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Temps de lecture estimé : 28 mn
27/04/23
Résumé:  Vous connaissez la loi de Murphy ? C’est la loi dite « de l’emmerdement maximum ». Elle met en avant le côté irrémédiable des ennuis. En clair, si quelque chose peut mal tourner, ça va forcément mal tourner.
Critères:  fh voisins amour humour -rencontre
Auteur : Laetitia            Envoi mini-message
La loi de Murphy

Vous connaissez la loi de Murphy ? C’est la loi dite « de l’emmerdement maximum ». Elle met en avant le côté irrémédiable des ennuis. En clair, si quelque chose peut mal tourner, ça va forcément mal tourner.

Par exemple, quand un objet tombe, il va se fourrer systématiquement sous un meuble. La loi de Murphy est la sœur jumelle de la loi des séries. Elle souligne le fait que, quand les problèmes arrivent, c’est en groupe généralement. Un en appelle d’autres.


C’est aussi ce que l’on appelle dans le langage courant, une bonne grosse journée de merde.


Vous connaissez ça, vous aussi ?

Vous savez, ces journées pourries où rien ne se passe comme prévu, rien ne va. Où tout tourne à la cata.


Pour moi, hier, c’était un de ces jours-là.


Je me présente tout d’abord, ça sera plus simple.

Je m’appelle Éva. Éva Szemczyk. Oui, je sais, pas simple. Oubliez mon patronyme. Appelez-moi Éva tout court. Les non-Slaves ont généralement du mal quand les consonnes se mettent à se succéder (hormis le gallois peut-être). Mais avec un peu d’habitude, on arrive très bien à le prononcer, mon nom. En fait, c’est juste de l’appréhension, j’avoue un peu légitime.


Répétez après moi « Chev tchik ». Pas compliqué. Non ?


Laissez tomber, appelez-moi Éva. À force, on apprend à ne pas en vouloir à celles et ceux qui écorchent votre nom.

Vous l’avez deviné, je suis d’origine polonaise. Enfin d’origine, ma famille est installée en France depuis trois générations déjà. Mes arrière-grands-parents sont arrivés ici il y plusieurs décennies et se sont installés dans le bassin minier du Nord-Pas de Calais, près de Valenciennes. Mon arrière-grand-père et mon grand-père étaient mineurs de fond. Je suis très fière de mes origines ouvrières. Même si aujourd’hui, je gagne très, très bien, ma vie, je n’ai jamais oublié d’où vient ma famille et donc d’où je viens.


Pour ma part, je ne suis pas retournée en Pologne depuis mon enfance avec mes parents, pour visiter les cousins éloignés, restés là-bas.


Éva tout court, donc. J’ai trente-quatre ans et je suis ingénieure-conseil, spécialisée dans le Risk Management. Ça aussi, oubliez…


Je partage mon temps entre Paris, Londres et Amsterdam. Ça, retenez ! Enfin, de moins en moins, depuis cette foutue pandémie, tellement de choses se passent en visio-conférence. C’est pratique bien évidemment, les affaires continuent, mais ça casse ce qui fait pour moi le sel de mon métier, les contacts humains. Cette difficile période maintenant derrière nous, beaucoup en sont restés au distanciel, pour des raisons d’économies…


Pour ma part et dans mon milieu, on apprécie le face-à-face au moment des négociations. Le temps où on se tapait dans la main après avoir craché dans sa paume pour sceller un accord est loin. Mais le fait de voir son interlocuteur, les yeux dans les yeux, reste important, voire primordial.


J’ai la chance d’avoir de beaux yeux bleus en plus, ça tombe bien (je ne suis pas d’origine slave pour rien). Tout compte dans les affaires.


Après avoir fait mes premières armes dans un cabinet de conseil réputé, à faire du consulting en stratégie, je travaille aujourd’hui en free-lance. Un peu compliqué, au début, de se constituer un réseau, même si j’ai conservé pas mal de contacts du temps où j’étais au cabinet. Aujourd’hui, tout va bien, je refuse même des clients.


J’ai trente-quatre ans, je disais, sans me vanter (j’ai horreur de me vanter, hum hum…), j’ai une plastique plutôt agréable. Grande, blonde, un physique de fille qui a fait de la natation étant jeune, si vous voyez, mais sans en abuser. Plutôt la fille qui séchait une séance d’entraînement sur deux. Ça a sculpté mon corps, sans trop le muscler. Quasi parfait quoi !


Je suis célibataire. Bon, à trente-quatre ans, dans le monde actuel, ce n’est pas vraiment un drame. Avant de penser à l’avenir, pensons au moment présent, à nous-mêmes donc. Comme disait l’autre, l’avenir c’est ce qu’on a inventé de mieux pour gâcher le présent. J’ai le temps de me fixer.


Ça n’a pas toujours été le cas. Je suis restée cinq ans en couple avec Aymeric. Jusqu’au moment où je me suis aperçue que ce connard me trompait. C’était il y a moins de six mois.


J’étais censée être à Londres pour trois jours, sauf que j’ai bouclé avec mon client plus tôt que prévu. Je suis rentrée le deuxième jour en début d’après-midi, souhaitant faire la surprise à mon chéri et lui préparer un repas en amoureux pour le soir. Aymeric était au travail. Mais en entrant dans la chambre pour défaire ma valise, j’ai constaté que le lit n’était pas fait… Bon, ça, ce n’est pas un motif de rupture, me direz-vous ! Non, c’est certain, mais c’est surtout que sur la couette, trônait… un string, manifestement porté, et surtout, un string qui ne m’appartenait pas. Je m’en suis aperçue en soulevant ledit string entre mon pouce et mon index. De plus, il y avait dans MA salle de bain, des affaires de toilette ne m’appartenant pas non plus, dont une brosse à cheveux avec plein de longs cheveux bruns dessus. Manifestement, ils avaient l’intention de remettre le couvert le soir. En clair, la pouffiasse s’était installée chez moi le temps de mon absence.


Ce que ce connard d’Aymeric avait oublié, c’est qu’on vivait ensemble, certes, mais que l’appartement était le mien. En gros, je l’ai prévenu par SMS qu’il pouvait récupérer ses affaires sur le palier, et qu’il fasse au plus vite, je ne voulais pas de problèmes avec le syndic. Ah, et puis qu’il n’oublie pas de laisser son trousseau de clés dans la boîte aux lettres en partant.


J’ai donc tout entassé sur le palier, ses fringues, ses CD, sa console de jeu, les quelques cadeaux qu’il m’avait faits, ses autres cochonneries et le string sale trônant en évidence sur le dessus du tas.


Je n’ai pas répondu à ses coups de sonnette, à ses SMS, à ses appels. Pas envie d’entendre ses excuses bidon (ses messages commençaient par « Je peux tout t’expliquer, tu vas rire », non, je n’ai pas rigolé, connard !). Excuses qui n’en étaient pas à mon avis, enfin, bon, je ne suis pas allée plus loin que « Tu vas rire ». J’ai des principes ! On ne se met pas en couple pour trahir l’autre. Je crois en la fidélité au sein du couple. Comme dit toujours une bonne amie à moi, Salomé : « La fidélité dans un couple, ce n’est pas négociable ». Salomé a divorcé depuis deux ans. Son mec, Gauthier, la trompait aussi. Tous les mêmes ! Vraiment…


Remarquez, ma copine Élodie, de son côté, dit toujours : « Moi, avec les mecs, je ne ferai rien avant le mariage ». La connaissant bien, je pense qu’elle ne parle pas du sien de mariage ! Du leur, plutôt… Ahahahah. J’avoue, certaines filles ne sont pas mieux.


Vous avez gagné, j’ai entendu vos récriminations, messieurs ! J’enlève le « Tous les mêmes ». Un certain nombre sont de gros connards, on va dire.


Je n’ai pas cherché à savoir si Aymeric s’est fait héberger pas sa pouffiasse, dans la mesure où elle était célibataire bien sûr, ce qui ne va pas forcément de soi, où s’il est allé dormir à l’hôtel, ou ailleurs. Pas mon problème, ça.


Bon, en réalité, je fais la maligne, mais j’ai beaucoup pleuré pendant plusieurs jours. Je vous le dis à vous, même si je ne l’avoue pas à tout le monde. Je préfère rester dans mon rôle de fille de caractère. On est bien d’accord, je ne m’en vante pas, je le cache même, mais j’ai un cœur en mousse. Ça reste entre nous !


N’empêche qu’Aymeric est un connard. Il a essayé de me recontacter, il y a peu. Je n’ai pas répondu. Pour moi, c’est définitif. Pas de pardon.


Depuis ? J’accumule les aventures sans lendemain, les amants de passage, en attendant celui qui fera chavirer à nouveau mon cœur. Ça me convient parfaitement pour le moment. Une romantique, certes, mais une romantique qui a quelques besoins sexuels.


Mais j’en reviens à mon histoire et à ma journée de merde. Je digresse, là.


Pourtant, j’avais passé une nuit agréable. Je m’étais écroulée sur mon livre vers deux heures du matin, un thriller psychologique, plein de serials-killers, de crimes affreux, le genre de truc qu’on ne peut pas lâcher comme ça, le page-turner par excellence. Je m’étais réveillée une demi-heure plus tard pour éteindre la lumière et ranger mon bouquin (non, dans l’ordre inverse, plutôt). Mon sommeil a été réparateur. Je me suis réveillée vers huit heures en entendant le chant des oiseaux avec un léger rayon de soleil qui me chatouillait le dos (j’aime bien dormir les volets ouverts, je n’ai pas de vis-à-vis). Une belle journée s’annonçait. J’avais certes un programme chargé, composé de choses, a priori, agréables et de corvées. Après m’être étirée comme une chatte, je me suis levée du bon pied.


C’est là que ça s’est gâté, en fait. Parce que jusqu’à présent, aucun signe qu’une journée de merde se profilait.


À peine le pied par terre, le droit en plus, ça a commencé à déraper. J’ai investi la cuisine pour le petit-déjeuner, en bâillant et en me frottant les yeux. Et patatras, les catas ont commencé à s’enchaîner. Je passe sur le choc crâne contre porte de placard (classique), sur le bol d’eau pour le thé laissé trop longtemps dans le micro-onde qui brûle les doigts (énervant), sur la tartine de pain de mie qui tombe sur les genoux, côté beurre (normal). C’est le moment que choisit le chat pour sortir d’un air satisfait de sa caisse. Bonjour l’odeur se répandant dans la cuisine. « Bon appétit » semblait dire ce petit con.


J’ai, bien sûr, pris sur moi. Ma pratique régulière du yoga aide à affronter ce genre de petits désagréments. J’ai laissé vagabonder mon esprit : le coup de la tartine qui tombe forcément du mauvais côté, le fait que les chats retombent toujours sur leurs pattes… Eh si… Et si on place une tartine de pain de mie sur le dos d’un chat ? Est-ce qu’elle retombe du bon côté ou bien est-ce le chat qui ne tombe pas sur ses pattes ? Mouais…


Une douche, vite, ça va remettre les idées en place, et les évènements vont reprendre un cours plus normal, du coup.

C’est dans la salle de bain que j’ai atteint ma vitesse de croisière.


Nouveau choc, cette fois le genou contre la porte de la salle de bain, la paroi coulissante de la douche, mal fermée, l’eau qui coule sur le carrelage, confusion entre gel douche et shampoing, mes cheveux ont apprécié. C’est évidemment à ce moment que la pression de l’eau a choisi de ralentir, « merdeuuu, c’est neuf et ça déconne déjà, ce machin », puis de se tarir. Du gel douche plein les cheveux, et pas possible de rincer…


Je sors de la douche, me démêle les cheveux ; driiinngggggg, téléphone.


Je cours vers le salon, une serviette nouée vite fait autour de moi. Pourquoi est-ce que je n’ai pas laissé sonner ce maudit téléphone ? Hein ? Je vous le demande ! Qui répond encore aux fixes d’ailleurs, de nos jours ? À l’autre bout du fil, c’était un type qui me proposait des fenêtres double vitrage en PCV, non en PVC plutôt. Malgré mes « Je ne suis pas intéressée », mes « Non, merci » ou mes « Je n’ai pas pour l’instant l’intention de », le bougre insistait lourdement, me proposant un « devis gratuit qui n’engage à rien ». Et hop, moment choisi par la serviette pour se dénouer.



Là, la moutarde me monte subitement au nez, toutes les petites frustrations emmagasinées depuis le matin sortent :



Et j’ai raccroché.


Bon, tout ça, ça a un peu commencé la veille, faut dire. Plus d’internet. Appel à la hotline, vingt-cinq minutes d’attente pour m’entendre raconter des fadaises. Oui, mon gars, je sais comment on fait pour relancer une box. Tu penses bien que je l’ai fait avant de t’appeler et de poireauter une demi-heure. Oui, mes branchements sont nickel…


Après dix minutes de mise en attente, le gars revient et m’annonce qu’il va me rappeler.


Pas de rappel ce matin, internet est toujours en carafe, il va falloir que je m’énerve un peu. Ça s’est un peu passé comme dans un film de Quentin Tarantino, si vous voyez le genre. Le truc bien avec mon fournisseur d’accès, c’est qu’il y a une boutique pas loin de chez moi.


Je suis allée m’expliquer avec Mr Orange… Il n’était pas là, mais j’ai pu causer avec Mr Pink et Mr Brown… ça a ch… un moment. Il y a eu d’abord une phase d’observation.


Puis ça a failli se terminer dans un bain de sang,

Mais après, finalement, ça s’est arrangé. On a trouvé un terrain d’entente. Internet devait à nouveau fonctionner avant le soir. Mr Orange, Mr Pink et Mr Brown auront la vie sauve. Pour cette fois du moins, foi de Black Mamba, parce qu’il ne faudrait pas que ça se renouvelle trop souvent, ces petites plaisanteries-là… J’ai un sens de l’humour assez limité dans certains cas… Enfin un sens de l’humour très second degré, que les Mrs Orange, Pink et Brown ne comprennent pas forcément au premier abord. Parce que moi si on m’énerve je sers Kill Bill volume 1 et volume 2 d’un seul coup. Je fais ça au sabre japonais. Dans une boutique de téléphonie, ça fait bizarre.


Tout à l’heure, je vous ai parlé du programme de ma journée. Quelques corvées et des choses qui devraient être agréables.


La partie corvée, on vient de l’aborder.


Pour les choses agréables, j’avais rendez-vous avec un homme en début d’après-midi. Oui, pour un rendez-vous galant.


Guiseppe, un client. J’ai été en contact avec lui pour affaires. Italien, comme son prénom l’indique ! Et comme tout bon Italien, séducteur, coureur, Dom Juan. Plutôt bel homme, la quarantaine largement dépassée, le genre brun ténébreux, quelques cheveux gris sur les tempes pour faire bonne mesure, élégant. L’italian lover dans toute sa splendeur. Pas Georges Clooney quand même, mais un peu de ça.


En général, je ne mélange pas affaires et sexe. « No zob in job », comme on dit.


Là, l’affaire étant bouclée, je me suis dit, pourquoi pas ! Ça n’engage à rien. Aussitôt consommé, aussitôt oublié. D’ailleurs, il devait retourner à Milan dès le lendemain, je ne risquais plus de l’avoir dans les pattes.


Je me suis donc habillée pour l’occasion, sexy, mais classe, jupe assez courte, mais pas trop, petite veste cintrée, stilettos, et bien sûr, les dessous adéquats à ce genre de rendez-vous.


Giuseppe m’avait conviée à le rejoindre dans sa chambre d’un palace parisien, dont nous tairons le nom ici :



Et me voilà dans le couloir de cet hôtel. Chambre 126 ? Même pas une suite ? Petit joueur, Giuseppe ! Ou radin, peut-être. Ayant été en affaires avec lui, je connais approximativement l’épaisseur de son compte en banque, il a les moyens. Si ça se trouve, il a même trouvé une excuse bidon pour ne pas m’inviter à déjeuner, ça coûte trop cher. Le pingre…


120, c’est trois portes plus loin au bout du couloir. Une femme de chambre sort en coup de vent de la 126, alors que j’étais à une dizaine de mètres. Manifestement, elle est catastrophée.


Au moment où je la croise, je m’aperçois qu’elle a de grosses larmes qui lui coulent sur les joues :



Et la revoilà qui pleure comme une madeleine :



Mon côté féministe a pris le dessus :



Elle me regarde sans vraiment comprendre :



Je me dirige vers la chambre 126, frappe à la porte.

L’autre con de Giuseppe, grand sourire, m’ouvre :



Giuseppe qui a peu d’accent, quand on le bouscule un peu, il retrouve ses intonations du sud de l’Italie :



Et paf, je lui colle une baffe en pleine figure :



Et paf, une autre :



Et un coup de genou dans les parties. Eh oui, je sais me défendre (même si là c’est moi qui attaque, pour le coup), une séance de krav maga par semaine, ça désinhibe. Ce genre de plaisantin ne me fait pas peur, même vêtue d’une mini-jupe un peu serrée.


Mon Giuseppe accuse le coup pour le coup. Il se plie en deux, la bouche en cul de poule. Il a lâché un long et strident « ooouuuuïïïïyeuh », en se tenant les roubignoles à deux mains.


Mon Guiseppe se met à inspirer/expirer comme lors d’une séance de préparation à l’accouchement.


J’en profite pour le pousser et entrer dans la chambre :



Je vois le plateau, certainement apporté par la femme de chambre qui devait assurer le room service. Du caviar !

Je me tartine un blini et le grignote :



1- Je ne veux plus entendre parler de toi !

2- Tu vas t’excuser auprès de la femme de chambre. Tout de suite ! Elle attend dans le couloir. Si elle ne veut pas porter plainte, moi je peux m’en occuper. Avec moi ce ne sera pas #Metoo, ça va être #Youtoo. Je vais revenir te tourmenter un peu. Tu y vas tout de suite ! Presto !



Je me suis permis un petit « Vaffanculo », en partant, pendant que l’autre bafouillait un « Scusi » à la petite sur le palier. J’ai doublé mon « Vaffanculo » d’un « Vai a farti fottere ! », ce qui revient grosso modo au même. J’adore les mots grossiers en italien, j’en connais un certain nombre. Dits en italien, avec la prononciation qui va bien, ils ne font pas forcément grossiers en plus. Ils chantent plutôt. Et pourtant…


J’ai fait un clin d’œil en sortant à la jeune femme de chambre, restée dans le couloir. Elle a eu un timide sourire, mais un sourire reconnaissant. Je l’ai prise par le bras et nous nous sommes dirigées vers l’ascenseur sans nous retourner. J’ai rendu sa fierté à la petite, et ça, ça n’a pas de prix.


Et voilà, mon rendez-vous galant, enfin mon plan-cul, appelons un chat un chat, qui tombe à l’eau. Journée de merde, je vous dis.

Enfin bon, d’un autre côté, tant mieux, ça m’aura évité de me faire sauter par un connard et un salaud.


N’ayant pas l’intention de me faire baiser par le premier venu, il ne me restait plus qu’à rentrer.

Mais en plus, n’ayant pas déjeuné, j’avais les crocs, il fallait que j’aille manger un truc avant.


Et c’est comme ça que je me suis retrouvée à mâchonner un sandwich mou vers 15 h 30. Journée pourrie de chez pourri, je vous le dis, moi ! Faute de grives, on se tape des merles.

Une manif place de la République, ça, plus la pluie qui s’est mise à tomber, la circulation à Paris est congestionnée. Je m’énerve grave au volant. Je mets deux heures pour traverser la capitale et rentrer chez moi. En plus, il faisait si beau ce matin. Temps de merde !


Bien évidemment, un abruti s’est garé sur le bateau de mon immeuble, je ne peux pas accéder à mon parking.

Heureusement, une place se libère à l’autre bout de la rue. Je la prends, j’y gare ma Mini bicolore (oui, bon, je sais, c’est cliché, mais évitez de la ramener). Tant pis, trop mal aux pieds avec mes talons à force d’appuyer sur l’embrayage dans les embouteillages. Et en plus, je n’ai pas de parapluie.


En passant, j’invective un peu le pauvre type en train de récupérer sa voiture sur mon bateau.


Pour couronner le tout, l’ascenseur est en dérangement. P…, il va m’entendre le syndic, au prix où sont les charges dans cet immeuble ! Six étages à se farcir, vu l’état de mes pauvres pieds dans mes escarpins à talons de dix centimètres. Oui, je sais, c’est moi qui ai voulu jouer les vamps aussi. Pour ce con de Giuseppe en plus. VDM.


Arrivée enfin chez moi, j’abandonne mes chaussures dans l’entrée, en poussant un énorme soupir d’aise. C’est quasi orgasmique. Lessivée, je m’affale sur le canapé, j’attrape mon ordi portable. Après-midi foutue, autant bosser un peu, même si je m’étais accordé une journée de relâche.


Damned ! Toujours pas d’internet. Et l’autre, là, qui m’a promis ce matin que ça devait être rétabli rapidement. Je jette un regard sur ma montre, puis sur mes chaussures laissées dans l’entrée, enfin un dernier regard sur mes pieds endoloris. 18 h 45, si je fais vite, je peux arriver chez Mr Orange avant la fermeture. Mais rien que l’idée de me rechausser me hérisse le duvet sur les avant-bras.


C’est décidé demain matin, je vais mettre à sac la boutique de Mr Orange. Demain ! Pas le courage maintenant.


Parce que moi, quand on m’en fait trop, je correctionne plus : je dynamite, je disperse, je ventile…

Mr Orange et ses potes, Mr Pink et Mr Brown, je vais leur faire une ordonnance, et une sévère…


J’ai un truc hyper urgent à télécharger pour demain pour un client, je fais comment moi ! Hein ? J’ai mon rendez-vous à neuf heures pétantes. Franchement, ça fait sérieux en arrivant chez le client, « Excusez-moi M’sieur, mais je peux utiliser votre imprimante, paske j’ai pu d’internet chez moi… »


Pas possible de le faire sur mon téléphone, il me faut un ordi ! À 19 heures passées maintenant !


Et si… et si… nonnnnn…


Pas le choix, ma grande ! Je vais aller à côté, chez le voisin.


Il y a trois appartements sur mon palier, le mien, à côté, celui de mon voisin Sébastien, et au fond, celui d’une jeune femme d’à peu près mon âge, une certaine Laetitia je ne sais plus comment que je croise parfois. J’ai vu son nom sur les boîtes aux lettres. Blonde, comme moi, on se ressemble beaucoup, mais elle est un peu bizarre. On se dit juste bonjour/bonsoir. Enfin, bon, passons…


J’aurais pu aller sonner chez elle ce soir, mais non, je vais plutôt aller chez Sébastien. Elle serait du genre à prendre ça pour une excuse pour s’incruster. Je suis certaine que c’est le genre à ne plus te lâcher après, à te tenir la jambe sur le palier et à te raconter sa vie.


Sébastien ! Tout un poème, celui-là ! Le geek parfait. Grand, châtain, toujours vêtu de jeans, de sweats ou t-shirts et chaussé de baskets. Un mélange de Gaston Lagaffe et d’Harry Potter (sans les lunettes). La trentaine, mais son look et sa nonchalance me font plus penser à un ado attardé. On a toujours l’impression qu’il déambule. Bon, on va dire que lorsque je le croise dans l’escalier, ou dans le hall, je fais à peine attention à lui.


Et me voilà devant sa porte, ma clé USB à la main. Quand il a ouvert, pour la première fois, j’ai observé attentivement son visage et l’ensemble de sa personne. Vraiment observé.


Plutôt mignon en fait, athlétique, mais sans trop l’être.


Même avec son t-shirt à l’effigie de Bruce Springsteen et ses jeans délavés, il ne faisait pas forcément si ado attardé que ça. Je ne l’avais pas vraiment vu sous cet angle-là. Il y a un petit quelque chose de baroudeur, de mec qui en a vu dans sa vie. Jolis yeux en plus, noisettes et joli sourire, engageant en fait :



Qu’est-ce qui t’arrive, Éva ? Toi la fille sûre de toi, la battante, celle que rien n’arrête, te voilà en train de bafouiller, d’hésiter devant la porte de ton voisin :



Je m’attendais à trouver un appartement complètement encombré, des ordinateurs avec des fils partout, des figurines et des affiches de Jedi ou de superhéros, des boîtes de pizza vides entassées sur la table de salon. Le truc limite pas propre. Eh bien non, j’avais devant moi un appartement clair, rangé et meublé avec goût, enfin avec un goût proche du mien.


La configuration de son appart est la même que le mien. Une entrée, le salon à gauche et deux chambres vers le fond :



J’ai failli lui tendre mon trousseau de clés, avant de réagir et de lui donner ma clé USB. Il a pris un ordinateur portable, me l’a ouvert et m’a laissé lancer mon téléchargement :



Je reprends un peu de poil de la bête, je retrouve un peu d’assurance :



Puis avec un léger sourire, il a ajouté un peu taquin :



Décidément, ce garçon m’étonnait vraiment. Hormis sa tenue (et encore), rien du geek que j’imaginais. On se fait parfois des idées préconçues sur les gens. Sur les gens qu’on a à peine regardés en plus :



Nous avons éclaté de rire en même temps :



En même temps que je posais ma question, mon regard s’est porté sur une photo encadrée posée sur un meuble, lui et une jeune femme. Il surprend mon regard :



Dont acte !


Mais Éva… À quoi tu penses…



Là, j’ai un peu craqué. Finalement, ce garçon est plein de surprises. J’adore son humour pince-sans-rire, pas éloigné du mien, j’adore son sourire, j’adore… Mais Éva, qu’est-ce qui t’arrive ? Où est ton pragmatisme, ton détachement ? Cet après-midi, tu étais prête à aller te faire sauter par un bellâtre quadra pour passer le temps et là tu craques pour ce garçon en moins d’un quart d’heure ? Reprends-toi ! Vite… Tu en es quasiment réduite à minauder là. Pitoyable, ma pauvre fille !



Moment de silence. J’ai le regard fixé sur sa poitrine, musclée, mais pas trop. Bien formée, plutôt que musclée d’ailleurs. Rien à voir avec les horribles culturistes. Je sursaute quand il me dit :



Finalement, j’ai de la chance que ça ne soit pas ma chambre à coucher qui jouxte son appart :



Je devais être rouge pivoine à ce moment-là de la conversation :



Ses lèvres se sont approchées des miennes. Je ne me suis pas écartée. Au contraire, j’ai approché mon visage du sien :



Un beau baiser de cinéma, nos lèvres se sont collées, se sont entrouvertes sous la pression, nos langues se sont rejointes et offertes l’une à l’autre.



Et voilà, moi qui pensais avoir la tête sur les épaules, je suis en train de lâcher prise complètement pour ce garçon, de perdre pied, même. Moi qui avais juré qu’on ne m’y reprendrait plus, enfin, pas de sitôt, me voilà amoureuse en un quart d’heure. J’ai trouvé celui qui devait me faire chavirer le cœur, celui dont je parlais en début de récit. Il y a des choses dont on est certaine et tout de suite.


En plus, je l’avais sous la main depuis pas mal de temps. Il habitait la porte d’à côté.


Le coup de foudre ? J’en rigolais jusqu’à il y a une demi-heure, du coup de foudre ! Moi ? Mais jamais, je disais. Trop pragmatique, trop…


De la peur surtout. L’amour m’a fait mal, Aymeric m’a fait mal, Aymeric m’a trahie. J’ai finalement eu un mal fou à m’en remettre. Je me suis persuadée du contraire, que c’était du passé, que ça ne me touchait plus. C’est plus simple comme ça, plus facile à vivre. Je ne suis plus amoureuse, c’est certain, c’est ce que j’avais décrété. Mais j’ai toujours mal quand même, je suis toujours blessée. Je joue la fille détachée de tout, la battante qui vit pour son boulot, celle à qui on n’en compte pas, la mangeuse d’hommes aussi. Sauf que c’est juste une armure, je me protège seulement. Les hommes, je ne les mange pas, je les goûte seulement. Je m’en nourris plus que je les mange. En tout cas, je ne les déguste pas.


C’est ce sentiment, ce bien-être intérieur un peu béat, qui m’habite, là, tout de suite, quand je me penche en arrière pour m’allonger sur le dos sur son canapé en l’attirant sur moi.


Nous avons repris notre baiser, mes mains se sont glissées dans son dos sous son t-shirt. Les sirènes le long de ma cuisse sous ma jupe. Il s’est légèrement arrêté dans sa caresse quand sa paume a atteint le haut de mon Dim-up, avant de s’égarer sur la chair dénudée du haut de ma cuisse. Ça fait toujours son petit effet chez les mâles !


Il s’est relevé légèrement, nos yeux ne se sont pas quittés. Il a remis une de mes mèches derrière mon oreille. Puis sans un mot, s’est levé, m’a prise par la main et m’a amenée dans sa chambre.


Le reste ? Euh… ce fut tendre, d’abord, ça oui, tendre, je me souviens bien. Puis moins tendre, plus chaud, avant d’être épique.


J’avais l’intention de me faire sauter aujourd’hui en me levant, finalement, on m’a fait l’amour. Oh, ce n’est pas la première fois qu’on me fait l’amour, mais il me l’a fait, comme jamais on ne me l’avait fait avant, Je tiens à le signaler.


J’ai connu un certain nombre d’hommes, de bons baiseurs parmi eux. Mais là, c’était autre chose. La technique c’est une chose, l’endurance aussi, et Sébastien n’est pas le meilleur de ceux que j’ai connus. Mais de nos ébats de ce soir, je retiens le savoir-être plus que le savoir-faire, notre complicité, notre union, notre collusion même. Nous avons fait un/une. Même avec Aymeric, que j’ai aimé, et avec ceux que j’ai aimés avant, je n’ai pas connu ça. Nous avons fait l’amour comme si nous nous connaissions depuis dix ans. Quand je disais épique tout à l’heure, je parlais d’intensité, bien sûr.


Me faire baiser, ça a toujours été agréable, j’ai aimé ça. Après ce que je viens de connaître, ça me paraît bien fade. Je suis changée à jamais.


Je veux toujours donner l’image d’une battante, d’une fille forte, au caractère bien trempé. Mais au fond, je ne suis pas ce genre de fille là.


Le jour peut-être, c’est l’image que je donne. La tueuse dans son boulot, la fille libérée par ailleurs, sûre d’elle en toutes circonstances.


Mais le soir, seule chez moi, le masque tombe. La façade s’effrite. Le soir, je suis plutôt le genre de fille qui se referme sur elle-même quand tout va mal. Je suis cette fille qui écoute les autres et qui va les conseiller, mais qui est incapable de se conseiller elle-même. Je suis cette fille qui pleure quand tout le monde dort et que personne ne peut la voir ni l’entendre. Je suis cette fille qui se pose énormément de questions sur tout et sur rien, mais surtout sur elle-même.


Je fais toujours en sorte que personne ne puisse se rendre compte à quel point je vais mal au fond. Que personne ne voit que mes sourires sont forcés. C’est ça mon super-pouvoir. Savoir faire la fille forte, qui va sourire, qui va rire, mais qui a mal.


Je suis cette fille à qui on a trompé la confiance, qu’on a utilisée et qu’on a déçue. Et Aymeric n’était pas le premier ni le pire, finalement.


Je suis cette fille qui a besoin d’être rassurée et a besoin de quelqu’un qui lui fera oublier ce passif qui la bloque aujourd’hui, qui l’empêche de se livrer telle qu’elle est. Qui l’enferme dans le rôle qu’elle joue.


Car j’ai peur que ça recommence. Mais tout ça, je le pense seulement, car je n’ai pas le courage de le dire.

Je vous ai demandé au début de ce récit, si vous avez déjà connu ces journées catastrophes, où tout va de travers. Je pense que oui.


Comme moi, avez-vous remarqué aussi que ces fameuses journées se terminent souvent plutôt bien ? C’est ce que je me suis dit juste avant de m’endormir, épuisée par ma journée, mais heureuse dans les bras de Seb. Tiens, je l’appelle déjà Seb.


Juste avant de sombrer dans les bras de Morphée, je me suis aussi dit que cette force je l’avais peut-être retrouvée. Je passe outre cette peur ? Je me lance ? Je lui dis ? Parce que ce coup-ci, je l’ai trouvée, cette fameuse épaule où poser mon front. Celui devant qui je n’aurais plus peur ni honte de pleurer quand ça n’ira pas.


Je le sens. On sent ces choses-là. Je lui dis ? Oui, je lui dis… Enfin, je lui dirai demain matin, là il dort et je vais le rejoindre.




1. Beccare con le mani in pasta : littéralement « pris la main dans les pâtes », pris en flagrant délit, en fait. Expression typique et imagée dont la langue italienne regorge.