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Temps de lecture estimé : 26 mn
09/05/23
Présentation:  J’ai voulu me faire plaisir. Une toute nouvelle aventure et une autre héroïne. J’espère qu’elles vous plairont. Un récit post-apocalyptique. Une aventurière évoluant dans un monde très sombre. Un monde dur et cruel, qui peut-être finira par s’éclaircir...
Résumé:  Tout s’était éteint... Comme ça... D’un coup ! Comme si une magie brutale et nocive s’était subitement mise à l’œuvre. Personne ne savait ce qui s’était réellement passé et nul n’y comprenait rien...
Critères:  #aventure #sciencefiction f cérébral
Auteur : Juliette G      Envoi mini-message

Série : Lyrie Montmartre

Chapitre 01 / 10
Les loups sont entrés dans Paris...

La fin d’un monde



Tout d’abord, tout s’était éteint…


Tout s’était éteint. Comme ça. D’un coup ! Comme si une magie brutale et nocive s’était mise subitement à l’œuvre. Personne ne savait ce qui s’était réellement passé et nul n’y comprenait rien. Plus d’électricité, plus aucune communication possible, et quelqu’un de très savant parla de rayonnements cosmiques venus de l’espace et balayant la terre. D’autres, des politiciens, accusèrent les Chinois. Les Chinois, eux, accusèrent les Russes. D’autres personnes encore, montrèrent du doigt les États-Unis d’Amérique qui pour elles, tiraient les ficelles de ce drame en coulisses. Puis, peu de temps après, d’autres catastrophes entraînaient d’autres désespoirs. Plus de services médicaux, les polices et les armées allant de-ci de-là comme Don Quichotte devant ses moulins à vent. Les gens étaient maintenant livrés à eux-mêmes. Une première année affolante et terrifiante était passée sans que personne ne puisse rien expliquer. Rien ni personne n’avait pu empêcher un chaos effroyable de faire s’écrouler le monde. Ensuite, des maladies nouvelles avaient décimé plus des trois quarts de la population mondiale. Des virus inconnus jusqu'alors, selon certains. Des évolutions novices provoquées par les radiations selon d’autres.


Enfin, il y avait eu les guerres. Des guerres devenues primitives, mais toujours efficaces quand il s’agissait d’assumer leurs rôles. Tuer ! Des guerres qui finirent d’anéantir les derniers espoirs des vestiges d’une humanité moribonde. L’année 2070 fut la fin d’un monde.


Puis… Les loups étaient entrés dans Paris !




Les Parisii



Un groupe d’humains s’était accaparé la Bibliothèque quelques années auparavant. Il y avait eu des combats. Les derniers combats. Un groupe d’hommes et de femmes efficaces et bien décidés à survivre s’était octroyé la Bibliothèque. Ces gens s’étaient donné le nom de Parisii. Un moment de calme et une relative sécurité avaient alors calmé les esprits. Il y avait eu des discussions, et des palabres sans fin pour définir certaines choses. D’abord il fallait un chef. Tout nouveau départ avait besoin de règles et d’ordre. Il fallait également une date établie. Il fallait une date pour figer la naissance des Parisii dans le temps. Les plus âgés et les plus érudits pensaient qu’ils vivaient dans l’année 3050, mais personne n’en était réellement certain. Tout s’était éteint et il n’avait plus été question que de simple survie. Le temps, lui, se fichait de survie et s’était écoulé comme il l’avait toujours fait. Qui pouvait énoncer aujourd’hui une date précise ? Et d’ailleurs, qui s’en souciait vraiment ?


Elle était la dernière. Les autres étaient morts depuis des années. C’était arrivé presque délicatement. De temps à autre, l’un des hommes ne revenait pas d’une chasse, ou une femme mourait de maladie. Beaucoup disaient que le virus originel avait muté et tuait encore. D’autres encore avançaient que les radiations restaient dangereuses. Quoi que ce soit, cette saleté tuerait tout le monde au bout du compte. Parfois, un enfant était victime d’un accident. Une chute dans une fuite éperdue le plus souvent. Une course pour fuir les loups et une tentative d’échappée à la mort qui le pourchassait.


Elle avait beaucoup lu et notamment des écrits sur les loups. Ces bêtes n’étaient pas comme ça avant que tout ne s’éteigne. Les loups étaient devenus de véritables bêtes fauves et attaquaient les humains sans même avoir la faim au ventre. Les loups, les chiens sauvages et les rats étaient devenus des plaies qui suppuraient sans cesse et que plus personne ne pouvait soigner. On ne pouvait que gratter ces horribles démangeaisons. Doucement, lentement, les autres avaient disparu. Lucien Lampaul avait été le dernier. Bizarrement, ce survivant était le plus vieux de son groupe. Il n’avait pas eu de chance le malheureux Lucien Lampaul. Il fallait bien manger pourtant. Alors, le dernier des Parisii et la petite fille étaient partis en chasse. Elle pour surveiller et lui pour tuer. Quelques rats ou un chien sauvage suffisaient pour un temps à les faire vivre tous les deux. D'autres gibiers, comme des lièvres ou des lapins, pouvaient être de véritables aubaines, mais de telles proies étaient devenues extrêmement rares. Pour cette fois-là, les loups avaient très faim. La petite fille avait pu le constater de ses yeux. Elle s’était enfuie pendant que Lucien Lampaul était dévoré vivant. C’était ce qu’il fallait toujours faire quand on en avait l’occasion. Tout le monde le savait. S’enfuir ! Elle n’aurait rien pu tenter pour sauver le vieil homme.



Elle s’appelait Lyrie Montmartre et elle était la dernière des Parisii. Elle était seule maintenant, à arpenter les couloirs de la grande Bibliothèque. La Bibliothèque Nationale de France. C’était son nom. La naissance des Parisii avait mis en avant un homme exceptionnel. Il se nommait Arnaud Laurent. Un Parisii qui avait été un génie. Il connaissait l’art de travailler certains métaux et certains minéraux. C’était lui qui avait fortifié la Bibliothèque pour en faire un refuge imprenable. Chaque ouverture avait été bouchée par des pierres et de ce qu’il avait appelé du ciment. Chaque fenêtre, déjà toutes sans vitrages, avait été protégée par des barres de fer soudées aux murs par ce même ciment. C’était cet Arnaud Laurent qui avait permis aux Parisii de se sentir en sûreté dans la Bibliothèque de Paris. Il avait entrepris d’autres choses très importantes également, mais personne ne se souvenait de quoi il s’agissait pour pouvoir les raconter.


Paris était le nom de la ville où elle vivait. Enfin, la ville où elle aurait pu vivre.


Les grands yeux vert d’eau embués de larmes, la gamine tourna la tête vers le mur Est de la bibliothèque. Les hurlements cessèrent aussitôt, comme si les loups avaient compris qu’elle avait entendu leur message. Un message de mort.


La toute jeune Lyrie Montmartre découvrait d’abord que sa vie serait beaucoup plus difficile dorénavant, avant de comprendre une autre réalité. Un futur atroce, mais malheureusement inéluctable. Elle ne survivrait pas longtemps toute seule. Elle était bien trop petite pour entretenir le moindre espoir de vivre. Elle serait bientôt morte et elle le comprenait. La petite fille connaissait parfaitement son âge.


Elle venait d’avoir neuf ans…




Lyrie Montmartre



La survie de l’enfant dans sa vie de misère n’avait rien eu d’un miracle. On pouvait parler de chance, mais la petite fille avait fait ce qu’il fallait pour survivre. Sa première initiative avait été de décider de vivre le plus possible en hauteur. Les loups vivaient au sol et ne grimpaient ni aux arbres ni aux murs. Et elle, elle devait se tenir éloignée le plus possible de ces monstres. Lyrie avait donc fouillé la Bibliothèque de fond en comble en quête d’informations et d’indices et avait été récompensée de ses efforts. Il lui semblait qu’elle avait toujours su lire, et à neuf ans, elle avait déjà une intelligence très vive. Les livres lui avaient toujours apporté beaucoup. Beaucoup de plaisir d’abord, mais cette fois, les bouquins qu’elle avait rassemblés pouvaient lui sauver la vie. Bientôt, elle saurait tout ce qu’il y avait à savoir sur les techniques d’escalade. La pratique, elle, fut beaucoup plus difficile à assimiler.


Quelques années plus tard, les toits d’une petite partie de la ville de Paris n’avaient plus beaucoup de secrets à révéler à la dernière des Parisii. Jamais elle ne quittait la Bibliothèque sans une solide corde de nylon. Lyrie connaissait tout sur les nœuds, et la corde lui avait sauvé la vie plus d’une fois. Elle s’en servait comme d’un lasso pour accrocher une saillie ou tout ce qui pouvait servir à la hisser en hauteur. Elle s’enroulait le torse dans la corde pour se caler à une cheminée ou à un support quelconque, afin de ne pas tomber d’un toit quand elle était surprise par la nuit et ne pouvait rentrer chez elle. Chez elle. C’était étrange de songer qu’elle avait un chez-soi.


Lyrie avait vingt ans à quelques semaines près quand elle avait découvert l’endroit qui lui avait permis d’améliorer grandement sa vie. Une sorte d’entrepôt resté intact, dans un quartier qui avait dû être une zone d’industrie. Dans ce coin de la ville, les loups brillaient par leur absence, et pourtant la nouvelle exploratrice qu’elle était devenue s’était aussitôt attelée à des tâches instinctives. Barricader la porte d’entrée, protéger les deux fenêtres crevées du rez-de-chaussée et chercher, et chercher encore, ce qui pourrait la mettre en danger. Une fois rassurée, elle s’était assise le dos collé à un large bureau métallique et avait réfléchi.


La jeune femme était restée deux jours dans le gigantesque hangar, grignotant sa viande séchée et vidant lentement sa gourde d’eau tiédasse. En explorant l’étage, elle avait déniché son arbalète de poing, un carquois de cuir noir et deux paquets de cinquante carreaux. Sur une étagère, elle découvrait une trousse pour l’entretien de l’arme et son manuel. L’arbalète était légère et faite d’alliages de métaux. Lyrie savait ce qu’était un alliage grâce aux livres, mais était incapable de reconnaître les métaux. L’arme était un peu plus longue que son avant-bras et avait deux mains de largeur. Il y avait des arcs qu’elle préféra laisser de côté sur le moment. Il serait difficile d’apprendre à tirer avec l’arbalète et l’arc devait être plus délicat encore à appréhender. Deux énormes sacs qu’elle emporterait avec elle étaient pleins de matériels divers. Une petite tente qui lui serait certainement utile un jour. Deux lancers de pêche démontables, leurs moulinets et des lignes prémontées. Elle n’avait jamais songé pouvoir s’essayer un jour à la pêche, mais elle connaissait certains endroits relativement tranquilles en bords de Seine. D’autres découvertes, et la Parisii choisissait trois épieux de chasse en acier démontables, souriait en découvrant les couteaux de chasse aux lames d'acier et en raflait cinq. Les couteaux ne lui serviraient pas uniquement d'armes pour chasser. En repassant devant une étagère, elle hésitait et finalement raflait un arc d’acier bleuté, le carquois qui lui était assorti et trois paquets de flèches qui lui parurent menaçantes. Là encore, manuel et trousse de maintenance étaient présents.


Un peu plus tard, Lyrie poussait une exclamation étonnée en ouvrant de grands cartons rangés sur une longue étagère. C’étaient des vêtements emballés en parfait état. Il y avait des vestes et des pantalons bariolés de vert et de marron, un peu comme ceux que portaient les militaires dans les livres. Elle déballait un autre carton qui contenait tout un paquet de maillots échancrés et sans manches. Des débardeurs pour femme. C’était écrit sur le plastique qui les protégeait. Des vêtements de couleurs vertes noires ou marrons. Des femmes avaient chassé, c’était sûr. Il y avait des gilets, des ceintures, des bottes et des chaussures. La jeune femme allait en haillons depuis un bon bout de temps et ces nouveaux vêtements étaient pour elle tout aussi importants que les armes qu’elle avait trouvées. Sans plus attendre, elle se débarrassait de ses hardes et une fois nue, se mettait à déballer ses trouvailles. Elle ne connaissait ni sa taille ni son poids. Elle ne savait pas si elle était plutôt grande ou plutôt petite, mais elle comprit vite qu’elle devait s’habiller des tailles les plus grandes. C’était une autre découverte, cette fois personnelle et l’exploratrice curieuse comprenait qu’elle était très grande et de morphologie plutôt hors des normes. Et c’était pareil pour les chaussures et les bottes. Elle devait choisir les plus grandes tailles. Vêtue de pantalons kaki, d’un débardeur vert et d’une veste assortie aux pantalons, elle se sentit balayée par une vague de soulagement. Elle avait maintenant un matériel de survie au complet, tout au moins elle l’espérait. En tout cas, elle ne s’attendait pas à une telle aubaine en visitant ce quartier inconnu.


Alors qu’elle allait quitter la boutique en sachant qu’elle y reviendrait plus tard, l’exploratrice en herbe dressait l’oreille et frémissait de frayeur. Elle n’avait pas été assez prudente, très occupée à ses découvertes dans ses derniers moments. Et bien sûr, elle avait oublié toute discrétion. Quelques loups rôdaient maintenant dans la rue.


La dernière des Parisii était restée une nuit et une journée sans bouger, sans boire ni manger, attendant patiemment que les loups se lassent et abandonnent leur traque. Lyrie avait appris la patience toute gamine et savait qu’elle était sa meilleure alliée.




Enfin chez soi



Tout était en parfait état. Tout son matériel était parfaitement emballé dans des housses épaisses et peut-être même étanches. Aucun point de rouille et rien de défectueux. Lyrie avait dégoté de véritables trésors. Une manne qui allait grandement changer son existence. Déjà, le contenu d’une petite cassette en plastique vert lui avait été très utile. La fourchette-cuillère-couteau en acier était bien pratique et l’assiette et le gobelet métalliques tout autant. Lyrie avait terminé son ragoût de pigeon accompagné de tisane au tilleul et s’était lavée à la citerne fabriquée par les Parisii disparus. Elle s’était lavée entièrement. Demain, elle choisirait parmi les cartons de vêtements de quoi s’habiller de neuf et elle tenait à être propre. Une chaleur moite baignait la grande bibliothèque et la propriétaire des lieux avait décidé de rester nue pour la nuit.


Lyrie lisait un grand livre illustré. Elle avait beaucoup appris de la chasse, des gibiers et de la faune des campagnes françaises. Mais à Paris, c’était très différent. Ce n’était pourtant pas ce genre d’informations qu’elle cherchait ce soir-là. Elle espérait en apprendre plus sur les femmes chasseresses ou militaires. C’étaient les vêtements récupérés qui lui avaient donné cette nouvelle curiosité. Les femmes militaires et celles qui chassaient. C’était le sujet qu’elle cherchait, et qu’elle avait fini par trouver. Au fur et à mesure de ses lectures, les photographies s’étaient lentement transformées en images. La lectrice regardait des documents qui concernaient les premiers âges. Des femmes vêtues de peaux de bêtes armées de pieux ou de sagaies. Elle n’était elle-même pas loin de leur ressembler avant de découvrir ses récentes trouvailles.


Se balader sur les toits était une chose devenue facile pour elle. Marcher dans les rues ou entrer dans un bâtiment était tout bonnement un véritable danger. Il suffisait que les chiens ou les loups l’entendent ou reniflent sa présence et c’était la catastrophe. Durant toutes ces années, une survivante à bien d’autres dangers avait réussi à se trouver quelques vêtements. Mais ils n’avaient rien à voir avec ceux qu’elle venait de s’approprier. C’étaient toujours de simples frusques le plus souvent moisies ou usées par le temps. Depuis trop longtemps elle allait et venait dans des pantalons de velours troués et déchirés, une vieille chemise presque en lambeaux et une veste puante et crasseuse proche de tomber en morceaux. Depuis trop longtemps, elle marchait pieds nus. Elle ressemblait vraiment à ces femmes d’une autre ère.


Des gravures de femmes nues lui firent venir le rouge aux joues. L’une de ces femelles dessinées semblait menacer Lyrie de sa sagaie à pointe de silex. L’artiste avait réussi à donner à son travail un réalisme étonnant. La femme à l’épaisse chevelure brune, aux yeux sombres et au teint mat paraissait prête à jaillir de la page de papier. Lyrie observait l’image le feu au visage. Les seins lourds aux pointes dressés, la toison noire entre les cuisses, les longues jambes écartées, les pieds ancrés dans une herbe épaisse. Lyrie glissa sa main gauche entre ses cuisses ouvertes et soupira en tournant la page de son livre. Une autre femme, celle-là de dos, semblait occupée à cueillir des plantes. Debout et courbée en avant, elle offrait aux regards un dos musclé et des fesses superbes. On pouvait deviner une partie du galbe de son sein gauche et cette vue remua la lectrice. Un regard sur sa propre poitrine déclencha une onde de chaleur dans son ventre. Ses seins s’étaient gonflés et leurs pointes s’étaient durcies. Des seins que parfois, leur propriétaire prenait en grippe. Elle les trouvait trop gros et gênants quand elle devait grimper aux murs. Ce soir, elle aimait bien ses gros seins fermes aux tétons bruns tendus. Ses doigts quittèrent le livre et pincèrent son mamelon gauche. D’autres doigts s’étaient attardés dans les poils drus et sombres de son pubis. Lyrie sentait peser son odeur de femme dans l’air lourd. Son majeur se fit dur et bouscula un moment son bouton tendu. Elle lâcha un petit soupir et abandonna son clitoris pour laisser son doigt s’insinuer dans sa fente brûlante, ce dernier très vite rejoint par son index. C’était très agréable et elle continua sa caresse en regardant le dessin suivant qui représentait un couple. Monsieur et madame Cro-Magnon. La jeune femme se caressait doucement en regardant la gravure colorée avec réalisme. La femme brune, cheveux ramassés en chignon épais était assise les jambes croisées en tailleur. Elle était nue et l’homme assis à ses côtés était vêtu d’un pagne de couleur beige. Une peau de bête certainement. L’idée que le dessinateur avait pu laisser penser que la femme fixait le pagne de l’homme excitait l’imagination de la lectrice. Son sexe était humide et elle haletait doucement. Cette fois peut-être…


La pensée que ce soir elle pourrait enfin atteindre la jouissance avait cueilli la lectrice à froid.



Cela n’allait jamais plus loin. Lyrie avait beaucoup lu sur le sexe et ses plaisirs. Des romans érotiques comme des ouvrages plus techniques. Elle faisait partie des femmes pour certains dites frigides et la jouissance lui était refusée. Pourtant, elle ne se sentait pas frigide. Elle avait du désir et appréciait le plaisir qu’elle éprouvait. Un plaisir qui malheureusement n’aboutissait jamais à l’extase. Si l’orgasme lui était étranger, il lui restait le plaisir certes frustrant et une certaine détente que ses caresses lui apportaient. La jeune femme se sentait toujours apaisée de ses soucis ou de ses craintes après s’être caressée. Un jour peut-être…




La tueuse de loups



Accroupie à l’extrémité d’un toit quelque peu délabré, la chasseresse fixait un grand loup maigre au pelage noir. Aujourd’hui débutait un apprentissage qui serait très long et très difficile. Dans leurs housses, arbalète, arc et l’un des épieux démontables. En bonne tueuse, elle devrait maîtriser l’art de l’archerie. Son arbalète devait devenir le prolongement de son bras. Son bras armé. Elle devrait également apprendre à tuer à l’épieu et au couteau. Jusqu’ici, elle était chasseresse. Dès lors, elle serait tueuse. Lyrie Montmartre devait devenir une tueuse de loups !


Bottes et vestes n’étaient pas de mise par ce temps d’été et la jeune femme avait préféré s’en passer. Chaussures légères de marche, chaussettes courtes, pantalons de treillis aux couleurs de camouflages et débardeur vert. C’était parfait.


Lyrie prit l’arbalète d’un geste lent et adressa un rictus de haine au loup noir qui en bas, avait levé ses yeux jaunes vers elle…





Chasse ratée



La jeune femme avait comptabilisé les jours qui passaient et si elle était sûre d’avoir parfois oublié d’annoter son carnet de vie, elle connaissait approximativement son âge actuel. Vingt-sept ou vingt-huit ans. Elle savait lire, mais également compter. Sa mère lui avait transmis ces savoirs alors qu’elle était toute enfant et ces savoirs étaient déjà devenus très rares. Elle avait survécu jusqu’ici et avait retrouvé un certain espoir de pouvoir continuer à vivre. Cependant, elle devait en apprendre plus sur ce qui l’attendait. Peut-être que la vie était plus facile hors de la ville ? Ou peut-être était-elle bien pire ? Mais pour le savoir, il n’y avait qu’un unique moyen… Partir ! Quitter Paris et ses toits protecteurs était un énorme risque à prendre. Pourtant, si Lyrie voulait connaître ce que pouvait être une autre destinée, elle n’avait pas d’autre choix…


Quelques épaisses mèches couleur de terre mouillée s’étaient échappées de la lourde natte que la dernière des Parisii s’était grossièrement tressée, la laissant retomber sur son épaule gauche. Ses grands yeux vert d’eau s’étaient étrécis et fixaient le chien. La sueur baignait le visage de la femme statufiée dans un paysage de décombres et de désolation. Le visage aux traits réguliers était tendu par la concentration. Les délicates narines du nez droit et fort palpitaient doucement en aspirant l’air déjà chaud de la matinée. Le souffle de Lyrie Montmartre était régulier. Elle respirait calmement par le nez, ses lèvres pleines pincées et sa large bouche figée dans un étrange rictus.



La chasseresse avait soufflé les mots. Peut-être même n’avait-elle fait que les penser. Elle n’en était jamais sûre dans ses moments de tension.



Le long index tira doucement sur la petite gâchette et le claquement sec qui libérait le carreau agit comme un signal. La jeune femme se détendit d’un coup et quitta le mur à demi effondré dans un mouvement vif. Elle l’avait eu ! Les seins lourds dansèrent sous le débardeur marron le temps de quelques bonds souples, puis la dernière des Parisii, laissant échapper un petit cri de dépit, s’immobilisa en soufflant. Les bottes plantées dans les gravats, elle fixait un point devant elle. L’entrée d’une rue étroite qu’avait choisie le chien pour se carapater.



Dépitée, la traqueuse n’arrivait pas à détacher son regard du chien en cavale. C’était un grand mâle maigre, mais qui aurait pu subvenir à ses besoins quelques jours. Ce n’était pas son échec qui l’avait fait jurer. Il lui arrivait de manquer de chance, d’être trop maladroite ou trop pressée et elle manquait sa proie. Le chien avait disparu derrière un pan de mur en ruines avec son carreau d’arbalète fiché dans le poitrail. C’était l’une des pires choses qui puisse arriver. Elle n’avait plus qu’une trentaine de carreaux. Lyrie accrocha son arbalète de poing à son ceinturon de cuir et soupira longuement. Elle devait suivre les traces de sa proie qui finirait par crever plus loin avec son précieux trait dans le corps. Elle devait retrouver ce fichu chien avant que les loups ne finissent par s’intéresser à sa proie. Ou à elle…




La grande maison



L’exploratrice ne connaissait pas les lieux et courut la centaine de pas qui la séparaient de son but comme si elle avait le feu aux trousses. Des loups approchaient. Il était trop tard pour récupérer le chien et elle s’approcha de l’animal mort dans un dernier bond, arracha le carreau planté dans la bête et détala sans jeter un regard derrière elle. La chasseresse dut courir un long moment sans possibilité de se mettre à l’abri. Lyrie se savait perdue et maudit son idée idiote de jouer aux exploratrices. Les cartes qu’elle avait étudiées lui avaient montré qu’elle avait quitté Paris-Est pour un endroit qui s’était appelé Montreuil. C’était là que l’idée lui était venue. Pourquoi ne pas passer quelques jours à explorer ces nouveaux endroits ? Quelle idiotie ! La chasseresse était devenue proie et entendait les grognements et les jappements restés lointains, mais indiquant que les fauves étaient toujours à ses trousses. Dans sa course éperdue, la tueuse de loups découvrait que les habitations qui tenaient encore debout se faisaient rares. Plus loin, droit vers l’Est, il y avait de hauts murs…


La jeune femme n’entendait plus que le silence alors qu’elle escaladait une haute grille rouillée pour se hisser hors de danger. La hauteur lui permit d’observer le lieu. La grille fermait un grand parc clos par des murs épais de plus de six bras de haut. Un instant, elle hésita puis elle soupira.



La maison proche semblait immense. La bâtisse toute en pierre grise paraissait intacte. Peut-être que les loups n’avaient jamais passé les murs qui la cernaient. Tout semblait calme et elle fixa un instant une fenêtre basse. La bouche de la grande Parisii s’arrondit de surprise et ses grands yeux s'agrandirent d’étonnement. Les reflets du soleil sur le verre faisaient briller une vitre intacte ! Si cette vitre existait, c’était parce que les loups ne l’avaient pas approchée. Les fauves avaient vite compris que les vitres pouvaient être cassées. Ils s’en étaient d’ailleurs donné à cœur joie. Il n’était pas rare de voir ces bêtes se jeter à travers une fenêtre sans même avoir cherché une autre entrée. Certains Parisii disaient que les loups d’aujourd’hui n’avaient plus rien à voir avec ceux d’autrefois. Ils étaient plus sauvages, plus cruels et surtout bien plus rusés et intelligents. On n’en savait pas beaucoup plus sur eux. La question que s’était le plus souvent posée Lyrie, c’était pourquoi ces monstres avaient décidé de s’installer dans les villes. Ou peut-être seulement dans Paris. La pleine nature n’était-elle pas pourtant préférable ? Ou alors les campagnes étaient devenues trop dangereuses, et ce même pour des loups. Allez savoir pourquoi ? En tout cas, la dernière des Parisii était devenue une tueuse de loups.


Lyrie sentit la sueur baigner son visage et son corps. Elle était en nage sous son débardeur. Il faisait une chaleur à crever et sa longue course l’avait fatiguée.



Au moindre danger, elle serait vite sur le toit de la bâtisse. Derrière elle, c’était la mort assurée. La grande maison était la seule des alentours. Elle n’avait pas d’autres choix que d’aller se réfugier sur le toit de cette bâtisse isolée. La jeune femme resta un autre moment à observer l’endroit. Une centaine de pas pour traverser le parc. Le mur de la maison était facile d’accès. Elle s’aiderait des volets de l’une des fenêtres basses et se retrouverait vite sur le toit. Ce serait un jeu d’enfant pour elle. Ensuite, elle prendrait du temps pour réfléchir.


Quelques volatiles avaient pris leurs essors quand elle avait traversé le parc, courant courbée en avant dans un silence quelque peu angoissant. Comme elle l’avait prévu, la fenêtre surmontée d’un linteau de bois épais l’avait aidée et elle était vite sur la tuile ocre et brûlante. Elle était sur une toiture à peine pentue. Un genre de toit qu’elle voyait rarement. Presque aussi large que long.


Lyrie sursauta quand une plainte chevrotante troua le silence pesant. Le cri d’un animal ? Quelle bestiole pouvait pousser de telles plaintes ? Un son plaintif et geignard qu’elle n’avait jamais entendu. C’est à ce moment précis qu’un autre bruit résonnait. Aussitôt suivis d’autres bruits identiques. Tétanisée, la grande Parisii avait empoigné son arbalète et son couteau de chasse dans des gestes lents et silencieux. Il n’y avait plus de plaintes animales, mais des petits coups secs répétés venaient de derrière la maison.


Tchac… Tchac… Tchac…


C’était comme si l’on tapait sur quelque chose. Toujours accroupie, prête à tout, la tueuse de loups souffla doucement l’air qui s’était accumulé dans ses poumons. Un regard circulaire ne lui apporta aucune indication. Les coups toujours. Lyrie bougea. Les bottes effleurant les tuiles sans un bruit, elle avançait vers la bordure de la toiture. Tchac… Tchac… Tchac… Les bruits ne cessaient pas. Elle devait absolument savoir ce qu’étaient ces bruits !


La jeune femme crut que son cœur allait s’arrêter de battre et elle se figea comme une gargouille de pierre sur son perchoir. Sous elle, à quelques pas de la bâtisse, il y avait un homme. Un homme qui maintenant chantonnait en frappant le sol avec un long manche de bois. Un être humain !


Tchac… Tchac… Tchac…


Lyrie ne respirait plus et en une fraction de seconde elle prit sa décision…




L'autre



Lyrie avait agi sans trop de réflexion, mais elle ne pouvait plus rester sur cette toiture sans être capable de respirer correctement. Elle s’était jetée du toit et s’était accrochée au corps de l’autre qui avait poussé une sorte de râle rauque, avant qu’elle ne lui assène un coup sur la tête. L’homme s’était aussitôt avachi comme un sac vide. L’attaque avait été parfaite, mais la jeune femme avait la tête qui lui tournait et elle s’était reculée pour s’adosser au mur.



Une porte restée ouverte sur la façade. La jeune femme avait porté l’autre en l’installant au travers de ses larges épaules et était entrée dans une pièce sombre avant de comprendre qu’elle faisait une grossière erreur. Elle avait aussitôt déposé son fardeau et entravé les mains de sa victime humaine dans son dos. Puis elle avait lié ses chevilles bien serrées. La Parisii venait de trouver une nouvelle utilité à la corde de nylon. Un autre être humain ! Un nouveau malaise fit transpirer la tueuse de loups. C’était impensable.



Lyrie se souvenait des récits sur le dernier combat livré par les Parisii pour s’emparer de la bibliothèque. Tous les humains ne s’aimaient pas…


Un très long moment après, la tueuse de loups revenait dans la petite pièce sombre. Pas après pas, elle avait soigneusement reconnu les lieux. Chacune des pièces de la maison avait été visitée. Chaque coin, chaque recoin avait été inspecté avec soin. La maison comportait deux étages. Lyrie avait même trouvé une trappe qui menait au grenier. L’autre était aussi seul dans sa maison qu’elle l’était dans sa bibliothèque.


L’homme n’en était pas un. C’était un garçon. Un garçon inanimé et ligoté sur le sol. Lyrie n’en croyait toujours pas ses yeux. Plusieurs fois, elle s’était baissée sur son prisonnier pour vérifier son état. Son crâne était boursouflé sous l’épaisse chevelure blonde. Une bosse due au lourd pommeau d'acier du couteau de chasse.


Le garçon émergea des limbes alors qu’elle l’installait dans un grand fauteuil de cuir sans couleur définie et tout craquelé.



Lyrie ne pouvait détacher son regard vert d’eau du visage du garçon. Quand il ouvrit les yeux, elle crut qu’elle allait avoir un autre malaise.



Une voix humaine. La chasseresse avait pris l’habitude de se parler à elle-même, mais n’avait plus entendu d’autre voix que la sienne depuis si longtemps qu’elle ne savait pas comment réagir.



Parler faillit faire gémir la jeune femme. Elle parlait à quelqu’un ! À un autre être humain !



Cette seule voix effrayée était une véritable cacophonie pour la tueuse. Elle avait cessé de noter le temps qui filait sur son carnet depuis un petit moment. C’était inutile et même idiot. Qui donc tenait à connaître la date de sa mort ? Vingt-sept ans ? Vingt-huit ? Un peu moins ? Un peu plus ? Elle n’en savait rien exactement. Ce qu’elle savait, c’est qu’elle n’avait pas vu l’ombre de l’un de ses semblables depuis ses neuf ans. Là, elle en découvrait un qui ne cessait pas de parler.



Lyrie aspira une grande goulée d’air et tira une vieille chaise pour la placer face à l’antique fauteuil où elle avait collé le garçon.



La Parisii s’efforçait au calme et tentait de mettre de l’ordre dans ses pensées. Le mal-être qu’elle éprouvait lui faisait tourner la tête par instants. L’autre paraissait avoir peur. Certainement pas autant qu’elle-même était effrayée. Les livres lui avaient beaucoup apporté et elle savait ce qu’était une conversation même si l’on pouvait dire qu’elle n’en avait jamais vraiment eu. Les enfants étaient-ils capables de conversations ? La tueuse de loups ne s’en souvenait plus. Pourtant, elle devait avoir une conversation avec ce garçon.




Une conversation




La chasseresse, elle non plus, ne comprenait pas grand-chose aux propos du garçon. Pourquoi disait-il qu’elle parlait bizarrement ? Et cette histoire de ses deux noms ? Le mal de tête aigu qui lui vrillait le crâne lui fit se passer la main sur le front.



La jeune femme souffla un peu d’air par le nez et décida de s’asseoir.



La tueuse de loups éluda la question et démonta lentement son épieu de chasse. Un geste qui apaiserait peut-être le garçon.



Les paroles d’Élias stupéfièrent Lyrie et elle s’efforça au calme. D'autres humains ! Des gens vivants dans un village…



Lyrie avait du mal à penser. D’autres humains vivaient avec le garçon et il y avait un village et des chèvres non loin. Elle réussit à canaliser ses pensées. Elle devait rester calme et s’armer de patience.



La tueuse de loups respira profondément en fixant le garçon. Elle retint sa prochaine question, décidant qu’elle pouvait effrayer le jeune gars. Lilas et Vic étaient-ils armés ? C’était d’ailleurs une question idiote. Ils l’étaient forcément.



Le garçon parut surpris et haussa ses frêles épaules.



Lyrie n’avait aucune idée de ce que cela signifiait, mais elle ne dit rien de plus. Un petit moment elle observa Élias et elle se leva dans un mouvement souple.



Lyrie avait désigné une table et des chaises dans la pièce voisine puis elle avait libéré Élias qui s’était aussitôt dirigé là où elle le désirait. Elle, l’avait suivi sans un mot, attentive aux moindres mouvements de son prisonnier maintenant libre.



La question d’Élias fit presque saliver la grande Parisii, mais une nouvelle fois elle se força au calme. Elle mourait de faim évidemment. Mais ce n’était pas le moment de manger.



Lyrie ferait face à la porte. C’était une position prudente certes, mais qui ne la mènerait à rien. La dernière des Parisii se livrerait aux autres. Elle l’avait décidé ainsi.



La chasseresse avait posé ses armes sur la table. Arbalète, carquois, couteau et épieu démonté, le tout bien en évidence devant elle. Dans un fourreau caché par sa veste, il lui restait un coutelas. Il serait sa dernière chance, si les choses se gâtaient.



Élias avait eu un sourire moqueur qui l’agaça et Lyrie oublia la patience.



Elle avait presque crié et le ton sec qu’elle avait employé fit sursauter le garçon. Élias retrouvait la peur et paraissait réellement étonné.



Une onde de panique vrilla le crâne de Lyrie. Des fusils ! Elle n’en avait jamais vu, mais savait ce que c’était. Des fusils !





Décision



La jeune femme resta immobile quand Élias quitta la chaise sur laquelle elle lui avait demandé de s’asseoir. Au moindre danger elle lui planterait son couteau dans le ventre. Peut-être même aurait-elle dû le tuer du toit. Un carreau dans la nuque. Tuer un autre humain ? Des humains équipés d’armes bien plus efficaces que les siennes. Des humains qui avaient réussi à se débarrasser des loups. La tueuse eut un petit sursaut quand le garçon fit claquer un objet sur la table.



Plongée dans ses pensées tumultueuses, l’exploratrice perdue en avait oublié Élias. Elle se mordit la lèvre en s’obligeant à rester assise. Sa main s’était posée sur le couteau de chasse couché près de la cruche apportée par le garçon. Elle avait oublié le jeune gars et il aurait pu la tuer plutôt que de lui ramener du lait. Elle devait rester prudente ! Pour l’instant en tout cas…



Du lait, du pain, du fromage. Lyrie connaissait les mots et avait vu des images.



Lyrie ne s’intéressait plus au garçon qui avait quitté la pièce. Elle était brusquement très lasse. Elle était épuisée autant physiquement que nerveusement. La tueuse de loups se mettait en danger sciemment, et ce pour la première fois de sa vie. Elle avait pris une décision qui la terrifiait en décidant d’attendre les autres humains.


Mais quelle différence cela ferait-il, si un jeune garçon nommé Élias avait sa peau avant d’autres humains ?