n° 21690 | Fiche technique | 27571 caractères | 27571 4541 Temps de lecture estimé : 19 mn |
12/04/23 |
Résumé: Au lendemain de la Terreur, s’impose, à Paris, la tenue extravagante des « Incroyables et des Merveilleuses », ces jeunes gens en quête de plaisir. Voici le destin croisé de deux de ces Merveilleuses. | ||||
Critères: #nonérotique #historique #personnages fh fhhh fplusag extracon nympho amour exhib | ||||
Auteur : OlgaT (Quadragénaire, j’aime mêler culture et érotisme) Envoi mini-message |
Collection : Histoires de femmes libres Numéro 12 |
Cette collection parle de femmes qui, par leur pensée, leurs écrits, la liberté de leurs mœurs, ont été des précurseurs dans l’histoire.
La Terreur allait de pair, selon Robespierre, avec le « règne de la Vertu ». Après le 9 Thermidor, les « Incroyables » et les « Merveilleuses » choisissent, en réaction, l’extravagance, avec des tuniques « à la Cérès » et « à la Minerve », des redingotes « à la Galathée », des robes « à la Flore », « à la Diane », ou « à l’Omphale ».
Les « Merveilleuses » se référaient à l’Antiquité grecque et romaine : sous des chapeaux immenses, leurs cheveux étaient courts et frisés, comme ceux des bustes romains. Pour se faire remarquer, ces femmes portaient des robes faites d’étoffes légères, voire des mousselines transparentes, sur un maillot de chair très suggestif. Certaines allaient même, lors de promenades dans les jardins publics, jusqu’à revêtir des toilettes faites de gazes transparentes, des robes si légères, si diaphanes, plus indécentes qu’une entière nudité.
On les appelait également les « Polissonnes ». Les plus célèbres furent, outre Theresa Tallien, Joséphine de Beauharnais, Fortunée Hamelin (1776-1851), créole elle aussi, la coquette Juliette Récamier (1777-1849), ou encore la fille de Necker, la romancière Germaine de Staël (1766-1817).
Voici donc le parcours croisé de deux des plus célèbres de ces « Merveilleuses ».
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Theresa Cabarrus (1773-1835) est la fille du financier François Cabarrus, anobli en 1789 par Charles IV d’Espagne. L’éducation de la jeune fille se déroula principalement en France.
La journaliste Agnès Grossmann décrit ainsi Theresa : « Son visage est éclairé par de grands yeux noirs qui s’étirent vers les temps. Il est bien dessiné, avec un beau nez droit et une bouche en cœur. Elle a une peau mate, ferme et lisse, qui accroche la lumière. Très bien faite, elle sait se mouvoir avec grâce. Mais surtout, elle possède une flamme qui embrase tous les mâles autour d’elle. ».
La belle Theresa, l’égérie de la réaction thermidorienne et du Directoire restera dans nos mémoires comme Madame Tallien, un nom qu’elle aurait tant voulu faire oublier !
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François Cabarrus veut renforcer ses positions en France et le mariage de sa fille, le 21 février 1788, avec Jean Jacques Devin de Fontenay (1762-1817), conseiller à la troisième chambre des enquêtes du Parlement de Paris, fait partie de son plan.
Fontenay est un libertin. Les deux époux s’accordent très vite sur leur liberté sexuelle réciproque. Le salon de Theresa, dans le Marais, est très fréquenté, en particulier par des personnalités en vogue comme La Fayette, les trois frères Lameth, le futur conventionnel Félix Lepeletier de Saint-Fargeau, l’écrivain Antoine de Rivarol, ou encore Mirabeau. La jeune femme s’enthousiasme pour les idées à la mode à l’aube de la Révolution française.
Elle commence aussi son parcours de séductrice, entretenant des liaisons multiples, avec l’assentiment tacite de son mari. Theresa est ainsi la maîtresse du banquier François de Laborde, mais aussi du duc d’Aiguillon et de Lepeletier de Saint-Fargeau, à qui on attribue la paternité de son premier fils, Théodore.
Theresa connaît également une grande passion avec Alexandre de Lameth (1760-1829), Député à la Constituante et proche des Feuillants, qui regroupent les modérés comme Barnave, partisans d’une monarchie constitutionnelle.
En novembre 1792, son mari, qui a dépensé toute sa dot, doit émigrer, au vu de la situation politique. En 1793, ils se rendent avec leur fils à Bordeaux. Elle lui fait cadeau de ses bijoux et il les abandonne, après avoir divorcé d’elle ! Theresa refuse pourtant de fuir en Espagne.
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À Bordeaux, Theresa continue ses frasques. Début décembre 1793, elle est arrêtée en tant que « ci-devant » et ex-épouse d’un émigré. Elle écrit au conventionnel montagnard Jean-Lambert Tallien (1767-1820), pour réclamer sa liberté ou l’intéresser à son sort. Jusqu’à présent, Tallien, Représentant en mission, qui sévit à Bordeaux, a été aussi sanguinaire que le furent Fouché à Lyon, Carrier à Nantes, ou Fréron à Marseille.
Theresa devient la maîtresse de Tallien, qui l’a fait libérer. Cette liaison fait scandale. Son influence « modératrice » sur Tallien inquiète le Comité de salut public. Tallien doit revenir à Paris pour se justifier. Theresa Cabarrus l’y rejoint. Elle est à nouveau arrêtée et enfermée à la prison de la Force, puis à la prison des Carmes. C’est là qu’elle fait la rencontre de Joséphine de Beauharnais et que naît leur amitié.
Avant d’être mise au secret, Theresa est fouillée par huit hommes, trop contents de dévêtir et de tripoter cette « jolie aristo ». Sa proximité avec Tallien lui aurait cependant évité de connaître un viol collectif. Theresa se retrouve dans la cellule qui fut celle de la Du Barry, la dernière favorite de Louis XV.
Sur le point de passer en jugement, autant dire à la guillotine, elle paie de sa personne auprès d’un geôlier pour envoyer à Tallien un billet qui contient ces mots : « Je meurs d’appartenir à un lâche ».
Il est vrai que, comme Fouché ou Barras, Tallien, ancien « terroriste », est menacé par une nouvelle épuration, voulue par Robespierre. La missive de Theresa l’aurait-elle poussé à entrer dans la conjuration contre Robespierre et à y jouer un rôle décisif lors du 9-Thermidor ? De cet épisode, Theresa, libérée, gagnera le surnom de « Notre-Dame de Thermidor ».
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Theresa épouse Tallien le 26 décembre 1794 et l’influence grandement dans son parcours politique pendant la Convention thermidorienne. Tallien et Theresa ont eu une fille, Rose-Thermidor, qui changera son prénom en Joséphine, en même temps que sa prestigieuse marraine. Theresa trompe ouvertement Tallien et finit par le quitter, au prétexte qu’il a « trop de sang sur les mains ». Ils ne divorceront officiellement qu’en 1802. Mais elle restera à jamais pour l’histoire sous le nom de « Madame Tallien » !
Theresa assume l’indécence de ses tenues, avec ses robes à la grecque, fendues et transparentes, bras nus, et des décolletés si échancrés que parfois un sein jaillit. Elle porte aussi des perruques blondes, bleues ou vertes, des sandales à l’antique, avec des bagues à chaque orteil. Elle aime les frictions de fraises et de framboises écrasées suivies de bains de lait.
Theresa Tallien est la véritable reine des Merveilleuses et des Incroyables. « Quand elle entrait dans un salon, écrit le musicien Auber, elle faisait le jour et la nuit. Le jour pour elle, la nuit pour les autres ! ». La voyant un jour à l’opéra, vêtue d’une simple tunique de soie blanche sans manches et ne portant visiblement pas de sous-vêtements, Talleyrand eut ce mot : « il n’est pas possible de s’exposer plus somptueusement ».
Les hommes se succèdent dans le lit de celle qui reste « Madame Tallien », sans qu’elle s’attache. C’est alors que Paul Barras (1755-1829), l’homme fort du nouveau régime, le Directoire, devient son amant. De sa liaison avec Barras, Mme Tallien aura un enfant, mort-né.
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À l’automne 1798, Theresa et le richissime financier Gabriel-Julien Ouvrard (1770-1846) se rencontrent. Le Directeur Louis-Marie de La Révellière-Lépeaux prétend que Barras, qui se lasse de Theresa, s’en est débarrassée. De cette nouvelle relation naissent quatre enfants, dont deux porteront le nom de Tallien !
« Notre-Dame de Thermidor » est la reine du Directoire et Bonaparte, qui fréquente ses salons, n’est encore qu’un général à demi solde. Elle va même jusqu’à lui faire fournir du tissu par l’intendance, car son uniforme est en très mauvais état. Quand il paraît dans son salon avec un uniforme tout neuf, elle lui lance : « Eh bien, mon ami, vous les avez eues, vos culottes ! » La plaisanterie n’est pas du goût du général, qui ne l’oubliera jamais !
Bonaparte fait cependant une cour appuyée à Theresa, mais celle-ci le rejette. Bonaparte se rabat alors sur la meilleure amie de Madame Tallien, Joséphine de Beauharnais. C’est Barras et Madame Tallien qui mirent Joséphine sur la route de Bonaparte. Le premier, pour se débarrasser d’une maîtresse, la seconde pour qu’il cesse ses « assiduités » envers elle.
D’après Agnès Grossmann, Theresa a « manqué de flair » face à Bonaparte : « Quand il lui fait la cour, elle l’éconduit. Dans un éclat de rire, elle lui dit qu’elle a bien mieux que lui à se mettre sous la dent. En revanche, elle pense tout de suite qu’il pourrait être une bonne occasion pour sa grande amie, la vicomtesse de Beauharnais. » Tallien et Barras sont les témoins des mariés et bien entendu Theresa est présente à cette cérémonie.
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Le coup d’État du 18 Brumaire met un terme à la carrière publique de Theresa.
Bonaparte ne l’admet pas à sa cour ni sous le Consulat ni sous l’Empire. Napoléon est rancunier. Il écrit un jour à Joséphine : « Je te défends de voir Madame Tallien, sous quelque prétexte que ce soit. Je n’admettrai aucune excuse. Si tu tiens à mon estime, ne transgresse jamais le présent ordre ».
Devenu empereur, il lui refuse une invitation pour le bal des Tuileries, au prétexte qu’elle avait « eu deux ou trois maris et des enfants de tout le monde ». Avec le Premier Consul, c’est le retour à l’ordre moral. Theresa, qualifiée de « Messaline » et de « plus grande putain de Paris » est désormais personnalité non grata.
Repoussée de la société officielle, Mme Tallien devient alors l’amie de Madame de Staël, elle aussi honnie par Napoléon ! Chez la fille de Necker, elle fait la connaissance du prince de Chimay (1771-1843), un ancien Émigré. Ils se marient le 9 août 1805. Après 1815, le couple résidera principalement au château de Chimay, en Belgique. Le couple a en commun sa passion pour la musique et le théâtre. On ne connaît plus de frasques de la part de la volcanique Theresa pendant les 25 ans où elle fut princesse de Chimay.
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On a dit beaucoup de choses sur Theresa, qu’il s’agisse de sa participation aux orgies du Directoire ou du nombre de ses amants. Incontestablement hypersexuelle, elle fut ouvertement adultère, vis-à-vis de tous ses maris et compagnons, sauf le dernier, le Prince de Chimay.
Je ne peux que signaler sa liberté de mœurs, à une époque où cela n’était pas admis. Cela faillit d’ailleurs la conduire à la guillotine et provoqua son exclusion de la bonne société après le 18 Brumaire.
Il faut dans le même temps reconnaître son réel courage et sa grande générosité. Elle contribua à donner un coup d’arrêt décisif aux excès de la Terreur, même si la vérité historique amène à rappeler que les comploteurs du 9 Thermidor regroupaient certains des plus sanguinaires des Représentants en mission comme Tallien, Fouché ou Barras, dont les crimes avaient horrifié Robespierre l’incorruptible.
Après les rigueurs absolues de la Terreur, Theresa Tallien fut le symbole des « Merveilleuses et des Incroyables », c’est-à-dire d’un mode de vie, d’une façon de s’habiller, de se comporter, d’une libération des mœurs comme la France en a connus peu au cours de son histoire.
Mme Tallien a aussi symbolisé la réaction thermidorienne et ces temps de corruption que fut le régime du Directoire.
Au cours de sa carrière de séductrice, Theresa eut souvent un formidable instinct, ce qui lui sauva la vie, dans le cas de Tallien, ou assura son pouvoir lorsqu’elle fut la maîtresse de Barras ou encore sa richesse lors de sa liaison avec le financier Ouvrard.
Le moins qu’on puisse dire est qu’elle n’a pas eu le même discernement s’agissant du « petit » général Bonaparte. Non seulement elle repoussa ses avances, mais elle l’humilia publiquement, sans même s’en rendre compte. Son amitié avec Joséphine, pas plus que le fait d’avoir, avec Barras, poussé celle-ci à devenir l’épouse du général Bonaparte, ne la protégèrent pas. Devenu le maître de la France, le Premier Consul fit de la disgrâce de Mme Tallien le symbole du retour à l’ordre moral. Jamais plus elle ne revit sa grande amie Joséphine, qui avait été sa compagne de débauche. Le Premier Consul, Bonaparte, qui avait pardonné ses frasques à son épouse, fut intransigeant sur ce point.
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Après avoir évoqué la vie tumultueuse de Mme Tallien, quoi de plus logique que de parler de Joséphine de Beauharnais (1763-1814), sa meilleure amie ?
Agnès Grossmann décrit ainsi Joséphine, au moment où elle rencontre Bonaparte : elle « est la féminité incarnée dans toute sa splendeur, son élégance, ses artifices. (…) Elle continue à prendre soin de son corps. Il est long, mince et souple, dénué de corset et vêtu de mousseline transparente qui le laisse deviner avec ravissement. Joséphine a une peau superbe, plutôt brune et parfumée. Son visage, toujours fardé, est joli, bordé de cheveux châtains, animé par de beaux yeux marron aux très longs cils, avec un petit nez relevé qui lui donne du piquant. Elle cache ses dents gâtées derrière un éternel demi-sourire en accord avec la douceur de son regard. Joséphine est réputée pour sa coquetterie, mais aussi sa façon de se mouvoir, particulièrement gracieuse. Sa voix est envoûtante, ravissante à entendre. Tout en elle semble tendre. En fait, Joséphine a ce qu’on appelle aujourd’hui un charme fou. Nonchalante comme savent l’être la créole, alanguie, d’une politesse et de manières exquises, elle n’est que douceur, volupté et raffinement. »
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Née Marie Josèphe Rose Tascher de La Pagerie, la future Joséphine était issue d’une riche famille de planteurs créoles qui exploitent une plantation de cannes à sucre en Martinique, sur laquelle travaillent plus de cent cinquante esclaves africains. En 1779, Rose épouse le vicomte Alexandre de Beauharnais (1760-1794), lui aussi originaire de la Martinique. Ils auront deux enfants, Eugène, né en 1781 et Hortense, née en 1783.
Ce mariage est une catastrophe. Alexandre multiplie les liaisons et dilapide sa fortune. Rose en a assez d’être trompée : le couple se sépare dans des conditions difficiles en décembre 1785. Rose obtient la garde d’Hortense, mais Eugène doit habiter avec son père. Rose se réfugie alors à l’abbaye de Penthemont. Quand elle en sort, elle va s’installer chez son beau-père, le marquis de La Ferté-Beauharnais, à Fontainebleau, où l’on prétend qu’elle suit les chasses du roi Louis XVI et les beaux cavaliers qui y participent : le comte de Crenay, le duc de Lorge ou le chevalier de Coigny. A-t-elle commencé alors son parcours de libertine ?
En 1788, elle retourne à la Martinique voir si elle peut améliorer sa situation financière. Barras, exilé à Bruxelles par Napoléon en 1801, écrira perfidement dans ses Mémoires que, pendant ce séjour, la jeune femme « aurait eu des rapports avec des nègres » et aurait donné naissance à une fille naturelle, ces rumeurs servant par la suite à Alexandre de Beauharnais de motif à sa rupture avec Rose.
Rose revient en métropole fin 1790. Son mari est alors très influent politiquement, puisqu’il sera président de l’Assemblée constituante. Général aux débuts des guerres de la Révolution, Alexandre de Beauharnais est alors considéré comme responsable de la perte de Mayence.
Devenu suspect, il regagne son fief de la Ferté-Beauharnais, avant d’être arrêté, comme ci-devant, en mars 1794, sur l’ordre du Comité de Sûreté générale et emprisonné à la prison des Carmes. Il est guillotiné le 23 juillet 1794.
Arrêtée à son tour, Rose devient, en prison, l’amante de Lazare Hoche, beau et talentueux général tombé en disgrâce. D’après Agnès Grossmann, Rose aurait eu également une brève liaison avec le général Antoine Santerre (1752-1809), ancien commandant de la Garde Nationale, lui aussi emprisonné à la prison des Carmes.
Rose est libérée peu après Thermidor, le 6 août 1794, sur l’intervention de la future Madame Tallien, son ancienne codétenue. On dit aussi que le greffier du Comité de sûreté générale, Charles de La Bussière, amoureux d’elle, aurait fait disparaître son acte d’accusation.
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À sa sortie de prison, Rose fréquente assidûment les salons parisiens, que lui ouvrent sa beauté et ses amitiés. Malgré sa pauvreté, la citoyenne Beauharnais s’arrange toujours pour être bien mise, contractant des dettes dont elle règle les plus criantes en jouant de ses charmes.
Grâce à l’intervention de Barras, elle récupère les biens d’Alexandre, grâce à Barras. À l’été 1795, elle va louer un petit hôtel particulier, rue Chantereine, à Paris, afin de vivre « selon son rang » et toujours au-dessus de ses moyens.
Elle reprend quelque temps sa liaison avec le général Hoche, mais celui-ci refuse de divorcer pour elle, préférant conserver à la fois sa jeune épouse et sa maîtresse expérimentée. Tout en étant la maîtresse de Barras, Rose enchaîne les amants, devenant, avec Theresa Tallien, la plus célèbre des « Merveilleuses ». Les deux femmes ont frôlé la mort, elles veulent profiter à fond des plaisirs de la vie.
Barras, se détachant de Joséphine, cherche à s’en débarrasser et lui présente, dans son propre hôtel, lors d’un dîner, le 15 octobre 1795, un officier qui était encore récemment en disponibilité, un certain Napoléon Bonaparte, qui vient de sauver le régime en canonnant l’insurrection royaliste, le 13 Vendémiaire an IV, sur les marches de l’église Saint-Roch à Paris. De son côté, Mme Tallien encourage Joséphine. Elle veut se libérer de la cour assidue que lui fait ce général « maigre comme un chat ».
Dans les bras de Joséphine, devenue très vite sa maîtresse, Bonaparte, alors peu expérimenté, découvre la volupté. C’est pour lui une révélation. Comme dit Agnès Grossmann, elle « a roulé sa bosse dans tous les lits de la capitale et en a retenu le meilleur. (…) Joséphine est experte et sensuelle. »
La veuve Beauharnais suit les « conseils » avisés de Barras et de Theresa Tallien : elle accepte ce mariage. À ce moment-là, elle n’est pas amoureuse de Bonaparte, dont elle a cependant deviné les potentialités. Bonaparte, très épris, jaloux et possessif, transforme le deuxième prénom de sa promise, « Josèphe », en Joséphine, peut-être pour ne pas avoir à prononcer un prénom, Rose, déjà susurré par trop d’amants.
Joséphine épouse civilement Napoléon Bonaparte le 8 mars 1796 à Paris : il est âgé de 26 ans, elle en a officiellement six de plus. Les deux époux trichent tous les deux sur leur âge, Joséphine se rajeunissant de quatre ans et Napoléon se vieillissant de deux ans. Le surlendemain, Bonaparte, nommé général en chef de l’armée d’Italie, part prendre son commandement. Joséphine reste à Paris.
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Les relations de Joséphine avec sa belle-famille, le clan Bonaparte, sont d’emblée épouvantables. Pour eux, elle est « la vieille ». Ils doutent que Joséphine puisse assurer une descendance et faire une bonne maîtresse de maison.
Joséphine accomplit de bonne grâce son devoir conjugal, mais, pendant plusieurs mois, refuse de quitter Paris pour suivre Napoléon, qui a entrepris la première campagne d’Italie. Le général, comme le prouvent ses lettres enflammées, est follement amoureux de sa femme, qui prétend être enceinte pour justifier qu’elle doit rester à Paris.
D’après la romancière Juliette Benzoni, Joséphine aurait su amadouer l’envoyé de son mari, Joachim Murat, futur beau-frère de Napoléon et futur roi de Naples : « il est à peu près certain que Joséphine a trouvé un moyen simple et agréable de s’attacher par quelques jolis souvenirs le messager de son époux » !
Barras, inquiet du moral du général victorieux, intervient alors. Joséphine cède et quitte Paris pour l’Italie. Dans ses bagages se trouve son amant Hippolyte Charles (1773-1837). Hippolyte Charles est lieutenant dans le régiment de hussards du général Charles Victoire Emmanuel Leclerc (1772-1802), futur beau-frère de Bonaparte, qui lui fit rencontrer Joséphine de Beauharnais à Paris.
Ils ont immédiatement une liaison, alors même qu’elle était de neuf ans son aînée. Hippolyte Charles était un homme du Sud, de petite taille, avec un très beau visage, un teint foncé et de longues moustaches noires. Charles a été attiré par Joséphine, connue pour avoir eu de nombreux amants et réputée experte dans l’art de l’amour. Le bel Hippolyte Charles était convoité par Mme Tallien, Juliette Récamier et Fortunée Hamelin. Parmi les « Merveilleuses », c’est Joséphine qui l’a emporté !
Joséphine continuera sa liaison lors de son retour à Paris. Bonaparte, follement amoureux, ne voit rien et ne veut rien savoir. Le 17 mars 1798, les deux amants sont dénoncés à Bonaparte qui entre dans une grande colère. Cependant, Joséphine arrive à le convaincre que ces rumeurs sont fausses.
En juillet 1798, alors que Bonaparte est en Égypte, les infidélités de sa femme lui sont une fois de plus signalées. Fou de rage, il écrit à son frère Joseph Bonaparte pour lui demander de préparer leur divorce. La lettre de Bonaparte est interceptée par l’amiral Nelson et la perte de la flotte française empêche toute correspondance.
Les Anglais vont naturellement en profiter pour dénigrer leur adversaire : Mme Tallien et Joséphine sont représentées dans une caricature de l’Anglais James Gillray, dansant nue, devant Barras et que le général Bonaparte, dans un arrière-fond qui rappelle la campagne d’Égypte, lève discrètement un voile pour apercevoir le tableau.
À son retour de la campagne d’Égypte, Bonaparte confirme sa volonté de divorcer. Le clan Bonaparte exulte : « la vieille » va être chassée !
Quand Joséphine apprend que son illustre époux est revenu d’Égypte et a débarqué à Golfe-Juan, elle part à sa rencontre, mais se trompe de route. C’est ainsi que le général arrive à l’hôtel de sa femme, pour s’apercevoir qu’elle n’est pas là ! Sa colère redouble d’intensité. Habilement, la femme adultère confie à ses deux enfants, Eugène et Hortense, le soin de plaider sa cause et son pardon. Ils y réussissent fort bien. Et Bonaparte a besoin des relations politiques de Joséphine pour bien préparer son coup d’État.
Bien entendu, Joséphine doit rompre avec son amant. Juliette Benzoni met toutefois en doute le caractère définitif de cette rupture, écrivant « Il y aura des moments où les braises, mal éteintes, se ranimeront sous la cendre. Mais ces moments seront rares. Joséphine a compris qu’il fallait choisir ». Par la suite, la situation conjugale s’inverse, Napoléon ne répugnant pas à prendre des maîtresses dans l’entourage de son épouse, et Joséphine, qui ne l’ignore pas et qui est désormais amoureuse de son mari, doit subir la présence de ses rivales.
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Joséphine sera couronnée impératrice des Français le 2 décembre 1804, devenant ainsi, comme lui avait prédit une voyante lors de sa jeunesse à la Martinique, « plus que reine ». L’absence de naissance devient une affaire d’État, à mesure que Napoléon gagne en pouvoir et que Joséphine vieillit. La stérilité de l’impératrice est cause de nombreuses moqueries, notamment de la part de la famille Bonaparte, hostile à Joséphine depuis le début.
La raison d’État finit par l’emporter. Le divorce est prononcé par un sénatus-consulte le 16 décembre 1809. Dépensière, toujours endettée, extrêmement coquette, Joséphine continue après son divorce à bénéficier des largesses de Napoléon. Napoléon permet à Joséphine de conserver le titre d’impératrice douairière en lui donnant l’Élysée, le château de la Malmaison et son domaine de 800 hectares, ainsi que le château de Navarre près d’Évreux, faisant Joséphine duchesse de Navarre. Joséphine se retire au château de Navarre, puis au domaine de la Malmaison qu’elle a acheté en 1799. Au printemps 1814, elle rencontre le tsar Alexandre Ier dans le château de Saint-Leu, propriété de sa fille Hortense, le 14 mai 1814. Elle contracte une pneumonie, qui l’emporte le 29 mai 1814.
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Le portrait de Joséphine est peu flatteur : épouse volage, femme dépensière, elle a pesé en faveur du rétablissement de l’esclavage aux colonies, car elle avait des intérêts financiers à la Martinique.
Il faut toutefois rappeler à sa décharge que c’est son premier mari, Alexandre de Beauharnais, qui est à l’origine de leur séparation, au bout de six ans de mariage. Il osa prétendre qu’Hortense n’était pas de lui. L’« inconduite » de Rose n’a pas été avérée pendant cette séparation ou son retour en Martinique, même si des accusations furent plus tard colportées, y compris sur son recours à des amants noirs. J’ai envie de dire « et quand bien même ? » N’était-elle pas séparée et laissée sans ressources, devant assumer l’éducation de sa fille Hortense ?
On rappellera aussi que, de retour à Paris, elle reprend la vie commune avec Alexandre, sans que l’on connaisse alors à Rose la moindre liaison, alors que le vicomte est toujours aussi libertin.
S’agissant de son comportement lors des trois mois où elle fut détenue aux Carmes, on peut rappeler qu’il s’agissait de l’antichambre de la guillotine. En outre, si Rose affichait sa passion pour le beau général Hoche, son mari vivait de son côté une liaison torride avec la belle Delphine de Custine, veuve d’un général guillotiné.
La réputation sulfureuse de celle qui allait devenir Joséphine a été établie sous la Convention thermidorienne et le Directoire. Devenue une des représentantes les plus en vue des « Merveilleuses », elle rivalise dans les frasques avec Theresa Tallien. Elle fut entre autres la maîtresse de Hoche, puis de Barras. Elle était incontestablement une femme entretenue.
Il y eut, après son remariage, l’adultère avec Hyppolite Charles, et ceci presque sous les yeux d’un Bonaparte aussi aveugle qu’amoureux. On peut aussi mentionner cette soirée avec le beau Murat.
De mon point de vue, il convient de réfuter l’image d’une Joséphine « nouvelle Messaline ». L’histoire entre Napoléon et Joséphine ne fut pas de tout repos, mais ils avaient une profonde affection l’un pour l’autre et Napoléon l’aima d’un amour sincère, ce qui lui permit de fermer les yeux sur les imperfections de sa femme, qu’elles concernent son adultère avec Hippolyte Charles ou bien son goût prononcé pour les dépenses et les petites intrigues qui allaient avec.
Le destin de Napoléon et Joséphine est particulier et comme l’écrit Agnès Grossmann « leurs flammes se sont croisées sans se rencontrer. » Napoléon dira cependant, quand il sera en exil à Sainte-Hélène, que Joséphine aura été la « femme qu’il a le plus aimée ». Il lui gardera jusqu’au bout une grande affection.
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Pour ceux et celles qui voudraient aller plus loin, je les renvoie aux ouvrages et liens suivants :
• Agnès Grossmann, « Les salopes de l’histoire » (Acropole 2016).
Agnès Grossmann a consacré un chapitre à chacune des « Deux Merveilleuses ».
Sur Madame Tallien :
• Christian Gilles, « Madame Tallien, la Reine du Directoire » (Atlantica, 1999)
• Françoise Kermina, « Madame Tallien, 1773-1835 » (Librairie Académique Perrin, 2006)
• https : //www.pointdevue.fr/histoire/theresa-tallien-incroyable-merveilleuse-et_3433.html
• http : //revolution.1789.free.fr/portrait-de/Mme-Tallien/Theresa-Tallien.htm
Sur Joséphine de Beauharnais :
• Juliette Benzoni « Le lit des reines » (Perrin 2011)
• Françoise Wagener, « L’Impératrice Joséphine (1763-1814) » (Flammarion, 1999)
• Pierre Branda, « Joséphine : Le paradoxe du cygne » (Perrin, 2020)
• https : //www.napoleon.org/jeunes-historiens/napodoc/limperatrice-josephine-1763-1814/
• https : //lazarhumeurshistoire.wordpress.com/2013/06/24/josephine-de-beauharnais-legerie-de-napoleon/
• https : //www.actualitte.com/article/livres/josephine-de-beauharnais-aux-cotes-de-napoleon-une-femme-de-pouvoir/63049
• http : //jeanmarieborghino.fr/etais-josephine-beauharnais/
À suivre : George Sand, la « bonne dame de Nohant »