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n° 21775Fiche technique39354 caractères39354
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Temps de lecture estimé : 28 mn
14/05/23
Résumé:  Ah, la vie... Parfois dure. De trois amis, il n’en reste qu’un et la fille des deux autres, Elsa.
Critères:  fh hplusag amour mélo portrait -amouroman
Auteur : Roy Suffer  (Vieil épicurien)            Envoi mini-message
Elsa

Elsa avait cinq ans quand j’ai épousé sa mère, Héloïse. Héloïse, c’était une vieille histoire, une histoire de copains. Trois copains étudiants dans la même fac. D’abord Benjamin, dit « Ben », et moi Jérôme, dit « Gégé » juste pour m’agacer. Nous partagions la même passion, la photo. On squattait des labos à longueur de nuits pour développer et tirer nos œuvres, c’était juste avant le numérique. De temps en temps, on faisait des petites expos dans les couloirs de la fac en mettant comme un tronc d’église : « Pour nous soutenir et nous permettre d’acheter un peu de matériel ». Tu parles. Si on récupérait cinquante balles par expo, c’était le bout du monde. Sauf qu’un jour on y a trouvé un petit mot :


C’est pas mal ce que vous faites, mais ça part dans tous les sens, ça manque d’unité, de cohérence. Choisissez un domaine et creusez-le à fond.


Pas faux, pas con. Ce n’était pas signé, mais il y avait un numéro de portable. C’est ainsi que nous fîmes la connaissance d’Héloïse, une grande fille, belle s’il en est, étudiante en com’. De resto U en chambres d’étudiants, on se retrouvait régulièrement en copains, vraiment copains. La passion d’Héloïse était la guitare et elle arpégeait avec un certain talent, égayant nos soirées. Dire que sa présence ne titillait pas nos hormones eût été mentir, mais voilà, rompre l’harmonie de notre trio par une histoire de cul aurait vraiment été trop dommage. Ayant choisi notre domaine de prédilection, la photographie animalière, nous partîmes tous les trois dans les Alpes avec pour objectif (photo) les chamois, les bouquetins, les marmottes et tout le reste. Trois sous la tente deux places, Hello entre nous deux. Elle me fit un joli cadeau un soir en reprenant Ben :



Va pour Djé, merci Hello. La toilette dans le torrent glacé était bienvenue pour calmer nos érections matinales récurrentes. L’expo que nous fîmes en novembre nous valut des louanges, un peu de fric et même une petite gratification de l’administration de la fac.


Et puis la vie… Nous fûmes tous trois reçus à nos examens, Ben et Hello restèrent sur place continuer en master et moi j’intégrais une école d’ingénieur à l’autre bout de la France. C’est trois ans plus tard que je reçus une invitation au mariage de mes deux amis, Ben voulait que je sois son témoin. Le pincement au cœur que je ressentis en voyant Héloïse lui dire oui, somptueuse dans sa robe blanche de mariée et lui tout gauche dans son costume gris perle. Eh oui, Ben était un motard invétéré, plus souvent en jean et blouson de cuir qu’en costard. C’est d’ailleurs ce qui l’a tué quatre ans plus tard. Une petite dame sortait de son jardin, elle a dû mélanger un peu frein et accélérateur. Ben a réussi à l’éviter de justesse, mais le repose-pied arrière du passager n’était pas rentré. Il a juste accroché le pare-choc, suffisant pour déséquilibrer la moto. Ben s’est mangé le mur d’enceinte de la maison voisine. Malgré son casque, il n’a pas été possible de le ranimer.


Obsèques terribles et d’une longueur épouvantable, un monde fou, une Héloïse effondrée qui ne tenait debout que pour son bébé, Elsa, qui n’avait pas deux ans. Et comme souvent dans ces situations, après les grandes promesses « n’hésite pas à m’appeler… je serai toujours là pour toi… je passerai te voir… », au bout de quinze jours c’était pour elle la solitude absolue, le grand vide. Sauf moi. Je le devais bien à la mémoire de Ben, à notre amitié, à Héloïse et surtout son bout de chou qui n’y était pour rien, mais dont la vie commençait si mal. J’ai pris l’habitude de faire la route tous les quinze jours, puis j’ai trouvé un poste très intéressant dans le secteur et dès lors je passais les voir toutes les semaines.


Au début, j’emmenais Elsa se promener au parc pendant que sa mère restait seule pour pleurer son soûl. La petite était contente de me voir arriver et me sautait au cou, je crois que j’étais pour elle synonyme de divertissement, de balades, de rigolades et de bonbons dans les poches. Puis Héloïse est venue au parc avec nous, lancer du pain dur aux canards. Un jour, j’ai vu Hello sourire à demi. Un autre jour, elle a éclaté de rire à un de ces mots d’enfants qu’Elsa a ingénument proféré. Il a fallu des semaines pour que nos promenades dépassent le parc et que nous trouvions un petit endroit peu fréquenté, au bord d’une rivière, où il faisait bon pique-niquer et faire jouer la petite. C’est là que j’ai fait peut-être le plus beau cliché de ma vie, un profil d’Elsa sur fond de rivière et de frondaisons, nimbée de soleil latéral comme un contre-jour contre balancé par les reflets de l’eau. Superbe photo et superbe gamine. Il fallut bien d’autres semaines encore pour qu’Héloïse me dise un jour :



Beaucoup plus tard, dans les frimas humides de l’automne, nous promenions de nouveau Elsa au parc, la tenant chacun par une main pour lui faire sauter les flaques d’eau. Au bout d’un moment de ce jeu, la petite freina et réunit nos deux mains en clamant :



Dans la foulée, elle voulut sauter seule la flaque suivante et y retomba… à pieds joints. Ça la fit beaucoup rire, moins sa mère au vu des chaussures et des collants blancs. Cette attitude de la fillette envers nous s’accentua au fil du temps.



C’était cela Elsa, une très jolie blondinette vive, intelligente et facétieuse. Mais aussi une enfant facile, docile et obéissante, qui ne posait pas de problèmes à sa mère, heureusement pour elle. Crèche, maternelle et garderie, Elsa s’accommodait de tout sans faire d’histoire, retrouvait Héloïse avec un énorme sourire et un énorme câlin et lui racontait sa journée avec volubilité pendant une heure. Quand sa mère la couchait, après un ultime tendre câlin et une petite histoire ou une berceuse, l’instant d’après Elsa dormait à poings fermés jusqu’au lendemain matin. C’est ainsi qu’un soir, après un après-midi de grand air au bord de l’eau dans notre coin préféré, elles voulurent me garder à dîner.



Non, je n’avais pas fait tout ça pour ça. C’était par pure amitié et, comme autrefois quand nous étions étudiants, je n’attendais pas d’Héloïse qu’elle me tombe dans les bras. Même si je la trouvais toujours aussi jolie et désirable. Là, bien sûr, je n’allais pas dire non. Ce fut bref et violent comme un tsunami ou un accident, un acte sans presque d’érotisme ne répondant qu’à une impérieuse nécessité. Nous méritions mieux, l’une comme l’autre, des caresses, des baisers, de la tendresse, de l’érotisme, en un mot de l’amour. Sentiment qui crut au fil de nos rencontres cachées, à l’insu d’une petite fille que sa maman redoutait de choquer. Mais on ne trompe pas les enfants, ils sentent les choses, surtout Elsa qui redoubla d’efforts et de séduction pour nous réunir ouvertement. Elle y parvint aisément, nous ne faisions d’efforts que pour retarder l’inéluctable.


C’est plus un problème « technique » qu’une véritable envie qui nous conduisit devant Monsieur le Maire. De nos deux petits appartements respectifs, aucun ne pouvait accueillir convenablement notre recomposition familiale. Il nous fallait une maison, même modeste, mais offrant plus d’espace et surtout un petit jardin où Elsa pourrait s’ébattre. Quand nous trouvâmes le lieu qui nous semblait idéal, il fallut faire un emprunt assez important, mais que nos salaires, Héloïse dans son agence de com’ et moi dans ma boîte de robotique, pouvaient aisément supporter. Après avoir envisagé une SCI, société civile immobilière, la solution la plus simple nous parut être le mariage, au grand bonheur d’Elsa.



Neuf années, ou presque, de ce que l’on peut appeler l’harmonie totale. Héloïse a ressorti sa guitare, Elsa faisait du piano, de la danse, de la natation et poussait comme un champignon, moi je faisais du jardinage et de la photo. Notamment, j’ai refait cinq ans plus tard un portrait d’Elsa au bord de l’eau, exactement au même endroit, montrant l’éclatante évolution de la fillette. J’ai fait tirer des 30x40 mis sous verre que j’ai accrochés dans l’escalier, me promettant de compléter cette collection chaque cinq années. J’aurais bien aimé faire un autre enfant à Héloïse, mais elle ne semblait pas prête pour cela. Je savais l’extrême violence de la douleur qu’elle avait subie et comprenais qu’elle lui ait laissé des traces indélébiles. Et puis Elsa nous occupait déjà bien, malgré sa bonne humeur et sa docilité permanentes. Mais il fallait pourtant la conduire et aller la chercher à la danse, au conservatoire et à la piscine, tâches que nous nous partagions selon nos horaires professionnels.


L’étonnement vint un dimanche où Héloïse déclara ne pas avoir envie de venir se promener au bord de l’eau avec nous, se trouvant trop fatiguée. Nous la retrouvâmes en rentrant, toujours endormie sur le canapé. C’est vrai qu’elle était plus pâlotte depuis quelque temps. Dans la semaine qui suivit, elle dut rentrer précipitamment, car ses règles étaient anormalement abondantes. Ceci pouvant expliquer cela, on ne s’alarma pas outre mesure, mais je l’incitai tout de même à consulter. On lui prescrivit un fortifiant pour combattre sa fatigue et un changement de pilule pour normaliser ses règles. Après un léger mieux très bref, la fatigue revint et elle commença à perdre du poids. Tout cela n’était pas bien normal et elle retourna voir son médecin pour obtenir des analyses. Très mauvaises. Très, très mauvaises. Après prélèvement de moelle osseuse, le diagnostic tomba : leucémie aiguë myéloblastique. Direction l’hôpital, puissantes chimiothérapies, radiothérapies et pronostic vital engagé.


J’ai fait ce que j’ai pu et ce que j’ai cru bon de faire. À quatorze ans, j’ai estimé qu’Elsa était en mesure de comprendre et de supporter une vérité à laquelle elle avait droit. Les collègues et mon patron ont été sympas, me libérant aussi souvent que possible. J’emmenais Elsa à la danse et filais à l’hôpital. J’emmenais Elsa au conservatoire et filais à l’hôpital. J’emmenais Elsa à la piscine et filais à l’hôpital. Mon Héloïse aurait toujours été belle si elle s’était simplement rasé le crâne, mais sa maigreur décharnée, son teint blafard et son absence d’énergie n’en faisaient plus que l’ombre d’elle-même. J’ai pleuré, je l’avoue, dans ce lit soudain trop grand, surtout le jour où elle m’a dit :



Le lendemain, c’était fini.


Deux êtres dévastés qui se pleurent l’un sur l’autre, voilà à quoi nous ressemblions la petite et moi. Enfin petite, déjà presque aussi grande qu’était sa mère et encore plus jolie. Pour elle, pour Héloïse et aussi pour mon ami Ben, je devais réagir. Il fallait parvenir à réconforter Elsa, il fallait qu’elle obtienne son brevet à la fin de l’année. Il fallait, il fallait… facile à dire. En fait, c’est elle qui a repris pied la première. Elle bossait seule dans sa chambre, rentrée plus tôt que moi, quand soudain elle a entendu sonner délicatement la guitare de sa mère posée sur son support. Oh bien sûr, il y a une explication logique à tout. La guitare était tout près de la baie entrouverte, le voilage poussé par le vent est venu caresser les cordes, notamment les petits plombs cachés dans l’ourlet pour avoir un beau tombé. Oui, mais peu importait l’explication rationnelle. Pour Elsa, même l’enchaînement des circonstances qui avaient mené à ce phénomène n’était pas fortuit. C’était un signal que sa mère lui avait envoyé et un signal joyeux, car elle ne jouait que lorsqu’elle était gaie et heureuse.


Du coup, son humeur changea et son comportement aussi. Du tout au tout. Alors qu’elle se laissait porter, observatrice indifférente de mes efforts pour tout assurer, elle vint me demander :



Dès lors, un certain équilibre s’instaura entre nous, à mon sens plus propice à ses études. Jusqu’à ce que le sort semble s’acharner encore une fois contre nous sous la forme d’un cerbère discrètement moustachu et aux lunettes en culs-de-bouteille. Une assistante sociale déléguée par la DASS. Elle voulut d’abord voir Elsa, « en privé et dans son environnement », c’est-à-dire sa chambre. Il y eut quelques éclats de voix et, au bout d’une demi-heure, la petite vint se jeter dans mes bras en pleurant encore une fois toutes les larmes de son corps.



La petite sortit, mes phalanges craquèrent tellement je serrais les poings. Ç’aurait été un homme… Pourtant, j’ai essayé de commencer calmement, sorte de colère froide :



Galère, galère. Il a fallu trouver conseil, déposer une requête auprès du juge des tutelles, engager un avocat pour qu’il réunisse les preuves nécessaires, témoignages des personnes connues, copies de dossiers, jusqu’aux comptes-rendus des conseils de classe auxquels j’ai assisté, etc. Là-dessus, le notaire en rajouta une couche, mais peut-être en notre faveur. Il a traité dans les trois mois la succession d’Héloïse et de fait la moitié de la maison que nous occupions appartenait à Elsa. J’habitais chez elle autant qu’elle habitait chez moi. Le tribunal nous renvoya un tas de dossiers à remplir, pour elle comme pour moi, où elle devait exprimer ses souhaits, où je devais prouver mes capacités financières, intellectuelles et de moralité pour assumer la responsabilité parentale. L’État ouvre ses parapluies, s’il y a un problème il n’est pas responsable.


Malgré tous ces tracas qui nous pourrissaient la vie, la petite a obtenu son brevet avec les félicitations et, quelques jours plus tard, j’ai reçu une convocation au tribunal où le juge me désigna comme tuteur légal d’Elsa. Ouf ! Je n’ai cependant pas manqué de lui dire, très poliment, ce que je pensais des pit-bulls de la DASS et de leurs méthodes.

Nous avions besoin de fêter tout cela et surtout de prendre un grand bol d’air pour nous vider la tête. J’ai pris une quinzaine de congés, déjà largement entamés par mes absences répétées. Direction le Massif central, moins peuplé que les bords de mer, pour de belles randonnées. Et puis Elsa trouva aussi son bonheur dans les eaux des lacs Pavin et Chambon. Paysages magnifiques, quelquefois grandioses, plaisir des étapes dans des gîtes remplis d’inconnus, de fatiguer nos corps dans de longs efforts. Ma petite danseuse n’avait pas son pareil pour soigner les pieds abîmés, elle avait l’habitude avec les pointes.


En rentrant, les portraits de l’escalier me sautèrent aux yeux. Mais oui, elle allait avoir quinze ans, il fallait faire la troisième photo. Elle s’y plia avec grâce. J’étais un peu inquiet d’être seul pour affronter l’adolescence d’Elsa, surtout après le décès de sa mère. Et puis non, tout se passa sans la moindre anicroche. Tout juste me demanda-t-elle un jour si, pendant qu’elle était en vacances et que je travaillais, elle pouvait sortir avec ses copines. Je l’ai prise par les épaules et je l’ai regardée droit dans ses yeux verts :



Et tout se passa fort bien sans que jamais je n’aie un quelconque reproche à lui faire. De temps en temps des copines venaient à la maison, d’autres fois elle sortait, mais autour de onze heures elle était rentrée, toujours en parfait état. Tous ces malheurs l’avaient mûrie et son mental était bien plus avancé que son âge. Elle a eu son bac avec mention très bien, passa son permis de conduire dans la foulée et intégra la fac de médecine, vocation peut-être suscitée par la maladie de sa mère. J’avais conservé sur un compte tout ce que possédait Héloïse ainsi que ce que les assurances diverses avaient versé. Une jolie petite somme. Poursuivant dans la confiance totale, je transférai le tout sur un compte bancaire ouvert à son nom avec carte et carnet de chèques. Elle en fut très émue et promit de le gérer avec circonspection. Je lui virais malgré tout mensuellement mille euros, inutile de tout dilapider, les vrais besoins apparaîtront plus tard.




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Quatrième photo de la collection, Elsa a vingt ans. C’est en détaillant le tirage que je me rends soudain compte combien la petite fille, puis l’adolescente est devenue une femme. Le sourire est plus contenu, le regard plus lointain, mais sa beauté est éblouissante. En fac, elle se balade ! Pourtant elle n’est pas « du sérail » comme les fils à papa dont elle se moque régulièrement en parlant des enfants de médecins et mandarins. Sa maturité, je suppose, lui confère un grand sang-froid qui semble très apprécié. Au niveau connaissances, elle comprend vite et travaille beaucoup. Alors évidemment, ça paye. Cependant, sa charge de travail la contraint à des choix douloureux. Elle doit abandonner la danse classique et les cours de piano, se limitant désormais à travailler à la maison quelques morceaux qui lui plaisent en guise de détente sur le petit piano droit du salon, que nous lui avions acheté dès ses débuts. En revanche, son niveau validé en natation lui permet de surveiller et d’enseigner cette discipline. Elle y consacre une soirée par semaine pour initier un club du troisième âge, c’est un « plus » optionnel dans son cursus.


Un jour, elle me demande l’autorisation d’organiser une soirée « pyjama » à la maison, entre filles. Pourquoi pas ? Je déserterai les lieux pour l’occasion.



Trois copines débarquent de la même auto, une brunette frisée probablement des îles, une presque rousse à cheveux courts et à l’allure assez masculine et une troisième, maquillée comme une voiture volée avec tout en devanture et le popotin trémoussant. Défilé dans la chambre d’Elsa et elles reviennent en pyjamas ou chemise de nuit vaporeuse pour la plus espiègle. Apéro sympa où Elsa me présente comme son « adorable beau-père » qui a bien voulu être le chef cuisinier de la soirée, puis elles s’extasient sur mon pot-au-feu :



Pour le dessert, Elsa a acheté un grand carton de petites pâtisseries individuelles. Il y en a pour tous les goûts et en quantité suffisante pour continuer à boulotter pendant toute leur soirée. Je débarrasse, elles m’aident, et je me retire dans mes appartements avec un bon bouquin. Des bribes sonores me parviennent, Elsa faisant un petit concert de piano puis accompagnant un karaoké improvisé. Ensuite ce sont les tubes du moment sur la chaîne hi-fi sur lesquels elles doivent se déhancher, puis le final « larme à l’œil » devant le film « Ghost », l’un des préférés d’Elsa. Petite soirée qui m’a semblé très sympa et sage, elles ont picolé plus de coca que d’alcool.


Le jeudi soir suivant, jour où Elsa assure ses séances d’initiation à la natation dans la piscine locale, on sonne à mon huis. Virginie, la copine polissonne qui demande à voir Elsa. Polissonne, elle l’est particulièrement. Son débardeur ultra court a du mal à cacher ses seins, plutôt bien drus, et sa jupette n’est guère plus haute que sa ceinture.



Et de croiser et décroiser ses jambes sur le fauteuil face à moi, montrant ostensiblement qu’elle ne porte pas de culotte. L’allumage en règle, moi, ça ne me branche pas du tout. Surtout par une gamine, fut-elle effrontée. Je la prie donc de m’excuser, arguant que j’ai du travail, qu’elle aille faire d’autres trottoirs si elle a besoin de pognon. Je préfère attendre ma petite naïade pour dîner tranquillement avec elle. Elle a toujours faim en sortant de l’eau. Quand je lui narre le passage de sa copine, dans un premier temps elle n’en revient pas.



Mais quand je lui décris sa tenue vestimentaire et son comportement face à moi, son visage se ferme, son front et ses joues rosissent, puis elle éclate :



Elle se lève d’un bond et revient avec son téléphone portable.



Elle est en furie me rappelant soudain ma seconde copine, avant sa mère, qui me faisait des crises de jalousie du même genre, montant toute seule en mayonnaise. C’était devenu maladif au point que j’avais dû mettre fin à notre relation. Insupportable. Elsa est en pleine crise de jalousie et pourtant il n’y a vraiment pas de quoi. Ce que je lui dis, précisant que je n’avais rien à faire des avances de cette petite pétasse et que je l’avais virée poliment. Elle se calme, s’excuse puis, soudain gênée par sa réaction épidermique, s’enfuit dans sa chambre. Bizarre…




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À vingt-cinq ans, la photo est toute différente. Le regard fixe l’objectif en coin et le sourire « jocondien » semble dire « je sais ce que je veux et je suis contente de poser pour toi ». Quant à la robe qu’elle porte ce jour-là, une pousse-au-crime. C’est elle qui l’a choisie, très légère cotonnade d’été presque transparente en contre-jour, elle rend ce cliché carrément érotique. La ligne du sein, l’arrondi de la fesse, la finesse souple de la taille, le fuseau parfait de la cuisse, tout est clairement visible. J’en suis chamboulé d’autant que, en lumière directe, je n’avais pas remarqué cette transparence. Et puis elle est tellement comme ma fille qu’il y a des idées qui ne me viennent même pas. En voyant l’agrandissement, Elsa fait :



Elle n’a plus que deux ans à faire. J’aurais cru qu’elle aurait poussé plus loin en choisissant l’oncologie, mais non, elle sera médecin généraliste. « On en manque » a-t-elle dit. Elle s’est acheté une petite voiture d’occasion pour faire son externat dans une de ces maisons de santé implantées dans les déserts médicaux, à une douzaine de kilomètres de là. Elle déclare s’y sentir bien et être emballée par le concept : horaires quasi de bureau, secrétariat, locaux, matériel, tout est fourni par la municipalité pour un salaire mensuel de six mille euros, ça lui va bien. Sans le moindre problème, elle valide ses neuf années de formation, la voilà maintenant docteur en médecine. Je suis très fier d’elle. Cela se fête. Veut-elle aller fêter cela avec ses confrères ? Aucune envie, aucun intérêt. Un grand restaurant sur la tour Eiffel ? Pas plus. Dîner sur un bateau-mouche ? Pas mieux.



Je retrouve dans une housse le smoking que j’avais acheté pour le mariage de ses parents. Assez content, il me serre un peu, mais je rentre encore dedans. Elle apparaît, oui c’est une apparition, dans un fourreau aux impressions de malachite, allant du noir au blanc en passant par toutes les teintes du vert profond de cette pierre. Ses cheveux sont attachés au sommet du crâne et retombent en cascades de boucles dorées. Elle a juste étiré ses yeux d’un trait de crayon et posé un peu de gloss sur ses lèvres. Mon Dieu qu’elle est belle, plus que cela, étourdissante, autre, une femme inconnue. Une fois de plus je la redécouvre, altière et rayonnante dans cet étui de satin fendu jusqu’à l’aine et dos-nu jusqu’à la naissance des fesses. Le champagne le plus cher que j’ai trouvé, foie gras aux figues et super pot-au-feu enrichi de grosses gambas bretonnes et de vraies lamelles de truffe dans la sauce. Elle adore, elle s’empiffre, les chandelles et l’alcool font scintiller ses yeux assortis à son vêtement, ou l’inverse. Après le mendiant de chèvre sur mesclun de romaine et la tarte Tatin sous boule de glace à la vraie vanille Bourbon, je lui offre son cadeau, pâle parure de bijoux pour une femme qui n’en a nul besoin. Elle essuie gracieusement une larme au coin de ses paupières et vient m’embrasser les joues intensément. Elle s’interrompt soudain pour mettre un CD de slows et m’invite à danser. Sa longue et svelte silhouette adhère à mon corps comme un scratch, ses avant-bras sur mes épaules, ses yeux dans les miens. Mes mains trouvent une hanche couverte et la peau de son dos, si douce, si chaude, si nue. « Nights in white satin » chantent merveilleusement les Moody Blues, un enregistrement public d’une quinzaine d’années avec un philharmonique. Elle colle sa divine poitrine sur la mienne et murmure à mon oreille :



Le solo passe, mais je ne fais rien, je ne veux rien faire. Pourtant si, je bande fort et dur. Et elle le sent bien. Et elle en joue avec son bassin.



Final aux violons et cuivres et le bazar repart à zéro. Prestement, elle lève les bras et détache derrière sa tête le tour de cou de sa robe. Tout le haut choit d’un coup et en deux déhanchements le bas s’affaisse aussi, elle envoie voler loin le fourreau d’un battement de pied. Nue, intégralement nue sauf ses bijoux et ses escarpins. Mais au lieu de revenir se coller à moi, elle se met à danser en gestes lents de rock, me tenant juste une main, pour que je la vois bien, que je la désire, que j’en sois fou. Elle ne reprend son frottement langoureux qu’au retour de la flûte, et là c’est elle qui plaque sa bouche sur la mienne et en force le passage d’une langue vigoureuse, inarrêtable. Ai-je vraiment envie de l’arrêter ? Je me dis juste que ce n’est pas bien. Pourquoi ? Parce que c’est presque ma fille… oui, mais ça ne l’est pas. Parce que c’est ma belle-fille… oui, mais ça ne l’est plus. Parce que je suis son tuteur… plus depuis neuf ans. Ah si ! Parce qu’elle est trop jeune ! Voilà, c’est tout simple, j’ai trouvé. Sur le second final, elle sait fort bien où se trouve la conclusion et me traîne directement vers ma chambre. Bon sang quelle démarche, quelle cambrure, quelles hanches, quel fessier ! Surtout lorsqu’elle monte les marches. Curieusement, elle fait une halte devant chacune de mes photos, de ses images, comme si elle déroulait le temps jusqu’à son apothéose ou comme un chemin de croix sans croix à porter. Quoique, peut-être quelques petits fardeaux à poser…