n° 21807 | Fiche technique | 54143 caractères | 54143 9494 Temps de lecture estimé : 38 mn |
29/12/24 corrigé 29/12/24 |
Présentation: Texte d’épouvante, je vous conseille de le lire seul, entouré par la pénombre pour pouvoir vous immerger complètement. Bons frissons! | ||||
Résumé: La journaliste Maya doit couvrir un reportage sur un château hanté dans le Berry. | ||||
Critères: nonéro #aventure #fantastique #sorcellerie | ||||
Auteur : Melle Mélina Envoi mini-message |
Collection : Terra Incognita |
Cela fait presque trois mois que mon rédacteur en chef ne m’a rien donné d’intéressant à couvrir. Il me confine exclusivement à l’actualité politique et m’envoie interviewer les rois des menteurs. C’est ainsi que j’ai dû me farcir ce gros plouc accusé d’avoir violé une femme de chambre dans un palace new-yorkais. Cet homme briguait la présidence de la république et cette histoire sordide avait mis un frein à son ascension politique. Mon rédacteur, Arthérus ne m’avait pas envoyé pour rien, il comptait sur mes charmes pour arracher quelques confidences.
Correspondant aux goûts de Monsieur le gros porc, je n’eus aucun problème pour avoir un entretien. Le jour J, j’avais planqué un enregistreur et lorsqu’il me confiait être coupable des faits reprochés, après avoir vomi, je le laissai la bite à la main. J’avais mon exclusivité. Bien sûr qu’il nous attaquerait pour diffamations, mais l’enregistrement très explicite nous garantissait des invectives procédurières. Nous négociâmes un arrangement à l’amiable.
Je venais de gagner un paquet de thunes pour le journal, Arthérus ne pouvait plus me refuser un reportage plus stimulant. C’est ainsi que je me trouvai en charge d’une excursion dans le Berry pour couvrir une histoire de fantôme dans un château.
J’emmenai avec moi un p’tit couple. Célimène serait la camerawoman et Ganja, l’ingénieur du son, un fumeur de hasch invétéré.
Le château de Lancosme à Vendœuvre dans le Berry, qu’une équipe de quadra a acheté pour une bouchée de pain, serait le théâtre de manifestations inexpliquées et inexplicables. D’après les dires des nouveaux propriétaires, cela a commencé tout doucement, mais maintenant, terrifiés, ils ne peuvent plus investir leur bien tant les manifestations sont devenues importantes et en intensité et en fréquence.
Le château de Lancosme est un château du XVᵉ siècle, soixante-quinze pièces dont deux grandes salles, une grande pièce toute en bois à laquelle est juxtaposée la grande salle de bal style Second empire de cent dix m², trois mille cinq cents m² et quatre tours principales ; deux carrées et deux circulaires de type donjons, une douve et aussi une chapelle située à peine à cinquante mètres.
Le château est pratiquement rénové à part l’aile la plus ancienne « l’Aile Ouest » et notamment le donjon principal. Tous les ouvriers qui y ont travaillé, ont entendu des voix, ont ressenti des présences et parfois même, ont senti un souffle glacial dans leur cou et une odeur infecte.
Les propriétaires ont tenté d’y aménager des chambres, notamment une qui devait appartenir au maître des lieux, la chambre bleue avec des tapisseries à fleurs de lys, un grand lit à baldaquin. Lorsqu’ils tentèrent tour à tour d’y dormir, ils ont senti la nuit une présence, et senti une odeur putride venue d’on ne sait où, puis un poids se poser dans le bout du lit jusqu’à écraser les pieds des dormeurs. Ils n’ont jamais pu et aucun d’entre d’eux n’a réussi à finir leur nuit.
Lorsque nous arrivons, ce sont à des propriétaires semblant être en proie à la plus grande détresse qu’il me soit arrivé de lire dans les yeux d’êtres humains, auxquels nous avons à faire.
Ils nous expliquent qu’ils ne resteront pas une nuit de plus et iront dans les dépendances à quelques centaines de mètres du château.
Nous décidons d’installer nos appareils de mesures, nos lampes, mais nous sommes éreintés, nous commencerons demain nos investigations. Les hôtes nous montrent nos chambres au troisième étage, des chambres un peu spartiates, mais qu’importe, nous n’y ferons que dormir.
Nous ne commencerons nos investigations que le lendemain.
Avant de prendre congé de notre présence, nos hôtes nous préviennent de ne surtout pas aller dans la cave la nuit, quoi qu’il en coûte.
Les toilettes se situent au long d’un couloir à bien trente mètres de nos chambres. Sur ce, les propriétaires nous laissent seuls dans le grand château froid.
Nous nous dévisageons et sans qu’un mot ne nous échappe, nous nous sourions comme pour nous soulager du malaise que nous ressentons tous. Nous convenons de ne pas visiter le château cette nuit, nous sommes fourbus, la visite pourra attendre le lendemain. Nous ne pensons plus qu’à aller dormir et rejoindre nos chambres.
Je n’aime pas du tout ce château, je ne m’y sens pas du tout à l’aise… S’il y a bien quelque chose qui me met mal à l’aise, ce n’est pas la peur que j’ai lue dans le regard des hôtes. Ce n’est pas l’heure tardive à laquelle nous investissons ce lieu, mais c’est bel et bien ce château. Il est si lugubre, si froid…
Moi, j’ai à peine franchi la porte de ma chambre qu’une sensation de froidure me cisaille. Je dépose ma valise au pied du lit et mon odorat est sollicité. Le moisi que j’attribue à la tapisserie me titille le nez. J’ai trop froid pour me permettre d’ouvrir la fenêtre. Elle ressemble à une chambre d’internat, juste un lit, une armoire, une cheminée obturée, une fenêtre donnant sur les douves et une vieille tapisserie qui sent le moisi. Je ressens comme une ambiance malsaine, je ne saurais mieux définir, ce qui m’oppresse. Oui, malsain, je n’ai pas de mot plus juste. Quelque chose d’indéfinissable, de pesant est dans l’air de cette chambre, un sentiment de mal-être me domine sans que je sache véritablement pourquoi.
Les draps semblent propres, les coussins moelleux, le matelas, bien qu’épais, n’est absolument pas ferme.
Il n’est pas très tard, à peine onze heures, mais je suis éreintée et j’ai les yeux qui sont de plus en plus lourds. Alors que je m’affaisse, un rai de lumière traverse la pièce. Lorsque j’écris un rai de lumière, je devrais plutôt écrire une ombre plus sombre que la nuit environnante. Je me cache sous les couvertures le temps de retrouver un peu mon sang-froid. C’est tellement idiot de se cacher sous les couvertures, mais cela m’a permis de me raisonner un peu.
La fatigue, c’est sûrement dû à la fatigue, on imagine plus volontiers des choses, on voit des choses qui n’existent pas lorsqu’on est fatigué et si on ajoute à cela la tension palpable depuis que nous sommes entrés dans ce château, cela explique probablement ma vision.
De nouveau, je scrute les ténèbres qui m’entourent, mais je n’y décèle plus rien. Je reste aux aguets avec une angoisse qui m’empêche de fermer les yeux, cela travaille trop dans ma tête. Puis de nouveau cette odeur à laquelle je m’étais habituée revient en force. Un petit courant d’air qui a déplacé un effluve. J’ai les sens à l’affût, mon regard perce la noirceur, mon nez remarque des odeurs nauséabondes, ma peau frissonne, mon ouïe perçoit mille petits craquements, j’ai la bouche sèche.
J’ai la nette impression que quelqu’un est avec moi dans la chambre. Je prends mon portable allume la lampe torche, mais il n’y a personne.
Je regarde mon réveil, il est près de trois heures du matin, cela fait près de quatre heures que je tourne dans mon lit, soudain j’entends très distinctement un son énorme, un bruit qui semble provenir du grenier juste au-dessus de ma tête, c’est comme si on déplaçait un meuble. J’émerge difficilement, je suis un peu groggy et je ne suis pas sûre de ce que j’ai entendu.
Puis de nouveau, un raclement. Le son est vraiment très net, il ne fait aucun doute, quelque chose de lourd est déplacé.
Je prends mon portable, allume la lampe torche et sors de ma chambre. Je regarde tout autour de moi. Et là, je sursaute de frayeur !
Oh, punaise, qu’est-ce que je peux être bête moi, c’est juste l’ombre de la gargouille devant les fenêtres !
Néanmoins, je suis presque certaine qu’elle a bougé, que ce gros bloc de pierre taillé a bougé ! J’en donnerais même ma main à couper ! Ce doit être mon état somnolent qui me joue des tours… Ce n’est juste pas possible, une gargouille qui bouge, n’importe quoi ! La nuit, un château, un bruit étrange, une atmosphère lugubre et des propriétaires terrifiés, tout se bouscule dans le dedans de ma tête, tout est propice pour instaurer un climat de franche terreur.
Puis à leur tour, Céli et Ganja sortent armés de leur lampe torche, ils ont entendu les mêmes bruits au-dessus de leur tête. La chambre du p’tit couple se trouve être la première du couloir, juste à la sortie de l’escalier central.
Je n’irais pas jusqu’à dire que je n’ai pas les chocottes, mais je supporte encore moins de laisser mon imagination déborder. Autant affronter que fuir.
Je monte les escaliers et un frisson me parcourt l’échine. Je me rends compte que j’ai la chair de poule, je ne comprends pas ce qu’il m’arrive, c’est comme si mon corps me mettait en garde.
J’arrive dans le grenier, je ne distingue pas la pièce dans son entièreté, mais à l’aide de la lampe de mon portable, je balaie l’espace.
Il n’y a rien, tout est vide, une salle mansardée vide avec des gros étaux d’un gros bois brut vieux de plusieurs siècles. Une salle de la taille de deux terrains de tennis. Je pénètre un peu plus profondément dans le noir.
Soudain, alors que je suis au milieu de la pièce, j’entends distinctement, le raclement d’un meuble que l’on pousse, un son fort, impitoyable, un son qui ne peut pas tromper, il y a quelqu’un avec moi !
Je me retourne, balaie de nouveau ma lampe torche, il n’y a rien, rien du tout.
Je me dirige vers l’endroit d’où provient le son et j’arrive près du mur.
Accolé au mur, se trouve un gros meuble en merisier, une grosse armoire datant du XVIᵉ siècle, devant peser plusieurs centaines de kilos. Les portes bougent, comme si on voulait les ouvrir de l’intérieur.
Bam bam bam !
Je m’en approche, touche l’armoire qui semble solide et lourde comme les mille enfers. J’ai à peine posé la main dessus que les portes redeviennent muettes. J’ouvre la porte avec une certaine appréhension, je ne sais ce que je vais y découvrir, mais il y a quelque chose dedans, ça c’est sûr.
Je l’ouvre brusquement : rien ! Rien d’autre que du vide.
C’est mon imagination… Mon imagination me joue des tours. Punaise, j’ai failli en faire pipi ! Bon, il n’y a rien, rien de chez rien. Allez, je vais rejoindre les autres.
Célie m’explique m’avoir entendue parler avec une femme.
… Une voix un peu rauque, une voix que je donnerais volontiers à une vieille femme.
Je décris ce qu’il s’est passé dans le grenier et soutiens n’avoir discuté avec personne. D’où peut bien provenir cette voix qu’ils ont entendue ? Finalement, nous convenons que l’ambiance du château et notre fatigue ont exacerbé nos imaginations.
Nous regagnons finalement nos chambres et nous écroulons, ivres de fatigue. La nuit se termine sans autre « incident ».
C’est un bourdonnement très fort qui me réveille, il est tôt. J’ouvre les yeux avec difficulté et constate une grosse mouche sur la fenêtre qui tente avec fureur de regagner l’extérieur. Le froid est pénétrant et il règne une odeur de renfermé comme si on avait laissé pourrir une vieille draperie mouillée.
Je décide de rejoindre la cuisine afin de prendre mon petit-déjeuner, mais je me perds dans le labyrinthe des couloirs du château. Je traverse une grande et vaste pièce, je me souviens que c’est la salle de bal, une grande pièce blanche et écrue avec des parures dorées aux plafonds. Au bout de cette pièce, je traverse une autre grande salle d’au moins quatre-vingts mètres carrés, « la salle en bois ». Les propriétaires y mangent, c’est la salle la plus chaude du château et probablement la plus belle. La gigantesque cheminée en bois est très fonctionnelle et bien entretenue. Sur les murs lambrissés sont suspendues des draperies sur lesquelles sont représentées des scènes de chasse.
Il y a encore une bonne odeur du feu précédent. Je comprends instantanément pourquoi les propriétaires ont choisi cette pièce pour se retrouver autour de leur repas. Derrière une porte latérale se trouve la cuisine, une pièce de vingt mètres carrés.
J’y retrouve Ganja en grande discussion avec un des propriétaires, Christophe. Je me sers un bol de café et profite des petits pains au chocolat bien chauds, réchauffés au micro-ondes. Christophe veut savoir comment s’est passée notre nuit et je surprends Ganja en plein mensonge. Selon lui, la nuit s’est passée sans le moindre incident, rien de remarquable, aucun bruit incongru, rien quoi, juste une bonne nuit au calme.
J’ai failli étouffer avec mon petit pain en entendant ça, mais je me rappelle souvent qu’il vaut mieux entendre des conneries que d’être sourd. Puis, avant de s’en aller rejoindre le reste de sa communauté aux dépendances situées à cinq cents mètres à pied du corps principal du château, Christophe nous enjoint à le suivre dans la cave que nous n’avons pas visité la veille.
Parce que c’est là qu’elles habitent.
Il nous a sorti ça d’une traite, sans le moindre sourire. Je ne dis rien, mais des questions fusent dans ma tête : Qui ? C’est qui « Elle » ? Pourquoi en fin d’après-midi ? Le matin et au petit jour, elle habite ailleurs, c’est une farce ? Je trouve les ficelles de plus en plus grosses. Je suis à cet instant précis plus sceptique que jamais et je réfléchis à l’ingéniosité des tours de passe-passe qu’ils ont mis en place la veille pour nous faire croire aux phénomènes paranormaux.
Je suis à la limite de rire et de leur dire que leurs supercheries sont de qualités, mais que c’est trop. Bon sang, mais vous me prenez pour un jambon ? Vous croyez que je suis née de la dernière pluie ? Néanmoins, je décide de suivre ce Christophe dans la cave sans poser de questions.
On y accède depuis la cuisine juste après la chambre froide qui fait office de frigo. Basse de plafond, la cave est éclairée par des lumières rouges qui garantissent, selon les propriétaires, la bonne conservation des vins entreposés.
C’est un dédale de couloirs assez étroits et rien n’indique une direction ou un moyen de se repérer. Cependant, Christophe semble connaître son chemin. Je suis vite perdue et un simple échange de regard avec Ganja me convainc qu’il est exactement au même point que moi. Nous arrivons au niveau d’un centre névralgique de la cave où six chemins se déclinent.
Christophe s’arrête à cet endroit puis nous dit solennellement :
Ma remarque l’a blessé et aussitôt je m’en excuse, mais comment croire en de telles sornettes ? Ganja me sauve la mise :
Christophe se calme un peu alors que je réprime un fou rire nerveux. Je sens un courant d’air froid, glacial et une plainte lointaine sortir des ténèbres. L’ironie dont j’ai fait preuve se transforme très vite en angoisse aiguisée et c’est empli d’effroi que mon regard tente de percer la pénombre.
Est-ce mon imagination ? Je découvre peu à peu dans cette obscurité une forme qui se distingue. Cette forme ne bouge pas et c’est sûrement mon imaginaire qui me donne des explications invraisemblables, j’imagine le corps d’une femme (ou d’un homme) dormir à même le sol et qui en se retournant a soupiré comme on peut le faire lorsque nous rêvons.
Christophe, d’une petite tape sur l’épaule, nous intime de revenir sur nos pas. Je regarde Ganja et nul doute que lui aussi a perçu quelque chose. Il en est blafard.
Nous remontons à la cuisine, Célimène déjeune tranquillement. Bientôt Christophe part pour rejoindre le reste des propriétaires dans les dépendances. Nos langues se délient et nous expliquons cette étrange visite de la cave.
Nous organisons notre journée. Ce matin, la visite commencera par la petite chapelle située à une vingtaine de mètres du château, ensuite, nous prendrons nos marques dans les différentes pièces et placerons nos micros et caméras à des endroits que nous jugerons propices.
Habituellement silencieux, Ganja nous surprend par ses paroles :
C’est l’heure pour nous de faire le tour de ce château et d’y placer nos micros et moyens d’enregistrement. Une chose est sûre, il faut qu’il y ait un micro dans cette cave. Nous en placerons dans le grenier, là où nous nous sommes confrontés à des phénomènes paranormaux.
Nous commençons néanmoins notre visite à l’extérieur et plus exactement dans la chapelle qui se situe à une vingtaine de mètres. Comment décrire ce bâtiment ? C’est une petite chapelle du XVIᵉ siècle parfaitement intacte, son architecture nous impressionne, les poutres au toit sont apparentes et semblent, elles aussi, en parfait état de conservation. Il n’y a pas un seul trou dans les vitraux où est dessiné le calvaire de Jésus et, nous faisant face, une grande rosace où sont peints notre mère Marie tenant l’Enfant Jésus dans ses bras. Céli se signe tandis que Ganja se roule un splif. Cela me fait sourire et je réalise que c’est la première fois depuis notre arrivée que j’arrive à esquisser un sourire.
Même si l’endroit ne nous prévient pas du froid, au moins semble-t-il réchauffer un peu notre moral. Je vais vers la sacristie et je sens un courant d’air glacial s’infiltrer depuis le mur sur lequel se trouve un petit confessionnal. Il n’y a pas de doute, il doit exister un passage secret derrière le mur. Nous nous employons à trouver le moyen d’ouvrir cette porte invisible pendant une bonne demi-heure, mais rien n’y fait, nous sommes en échec.
La porte doit probablement s’ouvrir de l’autre côté, nous décidons de remettre à plus tard cette petite énigme et retournons au château.
Nous plaçons de nombreuses caméras et micros dans de nombreuses pièces, que nous pensons être des endroits stratégiques.
Bêtement, je pensais que les phénomènes paranormaux ne se déroulaient que pendant la nuit – l’influence des films et autres médias sans doute ! comme si les fantômes devaient suivre des règles : Attention les gars, on ne perturbe les vivants qu’une fois les ténèbres tombées.
Durant notre inspection, nous sommes témoins de phénomènes qui restent sans explications. Dans une des chambres du second étage, un tableau accroché au mur s’est retourné, comme si une main invisible s’en était emparé ! Et dans la salle de bal, la pièce principale, gisent au sol trois chauves-souris qui n’étaient pas là lorsque nous l’avions traversée quelques minutes plus tôt.
Nous restons groupés et nous nous déplaçons à trois. Céli s’accroche littéralement au bras de Ganja qui, lui, semble ailleurs. La « marie-jeanne » lui a de nouveau détruit quelques neurones.
Bon, je fais la maligne, mais je n’en mène pas large. Me revient en tête la plupart des films d’épouvante que j’ai vus ado, des histoires de spectres, de sorcières, de tueurs en série et même de zombies. Assise sur mon sofa, je me moquais de la réaction des victimes et pourtant, maintenant que c’est « réel », un courant d’air qui ferme brusquement une porte et je crie comme une hystérique !
Dans l’aile la plus ancienne, en laissant le donjon central derrière nous, l’atmosphère devient pesante sans que nous n’en comprenions la cause et nous avons du mal à trouver notre souffle. Une odeur d’œuf pourri en suspension, une obscurité relative, un éclairage qui grésille, l’impression d’être épiés complètent notre sensation de la pesanteur sinistre qui règne ici.
Nous installons notre « QG » dans la pièce qui nous semble la plus chaleureuse, la pièce en bois. Une fois tout branché, nous récoltons déjà quelques résultats et notamment un enregistrement d’une « voix » qui s’exprime en latin : Exi !
Une voix grave, autoritaire, une voix qui ne se targue d’aucune objection, une voix qui n’a pourtant rien d’humain, Féminin ? Masculin ? Ou Autre ? Mais une voix qui s’exprime clairement : Exi ! Exi !
Nous sommes occupés à scénariser le reportage que nous présenterons lorsque nous entendons provenir de la cuisine juxtaposée un rire, un rire glaçant, inhumain. Il y a quelqu’un avec nous dans le château ! C’est peut-être un des propriétaires, pas la peine de paniquer. C’est sûrement Christophe qui est revenu ou Michel, ou je ne sais pas moi, qu’importe. J’ai le trouillomètre à zéro, mais je vais à l’information tandis que la pauvre Céli est en proie à une crise de tremblement, puis se met à pleurer.
Ganja ne se fait pas prier et prend sa p’tite femme dans ses bras et ainsi lovée, elle laisse libre cours à sa crise de larmes. Elle ne peut plus s’arrêter et les mots doux prononcés ne l’apaisent pas vraiment.
Toutes ces simagrées me plombent un peu mon sang-froid et voilà que je crains d’entrer dans une cuisine.
Ce que je peux être bête, vraiment n’importe quoi !
Tout comme ce matin, la cuisine est lumineuse, vaste et froide. Une cuisine, quoi ! Il n’y a rien, rien du tout, personne. Et dans le silence pesant, je ressens et entends le sifflement d’une brise glaciale provenir de la porte qui mène aux caves.
Je remarque que la porte, qui était fermée lorsque nous avions quitté les cuisines après le petit-déjeuner, est à présent grande ouverte. Dans cette atmosphère, tout prend des proportions hors normes, une porte ouverte et voilà que mes poils se hérissent.
Je suis devant l’entrée d’une cave où je pourrais me perdre. Des frissons me parcourent l’échine, mais je ne pourrais dire s’ils sont dus à la fraîcheur de l’endroit ou bien à une angoisse qui circule dans mes veines.
Avant de descendre, je hèle :
Pas de réponse, évidemment ! « Il y a quelqu’un ? », la question la plus idiote du monde, comme si je m’attendais à ce qu’on réponde « Non, non, il n’y a personne ». Je m’apprête à descendre, j’ai un pied sur la marche lorsque j’entends Ganja m’appeler.
Je me trouve face à un choix, celui de voir de quoi il en retourne avec mes deux compères ou descendre… J’entends clairement un chant, une mélopée fredonnée par une petite fille. Tel un chant de sirène, je suis comme envoûtée, il faut que j’aille voir à quoi cela correspond ! À peine descendue une marche, la demande de Ganja devient si insistante, qu’il me faut faire machine arrière et rejoindre mon équipe.
Je quitte la cuisine et arrive dans la pièce en bois. La première chose que je vois, c’est mon petit couple d’amoureux dans les bras l’un de l’autre, mais ce n’est pas par tendresse, leurs visages sont livides. Le corps tremblotant, des gouttes de sudation coulant depuis les tempes, Ganja me désigne le mur du doigt. À mon tour, mon regard se porte vers la direction proposée, et je vois du sang couler sur toute la hauteur et la largeur du mur.
Je reste interdit, stupéfait par ce qui dégouline du mur, je n’en crois pas mes yeux, ma raison vacille, je deviens folle. Du sang coule sur les lambris et bientôt un mot se dessine :
Je voudrais hurler, mais aucun son ne sort de moi. Il faut absolument que je me calme. Telle une litanie, je me répète : ce n’est pas réel, ce n’est pas réel, ce n’est pas réel. CE N’EST PAS RÉEL ! Je suis terrifiée et bien que je ne sois pas la personne la plus courageuse du monde, je décide, plutôt que de m’enfuir, me confronter à ce phénomène paranormal. Je filme le mur sur toute sa longueur et bientôt le mot disparaît et le sang reprend sa descente vers le sol.
Un long silence s’est installé avant que Ganja ne le rompe :
J’ai le souffle coupé par cette incroyable expérience. J’ai toujours dans le coin de la tête l’idée qu’il s’agit d’une farce de nos hôtes, une farce particulièrement bien orchestrée et aux prouesses techniques exceptionnelles. Le fait de croire en un artifice me permet de ne pas sombrer dans une peur indicible à laquelle mon instinct me pousse.
Alors que je me penche pour prélever un peu du sang, qui à présent doit se trouver au sol, force est de constater qu’il n’y a plus aucune trace de ce mirage. Heureusement que j’ai tout filmé. Céli semble un peu s’apaiser et avec elle l’effroi, dans lequel nous étions, diminue.
Ganja m’explique que tout a commencé lorsque nous nous sommes séparés – comme s’il y avait une intelligence maline derrière tout ça. Séparés ? Soudain me revient en tête, cette voix de petite fille dans la cave. Telle une obsession, je ne peux réprimer l’envie d’y retourner.
La porte menant aux caves est restée ouverte, le courage me fuit, je reste devant cette porte grande ouverte à ressentir le froid qui en sort sans oser ne fut-ce que poser un pied sur la première marche.
C’est en tremblant de tous mes membres que je m’enfonce dans la gueule du monstre. Une odeur de soufre m’incommode les narines et c’est le bourdonnement d’une grosse mouche qui perturbe mon ouïe. Elle tourne autour de moi sans que je n’arrive à la voir.
Aussi, je m’enfonce dans l’obscurité de la cave et ses lumières rouges. Je poursuis des dédales de couloirs sans trop savoir ni où ni pourquoi je suis cette voix de petite fille. Je me rends compte cependant que je ne m’approche ni ne m’éloigne, la hauteur du son est constante.
L’obscurité est telle que je marche en touchant des doigts les murs gelés, trop froids pour une cave à vin. J’ai un goût dans la bouche devenue comme pâteuse. Je me souviens de l’itinéraire emprunté ce matin avec Christophe et j’arrive à cet embranchement qu’il nous avait conseillé de ne pas franchir.
Mais il n’y a rien, je scrute loin devant et ne trouve même plus cette forme allongée au sol qui m’avait tant impressionnée.
Ma voix se perd dans les profondeurs de ces abysses.
Dans l’espace, personne ne vous entendra crier.
Soudain une force dans mon dos me projette violemment contre un mur.
Le choc est violent et je m’effondre au sol. J’ai du mal à émerger, que s’est-il passé ? Je n’ai pas le temps d’organiser mes pensées que je reçois une ruade de coups dans le ventre – trois-quatre coups d’affilée, qui me coupent la respiration. La douleur est intense, mais je n’arrive pas à sortir un son. Je me protège comme je peux, mais les coups fusent et ne ratent jamais leur cible.
Je suis au sol à me tordre le ventre, les coups ont cessé aussi soudainement qu’ils sont arrivés. J’essaie de récupérer un peu de lucidité, mais je suis encore sous le choc. Il me faut bien une à deux minutes pour émerger de ce cauchemar.
Je réalise que j’ai bel et bien subi une ruade, des coups de sabot. Puis, le rire pour lequel je me suis aventurée dans ces couloirs reprend et s’efface dans la pénombre. Je me relève difficilement, le corps meurtri et remonte à la surface.
De retour dans la cuisine, Ganja et Céli sont là, visiblement sous le choc, et m’enlacent en pleurant :
Je ne comprends rien à ce qu’ils bafouillent, et je constate qu’il fait bien sombre à l’extérieur tandis que les lumières de la cuisine sont allumées.
C’est Céli qui m’explique :
Je leur montre les bleus apparents sur mon corps. Les traces de sabots paraissent nettement à présent. Force est d’avouer que ça fiche sacrément les j’tons, mais j’ai horreur de ne pas comprendre, aussi ai-je décidé de veiller toute la nuit pour pouvoir témoigner, enregistrer les moindres manifestations paranormales.
Nous dînons d’un simple bol de soupe et tandis que nous mangeons, il n’y a aucune manifestation à signaler. Les fantômes ont quand même la décence de nous laisser reprendre des forces, ce qui n’est pas le cas lorsque nous allons pour nos besoins élémentaires. Je suis assise sur le trône lorsque j’entends de nouveau ce petit rire que j’avais poursuivi dans les caves et que j’avais attribué à une petite fille.
Les rires se rapprochent.
Soudain, la porte frémit sous un violent coup. Puis, une autre ruade tambourine violemment la porte. Un copeau de bois s’en extirpe sous la puissance des coups. Je gueule ma mère, en pleine crise d’hystérie, j’ai lâché les soupapes, plus rien ne retient l’angoisse qui germait dans mes entrailles de se révéler.
Mes deux comparses déboulent en trombe, un tison de cheminée en main. Céli est projetée contre le mur et tous deux perçoivent une présence qui s’enfuit.
Ça va, je m’en suis remise. J’examine la porte des chiottes, elle est défoncée et il n’y a plus aucun doute, il s’agit bien de coups de sabot. Je ferai doublement attention lorsque j’entendrai derechef ce petit rire. Nous venons de perdre notre camerawoman, Célimène ne veut plus rester, ne fût-ce qu’une seule petite seconde supplémentaire. On essaie de la raisonner, de lui rappeler le reportage, mais comme je m’y attendais, elle pique une grosse crise de nerfs et nous hurle dessus :
Elle a atteint son seuil de résistance, j’ai compris que ce n’est pas la peine de négocier. Le seul problème, c’est Ganja qui n’aura d’autre choix que de la suivre, rejoindre les propriétaires dans les dépendances.
Une question se pose en ce qui me concerne : qu’est-ce que je fais ?
J’ai les chocottes à zéro, mais il n’est pas dans ma nature de me dégonfler. J’ai couvert bon nombre de reportages, dans des lieux hostiles avec des personnes hostiles, j’ai risqué plus d’une fois ma vie pour un bout de papier, j’ai couvert des guerres, j’ai enquêté sur des cartels et dernièrement j’ai affronté des chimères et des morts-vivants.
Et je resterais en échec pour un reportage dans le Berry ? Quelle ironie !
Me voilà seule.
Je suis à présent devant mes écrans, à décortiquer tout ce que mes caméras et mes micros enregistrent. Dans une des chambres, la fameuse chambre « bleue », une lourde commode se déplace comme sous l’effet d’un coup de vent. Puis les tiroirs se mettent à danser, ils s’ouvrent et se referment et ce ballet dure bien trente secondes avant que l’inertie totale ne reprenne ses droits.
Deux heures se sont déroulées depuis cet évènement, mes yeux se ferment, je baye aux corneilles, il est grand temps pour moi de faire une pause café. Je quitte mon poste d’observation et rejoins la cuisine juxtaposée. Lorsque j’y pénètre, la première chose que je remarque, c’est cette fichue porte de cave grande ouverte.
Je l’ignore.
Oui, je l’ignore.
Et que devrais-je faire ? Que suis-je censée faire ? Je reste ferme sur ma décision, je l’ignore.
Un café chaud dans la main, je retourne d’où je viens. Il est trois heures du matin, il n’y a pas un son dans le château, cette absence totale de bruit est incommode et absolument pas naturelle. Je devrais entendre des micros sons, les cloisons qui bruissent, le bois qui se craquelle. Aucun des nombreux micros dissimilés çà et là n’enregistre le moindre souffle. Je me demande même s’ils ne sont pas tout simplement éteints.
L’esprit qui hante les lieux est passé maître dans l’art de terroriser les vivants. J’en arrive à souhaiter qu’une manifestation se présente.
Soudain, le petit rire enfantin tonne dans la salle ! J’aurais mieux fait de me contenter de ce silence – certes effrayant – plutôt qu’espérer qu’il se passe quelque chose. Je m’arme du tison et reste à l’affût du moindre déplacement d’air. Ainsi concentrée, je ressens une présence juste derrière moi.
J’en suis sûre, il y a quelque chose derrière moi !
Je me tourne et envoie prestement le tison dans un mouvement rageur. Ce dernier percute violemment un obstacle invisible et un cri de douleur, plus animal qu’humain, s’arrache dans l’air. Puis, j’envoie mon café en direction du cri. Le liquide répandu me dévoile une forme, un être famélique, décharné, assez petit avec des pieds de bouquetin : un centaure.
L’apparition ne dure que quelques microsecondes avant que le café ne finisse irrémédiablement au sol. Puis la porte menant aux cuisines s’ouvre et se referme. La créature s’est enfuie.
Les nerfs ainsi mis à l’épreuve, je me mets à pleurer. Je n’ai pas vraiment le temps de m’appesantir qu’une lueur, une volute d’éther en suspension flotte devant mes yeux, une étrange lumière bleutée réconfortante danse devant moi.
Depuis ce halo, un visage se dessine, un visage féminin qui se met à me parler, d’une voix très douce :
Cette entité m’explique l’histoire de trois sorcières qui ont été brûlées vives il y a près de quatre cents ans et qui errent depuis dans l’entre-deux-mondes. Étant promises aux enfers, elles ne veulent pas quitter les lieux, il faudra les déloger sans quoi, elles gagneront encore plus en puissance. Le centaure n’est qu’une manifestation de leurs sortilèges. Pour les obliger à quitter ces lieux, il me faudra ouvrir une porte vers le pandémonium, la capitale des enfers où elles sont attendues.
D’une douce voix monocorde qui s’accorde avec les battements de mon cœur, l’entité m’invite à trouver « la flamme d’Udûn » et la jeter sur les enveloppes charnelles des sorcières.
Cependant, je n’ai pas le temps de questionner davantage que la volute se désagrège me laissant seule avec mes questions. Je résume, je suis seule dans un château hanté par trois sorcières, capable de créer des centaures invisibles, je dois ouvrir une porte et jeter une flamme doudoune sur des enveloppes charnelles carbonisées vieilles de quatre cents ans.
Facile !
Il me semble que j’étais juste venue faire un reportage, pas pour envoyer en enfer des spectres ! J’ai l’impression de faire un escape game, à moi de trouver les indices me permettant de trouver la flamme doudoune.
Je me réveille en sursaut en entendant qu’on frappe à la porte, je suis complètement vaseuse, j’ai les cheveux dans le café. Bon sang ! Je réalise que je me suis endormie, je suis complètement désorientée. Je regarde l’heure, il est cinq heures du matin. J’ai encore le café – il est froid – je ne l’ai pas projeté sur un quelconque centaure, il n’y a jamais eu d’entité venue m’expliquer quoi que ce soit, mais les mots « Flamme doudoune » me reviennent en tête.
Les coups retentissent de nouveau :
Bam bam bam !
Au nombre de trois, comme la Sainte Trinité, toujours par trois, une façon qu’ont les démons de se moquer du Père, du Fils et du Saint-Esprit.
Pour me donner du courage, je m’adresse à qui (ou quoi) serait derrière cette porte :
Bam, Bam bam !
Bon sang, je décroche complètement, je dis n’importe quoi ! Alors que j’ai la main sur la clinche, les bruits s’arrêtent nets. Après avoir bien respiré, j’ouvre brutalement et fais face à :
Rien !
Rien, sinon la grande salle de bal que la lueur du jour commence à éclairer faiblement. Une odeur de putréfaction avancée me foudroie le visage. Au fond, de la salle, je distingue en suspension un nuage noir, je m’en approche la peur au ventre, les jambes flageolantes. Maintenant à quelques mètres, je réalise que ce n’est pas un nuage, mais une nuée de grosses mouches qui bourdonnent rageusement. Soudain, elles se dirigent vers moi, je n’ai pas le temps de percuter qu’elles m’entourent et tentent par tous les moyens de me pénétrer. La bouche fermée, je me débats, en envoyant mes bras dans tous les sens, elles tentent de rentrer par les oreilles, par les narines.
Je suis obligée de m’enfuir. Sans réfléchir, j’ouvre une porte-fenêtre à ma gauche et je me retrouve sur le balcon surplombant les douves asséchées. Les mouches se sont arrêtées sur le pas de la porte et n’osent s’aventurer au-dehors, mais il semble qu’elles m’attendent.
La terrasse occupe toute la longueur de la salle de bal et se prolonge le long de la pièce suivante. Laissant la nuée bourdonnante, j’entre de nouveau dans le château via une pièce plus petite et plus sombre qui semble ne servir que d’entre-chambre. Cette pièce donne sur le grand vestibule et l’escalier menant aux chambres.
Je commence à me situer dans ce labyrinthe, du point où je me trouve, je peux rejoindre facilement les cuisines, la pièce qui me sert de QG et l’aile ouest qui n’est pas rénovée. En face se trouve l’entrée principale et à l’est, la petite chapelle.
Si flamme doudoune il y a, c’est sûrement là que je la trouverai. Pourquoi cette idée farfelue s’est-elle imposée à mon esprit ? Je n’en sais rien, mais je sens que c’est qu’il faut que je fasse. À vrai dire, je ne le sens pas, je le sais !
En ouvrant large les battants de la porte principale, je suis poussée par une force froide, mais violente, qui m’envoie valdinguer au sol, tête la première. Derrière moi, les portes se ferment brutalement. Je me tourne et mon regard se porte vers l’une des fenêtres de l’étage. J’y vois distinctement une forme humaine, une femme ? J’ai à peine le temps de la deviner que cette image s’efface.
Pour l’heure, je me fiche de savoir qu’une entité vieille de plusieurs siècles, une âme supposée ne pas appartenir à notre dimension, ait pris forme, seule mon envie d’en découdre me tient en haleine. Mes pensées se focalisent vers la petite chapelle.
Une fois à l’intérieur, pénétrée par la fraîcheur des lieux, je me place au centre d’un halo de lumière qui émane d’un vitrail. Je fais face à l’autel sur lequel est posé un ostensoir. Je suis sûre qu’il n’y était pas lorsque nous avons visité cet endroit plus tôt dans la journée. Sur le vitrail, par lequel un peu de chaleur se diffuse, je peux voir Simon de Cyrène, l’étranger qui aide Jésus à porter sa croix, pointer un doigt en direction de l’ostensoir !
Ce gaillard a aidé Jésus, à présent, le voilà qui m’aide !
Un ostensoir est une pièce d’orfèvrerie destinée à recevoir l’hostie, mais à la place du pain eucharistique, se trouve une clef, une grosse clef antique en acier forgé, ciselée et décorée d’une flamme dans un anneau. Il ne faut pas sortir de Saint-Cyr pour comprendre l’indice, cette clef me permettra d’ouvrir le coffre où se cache la flamme doudoune.
Tout s’enchaîne et je ne comprends pas moi-même les associations d’idées qui me viennent, mais quelque chose que je ne saurais définir me pousse à aller vers la sacristie où j’avais ressenti un courant d’air, plus tôt dans la journée. Je pense qu’il y a un passage secret.
Le jour peine à se lever, mais le halo de lumière qui traversait le vitrail de Simon se déplace pour pénétrer un autre vitrail : Jésus est au sol, Longin le centurion le fouette et Marie-Madeleine en pleurs illumine le mur de la sacristie. Telle une poursuite de spectacle, la lumière se place à un endroit où se découvre entre deux pierres, ce qui semble être une serrure.
Sans cette lumière opportune, je serais passée à côté et n’aurais jamais découvert la porte secrète. J’y introduis la clef et je sens le pêne se déplacer et entrer à l’intérieur de la gâche. Les gonds cèdent sous la poussée assez forte que j’opère et le passage secret se révèle.
Il y fait noir comme dans le trou du cul d’une vache. Je m’empare d’une bougie et mets le feu à un morceau de tissu que j’enroule autour d’un pied de chaise. Il faut descendre quelques marches pour atteindre un renfoncement dans lequel se trouve une sculpture dans une niche. L’objet en pierre représente un calice d’où émane une flamme éternelle. Un long couloir, de part et d’autre du renfoncement mène directement au château à l’ouest et vers les dépendances à l’est.
Je comprends que je suis dans un des couloirs de la « cave ». C’est là qu’elles habitent !
À cette pensée, un frisson me parcourt l’échine, mais je suis résolue à leur jeter cette fameuse flamme doudoune sur le coin de leurs têtes à ces salopes de sorcières. Vu le poids de cette sculpture, de leur jeter ce calice va sûrement les assommer, me dis-je en souriant pour me donner un peu de courage.
Elles vont se prendre une flamme doudoune sur le crâne à la manière d’un coup de batte de base-ball et si ce n’est pas suffisant, je vais les finir à grands coups de tison, non, mais !
De nouveau, je joue les bravaches, mais je n’en mène pas large. J’erre dans les couloirs avec ma torche de fortune et me fie à mon sens de l’orientation. Je ne pense pas être très loin du centre névralgique de la cave, là où nous nous étions arrêtés hier en après-midi avec Christophe.
J’arpente les couloirs en compagnie de gros rats, mais ma progression est souvent gênée par des toiles que je dois traverser. Je déteste les araignées et ici, elles doivent être monstrueuses. Néanmoins, la soie brûle bien, sans vraiment le faire exprès, je fous le feu dans cette cave, l’air devient lourd et brûlant. Il n’est plus question de faire marche arrière.
Je suis assaillie par des pensées contradictoires – celle de récolter des preuves et fuir cet endroit, il me suffirait de récupérer mes appareils de mesures et mes enregistrements, comme celle d’aller me confronter à des spectres et les renvoyer là où ils sont censés être.
J’en ai marre d’avoir peur, j’en ai marre de ne rien comprendre, j’en ai marre de me laisser balader par de vieilles schnocks au nez crochu, qui volent sur des balais. Je suis à présent déterminée, je vais les renvoyer vers l’infini et au-delà, récupérer mes enregistrements et écrire un fabuleux reportage, non, mais !
Ça y est je m’approche, j’entends le rire diabolique du centaure ! Ouais, c’est ça, rira bien qui rira le dernier, t’as pas assez dégusté avec la rouste que je t’ai fichue tout à l’heure et t’en redemande !
Les sens ultra-sollicités, je pourrais entendre une mouche péter et le centaure a beau tenter de se faire le plus silencieux possible, ses sabots le dénoncent.
Il est derrière moi. Comme je l’avais rossé la première fois, je me retourne violemment en envoyant le tison qui, ce coup-ci, atteint le centaure en plein visage. Puis, tel un coup d’épée, de ma torche je lui perfore le ventre.
La chimère invisible se met à flamber dans des hurlements atroces. Je ne la vois pas, mais je devine ses contours que le feu embrase, parfois, je distingue un visage grimaçant de douleurs, mais surtout je la vois se désintégrer. Cette victoire me donne du pep et de l’énergie à revendre, je suis motivée comme jamais à continuer ma tâche.
Néanmoins, l’atmosphère devient suffocante et chaque inspiration manque de brûler mes poumons, je continue donc ma progression à quatre pattes, au plus près du sol. Le sol paraît presque spongieux et je constate qu’il est recouvert de fientes, j’en suis écœurée et suis à deux doigts de vomir, c’est abject, mais je me fais la réflexion que si ces entités, ces spectres défèquent, c’est qu’ils possèdent une enveloppe charnelle, une enveloppe qu’on peut détruire, ces sorcières ne sont pas immatérielles !
Je suis un chemin improbable lorsque soudain, une goutte de sang me tombe sur le crâne. Immédiatement, je relève la tête en direction de la gouttelette. Une vieille femme se tient à quatre pattes sur le plafond, comme une araignée, la tête en bas et crache un torrent de sang sur mon corps.
Je n’ai pas le temps de réaliser quoi que ce soit, qu’elle se rue sur moi, me saute à la gorge et tente de m’étrangler. Elle a une force de cheval et pourrait me broyer la trachée d’une simple pression, mais dans un réflexe foudroyant, je lui plante la sculpture « flamme doudoune » dans le bide comme je l’aurais fait d’un couteau.
Elle se fige dans une expression d’hébétude et son corps se met à s’illuminer de l’intérieur, me détachant de son emprise, je recule et je la vois fondre en hurlant :
Enfin, ne reste plus d’elle qu’une flaque visqueuse.
Je me saisis de la flamme et reprends mon chemin, il en reste deux à occire ! Je n’ai plus besoin de ma torche, l’endroit est de nouveau éclairé des ampoules rouges et un souffle frais caresse mes narines, je dois m’approcher des cuisines.
Effectivement, je suis au milieu des vins entreposés. L’incendie progressant vite, bientôt ce trésor sera perdu à jamais, je ne m’y attarde pas.
Reste à monter les quelques marches et je suis à l’air libre. Aveuglée par la lumière en sortant de ces longs tunnels obscurs, je ne vois pas la forme qui m’attend. Le corps qui m’agresse physiquement n’a rien d’humain, c’est un démon de trois mètres de hauteur, à la carnation brûlée, possédant des lames d’ivoire en guise de mains, et un visage terrifiant : deux petits yeux d’un noir inexpressif sans pupille au-dessus de deux trous d’où s’échappe de la fumée et une bouche démesurée de laquelle des canines acérées s’ouvrent pour me mordre.
Une des lames m’arrache le t-shirt et lacère profondément mon sein gauche. La douleur est si intense que j’en lâche la sculpture. En voyant la pièce tomber, le visage du démon suit le mouvement de la flamme roulant au sol et réalise qu’il s’agit de l’instrument qui me permettra de l’envoyer d’où il provient. Il se met à hurler :
Rien compris.
Tout ce que je sais, c’est que cette créature est effrayée, aussi je me jette au sol pour rattraper la flamme en même temps que le démon. Cette créature l’aurait saisi avant moi si elle avait eu des mains, mais ses couteaux l’empêchent de la tenir. Je vois la créature se métamorphoser pour prendre une apparence humaine. Il s’agit donc bien de la deuxième sorcière.
Le temps de changer d’apparence me laisse largement le temps, d’attraper l’objet de terreur et de le lui balancer sur la tronche ! Au contact de la peau de la vioque, les flammes de pierre deviennent incandescentes et dansent jusqu’à devenir bel et bien des flammes de feu. Dans un hurlement strident et atroce, tel que je doive me boucher les oreilles, la sorcière s’embrase. Le corps se liquéfie, c’est dégueulasse, ça donne un peu la gerboulade, ne reste plus rien qu’une mare gélatineuse odorante.
Je retrouve mes instruments de mesure et d’enregistrement dans la pièce voisine, la salle en bois. Je regarde sur les moniteurs et je vois que dans la chambre où j’avais dormi la nuit précédente, le lit se déplace. Avant de me ruer tête baissée, je prends le temps d’analyser, l’essaim de mouches qui m’a attaquée il y a moins d’une heure s’y trouve. Je suis incapable de comprendre pourquoi, mais à cet instant, à cet instant précis, je sais avec certitude que ces mouches ne sont, en fait, que l’incarnation de la troisième sorcière !
Lorsque je monte l’étage, au-dessus de moi, dans le grenier j’entends de nouveau le son des meubles que l’on déplace. Cependant, je ne m’y arrête pas, je veux en finir une bonne fois pour toutes et seule la destruction de la troisième sorcière exorcisera le château.
Je suis le couloir menant à ma chambre d’un pas déterminé, de la glace dans les veines, imperméable à l’irréel, au surnaturel. Que les gargouilles se meuvent, que les murs suintent du sang, que le vent me susurre de dégager n’entame en rien mon envie de renvoyer cette sorcière en enfer. Lorsque j’entre dans la chambre, les mouches qui alors étaient groupées en un amas volatile se dispersent en nuée. Ce coup-ci, la flamme doudoune ne me sera d’aucune utilité.
Une force effroyable projette le lit vers moi, j’esquive tant bien que mal, mais à peine avoir eu le temps de me remettre sur mes appuis que la tapisserie me tombe littéralement dessus comme un filet de rétiaire. Je ne vois plus rien, mais j’entends la lourde armoire se déplacer vers moi, je me jette comme je peux pour ne pas être broyée par le meuble lourd.
À force, j’arrive à me dégager de ce tapis et lorsque je suis à l’air libre, je constate que la sorcière s’est métamorphosée. Une petite fille d’une dizaine d’années en tenue d’écolière avec deux belles tresses me fait face, je reconnais Mélina lorsqu’elle avait été contrainte d’aller en pension chez les bonnes sœurs. Elle larmoie et c’est difficile de ne pas être touchée en plein cœur, surtout lorsqu’elle s’adresse à moi, me suppliant :
L’espace d’un instant, je suis complètement retournée, complètement pétrifiée, je suis de retour en enfance lorsque j’ai abandonné ma sœur trop turbulente, virée de toutes les écoles publiques, pour cette solution trouvée par mes parents et je dois faire un effort titanesque pour me remettre le cerveau à l’endroit. Ce n’est pas ma sœur, ce n’est pas ma sœur ! C’est qu’une putain de sorcière qui se joue de moi !
Me voyant ainsi remuée, la sorcière pense avoir baissé ma vigilance et ne me voit pas me saisir de la flamme doudoune que je plonge inexorablement dans le cœur de la fillette.
Je viens de tuer ma sœur. JE VIENS DE TUER MA SŒUR !
Le cœur en cendre, je m’écroule en pleurs.
C’est Ganja qui me réveille tendrement. J’émerge difficilement de ce cauchemar en me demandant où je suis. Je regarde autour de moi, un peu ahurie, un peu hébétée. Culpabilisant de m’avoir laissée seule dans le château, mon ami s’était finalement décidé de me rejoindre.
Autour de nous, il ne reste plus que des cendres disposées en tas. Le souvenir de Mélina me revient et avec lui une vive douleur. Devant ce tableau, Ganja me demande de lui expliquer le déroulement de la nuit. Je lui explique que j’ai pulvérisé les sorcières, je n’omets aucun détail même celui de l’entité venue dans mes rêves pour me conseiller.
Ganja m’explique son inquiétude, d’après lui, je n’ai fait que détruire les enveloppes charnelles de sorcières, mais leurs âmes sont encore présentes, il faut donc transformer l’essai.
Internet ! Heureusement que Google est mon ami.
C’est par le biais d’un site spécialisé que nous mettons en place tout le cérémonial nécessaire pour cette fameuse porte. Quelques incantations estampillées par Ed et Lauren Warren (excusez du peu !) autour d’un pentacle dans lequel j’ai disposé un peu de gélatine de la première que j’ai fait imploser dans la cave, un peu de chair de la deuxième que j’ai immolée et des cendres de la troisième, me permettront de les renvoyer définitivement là où elles méritent d’être. Je place quelques bougies, je dessine des signes cabalistiques, question de mise en scène et je commence à psalmodier le rituel démoniaque.
Des faisceaux d’électricités volettent de partout et soudain de la fumée à l’intérieur du cercle apparaît. Le sol se met à se craqueler, le ciel au-dehors s’assombrit comme si un nuage voilait le soleil.
Puis, dans un fracas titanesque, un geyser crache mille âmes, envahissant la pièce, elles passent tout autour de moi, me fouettent les cheveux, après avoir dansé plongent de nouveau à l’intérieur du cercle dans un hurlement perçant en apportant les restes des sorcières dans la géhenne.
À présent, le silence s’est installé, le château semble s’être endormi et la luminosité reprend ses droits. Ganja est allé prévenir les propriétaires que leur domaine est à présent assaini, nettoyé des noirceurs qui hantaient les lieux.
De mon côté, je visionne les images récoltées, mais les bandes semblent inutilisables, les faisceaux électriques qui avaient surgi de partout lors des incantations ont eu raison de mon matériel, quant aux bandes-son, je les écoute, mais je ne discerne rien, c’est comme s’il ne s’était absolument rien passé.
L’après-midi touche à sa fin, lorsque nous décidons de reprendre la route. Je vais écrire ce reportage, mais n’ayant aucune preuve pour étayer la véracité de ce que je vais écrire, je sais déjà qu’il sera catalogué de feuilleton écrit par une foldingo à l’imagination débordante, qu’il sera la risée pour tous mes confrères.
Il me reste à récupérer un pull que j’ai oublié dans la chambre que j’ai occupée. Lorsque j’entre dans la pièce, je vois au sol encore un peu de cendre, reste de la dernière sorcière et surtout, je distingue une grosse mouche qui bourdonne furieusement contre la vitre.
Dans le couloir qui mène aux escaliers, je regarde une dernière fois la gargouille que je pensais avoir vu prendre vie. Elle restait de marbre, silencieuse et immobile.
J’arrive aux escaliers, et le pied posé sur la marche pour descendre, qu’un bruit au-dessus de moi, provenant du grenier, tonne. Je jurerai qu’il s’agit d’un meuble que l’on pousse !