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Temps de lecture estimé : 51 mn
28/04/23
Résumé:  Toujours à la recherche de sa sœur, l’intrépide journaliste Maya se trouve en Inde, prête à en découdre avec le Maharadja Mandalakita de KaliPuri.
Critères:  bizarre voyage fdomine humour aventure -humour -aventure
Auteur : Melle Mélina      Envoi mini-message

Collection : Terra incognita
Maya à KaliPuri

Note de l’auteure: Je voudrais remercier chaleureusement Laetitia de m’avoir donné l’autorisation d’utiliser un de ses personnages. Vous l’avez croisé dernièrement, j’espère que vous ne m'en tiendrez pas rigueur si ma plume ne lui rend pas honneur.




Terra Incognita – Livre second : Maya à KaliPuri




Chapitre 1 : De Mumbai à Bangalore



Mumbai, dans le Maharashtra, Mumbai, sur la côte ouest au bord de l’océan Indien, la ville qui ne dort jamais, la grande mégalopole où se côtoie dans un capharnaüm incessant une fourmilière humaine, une foule bruyante et animée.


J’ai rendez-vous avec le professeur Jones dans la grande bibliothèque sur les hauteurs de Malabar hill, le quartier résidentiel situé au sud de la ville, à cinquante mètres au-dessus de la mer d’Oman. Je dois traverser la ville, j’ai une bonne trotte à faire. Je passe devant les grands marchés à ciel ouvert où il fleure bon les épices fortes, curcuma, cumin, coriandre et curry, l’odeur du poulet Tikka-Massala et des Dolhs, des samossas préparés devant vos yeux, l’odeur des moutons qui grillent à laquelle se mélange l’odeur des luxueux savons colorés vendus en paquet de douze, mais aussi à celle du gasoil dégagée par des milliers de mobylettes et de voitures tentant de se frayer un passage dans les rues étroites et sales.


Les histoires me bousculent dans la rue : je dépasse des prédicateurs de la fin du monde aux côtés de sikhs enrubannés, je croise le mahatma sortant d’un l’hôtel, accompagné de miss Indira, j’écoute les chanteurs de mariage, je regarde les charmeurs de serpents, et je tente de me faufiler dans une foule compacte en adoration devant une vache sacrée, ils s’agglutinent autour, mais n’osent la déranger.


Les télé-paraboliques poussent tels des champignons et déversent leur flot de musique orientale. Je me laisse bercer par cette hyperactivité. C’est Salman qui me guide, c’est Rudyard qui me parle et c’est toute une population hétéroclite qui m’aide à pénétrer l’esprit mystique, spirituel et mystérieux de l’Inde éternelle.


J’arrive enfin devant la grande bibliothèque David Sassoon library and reading. Route Mahatma Gandhi road. C’est un grand et magnifique édifice qui date de la fin du 19e, bâti en pierres beiges. À l’intérieur, avec son escalier tout en bois, une lumière tamisée qui rappelle les plus belles bibliothèques du vieux continent et un silence serein pour seul compagnon qui contraste avec la traversée que je viens de faire, je retrouve un peu d’apaisement. J’ai rendez-vous à l’étage, au club privé réservé aux membres de la librairie.


Le professeur Jones vient m’accueillir chaleureusement et je trouve mon vieux mentor toujours aussi charmant du haut de ses quatre-vingts ans. Ce n’est pas un vieillard asthénique qui se présente, mais toujours cet homme alerte, troublant et séducteur, avec qui j’avais passé d’agréables moments d’études « literie-raire ».



Nos retrouvailles sont enthousiastes et il ne manque pas l’occasion de me flatter. Ce vieil anglais a probablement une idée en tête, je le connais trop bien, mais non, je ne suis pas là pour la galipette. Aujourd’hui, le professeur Jones est considéré par ses pairs et ses étudiants comme un sage devant les sages. Le livre qu’il a publié et qui a connu un franc succès dans les revues spécialisées et savantes – un recueil qui traite de Kalki, la dernière manifestation de Vishnou, qui n’arrivera que pour annoncer la fin du monde – a énormément contribué à ce que sa réputation de sage devienne un symbole, une voix indiscutable et renommée. Il est considéré comme l’un des penseurs des plus profonds et des plus érudits en Inde. Comme il aime à le rappeler, ce ne sont pas les Anglais qui ont colonisé l’Inde, mais c’est l’Inde qui a colonisé les Anglais.


Après avoir passé de nombreuses années à Bombay, qu’il a étudié de long en large et en travers, il est le plus à même à m’aider dans mon entreprise. Il connaît les langues anciennes et possède un savoir édifiant sur les religions si nombreuses dans ce pays, l’Hindouisme, l’Islam, le Bouddhisme, le Jaïnisme, le Sikhisme, le Christianisme, le Judaïsme.


Nous nous installons un peu à l’écart, à l’abri d’oreilles indiscrètes. Je lui expose mon projet de rejoindre Kalipuri et de délivrer Mélina des griffes du Maharadja Mandalakita. À ces mots, le professeur devient pâle et je lis la peur dans ses yeux. Toutefois, il recouvre un peu de son sang-froid et m’explique le plus calmement possible que mon aventure est un ticket dans le monde des esprits.



Je l’écoute comme une étudiante, ses mots m’envoûtent, il a l’art d’expliquer, il vulgarise l’histoire pour qu’elle devienne compréhensive, et se contente d’insister sur les éléments que je dois connaître pour mon aventure.


Il a lui aussi entendu parler de la secte « des renouveaux des Morts », mais il n’y attache aucune crédibilité. Autant il s’y connaît en mysticisme, autant il reste cartésien. Parfois, ses aventures archéologiques l’ont mené à la frontière du réel, il en a vu des choses, mais reste ancré dans le concret. Il porte un regard de scientifique ouvert, mais qu’on ne vienne pas lui parler de morts qui reviennent à la vie.



La bibliothèque fermant ses portes, nous continuons notre conversation dans un petit restaurant sur l’île Elephanta. Le professeur tenait à me montrer les temples dédiés au culte de la déesse noire pour que je m’imprègne de l’ambiance mystique et que je comprenne la terreur et le respect qu’elle inspire dans le cœur des hommes.


Je mange un Raïta, plat à base de concombres, de carottes et de papaye et j’accompagne ça d’un verre de vin indien, un chenin blanc du domaine de Sula, tandis que le professeur prend un Palak Paneer (beurk, des épinards !) accompagné d’une bière Bira Boom. Nos doigts se touchent, oh le coquin ! Il aurait encore la force ? Non, mon cher professeur, je n’ai pas le temps pour ça. Je suis focus sur mon entreprise et délivrer ma sœur.


Néanmoins, j’accepte son invitation de dormir chez lui. Il habite Colaba Causeway, non loin de Cuff parade, à l’extrême sud de la ville. J’aurai un accès direct sur la mer et pourrai rejoindre la frénétique Bangalore – étape obligatoire – en longeant la côte occidentale en bateau.


Cette nuit, ce vieux fripon a quand même eu la main bien baladeuse, à tel point que j’ai finalement quitté le lit pour rejoindre le sofa.




Oooo0000ooo0




C’est sous une pluie battante que j’arpente les quais du port à la recherche d’un marin pouvant me conduire à Mangalore. Arrivée là-bas, je pénètre dans la jungle épaisse, direction Bangalore, puis je remonte sur mes pas et entre en territoire Andhra Pradesh.


Le territoire, sous la tutelle du Maharadja Mandalakita, s’entend de Bijarpur au nord à Puttaparthi plus au centre et je sais que son palais, « le palais aux mille miroirs » se situe en pleine jungle, dans un endroit retiré de tout être humain, à dix kilomètres de la ville Dharmavaran.


Le thermomètre affiche les 36°C et la pluie qui tombe me paraît chaude, je me croirais sous une douche, à une différence près, je suis habillée d’un lourd pantalon, de grosses chaussures de marche, d’un chapeau, d’une machette et d’un sac à dos comprenant tout un nécessaire pour appréhender un tel voyage. Mon sac est lourd comme un calembour qui ne passe pas.


Je trouve enfin un marin qui pourra me conduire à destination. Mon Hindi n’est pas des plus brillants et j’ai toutes les peines à me faire comprendre. Toutefois, le langage des mains est universel et le geste de palper les dollars fonctionne à merveille. Mon marin est dur en affaires, ce voyage va me coûter un bras, mais je n’ai pas vraiment le choix.


Lorsque je monte à bord du « Sagar Sampada », un vieux rafiot qui tient plus d’une pirogue que d’un yacht, je note que nous serons trois, Bhuvan, le forban qui m’a extorqué mes dollars et Haroun, un Indien sans âge qui ne pipe mot.

En fin de soirée, nous mouillons au large de Goa. Abrités de la pluie qui tambourine sur une sorte d’auvent de bois, nous mangeons de notre pêche, une raie que nous complétons de riz blanc. Bhuvan et Haroun ne me parlent pas, est-ce que j’existe ? Je surprends quelques regards tendancieux et là, j’ai bien la confirmation que j’existe pour eux. Je ne suis pas née de la dernière pluie et je sais reconnaître les regards de concupiscence et les non-dits.


La nuit, la pluie devient déluge et le vacarme des gouttes tombant sur le toit nous empêche de fermer, ne fût-ce qu’une petite minute, les yeux. C’est un cauchemar. Comme une nuit paraît longue lorsque vous ne dormez pas, les minutes semblent des heures !


Au petit matin, les nuages se sont enfin dissipés, révélant un soleil prometteur pour toute la journée, la houle s’apaise ainsi que la tension dans mon corps. Haroun prépare du café noir et l’odeur vient narguer mes narines tandis que Bhuvan relève l’ancre et fait chauffer le moteur.


Je suis exténuée, je baye aux corneilles et mes yeux se ferment bien malgré moi. Bhuvan m’enjoint à dormir :



Mouais, moi dormir… Hum, je le sens mal, ça, mon coco… Je n’ai aucune confiance en ces flibustiers des bacs à sable, ces pirates de bas étage. Toutefois, je dois me reposer, une longue route m’attend. C’est donc d’un œil que je tente de dormir, la main rivée sur la machette.


Tandis que le roulis de l’eau m’achève et que Morphée prend soin de moi, il y a du mouvement sur le Sagar. Les deux marins se veulent silencieux, mais le bois craque sous leur masse et me sort de mon sommeil. Le bruit me donne une indication très précise de leur position. L’un est à mes pieds, l’autre au niveau de ma tête. Je comprends qu’ils ont l’intention de me maintenir les jambes et les bras dans le but évident de m’attacher.


L’adrénaline n’est pas ce qui manque chez moi et lorsque le danger me surprend, mon corps se défend avec une rage et une force insoupçonnée. Aussi, c’est moi qui donne l’assaut, oubliant la fatigue qui m’étreint, je saute sur mes jambes avant qu’ils aient pu faire un mouvement et j’envoie un coup de pied en plein dans les roubignoles de monsieur Haroun.

Ouch ! Ça doit faire mal, parce que j’y suis allée de bon cœur ! Tout en décochant mon coup de pied, de mon bras armé, je place ma machette sur la gorge de Bhuvan.



Haroun est au sol, hurlant sa mère, à chercher ses couilles dans son falzar. Le pauvre, même s’il les retrouve, elles ne fonctionneront probablement plus jamais…


Sous la menace de mon arme bien placée, Bhuvan devient très docile. Je réfléchis à toute blinde, j’en ai encore pour une journée complète de navigation, à la moindre déconcentration de ma part, les deux marins reprendront le contrôle. C’est un luxe que je ne peux pas me permettre.



Toujours au sol, Haroun, désespéré, pleure toutes les larmes de son corps. J’imagine qu’il n’a pas retrouvé ses testicules, je l’aide à se relever et lui donne la même direction que celle de son ami.



Et d’un coup de pied aux fesses, je l’envoie valdinguer dans la flotte. Comme je ne suis pas non plus inhumaine, je leur balance une bouée de secours. En nageant à peu près correctement, ils arriveront sur une berge dans cinq ou six heures de baignade.


Je reprends la navigation. Avec toute cette agitation, je ne ressens plus la fatigue et je suis prête à enfiler les milles marins. Je peux enfin déguster le café qui me tient en haleine et ainsi ne plus sombrer aux pelletées du marchand de sable. En fin d’après-midi, après trois cafetières, le port de Mangalore est en vue. Dans cette partie de l’Inde, les autorités portuaires sont inexistantes, je peux donc accoster sans aucun souci de papiers, de droit, de toute paperasse.


Je vends le Sagar pour une bouchée de pain et trouve un hôtel où enfin, je pourrai me reposer. Mangalore n’est pas l’endroit le plus touristique de l’Inde, mais je fais toutefois la rencontre d’un couple français venu pour évangéliser tous les mécréants.


Je m’étais refusé à mon mentor sous prétexte que je n’avais pas le temps, mais de détourner du droit chemin des culs bénis est un tel ravissement, que je ne peux réprimer cette envie. Je passe la nuit sous leur drap et y mets du mien pour les confondre dans le péché. Force est de constater que je suis une salope qui s’y connaît dans cet art.


Tout y passe, le monsieur s’avère un élève avide, désireux d’en apprendre encore et Madame, une talentueuse soumise qui, en bonne gourgandine, dépasse mes espérances en matière de lubricité dans les jeux.


Une nuit à entendre des « Oh Seigneur Marie Joseph ! » en saccade et oui, Dieu est amour…


Ce matin, je quitte leur chambre, heureuse et amusée de les voir culpabiliser et chercher l’absolution du seigneur. Pécheurs, comment pourrez-vous prêcher la divine parole auprès des brebis égarées alors que vous vous vautrez dans la luxure et le stupre ?


Je suis contente de moi, je viens de remettre à plus tard l’invasion de la bonne parole à Mangalore.




Chapitre 2 : La vieille sorcière de Bangalore



Après un véritable repos, je prépare tout mon nécessaire pour le voyage, trouve et achète dans une petite échoppe très typique ce qu’il me manque, étudie les nombreuses cartes que j’ai en ma possession. Je loue une jeep et avale les kilomètres avant de pénétrer l’Inde profonde. Derniers kilomètres avant d’atteindre mon dernier relais, la frénétique Bangalore se dévoile dans toute sa majesté et sa splendeur.


Au crépuscule, le palais aux briques blanches, qui dans la lueur déclinante s’habille d’or, se reflète sur le lac qui s’étend entre ma personne et la magnificence, le fabuleux, l’émerveillement de son architecture.


Au milieu de paons orgueilleux, leur faisant concurrence, un petit rondouillard en kurta coloré de paillettes, autour duquel deux hommes, carnets en main, se penchent afin d’entendre les mots qu’il prononce lascivement, parade dans les couloirs de sa demeure. Un serviteur Pachtoune, habillé traditionnellement : large ceinture et turban, tient derrière le maharadja de Bangalore, un parasol enluminé.


Devant ce beau petit monde, se trouvent des musiciens – tambour fracassant, flûte stridente et sitars entêtants – accompagnés de trois chanteurs/danseurs Hijras (des femmes nées hommes).


Derrière ce groupe extravagant, la femme officielle du haut dignitaire accompagnée de sa fille autour de laquelle, une Ayah se tient prête à intervenir et deux domestiques, trottinent.


Des gardes du corps, armés de lathi, veillent au grain.


Ils me gâchent un peu la vue, mais au moins me font sourire. Je ne suis toutefois pas venue jusqu’au palais pour voir se parader un petit seigneur, seule « la vieille sorcière » m’intéresse. Lors de ma soirée en tête à tête avec le professeur Jones, à Mumbai, nos discussions se focalisèrent sur la déesse Kali. Quoique connaissant parfaitement la mythologie indienne, il m’enjoignit à rencontrer à Bangalore, celle qu’il appelait « La vieille sorcière ».


Une femme à la peau cuivrée et plissée, une femme sans âge – elle est probablement plus vieille que les dinosaures, me dis-je en la regardant – une femme pour qui la déesse Kali n’a aucun secret, depuis ses adorateurs jusqu’à ses détracteurs, depuis les cultes qu’on lui voue jusqu’au mépris qu’on lui loue – habite dans le palais à l’abri du monde qui tourne, comme si on devait la protéger de la modernité pour ne pas compromettre le passé.


Sa chambre se trouve au cœur du palais et il me faut négocier avec les gardes pour avoir une entrevue avec elle. Délestée de plusieurs billets – le prix à payer pour pouvoir avoir le sésame –, on me conduit devant ce que je nommerai un cagibi, c’est là que « cette vieille sorcière » m’accueille. Il n'y a aucune fenêtre permettant à la lumière naturelle d’inonder de chaleur cette geôle et dans cette pénombre que les bougies ont peine à illuminer, j’entrevois, en plus d’ouvrages qui paraissent dater de plusieurs millénaires, d’anthologies diverses sur les Dieux hindous, de parchemins craquants posés sur un tréteau, une étagère sur laquelle sont empilées diverses fioles, d’ampoules, de dames-jeannes. Je perçois aussi quelques serpents naturalisés, des grenouilles trempant dans des amphores.


Depuis ma confrontation d’avec Optus, je suis plus encline à croire au surnaturel et je suis prête à croire au mysticisme, mais je me trouve présentement devant tous les clichés de la sorcellerie « occidentale ». Ma première impression est donc de faire face à une charlatane.



Elle parle un français impeccable, sans aucun accent, comme si c’était la langue qu’elle utilisait quotidiennement.


Elle lit mon étonnement et me demande en parsi si je préfère, l’anglais, l’espagnol, le russe, l’arabe, le malais, le portugais et répète dans les langues citées la même question.


Je lui réponds en flamand :



Je lui explique mon entreprise et lui demande ce qu’elle sait de la secte des « Renouveaux des Morts » et de Mandalakita. Je pensais ce détour par le palais de Bangalore être une perte de temps, mais je révise ma copie en entendant tout ce qu’elle en sait. De sa voix chevrotante, elle me donne maints détails, m’apprend tout ce qu’il me faut savoir avant d’affronter cet adversaire qu’elle exècre de tout son cœur.


Dans les sous-sols du palais de KaliPuri, le Maharadja a caché la « statuette du sang de Shiva », seule cette dernière, une fois brisée, pourra mettre fin à l’hégémonie de ce culte dans cette partie sauvage de l’Inde.


Je pouffe de rire, une statuette à casser, manquait plus que ça !



Avant que je ne prenne congé de cette vieille peau, elle me propose un talisman censé me protéger du pouvoir saisissant d’hypnose du maharadja, puis m’enduit les bras, la nuque et mon visage d’un baume à base de camphre qui me protégera de la piqûre d’un insignifiant petit moustique, mais qui pourtant fait des ravages, le Fureur Volant qui inocule la « Furiosis » à ses victimes.



J’apprends qu’une personne piquée par le Fureur Volant perd la tête en à peine une petite heure alors qu’une ampoule d’adrénaline permet cependant d’arrêter le processus d’infection. Je prends note de ces nouveaux renseignements.


Il est déjà tard lorsque je quitte la vioque. Je me perds un peu dans les couloirs du palais. Je suis émerveillée par les couleurs chatoyantes d'un jardin intérieur, très inhabituelles pour un palais d’architecture Indy, et je m’enivre des effluves de jasmin, quand, au détour d’un corridor, je me trouve nez à nez avec la ribambelle du p’tit rondouillard en kurta, les musiciens, les danseurs et toute la smala.


Les gardes se placent immédiatement dans une position menaçante, prêts à en découdre. Tout doux les gars, tout doux ! je lève les mains en signe de paix. Les Hijras et les musiciens s’écartant, je me dévoile aux petits yeux sournois du maître des lieux toujours le parasol au-dessus de sa tête. Cependant, il ne m’adresse pas la parole et c’est un de ses deux gratte-papiers qui m’interpelle. Je lui explique tant bien que mal le pourquoi du comment et il suffit que je dise « the old witch » pour qu’il comprenne.


Alors rassuré, le maharadja de Bangalore dans un anglais approximatif me demande de m’approcher. À portée de main, ce dernier me la saisit pour me la baiser, genre très gentleman avec courbette et déférence – ce qui ne plaît pas du tout, mais alors pas du tout, à la matrone qui remonte les rangs comme une furie.


Je me dis en moi-même que je suis protégée du « fureur volant », mais elle n’a rien d’un moustique. Elle me toise de toute sa morgue et morve (je n’ai malheureusement pas de mouchoir à lui présenter), puis s’adresse à son mari bedonnant, coureur de jupons. Je n’ai pas besoin de comprendre le parsi pour imaginer la teneur des débats. Mon petit maharadja n’ose plus me regarder tandis que je le vois s’affaisser, se cacher dans ses épaules. Aucun des membres de la troupe n’ose jeter un œil en direction de cette scène épique.


Je suis prête à exploser de rire, mais ce sont les Maharadjas qui font la justice, ce ne serait pas bon que je me le mette à dos. Je me ravise et, sur la pointe des pieds, quitte Son Excellence. Ce n’est qu’une fois dehors que je laisse exploser mon hilarité.




Chapitre 3 : La Mangouste



Chloé Maurecourt n’est pas qu’une artiste peintre renommée, elle a aussi une double activité – de ces activités peu recommandables –, une activité où le secret est de mise. Sa compagne Soliflore, sculptrice aveugle, avec qui elle a partagé une bonne année de complicité, n’en a jamais rien su.


Dans le milieu, Chloé est connue sous le nom de code « Mangouste », la tueuse de serpents. Ses activités l’ont menée dans bien des ports, bien des bouges et souvent après son passage, un cadavre est à déplorer. Déplorer ? Non, car la perte du ou des cadavres en question est une bonne chose pour la société. En effet, Mangouste est une tueuse à gages ayant des principes de justice. Elle choisit ses contrats et ne les exécute que lorsqu’il s’agit d’éliminer un salaud, une saloperie, un pourri ou une pourriture.


Cela faisait une semaine que la rupture d’avec Soliflore était consommée, mais elle n’était pas encore consumée. Elle ressentait comme un pincement au cœur, toutes deux n’étaient pas prêtes à ce que leur relation fût sérieuse et que des projets voient le jour. Soliflore reprochait les fréquentes absences de sa partenaire et cette dernière refusait systématiquement de l’inviter à ses vernissages à l’étranger.


Elles se déchirèrent une ultime fois, l’une reprochant à l’autre des secrets qu’elle n’aurait jamais dû avoir et l’autre de ne se consacrer qu’à son art, oubliant de vivre tout simplement. Ressentant un besoin d’oublier sa sculptrice rapidement, Chloé aurait bien besoin d’une mission, histoire de penser à autre chose.


Le miracle se produit après une semaine d’attente, une semaine à déprimer. Son contact lui propose un contrat qui l’emmènera à l’autre bout du monde, à KaliPuri, sur les traces d’un Maharadja du nom de Mandalakita, considéré par les renseignements comme le gourou d’une secte sanguinaire, à l’origine de nombreuses séquestrations et de traite d’esclaves.


C’est exactement le genre de raclure que Mangouste aime à éliminer de la surface de la Terre. Pour une fois, Chloé n’aura pas à mentir auprès de qui que ce soit pour justifier son départ pour l’Inde, elle n’aura pas besoin d’inventer un vernissage par ci, une exposition par là, elle n’aura pas à inventer une carabistouille pour éviter de donner le nom de l’hôtel dans lequel elle ferait halte à sa partenaire. Ces pensées dans le cœur lui laissent comme un goût d’amertume : Soliflore.


En plus de son paquetage, de ses papiers et de liasses de roupies, d’une valise de secours, de cartes, d’une boussole qu’elle prépare méticuleusement, elle passe sa soirée à étudier sa mission, à organiser et à échafauder un plan. Elle fait le listing des contacts qu’elle a dans cette région du monde et, en fouinant sur Internet, elle apprend que le Professeur Jones est en charge de la grande bibliothèque à Mumbai.



L’image du vieil érudit lui rend un peu le sourire et elle le revoit étudier la calligraphie japonaise, le Shodo sur son corps dénudé. Un apprentissage très ludique.


Enfin prête, la Mangouste prend le premier vol Paris-Mumbai et se trouve 14 heures plus tard dans le lit du professeur Jones. Les confidences sur l’oreiller s’échappent souvent bon gré mal gré et bientôt Chloé apprend du professeur Jones qu’une de ses anciennes « protégées » est également sur les traces de Mandalakita.



Sentant le devoir de continuer son histoire, il présente furtivement la journaliste à Mangouste.



Qu’une journaliste vienne fourrer son nez dans ce genre d’histoire n’est pas une donnée à prendre à la légère. Une reporter est toujours en quête de scoop et il n’est pas question que Mangouste se découvre au grand public. Chloé sait qu’elle ne pourra échapper à une sérieuse discussion avec cette Maya et qu’un accord devra être trouvé.


Tandis que le professeur ressent les effets de l’âge – au grand dam de Mangouste, toujours gourmande, jamais satisfaite, encore en attente –, elle lui demande les raisons de la présence de cette journaliste.



Après une longue pause durant laquelle le vieux charmeur a retrouvé un peu de couleurs, il reprend :



Chloé enregistre tout ça dans sa tête et elle n’aime pas vraiment ça. Ainsi cette journaliste n’est pas en quête d’un reportage, mais pour une raison qui nécessite certaines compétences qui ne s’acquièrent pas dans les écoles. Gonflée la Maya, se dit-elle tout en craignant que cette mission ne devienne vite une opération de sauvetage plutôt qu’un simple « nettoyage ».


Reste à se procurer une arme. Une ? Non, plusieurs. Pour ça, Mangouste sait qu’elle trouvera son bonheur dans le bidonville de Dharavi.


Elle a bien un contact, mais la dernière fois qu’elle a fait appel au service de Saleem Lakhsmi, tout ne s’est pas déroulé comme prévu. L’Indien a voulu une plus grosse part du gâteau et a menacé Chloé de la dénoncer auprès des autorités, un terrain d’entente a finalement été consenti après que Mangouste, pour toute réponse, eut placé trois djabs suivis d’un uppercut pile-poil au niveau du menton.

Depuis, Saleem reste à la recherche des trois dents perdues dans la négociation.


Comment sera-t-elle accueillie ? De ça, Mangouste n’en a cure, mais cela complique la partie qui devra se jouer serrée et nul doute que les prix auront comme par enchantement bien augmenté.


Dharavi est l’endroit où trouver ce que l’on ne trouve pas ailleurs. Les marchandises que l’on vend sous le manteau, la contrebande et le marché noir font l’économie de ce quartier grouillant sous le regard d’une police corrompue et complice. Il règne dans les rues une puanteur digne d’une décharge à ciel ouvert dans laquelle des enfants Dalits cherchent des objets à récupérer. Par endroits, l’odeur du cuir tanné remplace celles des égouts pour laisser place à celle, entêtante, de l’encens. Les rues sont infectées d’insectes, cafards et mouches qui s’insinuent dans tous les moindres recoins du bidonville – surtout au niveau des latrines que plusieurs centaines d’habitants doivent se partager.


Se frayant un chemin, souvent en jouant des coudes, entre les habitants et les vaches, manquant se faire bousculer par les mobylettes et les vélos qui déambulent par milliers sur les routes de terre, Mangouste arrive enfin à l’échoppe le « Maharashtra Wheel », vendeur de bicyclettes.


Derrière son comptoir, la tête dans les papiers, Saleem ne voit pas entrer Mangouste dans l’atelier, et lorsqu’il lève enfin la tête pour accueillir le client qui vient de faire sonner le carillon, il ne trouve personne.

Il manque la crise cardiaque lorsqu’une lèvre vient lui baiser la joue. Mangouste à ses côtés, lui dit :





Chapitre 4 : Shreematee dans la jungle.



J’ai laissé ma Jeep Willys en lisière de forêt quand la route est devenue impraticable – même pour ce vieux tas de boue. J’escomptais trouver un éléphant pour parcourir les derniers kilomètres séparant le village – où je viens de faire halte – du grand palais majestueux de KaliPuri.

Malheureusement, c’est bien à pied que je vais continuer cette aventure. De plus, aucun guide ne souhaite m’accompagner « trop dangereux, trop dangereux Shreematee, hommes en rage là-bas, palais maudit Shreematee ».


Les Kurumbas forment un peuple emprunt de mysticisme où la religion animiste et les dieux Vishnou et Shiva occupent leur quotidien. On pourrait croire que le monde moderne n’a pas encore eu connaissance de ces aborigènes et ne les a donc pas gâtés. Tout est pittoresque, authentique et c’est donc sans véritable surprise que, pour me porter chance, je vois tous les adultes du village vouloir me toucher. Je me laisse faire – même si certaines mains ne se contentent pas de frôler ma peau et s’attardent en des endroits plus intimes.



Avant de me laisser partir au-devant de la mort selon leurs dires, ils organisent une procession avec, en point d’orgue, une offrande à Shiva censée me protéger de Kali elle-même. C’est la seule aide qu’ils peuvent m’offrir et je m’en contente.


Une heure plus tard, alors que je suis le sentier, j’entends au loin sur ma gauche, des rugissements féroces et des cris que je n’arrive pas vraiment à définir – peut-être des singes. J’imagine un tigre s’attaquant à une horde simiesque, le combat semble âpre et les cris redoublent de volume et de violence. Je prends soudain conscience que les animaux se poursuivent et arrivent à grande vitesse dans ma direction ! Je me saisis de ma machette et, du regard, cherche la meilleure position, je fais quelques pas en retrait, cachée derrière une haute fougère.


Soudain, déboulant de la jungle épaisse, un tigre, toutes dents et griffes dehors, rugissant de tout son coffre tente de fuir, mais se trouve acculé par…


… des hommes ?


Je n’en reviens pas, c’est un spectacle ahurissant, cinq hommes vêtus de haillons, vestige de vêtements portés il y a bien des éons, sans aucune arme autre que leurs mains, leurs dents et leur agressivité et hurlant des cris stridents, engagent le combat avec le fauve. Ils ne font preuve d’aucune stratégie et foncent dans la bataille comme des personnes dépourvues d’intelligence. Le tigre d’un coup de griffe déchiquette le visage d’un pauvre hère tandis qu’un second tente vainement de mordre la gorge du fauve. Les trois autres attaquent simultanément l’un à la cuisse, l’autre à l’abdomen et le troisième au niveau du flan, ignorant la douleur infligée par les nombreux coups de patte aux griffes acérées comme des poignards.


La violence est inouïe, je ne pensais pas un être humain capable d’une telle frénésie, d’une telle bestialité. Malgré tout, les cinq hommes sont vite terrassés, mais le tigre semble blessé, et c’est en boitant qu’il regagne l’ombre des arbres.


Une fois le calme retrouvé, je m’approche des cadavres jonchés sur le sentier. Que leur est-il arrivé ? Je retourne le corps le moins amoché, ce dernier est encore en vie. Ses yeux, la pupille et l’iris sont rouge sang et lorsque son regard croise le mien, il se met à baver de colère, et dans un dernier effort lève un bras dans l’espoir de m’agripper, non pas pour que je l’aide, mais visiblement pour en découdre avec moi.


Je comprends que ces cinq personnes étaient atteintes du Furiosis. Les paroles de la vieille sorcière me reviennent en écho, ce sont plus des animaux que des hommes. Que reste-t-il de leur humanité, que reste-t-il dans le fond de leur cervelle ? Je n’en sais rien, mais je me dis que le fond de l’hère effraie !


Laissant les quatre morts et le dernier agonisant, je reprends ma marche. « trop dangereux, trop dangereux Shreematee, hommes en rage là-bas, palais maudit Shreematee » .Je comprends désormais la crainte des Kurumbas et c’est donc avec beaucoup plus de prudence que j’avance vers mon but.


Je dois être à trois/quatre kilomètres du palais, mais la nuit va bientôt tomber. Il faut que je trouve un endroit où je pourrais me reposer. Avant de croiser les hommes en rage, j’avais pour idée de camper simplement, dans un endroit sec, un peu en retrait et surtout, protégée par un bon feu. Mais, je ne tiens absolument pas à les attirer vers moi, aussi vais-je me dispenser du confort. De plus, un feu attirerait sans aucun doute les moustiques. Jusqu’alors, je ne prenais pas en considération la présence de cette insignifiante bestiole, mais après avoir vu les conséquences d’une piqûre, je me ravise et revoie ma copie.


Mon repas composé de quelques biscuits salés est vite englouti et je trouve, à une vingtaine de mètres du sentier, un arbre dont les branches sont suffisamment imposantes pour m’accueillir.


Perchée à une bonne dizaine de mètres, bien qu’éreintée, je ne trouve pas le sommeil.


La nuit est froide et angoissante. Une nuit d’un noir absolu ! La nuit, la jungle vit, tout autant que le jour, mais à la lumière, nos yeux permettent de comprendre et d’appréhender le danger s’il en est. Privé de ce sens, l’imaginaire prend la suite et le moindre craquement génère une méfiance qui se transforme en angoisse.


Les feuilles bruissent, les singes piaillent, les insectes vrombissent, les serpents sifflent et les oiseaux pépient formant un concert terrifiant qui m’empêche de fermer l’œil. Une odeur putride, une charogne en décomposition, gagne petit à petit en hauteur et atteint inexorablement l’endroit surélevé sur lequel je me trouve. Je ne l’avais pas remarquée tantôt lorsque je décidai de m’établir sur cette grosse branche.


Juste en dessous de moi, une grosse bête, peut-être un sanglier, gratte et cherche dans le creux des racines de quoi se sustenter, mais un craquement de branche le fait déguerpir d’un bond. Au-dessus de moi, je sens comme un courant d’air me fouetter le visage accompagné de cris stridents et de corps qui bondissent de branche en branche.


Prédateurs ou proies ? Je ne sais pas.


Comme la nuit peut paraître longue lorsque le sommeil se refuse à vous ! Je ne sais combien d’heures (ou peut-être minutes) se sont déroulées lorsqu’enfin je ferme les yeux et sombre inexorablement, kaput ! HS, la Maya !


Je suis vite réveillée par une sensation de chatouillement, j’émerge tout doucement, complètement groggy, vaseuse, et je ne réalise pas tout de suite que les chatouillis se déplacent sur tout mon bras droit. Le jour s’est levé timidement, laissant une pâle lumière me permettant de voir.

Aussi, je regarde ce qui se passe et me fige illico, une scolopendre géante grimpe sur moi. Tout à la fois effrayée et écœurée par ce grouillant, j’essaie de ne pas paniquer, une morsure d’un tel cloporte, en plus de la douleur, est venimeuse et je ne tiens pas à devoir composer avec des tremblements, une fièvre intense ou encore avec un œdème.

Je prie pour que cette cochonnerie n’aille pas vers mon visage, sans quoi, tout le sang-froid dont je suis capable ne sera pas suffisant pour enrayer une crise d’hystérie que je sens déjà poindre dans mes veines.

Heureusement, la bestiole continue son chemin sur le tronc, sûrement trouvera-t-elle de quoi se nourrir plus facilement sur du bois que sur de la chair. Une fois le danger écarté, après une longue inspiration et un peu de temps pour redescendre mon rythme cardiaque, je me remets en route.


Avec le jour naissant, la jungle s’est métamorphosée, les odeurs sont plus vivaces et plus fraîches, des odeurs volatiles dansent autour de moi, un doux parfum d’humidité et de chlorophylle m’accompagne ce matin. Je suis en émerveillement devant le spectacle de la nature, les arbres regorgent de fruits que je cueille et dont je me délecte. Un singe me surprend. Je lui vole sans doute, son petit-déjeuner, mais il n’en fait pas ombrage et se contente de me dévisager avec étonnement. Je regarde la danse des oiseaux pollinisateurs, tel ce colibri aux couleurs chatoyantes se régalant du nectar d’une somptueuse fleur jaune.


Je pourrais rester des heures à rester ébahie, mais la nuée d’insectes pullulant dans les airs me rappelle du danger de ma position. Le baume que la vieille sorcière m’a enduit sur le corps fonctionne, aucune mouche, guêpe ou moustique ne s’aventure sur moi, cela dit, ce n’est pas une raison de m’attarder. Ma sœur Mélina dans un coin de ma tête, je me remets en route.


Même si aucun rayon n’atteint le sol, le soleil doit taper dru, la chaleur devient vite étouffante et humide. J’enlève mon manteau, ainsi que les jambes de mon pantalon et me retrouve vêtue d’un simple t-shirt sans manche et d’un short. Même mon chapeau devient intolérable et se trouve dans mon dos.


Je m’arrête le temps de me désaltérer lorsque j’entends un bourdonnement un peu plus fort que le bruit que peut émettre un simple moustique. Je vois le responsable se poser sur le tronc d’un arbre proche de moi. C’est un moustique beaucoup plus gros que ceux que nous connaissons en Europe, ceux qui se font un malin plaisir de venir bourdonner dans nos oreilles au beau milieu de la nuit lorsque nous roupillons sagement.


Ce doit être un Fureur Volant, deux à trois fois plus gros qu’un moustique tigre. En plus de sa taille impressionnante, il arbore une jolie robe tachée de bleu dans un noir profond et une trompe mesurant bien les deux tiers de son corps. Je préfère ne pas m’attarder, si mes bras sont bel et bien enduits d’un baume répulsif, mes jambes, mes épaules et mon visage à présent à découvert ne jouissent pas de cette protection.


Plus loin, j’entends des râles de fureur, un groupe d’hommes en rage ne doit pas se trouver loin. Je devine au loin leurs silhouettes et en dénombre trois. Armée de ma machette, je dois pouvoir faire le poids, mais tant qu’à faire, autant les éviter. Je n’ai pas à les contourner puisqu’ils s’enfoncent plus profondément dans la jungle touffue.

Le sentier s’est un peu élargi et de nombreuses traces de pneus indiquent que je m’approche du palais. J’ai été trop prudente en laissant ma jeep si loin, j’aurais pu m’avancer davantage sans être aperçue de quelques gardes et j’aurai ainsi évité cette nuit atroce.


La canopée ne couvre plus le sol des rayons dardés du soleil maintenant à son zénith, la chaleur s’abat encore plus brutalement, on croirait prendre un coup de gourdin et au loin, en contrebas, s’étend la grande citadelle aux impénétrables murailles de grès. La moiteur est telle qu’un voile trouble s’est appesanti sur le décor, lui donnant un air de mirage dans lequel un palais blanc flotte entre le réel et la fantasmagorie.


La forteresse du Maharadja est située au centre d’une grande vallée comme une île blanche dans un océan de verdure. Du promontoire où je me situe, j’aperçois une grande rivière lézardant au travers de la jungle comme un serpent se déplace par ondulation. Un bateau Maharaja est amarré sur l’unique ponton menant au palais, étrangement, je ne détecte aucun mouvement sur le pont, il semble vide d’équipage. C’est un étrange bâtiment sur deux étages, en forme de ballon de rugby qui fait étalage de la richesse de son propriétaire.


À son extrême opposé, à la droite, la jungle reste sauvage, impénétrable. Peut-être y a-t-il en son sein des bâtiments, des dépendances, ou pourquoi pas des terrains de tennis, ou de polo, il est impossible de le savoir.


Devant la vaste et somptueuse demeure, un jardin à la française à la perfection formelle avec des orangeries à droite et à gauche. L’allée principale menant à l’entrée du palais est bordée de palmiers somptueux et, au bout, siègent deux imposantes sculptures représentant Kali, la déesse de la mort, la mère destructrice tirant la langue, avec un collier de crânes humains, armée de cimeterre et dansant sur le corps de Shiva.


Malgré plusieurs minutes à étudier ce panorama, je ne vois aucune âme qui vive. L’endroit paraît désertique. Je dois chasser les mouches qui me harcèlent et éponger mon front en sueur, ce temps d’observation m’a permis de reprendre un peu de force. L’endroit étant vide de monde, je me décide à passer par la grande porte, pourquoi faire compliqué ?


Toutefois, pour gagner un peu de temps, je quitte la route et coupe par le chemin le plus direct, droit devant moi. La descente n’est pas aussi aisée que je l’avais cru de prime abord. Par endroit, la pente devient presque verticale et c’est une chute vertigineuse d’au moins cinq mètres qu’il me faut appréhender. J’avance péniblement au milieu des fougères sous le regard amusé de mes cousins les singes. Je balaie à grands coups de machette à droite à gauche pour me frayer un chemin un tant soit peu praticable, des putains de ronces me griffent les jambes, m’arrachent des pleurs, et je suis piquée de partout par ce qui semble être des orties.


Après ce passage, je trouve de la menthe sauvage, qui en plus de satisfaire mon odorat, me permet de soulager les démangeaisons. Soudain, les singes se mettent à crier, ils ont flairé un danger. Je reste sur mes gardes et en un éclair, de derrière moi, un homme me saute dessus comme un forcené, nous tombons tous les deux, deux mètres plus bas, lui le premier sur une souche et moi sur lui. Au contact du choc, sa colonne vertébrale se brise dans un crac assourdissant !



Je le laisse souffrir, je ne vais quand même pas l’achever, ça serait inhumain. Je le remercie de m’avoir aidée à parcourir deux mètres de dénivelé et le laisse râler à qui mieux mieux. À force de faire un tel tintamarre, pour sûr, il va attirer une panthère ou un tigre…


Je fais face au palais de KaliPuri, somptueuse demeure de marbre blanc à quatre miradors cernant une grande arche. Tout y est calme et silence. La forêt située juste derrière moi s’est tue et je réalise que les mouches, moustiques et autres saloperies volantes avec dard prêts à vous l’enfoncer dans la chair, n’osent pénétrer les lieux. Comme le nuage radioactif de Tchernobyl n’a pas osé dépasser nos frontières, les insectes restent de l’autre côté d’une barrière invisible.


Tandis que j’arpente l’allée principale au vu et au su de tous, c’est-à-dire personne, je distingue dans les airs, un parachutiste se diriger vers le palais. Il est encore haut dans le ciel, mais il a l’air de savoir bien manier les vents et bien qu’il doive faire beaucoup de bordées pour ne pas atterrir en pleine canopée, je ne doute pas un seul instant qu’il foulera tantôt le sol où je me trouve présentement.


Je ne vais toutefois pas l’attendre, je continue mon chemin, dépasse les deux grandes statues de granit. Elles sont encore plus impressionnantes de près, beaucoup plus grandes que ce que j’avais imaginé et tellement bien reproduites qu’on a l’impression que Kali vous suit des yeux.

Le jardin dépassé, je foule un sol fait de marbre blanc luxueux avec ici et là quelques teintes rosées. Conquérante, je pénètre dans la vaste demeure par la grande arche. Une cour intérieure à traverser et j’entre dans le vif du sujet. Il n’y a toujours pas l’ombre d’une vie « Pas l’ombre du spectre du fantôme d’un prout ! »


J’ouvre une large porte finement sculptée et, en haut d’un escalier de marbre veiné où apparaissent de belles arabesques, se tient un homme vêtu en grand apparat de soie, de velours, coiffé d’un turban vert où est placé un diamant irradiant, un collier de pierres précieuses, boucle d’oreille en or pur et bagues plus grosses les unes que les autres.



Tout en disant cette phrase, je me trouve vite encerclée par une trentaine d’hommes armés de sabre, les yeux blancs sans pupille, sans iris. Je ne sais pas d’où ils peuvent sortir, mais me voilà bel et bien piégée.




Chapitre 5 : Les Tribulations de Maya



Bel homme d’une quarantaine d’années, semblant bâti dans l’albâtre, le teint mat, petite moustache finement taillée, sourire accroché aux lèvres, le prince m’accueille les bras ouverts.



L’homme affable descend les marches avant de s’arrêter au milieu. Je ne suis pas venue faire des politesses, j’ai autre chose à faire et c’est sans aucun détour que je lui demande des nouvelles de ma sœur.



Mandalakita s’exprime en un français impeccable, sans le moindre accent trahissant ses origines hindoues. Tandis qu’il me parle, ses favorites arrivent une à une, deux Indiennes et une Asiatique. Trois superbes femmes dans des voiles brodées d’or et aux parures luxuriantes. Visiblement, Monsieur les aime brunes. Il continue sans se soucier de leur arrivée.



Durant tout le temps de cette tirade, ma sœur est apparue ornée de pièces de soie brillantes, Mélina, tremblant dans la chaleur comme une vision due à l’opium. Son regard est vide, elle me regarde, mais ne me voit pas. Je ne peux m’empêcher de lui sourire et de m’adresser à elle, coupant Mandalakita dans ses explications.



Elle penche la tête, étonnée qu’une étrangère s’adresse à elle puis d’un mouvement à peine perceptible, rejette ma démarche. Le raja me sourit, fier de lui, et reprend en ces termes :



Là, il m’énerve le petit prince, je lui réponds sèchement que ma sœur est capable de s’exprimer. Malheureusement, ma sœur ressemble plus à un zombie qu’à une personne capable de réflexion. Je me prends une rebuffade avec un geste plus prononcé que le précédent.


Mandalakita s’est approché de moi et me fixe dans les yeux, sa voix reste douce, presque apaisante, presque chantante. Je comprends que cette ordure tente de m’hypnotiser.

Complètement insensible à ce pouvoir, car protégée du talisman, je lui balance un direct foudroyant en pleine tronche en lui disant :



Je me pète les phalanges en lui explosant le dentier, il ne pourra plus sourire de sitôt. Mon coup le projette dans les escaliers et je le vois tomber comme une vieille merde ! Je n’ai pas le temps de me réjouir que je suis appréhendée manu militari par les gardes que j’avais presque oubliés.


Avant d’être emmenée je ne sais où, je regarde le sang au sol. Je ne l’ai pas raté, me dis-je avec satisfaction et férocité puis je pouffe de rire en voyant deux incisives baigner au milieu de la petite mare sanglante.





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Je suis dans le noir absolu d’une geôle glaciale, mes yeux distinguent à peine des formes. Je perçois un trou au milieu qui doit probablement faire office de lieu d’aisance – à moins que ce ne soit pour un tout autre intérêt qui m’échappe. Dans un coin au fond de cette cage, un peu de paille en guise de couche accueille, en plus de ma pomme, mes nouveaux amis, des rats. Pourquoi faut-il qu’il y ait toujours des rats dans les endroits les plus sordides ?

Toutefois, ils ne me font pas peur, au contraire ils égayent un peu cette solitude.


Forcément, ça cogite dans ma tête. Comment vais-je faire pour m’en sortir ? Je suis dans de sales draps (pourtant, je les ai lavés avec Paic Ultra). Je m’amuse, j’essaie de penser à autre chose pour ne pas sombrer dans l’anxiété, ce qui ne servirait à rien. Je parle avec mes nouveaux amis :



Je suis dans ce clapier depuis de longues heures, ma montre en atteste lorsque j’entends du mouvement. Une personne en costard se pose devant ma cellule, je le distingue à peine, je le toise tant bien que mal. Il a l’air d’avoir un manche à balai dans le cul, les cheveux gominés, un type sorti tout droit des années 50, il m’apostrophe :



À peine a-t-il exprimé cette dernière sentence, qu’il tourne les talons et me laisse de nouveau seule avec les rongeurs.



Je fanfaronne, mais au fond de moi, je sais bien ce qu’être offerte à cette déesse de sang veut dire : je vais être sacrifiée. C’est pas le top, je suis au fond du trou.



Arrive la nuit, la solitude me pèse franchement, pour passer le temps, je chante du Higelin :


♬ La nuit promet d’être belle Car voici qu’au fond du ciel ♫

Apparaît la lune rousse♫ Saisi d’une sainte frousse

Tout le commun des mortels Croit voir le diable à ses trousses ♬

♫ Valets volages et vulgaires Ouvrez mon sarcophage

Et vous, pages pervers, Courrez au cimetière ♫

Prévenez de ma part Mes amis nécrophages

♫ Que ce soir, nous sommes attendus dans les marécages♫

Voici mon message :

Cauchemars, fantômes et squelettes, Laissez flotter vos idées noires

Près de la mare aux oubliettes Tenues de suaire obligatoire.


Il fait drôlement froid, je me couvre comme je peux de la paille, mais pas moyen de fermer l’œil. Je suis mortifiée froidichement. Il paraît que lorsqu’on meurt de froid, on finit par s’endormir, si cela est avéré alors je suis bel et bien en vie.


En plus de la morsure du froid, je suis accablée par la faim et ces salauds ne m’apportent rien, pas même une goutte d’eau. Alors, question à cent balles, vais-je mourir congelée ou vais-je mourir de faim ? De nouveau, je fais la bravache, mais je n’en mène pas large. Et ainsi passent les heures, ma montre indique qu’il est midi. Je rêve de poulet… Hummm un bon poulet rôti… Je l’imagine tourner sur sa broche, j’en salive… j’arrive même à imaginer l’odeur. Raah, il faut que je pense à autre chose… Un poulet caramel avec son riz… miam miam… Bon sang, je vais devenir folle… Oh, je le vois courir dans les prés mon p’tit poulet. Cot cot cot ! Mais, bon sang, Maya, pense à autre chose !


Gominé revient finalement au beau milieu de l’après-midi accompagné de deux zombies. Mastocs, les zombies ! Lorsqu’ils étaient vivants pour de bon avec du sang dans les veines, qu’ils n’avaient pas ce teint blafard à la limite du vert moisi, ces yeux blancs où aucune expression ne passe, ils devaient être gardes du corps. Ils mesurent entre un mètre quatre-vingt-dix et deux mètres pour un poids environnant les cent dix, cent vingt kilos au bas mot.


Entrant dans la cellule, ils laissent une brèche suffisante pour m’enfuir. Tu parles, ils m’agrippent sèchement et fortement, je me débats comme une tarée, leur envoie un coup de pied dans les roubignoles. Visiblement, ils ne ressentent plus la douleur parce que je n’y suis pas allée avec le dos de la cuillère – en vain, il n’a même pas sourcillé.


Rien à faire, je suis vite ceinturée. Gominé me dit :



Pour toute réponse, je lui crache au visage, ça ne sert à rien sinon de m’amuser et d’évacuer mon stress et ma colère.


Je suis conduit dans une salle où m’attendent trois servantes, des Devadâsîs. Sous l’œil avisé de Gominé, elles me préparent comme une princesse, je suis au petit soin, un bain de lait avec des pétales de rose, un bon shampoing, un gommage, un massage des épaules tandis qu’une autre s’affaire sur mes pieds. N’étant pas exhibitionniste, j’aurais bien aimé un peu plus d’intimité, mais je dois bien le dire que cela me détend. Je ne suis pas dupe, c’est pour mieux me sacrifier.


Ces trois femmes savent s’y prendre et je les remercie de tant de bien-être prodigué. Néanmoins, tout cela se fait dans un silence monacal, elles n’ont visiblement pas le droit de m’adresser la parole.


Durant toute l’opération, Gominé n’a pas lâché les yeux de ma plastique.

Je le provoque :



Bin, oui, tant qu’à provoquer, autant blasphémer. Le gonze reste stoïque, mais j’imagine que ça doit bouillir dans son p’tit crâne de balais de chiotte.


La femme la plus âgée démêle mes cheveux, me coiffe en une longue tresse tandis que la plus jeune me pare de bijoux. La troisième, celle que je trouve plus belle, s’occupe de ma robe. Ça en jette ! Une éblouissante robe rouge sur laquelle sont brodés des petits boutons d’améthyste violets, entrecoupée d’une ceinture fine et légère en or et diamants. Cette robe doit probablement coûter une vie de salaire.

Je suis pieds nus dans de jolies sandales, ça change des Pataugas ! Pour sûr, c’est plus esthétique, mais franchement moins pratique, surtout si je dois m’enfuir dans la jungle.

Mes trois amies ne parlant pas, je m’adresse de nouveau à Gominé :



Il encaisse, mais je le surprends se mordre les lèvres et serrer les poings. Oh, Monsieur veut m’en coller une, allez, viens mon gars, je ne suis jamais contre une bonne baston.

Toujours provocante, je lui somme, en tant que future épouse d’une déesse lesbienne, de m’apporter à manger. Lesbienne n’étant pas assez percutant, j’emploie le mot « Gouine ».


Cette demande lui paraissant raisonnable, il envoie l’une des Devadâsî en cuisine – c’est toutefois ce que je crois comprendre de leur dialecte que je maîtrise à peine. Les deux molosses sont de retour et m’empoignent avec un peu plus de délicatesse qu’ils ne l’avaient fait précédemment. On me conduit dans une salle majestueuse tant par la taille exceptionnelle que par ses décorations et son architecture.

Je m’assois à table, une table pouvant recevoir jusqu’à une cinquantaine de convives, la servante envoyée tantôt en cuisine, dresse pour moi le couvert et me présente un plat :



J’adore. Je suis arachnophobe. Même mortes, elles me révulsent. Je manque de vomir rien qu’en les regardant. Voyant ma répulsion, la Devadâsî revient avec un autre plat :



Moi, qui fustige régulièrement les chaînes américaines de malbouffe, j’en viens à regretter un bon hamburger. Bon, j’ai trop faim… je ne sais même pas comment il faut s’y prendre pour décortiquer ces fichues bestioles. Me voyant en totale perdition, Gominé arrive sur ces entrefaites et me montre comment faire, puis place une longue serviette autour du cou. Il ne faudrait pas que je salisse ma belle robe.


Le repas englouti difficilement, mes deux zombies m’emmènent dans les souterrains du palais. Je n’ai plus du tout envie de rire. Une centaine de zombies, complètement amorphes, entonnent à l’unisson des psaumes, des chants, enfin, une sorte de truc monocorde lancinant. Tandis qu’on me traîne vers un gigantesque totem sculpté sur une grande esplanade où m’attend Coco-beau-sourire, vêtu d’une toge noire et rouge, très cérémonial, la tête coiffée d’un capuchon avec dans la main une dague.


Je me débats avec rage, je les mords, je leur donne de violents coups de pied, mais rien à faire, les deux molosses ne vacillent pas et me conduisent impavides vers mon mât. Je gueule, je les insulte (mon insulte préférée : bande d’enculés !), je leur crache dessus. Je suis vite attachée et je vais bientôt passer de vie à trépas. Il n’y a rien que je puisse faire pour empêcher l’inéluctable.


La sourire aux lèvres, Mandalakita s’approche de moi et me dit :



Il lève sa dague en direction de mizote, se tourne vers son public pour communier dans en cet instant solennel. Soudain, Coco-beau-sourire s’effondre. Raid mort.


J’ai rien compris.




Chapitre 6 : Les turpitudes de Mangouste



Ce n’est pas la première fois que Mangouste opte pour une mauvaise option et de sauter en parachute n’est pas ce qu’il y a de plus discret. Alerté avant même d’accueillir Maya, le Maharadja Mandalakita dépêcha tout un bataillon de ses « Deux fois né » pour aller recevoir l’inopportun.


Une fois au sol, Mangouste fait un état des lieux rapide, personne à l’horizon. Pour ne laisser aucune trace, elle range vite fait son parachute et le cache derrière un des plus gros palmiers qui bordent l’allée menant à l’entrée principale du palais.


Étonnée du silence et de l’absence de vie qui l’entourent, elle ne se doute pas une seconde qu’elle est fermement attendue. En passant entre les deux statues de Kali, elle a l’impression que les deux statues la dévisagent et la suivent dans son déplacement de chat. Tout comme Maya quinze minutes plus tôt, elle passe sous l’arche pour débouler dans la cour intérieure.


La tueuse est pourtant aguerrie aux guets-apens, de se faire blouser de la sorte la surprend. Elle n’a rien vu venir, elle n’a rien entendu, elle n’a rien senti. Avant même l’esquisse d’une réaction, une trentaine d’armes menaçantes pointées vers elle, la dissuade de toute velléité.



En prenant le temps de les regarder, ce qui l’étonne d’abord, ce sont leurs yeux blancs, dénués de pupille, puis ce qui l’agace encore plus est de constater qu’ils sont d’une lenteur excessive. Comment a-t-elle pu tomber dans un traquenard cousu de fil blanc par des énergumènes aussi peu vivaces ?


N’ayant d’autre choix que d’obtempérer, Mangouste leur tend le Sig-Sauer de mauvaise grâce puis les suit. Ils n’ont pas eu l’idée de la fouiller, aussi attend-elle le bon moment pour sortir le Glock 19 placé sur la cheville. Après avoir descendu au sous-sol, la petite troupe se scinde en deux, une vingtaine de morts-vivants partent dans une autre direction.


Quelques dizaines de mètres plus tard, Chloé se plaint de sa cheville, c’est fou comme ça gratte. Les zombies n’ont pas le temps de comprendre que cinq d’entre eux se prennent une balle, de qui dans la carotide, de qui entre les deux yeux, de qui dans le buffet et deux autres en plein cœur.

Mangouste pare un premier coup de lance et évite de justesse un coup de sabre. Le combat est inégal, en moins de temps qu’il n’en faut pour lacer ses chaussures, les cinq adversaires sont hors service.


Soudain, le combat appartenant au passé, les deux pour lesquels le cœur avait servi de cible se relèvent à la grande stupéfaction de Mangouste.



En regardant bien, Chloé se sent rassurée par le trou béant qui confirme qu’il ne s’agit pas de maladresse. Mais alors ? Quand le professeur Jones l’avait alertée sur des morts-vivants, elle avait ri, après tout, le professeur Jones disait à qui voulait bien l’entendre qu’il avait croisé des extra-terrestres. À présent, elle fait face à cette troublante réalité. Réalité dont elle se débarrasse en tranchant les gorges. Un peu sale, mais très divertissant.


Bon, je n’ai pas que ça à faire, je dois retrouver les esclaves, les libérer, retrouver cette journaliste et sa sœur, puis cerise sur le gâteau, éliminer cette pustule de Maharadja.


Cela fait presque trois heures que, telle une ombre, Mangouste arpente tous les coins et les recoins de cette forteresse. Elle n’a trouvé aucun esclave, mais une bonne centaine de zombies, certains priant devant des icônes, d’autres s’affairant à des tâches diverses.


Les laissant dans les bas-fonds du palais, Chloé se perd dans une pièce très lumineuse, luxurieusement décorée avec des voiles séparant des couches où quatre femmes languissantes, d’une beauté à couper le souffle, mais tout aussi amorphes, sans vie que les zombies qu’elle venait de quitter.


En s’approchant encore plus, quelle n’est pas sa déception d’y voir les mêmes yeux sans pupille. Que ce soit les deux Indiennes, l’Asiatique ou l’Européenne, toutes semblent avoir autant d’énergie qu’un poulpe échoué sur une grève.



Soudain, une voix provenant de son dos lui rappelle qu’elle est une intruse ici. Commence alors une course poursuite, Mangouste est pourchassée par une légion de zombies. Alors qu’elle pense les avoir distancés, elle est systématiquement rattrapée comme par magie. Le nombre de ses adversaires est tel que Mangouste doit fuir.


Cachée comme un steak, Chloé a pris le temps de bien analyser le déroulement de la soirée. Il y a des personnes en vie dans cette demeure puisque quelqu’un l’a hélée. Les quatre femmes apparaissent différentes des autres zombies, la carnation de la peau prouve que le sang circule dans leur corps (à l’inverse des hommes qu’elle a tués en masse et qui se relèvent une fois sur deux). Et toujours aucune trace de la journaliste.


Il fait à présent trop noir pour agir, aussi décide-t-elle de se reposer. Au petit matin, après une nuit agitée ponctuée de rêves érotiques où elle se voyait dans les bras de Soliflore, un peu groggy, Mangouste se remet en mode furtif pour explorer ce drôle d’environnement. Il faut trouver un être vivant.


En profondeur du palais, au détour d’un couloir creusé dans la roche, elle fait face à une grande salle avec, en son centre, un totem colossal. Une foule impressionnante de zombies prie tandis que d’autres, armés de torches ou de sabres, guettent. Il y a une activité dans cette grotte gigantesque comme nulle part ailleurs dans le palais.

Soudain, elle entend des voix, des ordres proférés et de sa hauteur, elle le voit enfin, le fameux Mandalakita. Mangouste pourrait très bien le dégommer comme ça d’une balle en pleine tête, mais cela manque cruellement de panache, elle préférerait l’avoir au couteau. En écoutant les ordres, elle comprend qu’il prépare un sacrifice pour Kali.



Alors à ce soir, mon cher ! lui répond-elle en pensée.




Chapitre 7 : Ça canarde, ça bastos !



Le branle-bas de combat, tout se bouscule, les deux-fois nés s’agitent dans tous les sens, probablement à la recherche de nouveaux repères puis se mettent à rugir comme des fauves apeurés. Gominé s’active, donne des ordres à droite à gauche, on transporte le corps de Mandalakita. De mon plot, je lui trouve un joli trou dans la cervelle.


Au brouhaha, au tumulte, s’ensuivent le silence et l’absence. Je reste seule, attachée au totem :



Soudain, alors que je ne m’y attends pas du tout, j’entends une voix me rouspéter.



Une très belle blonde, féline, plutôt tigresse que chatte, d’un couteau rompt mes liens et pour toute conversation :



Puis comme pour se justifier, elle ajoute :



Pour l’instant, je la suis comme un bon petit toutou, elle semble connaître les lieux mieux que ma pomme, soudain je me rends compte qu’elle nous mène vers la sortie. Je la stoppe, il est hors de question que je laisse ma sœur Mélina.



Mangouste venait de réaliser que nous étions les sœurs de Soliflore. Le monde est étrangement petit. Ma petite artiste aveugle avait parlé de nous à sa compagne en des termes assez rageurs. Ce n’est toutefois ni le moment ni le lieu d’en discuter. Chloé pense savoir où est Mélina, mais, rajoute-t-elle, ma sœur n’a plus grand-chose à voir avec un être humain.


C’est alors que je me souviens de la « statuette du sang de Shiva ». Je ne sais pas pourquoi, mais en ce moment précis, je sais que seule la statuette brisée la délivrera du sort. De plus, briser cette statuette mettra fin à la sorcellerie qui hante ses lieux, les deux fois nés ne seront plus qu’une histoire ancienne.


Mangouste n’a rien compris, mais loue ma hardiesse. Elle s’attendait à devoir sauver une petite fille chétive, il n’en est rien et c’est à coup de « chérie » que nous nous séparons.





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J’ai quand même de la chatte !


Plus vernie que moi tu meurs. Tous les deux fois nés ont déserté les sous-sols. Je peux tranquillement faire mes recherches dans ce dédale de couloirs. C’est par hasard que je retrouve mes effets, mes pataugas, mon sac à dos − ne manque que ma machette. Question de pratique, j’enlève cette belle robe, les claquettes pour retrouver mon short et mes grosses chaussures.


Puis, je retrouve ma cellule, c’est la mienne (que j’offre volontiers en cadeau à Ratatouille – il en fera sûrement un meilleur usage). Il me faut quand même quelques minutes pour trouver mon bonheur, tout au fond d’une excavation, une statuette de vingt centimètres représentant Shiva avec ses quatre bras en position du lotus, en pleine méditation. Quatre bras, il devait en manger du chocolat !


Une fois en ma possession, je retourne en surface rejoindre Mangouste en espérant qu’elle ait réussi à sauver les quatre favorites de feu Raja. En surface, la bataille fait rage, je vois Mangouste se battre, foutre des tatanes, des coups de couteau tout en déplaçant les quatre filles complètement indolentes. Je vais à sa rescousse, les deux fois nés sont lents, je n’ai aucun problème à en rétamer quelques-uns.

Toutefois, Mangouste me demande de m’occuper des quatre tandis qu’elle continue de distribuer à la volée force mandales, beignes, châtaignes et marrons.


Je brise la statuette au sol, un nuage de fumée verte apparaît, enfle, danse, nous cernant de partout. L’air devient chargé d’électricité, quelques décharges incongrues volettent autour de nous. C’est amusant tant que ces flux d’électricité ne nous atteignent pas. Un faisceau incandescent touche de plein fouet un mort-né, lequel s’embrase en un hurlement indescriptible. Ah oui là, c’est moins marrant.


Il faut nous sauver en hâte, sans quoi nous connaîtrons le même sort que la torche ex-humaine qui hurle de douleur. Nous franchissons la porte facilement, car tous ont la même idée que nous et cessent le combat pour mieux fuir.


Une fois à l’extérieur, nous reprenons notre souffle parmi une cinquantaine d’ennemis, complètement ahuris, regarder leur palace s’embraser de l’intérieur. Je me tourne vers les quatre favorites et constate, avec un immense bonheur, leurs yeux retrouver de la chaleur. Elles ne sont toutefois pas encore complètement remises et je dois les pousser vers le jardin pour échapper aux cinquante couillons avant que ces derniers ne se remettent en tête de nous découper en petits morceaux.


À pas feutrés, nous quittons la cour intérieure laissant derrière nous les vestiges d’une secte sanguinaire. Hors de portée de voix, Mangouste se plaint de s’être brisé les phalanges.



Soudain, les jambes de Mélina ne la soutiennent plus, bientôt imitée par l’Asiatique et les deux Indiennes. Je viens au soutien, elle me regarde. Oui, elle me regarde ! J’existe pour elle ! Elle arrache un sourire, elle me reconnaît ! Je suis ivre de joie. Puis des yeux exorbités et d’un doigt levé vers le ciel, elle arrive à hurler :



En une fraction de seconde, je me retourne, comprends le danger et évite de justesse un coup de cimeterre. Je regarde à mes côtés, Chloé. Entre effroi, résignation, fatigue et stupéfaction, nous nous comprenons sans rien dire. Les deux statues de quatre mètres de haut de la déesse Kali se sont matérialisées pour devenir des chimères de chair et de sang.

Les quatre bras de la chimère cinglent l’air, deux sont armés de cimeterre, les deux autres, bien que nus peuvent affliger de violentes douleurs s’ils nous touchent, un poing de cette taille équivaut probablement à un coup de marteau.

Leur taille est néanmoins leur faille. Ils sont relativement lents. Mangouste, armée d’un coupe-coupe, taille dans les flancs et dans les jarrets. La statue s’ébranle, pose un genou à terre, la bonne hauteur pour que Chloé lui enfonce son coupe-coupe dans la jugulaire.


Finito.


Elle s’empare des deux cimeterres, m’en lance un et se rue dans le combat. Nous sommes bien synchro, quand l’une coupe un bras, l’autre coupe une jambe. Amusant. La statue est au sol, vaincue. Nous pourrions l’achever – ce que suggère de faire Chloé –, mais moi, je n’aime pas, je préfère qu’elle meure dans d’atroces souffrances, c’est plus humain.



Ouaip ! Et j’en suis fière ! Je me tourne enfin vers ma sœur qui reprend visiblement de l’énergie. Elle nous explique qu’elle était consciente de tout ce qui se passait, mais ne pouvait reprendre le contrôle de son corps. Ainsi, à chaque fois que Mandalakita la souillait, elle en avait conscience. Je regrette juste que sa mort fût aussi brève. En voilà un que j’aurais aimé torturer.


Comme pour se justifier, Chloé me dit qu’habituellement, elle ne procède pas comme elle l’a fait, mais il y avait urgence.



Il est tard, nous ne pouvons rester ici à nous chamailler comme les meilleures copines du monde. Ma voiture est à une journée de marche près du village des Kurumbas. Une des deux Indiennes est originaire du village tandis que l’autre vit à Mangalore. L’Asiatique, une belle Chinoise a été enlevée sur une île, non loin de Bornéo. Nous décidons de prendre la route de Mangalore.


Je propose que nous passions la nuit à l’orée de la jungle afin de ne pas être la proie d’insectes qui n’osent franchir la frontière invisible, ou des hommes en rage. Notre repas est frugal, composé de serpent que Chloé a éventré.


Le lendemain, sur la route, Mangouste fait connaissance avec les hommes en rage, deux pauvres hères qui gisent maintenant la jugulaire tranchée. Chloé intéresse Mélina, je connais bien ma sœur, je connais son regard, je connais ses mimiques et ses atouts charmes. Non, mais, elle ne va quand même pas se taper l’ex de notre sœur ? Eh bien si, rien ne l’arrête cette garce !


Tandis que Chloé et Mélina flirtent pour de bon et se tiennent main dans la main, un Fureur Volant s’en prend à Mangouste. Panique ! J’espère que les adeptes du Maharadja n’ont pas fouillé dans mon sac, car je transporte une dose d’adrénaline.


Une fois l’injection effectuée, je souris à Chloé, je ne suis plus redevable, je lui ai sauvé la vie. Elle m’attrape par la nuque et me roule une galoche d’enfer.


Je tairai la suite de cette histoire, elle vous appartient désormais. À vous d’imaginer ou, comment, avec qui, avec quoi, selon votre convenance, ce qui s’est passé depuis.