devant le motel, je me suis souvenu d’autre chose et j’ai recommencé à t’écrire.
Anna,
Dis-moi que ce n’est pas vrai. Dis-moi qu’à force de penser à ce que j’ai vu et à me souvenir de tous les moments que nous avons passés ensemble (bientôt vingt ans de vie commune, tu y penses, parfois ?), je délire complètement ou est-ce que ce que je viens de découvrir est pire que tout ce que j’imaginais ?
Je n’ai qu’entrevu ton amant, de dos, mais une certaine familiarité me poursuivait, sans que j’arrive à y penser vraiment et ce soir, tout est remonté à la surface. Il y a quatre ans, j’ai accompagné un jour Scott qui devait jouer au base-ball et la rencontre a été annulée pour je ne sais plus quelle raison. Nous sommes rentrés plus tôt que prévu et tu buvais le café dans la cuisine avec un homme que je ne connaissais pas. Tu me l’as présenté comme un cousin éloigné qui passait en ville. Je ne sais plus quel nom vous m’avez donné, il est parti presque tout de suite. Est-ce lui ton amant ? Depuis quatre ans ? À moins que tu papillonnes d’un homme à l’autre depuis des années ? Ris-tu avec lui (eux ?) en parlant de ton imbécile de mari ?
Moi qui n’ai pas mis ta parole en doute un seul instant, moi qui étais persuadé jusqu’à aujourd’hui que j’étais inaccessible à la jalousie, moi, l’idiot de cocu, est-ce que maintenant, si tout ceci est vrai, je suis en colère ? Non, je suis infiniment triste parce que tu étais pour moi une si belle personne. Tu ne peux pas imaginer ce que nous venons de perdre tous les deux.
Le troisième jour, ou le quatrième, je ne savais plus parce que je ne dormais que sur des périodes très courtes et que le manque de sommeil me mettait dans un état hallucinatoire, je suis allé m’asseoir dans un salon de thé près de la poste. Il n’y avait presque personne, le soleil qui traversait les vitres brillait sur les tasses et le sol. J’eus la sensation que j’allais enfin pouvoir me reposer un peu et, sans oublier, profiter du temps qui passe. Je savais que je devais rentrer et affronter la réalité, c’était une question de jours, mais justement, j’avais ces quelques heures devant moi pour relâcher la pression.
Il y avait une dame seule à une table un peu plus loin. Chaque fois que je levais les yeux, elle regardait dans ma direction. Elle était plutôt jolie, plus toute jeune, peut-être une cinquantaine d’années, avec des yeux bleus. Nos solitudes et sa beauté attiraient mon regard et une sorte de jeu a commencé entre nous. Je tournais la tête vers elle et elle baissait les yeux, je regardais par la fenêtre et elle posait son regard sur moi. Est-ce que je pouvais oublier Anna en ayant moi aussi une liaison ?
Ce n’est pas ce qui s’est passé. La dame appréciait ce petit jeu de regard et quand elle savait que mes yeux étaient posés sur elle, elle avait un petit sourire espiègle, un sourire jeune qui me rappela le sourire de ma femme quand elle voulait jouer. C’est alors qu’un nouveau souvenir a explosé dans ma pauvre cervelle déjà bien encombrée, le pire souvenir de notre vie de couple, un de ceux qu’on enterre profondément pour ne plus jamais l’avoir à l’esprit. Comment avais-je pu oublier ? Je devais en parler avec Anna parce que tout était parti de là, j’en eus aussitôt la certitude. Je me suis levé, j’ai laissé la pauvre dame désappointée et je me suis précipité au motel pour écrire une dernière lettre à Anna avant de reprendre la route.
Anna,
Tu te souviens certainement du jour où tu as perdu confiance en moi. Je l’avais oublié, vraiment oublié, comme si cela n’avait jamais existé. Je dois te raconter ce que je m’en rappelle et quand je serai rentré, tu me diras ta version et peut-être pourrons-nous trouver le chemin pour aller l’un vers l’autre.
C’est arrivé il y a une douzaine d’années, les enfants étaient petits, endormis dans leur lit. Il était tard et je travaillais sur des calculs compliqués. Je venais d’être embauché et je voulais donner une bonne image de mes capacités, alors ce travail, le soir, en plus de mes journées à rallonges, était important pour moi, mais je crois que ça t’agaçait un peu. Tu me trouvais trop anxieux, trop occupé et tu pensais certainement que notre vie avait plus d’importance que ce travail.
Je te croyais déjà au lit, mais tu as débarqué dans la pièce dans une nuisette très provocante, tes seins offerts comme des fruits mûrs et ton minou à portée de main. Tu riais et tu me tournais autour, tu sentais bon, mais ce n’était pas le moment. Je crois qu’à cette période, ce n’était pas souvent le moment. Je n’ai certainement pas très bien réagi, mouvement d’humeur, remarque acerbe ou grognement, je ne me souviens plus très bien. Tu ne t’es pas découragée, tu t’es penchée sur moi, tes seins appuyés contre mon dos.
- — Je suis une mauvaise femme, as-tu dit, il faut me punir. J’ai tellement envie d’une queue que je ne peux pas te laisser tranquille.
J’ai voulu faire comme si tu n’avais rien dit, je suis resté le nez baissé et j’essayais de savoir où j’en étais, car tu m’avais tout de même perturbé. Alors tu as pris une feuille sur le bureau, tu l’as mise en boule et jetée à travers la pièce.
- — Tu vois comme je suis vilaine ? Punis-moi, sale type.
Et là, tu avais ce sourire de gosse qui m’avait rendu amoureux de toi, ce sourire à séduire n’importe quel homme, et maintenant, je sais que tu t’en es servie pour en séduire d’autres. Bon, je l’accepte, mais ce soir-là, il a eu l’effet contraire et j’étais vraiment en colère, ne voulant pas le montrer et me sentant ridicule, je t’ai parlé patiemment, comme un père parle à sa gamine effrontée.
- — Pas maintenant, Anna, je t’en prie. Sors de cette pièce, va te coucher, bois un whisky, mais laisse-moi travailler.
Je croyais que cela suffirait. Mais c’était sans compter sur ta ténacité, et puis peut-être que je n’avais pas compris que quelque chose d’aussi important que l’amour que tu avais pour moi était en jeu. En tout cas, tu as bondi comme une petite panthère sur mes papiers et tu t’es enfuie en riant avec une liasse de documents. Il y avait là des plans et des documents officiels dont aucune copie n’existait. Tu étais folle, tu ne te rendais compte de rien, tu ne respectais rien et surtout pas moi. C’est en tout cas ce que j’ai pensé à l’époque. Je t’ai poursuivie, mais tu étais rapide, tu as vite gagné la porte et tu t’es sauvée dans le jardin.
Tu étais presque nue, on pouvait te voir de la route, mais je ne crois pas que cela te gênait. Quand je suis sorti, tu m’attendais sur la pelouse, les pieds nus dans l’herbe. J’ai bondi et tu as fui à nouveau. Je n’ai réussi à te rattraper qu’après un tour presque complet de la maison. Là, j’ai bondi sur toi comme le joueur de football que j’avais été. Nous sommes tombés, moi sur toi, et avec la différence de poids, je savais que tu ne t’échapperais pas. J’ai commencé par reprendre mon souffle, je ne savais pas ce que j’allais faire.
- — Punis-moi, Anton, as-tu recommencé. Tu ne peux pas faire autrement.
Tu disais toujours pareil, mais tu ne souriais plus. La colère m’aveuglait. Je me suis relevé et je t’ai attrapée par le cou. Ma grande main en faisait presque le tour et j’ai serré, vraiment fort. Ta bouche s’est ouverte et ton visage a commencé tout de suite à rougir. En te tenant ainsi, je t’ai fait traverser la pelouse et entrer dans le garage.
Je bricolais pas mal à l’époque et j’avais un palan, pour sortir un moteur d’une voiture, par exemple. Je t’ai lâché la gorge pour t’attacher les mains et j’ai ensuite tiré tes bras vers le haut avec le palan jusqu’à ce que tes pieds ne touchent presque plus le sol. À aucun moment, tu n’as essayé de te libérer. Tu me regardais avec tes grands yeux comme si tu tentais de savoir qui j’étais. La rage me consumait toujours. J’ai déchiré cette nuisette qui était devenue ridicule et j’ai ôté ma ceinture des passants, cette grosse ceinture mexicaine que tu m’avais offerte.
Je t’ai fouetté de toutes mes forces, de nombreuses fois. J’ai marqué la peau de tes fesses et de ton ventre, j’ai tuméfié tes chairs. Quand j’ai repris mes esprits, le mal était fait. Tu n’avais pas crié ni supplié, tu continuais de me regarder. Tu pensais peut-être aux enfants endormis au-dessus de nos têtes, je les avais oubliés.
Je t’ai laissé dans le garage, nue, attachée, blessée. Je suis allé récupérer mes documents et j’ai passé un moment à tenter de remettre en ordre ce qui pouvait l’être. La maison était silencieuse, plus rien n’est vivant quand tu n’es pas là. Je suis retourné te chercher, je t’ai détachée et prise dans mes bras et je t’ai portée jusqu’à notre lit. Nous n’avons rien dit, ni l’un ni l’autre. Une fois couché, j’ai voulu t’embrasser, mais tu as refusé.
- — J’ai trop honte de nous, as-tu murmuré.
Le lendemain après une nuit chaotique et pleine de cauchemars, je suis descendu le premier. Les enfants sont arrivés dans la cuisine et m’ont demandé où tu étais.
- — Je ne sais pas, elle arrive, ai-je répondu.
Et puis tu es venue, enveloppée dans mon peignoir, bien trop grand pour toi. Tu as dit aux enfants que tu étais malade et que tu n’irais pas au travail ce jour-là. Ils m’ont regardé, se demandant sans doute pourquoi je n’en avais pas parlé. Tu nous as embrassés sur le front, tous les trois. Si tu savais comme j’étais soulagé que tu m’embrasses, moi aussi, mais je sais bien que ce n’était que pour les enfants. Ensuite, tu es remontée dans ton lit et je suis parti au travail. La vie a repris. Nous avons été distants et sérieux l’un avec l’autre pendant quelques jours, et nous avons recommencé à regarder des films le soir, blottis ensemble sur le canapé, puis nous avons ri un soir à une bêtise que disait Lena et finalement, nous avons fait l’amour.
J’ai fini par oublier cette horreur, mais, maintenant, je suis sûr que toi tu n’as jamais oublié, et que ce que tu cherchais ce soir-là, tu l’as trouvé avec d’autres puisque j’avais refusé de te le donner. Je vais rentrer demain et nous pourrons en parler.
Si tu veux bien me pardonner, je serai un homme heureux et nous verrons ce qu’il faut changer entre nous pour pouvoir continuer. Quoi qu’il arrive, je te pardonne. Tu es libre, tu peux baiser qui tu veux. J’espère juste que notre histoire a encore un avenir.
Le lendemain était un vrai jour de vacances. Je ne pouvais pas arriver avant ma lettre. Je roulerais donc de nuit, comme à l’aller, pour arriver au moment du petit-déjeuner. Dès que le soleil a été assez haut dans le ciel, je suis allé m’allonger sur la plage. J’ai fermé les yeux et j’ai imaginé qu’Anna était là, nue, à côté de moi.
Plus tard, la dame du salon de thé est passée, en promenade avec un petit chien ridicule au bout d’une laisse. Elle avait une jolie silhouette en plus d’un joli visage. Nous nous sommes regardés, et j’ai vu qu’elle me reconnaissait. Alors, j’ai agité la main, comme quand on rencontre une vieille connaissance. Elle a souri avant de continuer son chemin. J’avais envie de la rattraper et de lui dire que j’aurais bien aimé avoir une aventure avec elle, mais que j’étais en train de perdre ma femme et qu’il y avait des priorités dans la vie, mais je ne l’ai pas fait.
Je suis parti la nuit. J’ai roulé tranquillement, en écoutant de la musique, une radio locale après l’autre, pour ne pas m’endormir. J’essayais de me sentir calme, serein, mais au fond, j’avais une boule dure qui me gênait la respiration. La nuit était étoilée et quand je m’arrêtais pour prendre de l’essence, j’avais envie de m’allonger dans l’herbe et d’oublier ce qui m’attendait, mais c’était impossible ?
Quand je suis arrivé chez moi, le soleil illuminait la pelouse et les tulipes sortaient de terre, timidement. Il y avait un énorme panneau d’agence immobilière indiquant que ma maison était à vendre. J’ai arraché le panneau et je suis entré. Il n’y avait personne, le réfrigérateur était vide, et dans les chambres des enfants, il ne restait plus rien. Dans la nôtre, la partie réservée à Anna avait aussi été vidée. Mes slips et mes chemises étaient restés en place. La boule dans mon ventre redevint une boule de feu et je dus aller vomir dans les toilettes.
Je cherchais des indices, mais je ne trouvais rien. Le téléphone fixe était coupé et la box avait disparu, ainsi que notre ordinateur. Je suis ressorti avec la clé de la boîte aux lettres. Tous mes courriers y étaient entassés, au milieu de quelques factures et de journaux gratuits.
J’ai pensé à aller poser des questions à mes parents qui habitent à une dizaine de kilomètres de chez moi. J’étais déjà dans la voiture, prêt à démarrer, mais après réflexion je me suis dit que s’ils ne savaient rien, j’allais les inquiéter. J’ai pensé alors à l’école de Léna, nettement plus près que celle de Scott. Ma fille devait quand même continuer d’aller en cours.
J’ai attendu dans un bureau et Léna est arrivée. Elle s’est jetée dans mes bras en pleurant.
J’ai eu honte. Je n’étais parti que cinq jours, mais ce n’était jamais arrivé avant. J’ai pleuré aussi avec elle. Je lui ai demandé pardon et, finalement, elle m’a expliqué ce qui s’est passé en mon absence. Anna était inquiète et en colère contre moi. Elle disait que j’étais parti comme un fou, sans aucune raison et qu’on ne me reverrait peut-être jamais.
Je suis reparti avec la boule au ventre. Je roulais trop vite. Anna ne m’aime plus, Anna ne m’aime plus, c’est la seule phrase que j’arrivais à penser. Je suis arrivé devant une grande maison à colonnades, genre nouveau riche avec une grande pelouse en pente douce bien tondue devant. Je me suis arrêté devant le portail. Il y avait un interphone. Je me suis vu demander poliment à une machine si je pouvais parler à Anna.
J’étais en colère à cause de ce que ma fille avait dû supporter. J’ai regardé le portail, très beau, mais assez vieux avec plusieurs points de rouille. Je faisais installer des portails dans tout l’état depuis une vingtaine d’années. J’ai pris la mesure de celui-ci. Avec le pick-up, j’ai fait une longue marche arrière, j’ai respiré un bon coup puis j’ai enfoncé l’accélérateur.
Au dernier moment, j’ai fermé les yeux, mais le portail a volé en éclat et je me suis retrouvé à rouler dans l’allée qui menait à la maison. Quand j’ai stoppé à côté d’une Mercedes et que je suis descendu de voiture, un homme est sorti de la maison avec un révolver à la main. Il n’avait pas l’air très sûr de lui. J’ai monté les marches pour arriver à son niveau comme si tout était normal. « Eh, vous ! », a-t-il commencé à dire, mais je suis passé à côté de lui sans m’arrêter ni le regarder.
J’étais dans un hall plus grand que notre living. J’ai avisé une montée de marches digne d’« Autant en emporte le vent » et je me suis dirigé dans cette direction. Je ne savais pas pourquoi… Une intuition, l’idée que, peut-être, Anna dans cette maison ne faisait que passer son temps au lit. Le type a essayé de m’intercepter, mais je l’ai raffûté, vieux geste de footballeur. Son visage est venu s’écraser contre ma main et il a basculé en arrière. Je suis monté à l’étage.
Il y avait plein de portes, mais une était ouverte et en passant la tête, j’ai vu ma femme dans un lit, comme je m’y attendais, dans une nuisette en dentelle que je lui avais offerte. Elle finissait son petit-déjeuner que le gentil monsieur lui avait monté sur un plateau, à moins que des domestiques zélés aient été cachés quelque part.
J’étais essoufflé, peut-être la montée d’escalier, peut-être que j’espérais m’être trompé et qu’Anna ne serait pas là. Comme je ne pouvais pas parler, j’ai jeté les lettres que je lui avais écrites sur le lit. Anna était très blanche et me regardait de ce regard que je connaissais bien et qui voulait dire qu’elle était concentrée. L’homme au pistolet a déboulé dans la pièce, mais personne n’a tourné la tête vers lui. Nos yeux étaient rivés l’un à l’autre.
Et je suis parti. En passant à côté du petit monsieur, je vis qu’il était plus ou moins blond et frêle. Ce n’était pas lui, le poilu du dos. Un choc de plus. Je ne savais plus vraiment qui était ma femme.
La journée a été longue. J’ai acheté un téléphone prépayé. J’ai appelé l’agence immobilière et je leur ai passé un savon pour avoir osé vendre un bien sans vérifier que la vendeuse était la propriétaire. J’ai appelé mes parents pour les remercier d’avoir gardé Lena, et pour eux, j’ai inventé un séminaire formidable en Caroline du Sud. J’ai appelé mon patron pour l’avertir que j’étais prêt à retourner au boulot dès le lendemain matin, et j’ai plongé dans les documents de mon cartable pour essayer de comprendre où j’en étais avant la scène avec Anna et son amant, mais les chiffres se mélangeaient devant mes yeux et je n’avançais pas. À un moment, j’ai piqué du nez sur ma paperasse et quand je me suis réveillé, la nuit tombait. Je n’avais pas de nouvelles d’Anna. J’avais annoncé que j’irais mettre le feu chez lui, mais j’allais laisser tomber. Si Anna ne venait pas, plus rien n’avait de sens. Ma vie n’avait pas de sens.
À ce moment, j’ai entendu une voiture se garer devant la maison. Je me suis rendu compte que je n’avais pas pris de douche depuis mon départ du motel la veille, que je n’étais pas rasé, qu’Anna allait me trouver vieux et moche. Elle entra. J’étais à moitié étalé sur le canapé et elle était debout à côté de la table où je l’avais vu se laisser baiser par Dos Poilu. Mais ce n’était pas la même femme, pas la même non plus que celle qui déjeunait en nuisette ce matin dans ce lit king size. Mon Anna venait de rentrer à la maison. Je le sus aussitôt parce qu’elle avait l’air timide et embarrassé qu’elle prenait quand je lui proposais d’aller au cinéma, à la fac.
Elle portait un jean et une chemise à carreaux, la tenue qu’elle mettait quand je l’emmenais pêcher la truite, avant qu’on couche ensemble. Je lui avais raconté que j’aimais passer des week-ends dans les montagnes à la recherche des petits torrents à truite dans des coins perdus de l’État de New York. Elle avait dit : « Oh, c’est intéressant, tu m’emmènes ? » et nous étions partis dans ma vieille Chevrolet qui pouvait aussi bien claquer avant la fin du voyage. Dans la voiture, je lui avais dit que j’étais impressionné parce qu’il y avait peu de filles prêtes à se lever à l’aube pour une partie de pêche. « Je n’aime pas la pêche, mais je crois bien que j’aime être avec toi » avait été sa réponse.
Et maintenant, on était là à se regarder en silence. Je suis sûr qu’elle aussi avait des souvenirs qui lui trottaient dans la tête, mais ils n’étaient peut-être pas flatteurs pour moi. Le jean moulait bien l’arrondi de ses hanches et la chemise était tendue sur ses seins que je savais superbes. C’était ma femme et je la désirais. Je ne savais pas comment faire pour y renoncer.
Je ne pouvais pas parler. Je savais que je pleurais parce que je sentais les larmes salées glisser jusqu’à mes lèvres. Anna avait aussi les yeux mouillés. J’ai ouvert les bras et j’ai dit « Viens » parce que je ne pouvais pas articuler plusieurs mots de suite. J’étais un mari cocu et un certain nombre de types en ville devaient me prendre pour un con, mais je n’en avais rien à foutre. Tout ce que je voyais, c’est que ma femme aurait voulu être quelqu’un de bien et qu’elle se détestait de ne pas réussir, et plus elle se détestait, plus elle cherchait des bites qui lui diraient qu’elle était une femme bien. Mais les bites ne peuvent pas dire ça. Les bites se dressent devant des objets sexuels, mais pas devant des personnes. En ce moment même, je l’aimais de toute mon âme et je ne bandais pas du tout.
Elle ne bougeait pas. Elle regardait mes bras ouverts et ses yeux étaient encore plus noirs que d’habitude. Elle n’osait pas, mais je savais qu’elle ne voulait rien d’autre. J’ai fait l’effort de recommencer :
Et là, lentement, elle s’est approchée comme un petit animal sauvage qui commence à s’apprivoiser et pour finir, elle s’est jetée dans mes bras et elle a éclaté en sanglots. Je sentais ses larmes dans mon cou et je la serrai très fort.
Cela dura longtemps. Qu’est-ce que nous pouvions faire ? Comment pouvions-nous nous séparer ? Que pouvait-on dire ? Peut-être que mourir ensemble aurait résolu nos problèmes, mais je ne pouvais pas non plus.
Je l’ai laissée sur le canapé et suis parti au volant de mon pick-up, une fois de plus. Une fois de plus, je ne savais pas ce que je retrouverais en rentrant.