n° 21689 | Fiche technique | 17089 caractères | 17089 2876 Temps de lecture estimé : 12 mn |
12/04/23 |
Présentation: Ah les doux contes et les belles légendes de nos aïeux. Les historiettes berçant notre enfance… Ben j’t’en ficherais du conte, moi, tiens… | ||||
Résumé: Je l’aime bien celle-là ! Ma maîtresse nous a lu l’histoire en classe.
Amélie m’avait regardée d’un air enjoué et son enthousiasme m’avait fait sourire... | ||||
Critères: #humour #pastiche #délire #nonérotique #fantastique #merveilleux #sorcellerie #conte #nostalgie #personnages | ||||
Auteur : Juliette G Envoi mini-message |
Collection : Contes et légendes de tata Jul Numéro 01 |
Amélie m’avait regardée d’un air enjoué et son enthousiasme m’avait fait sourire.
Amélie m’avait jeté un drôle de regard avant de pousser un grand soupir. Puis elle avait lâché un « Non, j’sais pas… », dépitée, en haussant ses frêles épaules.
Aujourd’hui, Amélie saura ce qu’est une rime et elle découvrira que le chaperon en question n’est pas le nom de l’héroïne du conte. Il me faudra évidemment lui faire prendre patience, l’adorable enfant étant en attente d’une sympathique histoire. Et moi, je tiens à savoir où je vais poser mes jolis petons.
Son mignon visage s’est assombri, et la pauvrette impatiente sent l’histoire promise en danger.
De deux choses l’une…
Soit ces tarés de conteurs détestaient les enfants, soit leurs récits bien tordus étaient destinés aux adultes. J’ose espérer que la seconde option est la bonne. Ce qui nous fait tomber de Charybde en Scylla. Si nos auteurs d’antan adoraient coller la pétoche à leurs contemporains, il n’y aurait rien à redire. Sauf que ces contemporains pétochards et morts de trouille se sont vengés sur leurs descendances ensuite. Et là, il y a des choses à dire. Comment en sommes-nous arrivés à cette odieuse manie ? Foutus Perrault, Grimm et autres Andersen…
Et juste avant de sombrer dans le sommeil du juste, un nombre faramineux d’enfançons, l’histoire bien en tête, tremblotaient dans leurs habits de nuit avant de rejoindre Morphée. Parce que nos chers contes de notre enfance… C’est du rudement coquet ! C’est du gratiné sévère ! Entre les loups qui se goinfrent de gniards un peu simplets qui jettent des cailloux et les ogres qui égorgent leurs propres filles, avouons que nos chères têtes blondes avaient de quoi avoir le sommeil troublé. Et la nuitée venue, un faible appel apeuré résonnait dans d’innombrables maisonnées.
Et là… Ô combien de ces malheureux gamins se prenaient moult taloches pour avoir pissé dans leurs mignons pyjamas et dans leurs petits plumards douillets !
Indignes et sadiques. Voilà le vrai visage de ces gens. Ces gens ! Nos grands-parents adorés et nos parents adulés. Oui, parfaitement. Ils nous terrorisaient le soir, certainement pour se venger de nos bêtises et autres agaceries de la journée. Ils devaient passer leurs journées à se pourlécher les babines, attendant avec patience l’instant de nos couchers. Là, ils se lâchaient à grands coups de « Le petit poucet », à grand renfort de « Hansel et Gretel » ou nous terrorisaient avec cet affreux « Barbe bleue ».
« Chère mère », la mienne, caracolant en tête du peloton de ces odieux personnages. Parce que chère mère, elle, savait raconter un conte. Une narratrice née qui mettait le ton quand elle me racontait une histoire. Histoire, justement, de mieux me torturer et d’enfoncer le clou. C’est fou ! Je réalise aujourd’hui que cette mère, certes charmante avec sa fille durant son adolescence, ne l’aimait pas quand elle était môme.
Il est donc temps de changer les choses. Plus que temps !
Dans un petit village niché entre forêt et prairies, vivait une jeune fille si belle, si gentille et si serviable, que tous, au village, l’adoraient. Une jeune fille qui se prénommait Amélie. Sa mère était si fière de sa fille qu’elle avait décidé de lui faire un joli cadeau. Elle avait donc fait appel à un maître tailleur pour confectionner un seyant chaperon pour son enfant chérie.
Le chaperon était marron. De la couleur exacte des yeux de la jeune fille.
Cette mère-grand était très fière elle aussi de sa petite Amélie. Cependant, elle ne l’était pas pour les mêmes raisons que tous les autres. Belle, jolie, serviable et gentille, certes Amélie l’était, mais surtout… surtout, elle avait beaucoup d’esprit. Un esprit vif !
La pauvre vieille dame, sa mère-grand, était malade. Quand sa maman lui dit que mère-grand était alitée, cela attrista beaucoup Amélie.
- — Tu pourrais peut-être lui apporter une…
Je ne peux m’empêcher de farfouiller d’une main dans les mèches courtes et drues de cette adorable gamine. Elle est littéralement suspendue à mes lèvres et je découvre que jouer les narratrices me sied à merveille. Comme seyant quoi ! Vous suivez ou quoi ?
Amélie, notre petit chaperon marron à nous, elle, n’était pas une petite fille, mais une jeune dame. Et surtout, elle savait se servir de sa tête. Une fois galette et pot de beurre rangés dans son grand panier, le petit chaperon marron demanda à sa mère de quoi souffrait sa mère-grand.
Comme les médicaments n’existaient pas encore en ces époques, la jeune fille alla donc en forêt, pour y chercher de quoi soulager les maux de la malade. Des plantes, de la sauge, du tilleul, et des orties. Des orties qui piquent quand on les touche. De l’écorce d’un arbre qui se nomme saule blanc, et également des fleurs. De la Reine-des-prés, de l’échinacée, des capucines contre la toux, de la lavande et bien d’autres plantes pour améliorer la santé des gens.
Le petit chaperon marron avait prévenu sa maman de ce qu’elle comptait faire, et était partie aussitôt après. Elle en avait maintenant terminé de sa récolte. Il ne lui restait qu’à se rendre chez sa grand-mère et à lui préparer des tisanes.
En chemin, notre chaperon marron se trouva nez à nez avec…
C’était un homme que le petit chaperon rencontrait. Un drôle de bonhomme qui l’avait bientôt questionnée sur les raisons de sa présence en forêt. D’abord sans méfiance, Amélie trouva très vite l’inconnu trop curieux, un peu trop nerveux et étrangement tendu. Elle regretta très vite de lui avoir parlé du moulin où vivait sa grand-mère. Clairement, cet inconnu ne lui plaisait pas, et elle le laissa continuer à lui poser des questions sans lui répondre. Alors, l’étrange individu assurait au petit chaperon marron qu’il connaissait très bien la vieille dame, et que lui-même allait lui rendre visite.
Notre jeune fille était inquiète en regardant l’homme s’éloigner. Et quand il se retourna vers elle, la fixant de ses mauvais yeux verts, elle eut même un peu peur. Pas pour elle, non, mais pour sa chère mère-grand. Alors, Amélie se mit à courir. Elle connaissait les bois alentour, et les prairies environnantes n’avaient aucun secret pour elle. Mais si elle devait faire vite, elle ne devait pas s’affoler. Ce n’était peut-être pas si grave. Le petit chaperon marron devait simplement s’assurer que ce triste sire ne voulait aucun mal à sa mère-grand. Et pour cela, elle devait…
Bien sûr, j’ai certainement gâché un grand moment de suspense. Bien sûr. Je lis déjà des commentaires du genre… Oh, mais quelle pète-couilles, cette Juliette G ! Quelle emmerdeuse, la tata Jul ! Je la plains la gamine, moi ! Mais avant d’affronter la critique des nombreux lecteurs qui ne manqueront pas de se jeter sur mon histoire, je tiens à rappeler une toute petite chose. Il est hors de question d’éveiller la moindre lueur de frayeur, dans les grands yeux noisette qui me fixent depuis le début de ce récit. Absolument pas question !
Le vilain bonhomme aux yeux verts était arrivé chez mère-grand.
Ma grimace comique, tandis que j’attends, fait rire Amélie. Évidemment ! Bien sûr qu’elle connaît cette réplique !
Éclats de rire, et papouilleries un petit moment, et nous nous calmons. Il n’empêche. Il n’empêche que je suis prête à parier un kimono en soie sauvage contre un sac à patates en toile de jute sale, que toutes et tous, vous n’avez jamais oublié cette fichue phrase. Et pour la plupart, sans être capables de différencier une bobinette d’une tondeuse à gazon. Quant à la chevillette, elle cherra, et tout le monde le sait. Nous ne l’avons pas entendu si souvent cette réplique. Peut-être même qu’une seule fois a suffi. Pourtant, le nom de cette pièce de bois qui tombe, pour ouvrir cette satanée porte quand on tire sur cette foutue bobinette, est gravée dans nos esprits.
L’homme n’avait évidemment qu’une idée en tête. Tout le monde savait parfaitement que les vieilles dames cachaient leurs magots dans l’âtre des cheminées. Mère-grand et son défunt époux avaient tenu le seul moulin de la région. Ils étaient meuniers, et un moulin était très rentable. Tout le monde avait besoin de pain, et donc de blé pour faire de la farine. La vieille dame avait donc été cousue d’or…
Amélie, bouche bée, ses yeux ronds rivés aux miens et la tartine aux doigts, est comme captivée. Une mignonne souris face à un serpent. Oui, mais… Une souris simplement curieuse et sans la moindre peur dans le regard. Le serpent cette fois, c’est un bon copain ! Ce n’est pas comme si j’étais une vipère ! Nanméoh !
Le vilain bonhomme aux yeux de chat était sûr que la vieille meunière devait certainement posséder un magot constitué de nombreuses piécettes d’or. La chambrette était plongée dans la pénombre. Les persiennes étaient closes et on n’y voyait goutte.
Le vilain bonhomme, n’y voyant goutte, s’était approché du lit de mère-grand…
- — Comme tu as…
L’index sur les lèvres, je tente un air mystérieux certainement très réussi (parfaitement, oui) avant de me lancer à nouveau dans mon petit récit.
- — Comme tu as de petites oreilles, grand-mère !
- — C’est pour ne pas t’entendre !
- — Comme tu as de gros yeux, grand-mère !
- — C’est pour mieux te voir.
- — Comme tu as de grandes mains !
- — C’est pour mieux te prendre !
À peine ce triste sire avait-il terminé sa phrase, le petit chaperon marron dégageait un énorme engin de dessous la grosse couette épaisse. Il s’agissait d’une arbalète. Une arme, qui comme les arcs des Indiens d’Amérique, décochait des flèches.
La jeune fille quitta aussitôt le grand lit de mère-grand, et sans cesser de pointer son arbalète sur l’individu, elle se recula et s’adossa contre le mur de pierre de la chambrette.
- — Maintenant, tu vas quitter les lieux. Et quitter la région tant que tu y es. J’ai bien pris soin de prévenir quelques bonnes gens qui ne tarderont plus à arriver. Quant à certains d’entre eux, ils ont déjà été prévenir les gens d’armes. D’ailleurs… Ce sont eux que j’entends !
Il n’en fallut pas plus pour que l’affreux personnage tourne les talons pour s’enfuir sans demander son reste. Amélie déposa alors son fardeau sur le lit et se dirigea vers la cuisine. Mère-grand était assise sur une vaste chaise de bois solide et attendait sagement.
- — Qu’est-ce que voulait ce bonhomme, ma mignonne ?
- — Rien de bien bon, mère-grand. Il en voulait à tes écus. Mais tu n’as plus à t’inquiéter.
- — Et toi, ma belle ? Tu me visitais simplement pour m’embrasser ?
Le petit chaperon s’affairait déjà au chaudron, mettant de l’eau à bouillir. Elle devait préparer ses tisanes avant de rentrer chez elle et elle ne tenait pas à traverser la forêt au crépuscule.
- — Ces remèdes te feront grand bien, mère-grand. Patiente un peu en me racontant une histoire.
Mère-grand sourit, poussa un soupir et se cala plus confortablement au dossier de son siège.
- — Si j’avais su que tu passerais me voir, je t’aurais fait prévenir de m’apporter…
Je fixe Amélie, qui, elle aussi, a planté ses yeux noisette dans les miens. Elle est comme statufiée, bouche ouverte et en attente. Elle sait que j’attends qu’elle termine ma phrase, sans comprendre ce que je désire.
Elle bouge, se trémousse, et ses yeux s’allument. Elle a compris !
Son rire aigu me vrille les tympans et elle se colle à moi, me serrant contre elle.
Amélie croque dans sa tartine grillée et tente d’avaler une énorme bouchée de pain badigeonné de confiture de fraises.
Amélie semble réfléchir, mâchant son pain enrobé de fraise avec application. Et tout soudain, ses yeux s’arrondissent. Elle prend alors le temps d’avaler sa bouchée et essuie sa bouche tartinée de rouge de sa petite main armée d’une page de papier essuie-tout.
Ce n’est pas ce à quoi je m’attendais. Je voulais l’entendre parler de réflexion avant d’agir sans réfléchir. Qu’elle me dise qu’il fallait tenter de garder son calme dans des situations stressantes. Mais bon ! Ce n’est pas si bête l’idée des banques et je ne lui parlerai pas de leurs intérêts ridicules reversés en contrepartie de nos dépôts d’argent.
Bon… Il y a cette fichue arbalète. Mais quoi ! J’ai évité la petite coconne en rouge qui se fait bouffer et le gros con de chasseur qui ouvre le bide du loup. J’ai causé d’une jeune fille plutôt futée. Elle peut bien gérer une arme, non ? Ce n’est pas comme si j’avais collé un couteau de cuisine ou un flingue à cette évaporée de chaperon rouge. Avec quoi elle aurait pu se défendre et foutre la trouille au méchant, cette nana ? Un coup de sac à main ! Son bâton de rouge à lèvres ? J’ai fait au mieux, hein… Et puis si vous n’êtes pas contents… Vous n’avez qu’à les raconter vous-même, ces histoires…
J’adore cette gamine…