n° 21849 | Fiche technique | 31131 caractères | 31131 5508 Temps de lecture estimé : 23 mn |
18/06/23 |
Résumé: Antoine est seul à Londres. Qui va venir le sauver? | ||||
Critères: #humour #aventure | ||||
Auteur : Amateur de Blues Envoi mini-message |
Projet de groupe : L'appel du dix-huit Juin |
17 juin.
Je suis à Londres parce que je ne peux pas faire autrement. Le printemps est pluvieux, je suis seul et la bataille juridique que je mène est en passe d’être perdue.
Quelque part en France, je ne sais même pas où, ma femme se laisse sauter par un crétin dont la seule qualité doit être son endurance au lit. J’ai appelé Adeline pour lui dire que c’était dur sans elle et que je comptais rentrer dès que possible, des banalités qu’on dit à sa femme quand on en est séparé et elle m’a ri au nez.
Dire que cela n’allait pas très bien entre nous depuis quelques temps est un euphémisme, mais je croyais que c’est le travail qui nous empêchait de nous retrouver, ce genre de fadaises. Je crois qu’elle a été amoureuse de moi à un moment donné, mais je n’en suis plus très sûr. Jeune, je faisais illusion, un mec cool, plein d’idées et d’esprit d’entreprise, un qui ira loin.
Je n’ai pas été très loin et si je perds cet arbitrage avec les Anglais, je n’irai nulle part. Alors je passe mes journées dans des bureaux tous plus luxueux les uns que les autres, je me ruine en taxis et je rencontre des gens qui ne me laissent aucun espoir. Je mange mal, je bois trop et je ne dors pas. Je crois que l’expression habituelle est : au bout du rouleau.
Aujourd’hui, je n’ai pas de rendez-vous. Tout est en stand-by. J’aimerais sortir prendre l’air, mais il pleut. Je cours jusqu’au kiosque, achète le Figaro et m’engouffre dans le pub le plus proche.
Oui, je sais, le Figaro, c’est une punition de lire ce journal, mais je n’en trouve pas d’autre dans ce maudit quartier. Je m’installe dans un box en fond de salle avec une Guinness, probablement la première d’une longue série, à moins d’un tremblement de terre…
Que se passe-t-il en France ? Ah, le « dix-sept juin », dans le journal des Français fiers de la France, on parle évidemment du général de Gaulle et de l’appel de 1940 depuis Londres. L’article doit être le même d’une année sur l’autre. Le texte de l’appel est évidemment entièrement reproduit, pas si long que ça, d’ailleurs. Je le parcours des yeux, je ne l’avais jamais fait. Qui s’intéresse encore à ces histoires, à part les enfants dans les écoles ?
Mais en lisant, quelque chose se passe. Je suis à Londres, moi aussi et je viens de subir une défaite en France. J’ai été trahi. Nous aurions pu résister. Avec un peu d’amour, de la tendresse, je ne sais pas, j’aurais pu changer, arrêter un peu avec l’alcool. Mais Adeline a pactisé tout de suite avec l’ennemi, comme si elle n’attendait que mon départ pour Londres pour s’offrir à un type, qui a vingt ans de moins qu’elle et beaucoup moins de neurones.
Je relis le début en changeant certains mots :
Adeline qui, depuis de nombreuses années, est à la tête de notre couple, a pris un amant. Ma femme, alléguant la défaite de notre amour, s’est jetée sur un connard pour cesser le combat.
Certes, nous avons été, nous sommes submergés par les problèmes d’argent, les problèmes d’alcool, les difficultés sexuelles."
Je continue, le jeu peut être instructif :
Infiniment plus que grave que notre mésentente, ce sont les muscles, les pectoraux, la bite de ce Marco qui nous ont perdus. Ce sont les muscles, les pectoraux, la bite de ce Marco qui ont séduit Adeline au point de l’amener là où elle en est aujourd’hui.
Il n’y a rien à changer dans la ligne suivante :
Mais le dernier mot est-il dit ? L’espérance doit-elle disparaître ? La défaite est-elle définitive ? Non !
Voilà, c’est ça, c’est bien dit ! Je trempe mes lèvres dans la mousse de ma bière avant de lire la suite. Si tout n’est pas perdu, c’est qu’il reste quelque chose à faire, n’est-ce pas ? Seulement, ensuite, le général, il se congratule d’avoir l’Angleterre et l’Amérique derrière lui. C’est facile. Moi, pour récupérer Adeline, je dois d’abord vaincre les Anglais, qui ne sont pas si anglais que ça puisqu’ils ont été rachetés par un fonds de pension américain. Et d’ailleurs, je ne suis pas très sûr que je veuille la récupérer, Adeline. Nous avons passé de bons moments ensemble, c’est certain, de belles galipettes, de franches rigolades, mais depuis quelques années, son amour de l’argent et son désir de paraître me donnent envie de la fuir. Il faut donc que je balaye devant ma porte et que j’arrive à savoir ce que je veux vraiment.
En général, c’est le moment où je bois suffisamment pour ne plus être en capacité de penser.
Mais le dernier mot est-il dit ? L’espérance doit-elle disparaître ? La défaite est-elle définitive ? Non !
En effet, mes yeux tombent sur le dernier paragraphe. Le général appelle tous les Français à venir lui donner un coup de mains. A Londres. C’est comme moi. C’est dur parce que je suis seul. Quelque part, je m’en moque de ce procès. Si je perds, l’entreprise coule. Au moins, j’en connais une qui sera furieuse et cela me réjouit. Mais cette solitude épouvantable me détruit. Je voudrais qu’une femme, gentille, jolie pourquoi pas - mais toutes les femmes gentilles ne sont-elles pas jolies ? – je voudrais que cette femme me rejoigne ici et m’aide à passer ce moment difficile.
Je pourrais me faire aider par une professionnelle, c’est très facile à trouver, ici comme ailleurs, mais j’ai besoin de plus que cela. J’ai besoin d’amour. J’ai besoin de respect, de légèreté et pourquoi pas d’un peu d’admiration. Après, je crois que je pourrais faire beaucoup : arrêter de boire, soulever des montagnes, dégommer des armées de petits juristes avec leurs petits costumes et leurs petits McBook.
Le général a lancé un appel et des tas de gens ont traversé la Manche. Une armée s’est constituée pour le rejoindre. Moi, je n’ai pas besoin d’une armée, juste d’une femme, la première qui voudra bien de moi, je promets de ne pas faire le difficile. Je pourrais lancer un appel. Pas sur Radio Londres mais sur les réseaux sociaux, une espèce d’appel du 18 juin 2023.
Mais le dernier mot est-il dit ? L’espérance doit-elle disparaître ? La défaite est-elle définitive ? Non !
Je ne tergiverse pas et fais valser mes pouces sur mon téléphone, #appeldu18juin, sur Facebook et Instagram. J’expose la situation en mode tragédie, je fais appel à la compassion, au goût de l’aventure, au nationalisme, je promets une récompense. En nature, je précise, mais sans détailler. Et sans relire, j’envoie. Sans relire, surtout sans relire sinon je verrais le ridicule de la chose.
Je range le téléphone et je bois ma bière. J’ai l’impression d’avoir fait tout ce que je pouvais pour aujourd’hui. J’ai le droit de me relaxer. Aussi, je passe au whisky et comme d’habitude, je rentre à la fermeture du pub avec moins d’argent et plus de mal à me traîner jusqu’à ma chambre. Le monde est cruel.
18 juin.
Une mauvaise journée, une triste journée. Je rencontre mon avocat londonien, à ma demande parce qu’il me coûte un bras et que j’ai l’impression qu’il ne fait rien. Il m’explique patiemment, une nouvelle fois, ce que je me refuse à comprendre : oui, j’ai le droit pour moi et ces salauds ne devraient pas pouvoir utiliser mes brevets sans cracher au bassinet. Mais ils sont très riches et sans scrupules et utiliseront toutes les chicaneries possibles pour retarder le moment où ils devront payer. Ce jour-là probablement, j’aurais fait faillite et ils s’en sortiront sans une égratignure. Je tente de lui dire que je le paye justement pour éviter ce scénario catastrophe et il soupire. Ce soupir est sa seule réponse. Sinon, il me dit ensuite que si je n’ai plus confiance en lui, je peux embaucher un autre avocat.
Dehors, il pleut, un crachin tiède et nauséabond. Sur mon smartphone, le site météo indique un grand soleil au-dessus de ma région. Je rentre à l’hôtel et regarde une compétition d’athlétisme sur le câble. Des types sautent en longueur et je m’en fous. Ensuite, c’est des dames qui courent un dix mille mètres en petite tenue. J’essaye de m’intéresser à leurs jambes interminables, mais elles sont toutes maigres et leurs visages sont déformés par l’effort. Alors, j’éteins et je regarde la pluie tomber. Je pense à Adeline et au timing de son abandon. Je voudrais qu’elle soit là pour pouvoir l’étrangler. Puis, je pense aux vrais féminicides et j’ai honte.
19 juin.
Je prends mon petit déjeuner dans la salle de restaurant de l’hôtel, profitant du seul plaisir de ma journée, un full english breakfast. Tandis que je beurre un toast, je vois une jeune femme entrer dans le hall, tirant une valise derrière elle. C’est une petite dame insignifiante, ni jolie ni laide, pas très bien habillée et si je la suis des yeux, c’est pour chercher des indices pour valider mon intuition. Je suis persuadé qu’elle est française, mais sans savoir pourquoi. De dos, elle est plus intéressante, avec une belle croupe bien rebondie. Elle s’adresse à l’accueil et soudain se retourne vers moi, suivant visiblement du regard les indications de l’hôtesse.
Elle traverse aussitôt la salle avec le sourire, ses yeux sombres plantés dans les miens.
Comme j’acquiesce, elle se pose en face de moi, soupire un peu avant de reprendre la parole.
Elle rit un peu, sans doute pour cacher sa gêne et moi, au lieu de répondre, je reste à la regarder pour comprendre ce qu’il se passe. Je ne me souviens pas vraiment de ce que j’ai mis dans cet appel à la noix. Est-ce qu’elle est là pour ce que je crois ? Je ne peux pas m’empêcher de le lui demander.
Elle perd son gentil sourire et rougit comme un drapeau. Je ne suis pas fier de ma répartie, mais c’est sorti comme ça et je ne voulais pas qu’il y ait d’ambiguïté. C’était déjà assez pénible ici, je ne voudrais pas en plus me coltiner une folle qui croit débuter une grande histoire d’amour.
Il faut que je me taise. Je m’enfonce dans le n’importe quoi, mais pendant que je déblatère, je remarque qu’elle est devenue jolie d’avoir rougi, et maintenant, j’ai peur de la perdre avec mes âneries.
Elle retrouve le sourire et m’assure qu’elle est très autonome, avant de disparaître dans la ville. Je ne sais même pas son nom, mais je suis un peu moins abattu. Je retourne dans ma chambre pour me préparer à rencontrer le représentant de l’ennemi, un responsable des brevets de la tentaculaire multinationale qui me pille.
J’enfile une chemise quand on frappe à la porte. J’ouvre et me trouve face à deux femmes, françaises à coup sûr, je le sais aussitôt. Elles sont jolies et souriantes, une brune et l’autre blonde, peut-être intimidées.
Bon sang ! Oui, je la reconnais, c’était ma petite amie en terminale. Nous nous sommes perdus de vue lorsque je suis parti à la fac. Elle est devenue un peu boulotte, mais elle est presque plus belle aujourd’hui qu’à dix-huit ans. Et la blonde, je la reconnais aussi, nous sommes sortis ensemble l’année suivante, à la fac. Je m’exclame :
Je sais, ce n’est pas une répartie très brillante, mais ça fait beaucoup de surprises pour une seule matinée.
La porte se referme et je me demande un instant comment je vais jongler ce soir avec mon inconnue et mes deux anciennes copines. Parce que j’ai envie de jongler. J’imagine un instant des scénarios improbables, à trois, à quatre. Un instant. Ensuite, c’est chemise, rasoir, taxi, ascenseur.
Je me retrouve dans un bureau, grand comme un hall de gare, entièrement vitré, au sommet d’une tour qui domine la Tamise. Mon interlocuteur est une dame, la cinquantaine, mince, américaine. Elle me regarde entrer avec un petit air ironique et des jambes gainées de soie noire.
Elle est belle, mais elle m’agace. Pourtant, je m’assois comme elle me le demande. L’idée que sa proposition puisse être acceptable agit sur moi comme un antidépresseur surpuissant.
Elle me regarde toujours avec ce petit air supérieur qu’elle affiche depuis le début, mais je fais profil bas et prend l’air dégagé pour accepter ses conditions. Après tout, elle n’est pas trop moche et si elle tenait parole, mon enfer prendrait fin.
Une fois dans la rue, je prends la mesure de la situation. Ma soirée risque d’être plutôt compliquée. Je décide de rentrer à l’hôtel et de faire une sieste avant de paniquer. Mais, quand j’entre dans le hall, je vois quelques têtes connues qui m’attendent installées sur les canapés prévus à cet effet et je fais aussitôt demi-tour. Mon coup d’œil a été très rapide, mais j’ai reconnu une voisine de palier, l’adjointe à la mairie d’Orléans, ou Tours je ne sais plus, avec qui j’ai travaillé, et flirté il y a deux ans et une amie de ma femme. Mon appel a été visiblement remarqué. J’ai levé une armée et je ne sais pas comment me sortir de cette situation ubuesque. Comme on ne peut échapper à ses addictions, la seule solution que je parviens à imaginer est de me réfugier dans le premier pub venu. Le barman m’accueille comme si j’étais son meilleur client et me sers une Guinness sans que je ne dise rien.
C’est pourtant facile, je pense en trempant mes lèvres dans la mousse fraîche. Je vais les voir les unes après les autres et je leur dis qu’il y a eu un malentendu et que je n’ai pas de temps à passer avec elle, enfin elles. Mais je pense en descendant le quart de ma pinte pour retrouver un peu de tranquillité, que je n’ai jamais su dire non à une femme. Jamais. La seule solution que j’ai trouvé dans le passé pour quitter une femme était de déménager. A l’idée de retourner à l’hôtel et de les affronter, je transpire abondamment et je dois continuer à boire pour que la sensation passe.
C’est le moment que choisit Adeline pour entrer dans le pub. Malgré la pénombre et la cohue devant le bar, je la reconnais aussitôt. Adeline, ma femme depuis plus de vingt ans. Je ne comprends pas ce qui se passe depuis ce matin. Pourquoi est-elle là ? Comment m’a-t-elle retrouvé dans ce pub ? A part la surprise, je ne comprends pas non plus ce que je ressens. Est-ce que je l’aime encore ou est-ce que je la déteste ? Elle porte un jean délavé qui moule ses hanches et un simple tee-shirt rose avec la mention GIRL POWER en paillettes dorées. Elle s’est fait couper les cheveux. Ils sont courts, genre Jeanne d’Arc. Aurait-elle sacrifié sa chevelure pour expier sa faute ? Une chaleur suspecte m’envahit. Je n’ai pas le temps de m’interroger plus que ça car elle me parle avant même s’asseoir.
J’aime cette femme, mais je ne peux pas le lui dire. Et je ne la mérite pas. Et elle m’agace parce que son regard me rend transparent et tous mes défauts, mes manques, mes incapacités nous sautent aux yeux. Nous savons tous les deux qu’elle a essayé de me quitter parce que je deviens alcoolique et qu’elle est revenue parce qu’elle se sent responsable de moi. Elle me regarde avec cette intensité qui m’a si souvent ému.
Je n’ai aucune envie de le faire. Je suis un lâche et je ne connais que la fuite pour me sortir des situations épineuses. Pourtant, le regard d’Adeline ne me laisse pas le choix et je me retrouve à ses côtés dans le hall de l’hôtel, tous les yeux de toutes ces femmes qui ont traversé la Manche en imaginant un week-end de rêve avec un étalon romantique se tournent vers moi. Je vais jusqu’à l’accueil et le sourire de l’hôtesse m’indique qu’elle est au courant de ce qui se passe. Je lui demande de m’ouvrir un salon privé pour recevoir « mes amies » et nous voilà toutes dans une salle de conférence (le féminin n’est pas une erreur. Malgré les conventions de la langue, je pense que ma présence ne suffit pas à justifier un masculin pluriel).
Je tremble un peu et je ne regarde personne. Adeline pose une main sur mon épaule, alors je me lance :
Là, il y a des rires, des sifflets et des applaudissements. Je tente de rentrer sous terre, mais la main est toujours sur mon épaule et sa chaleur traverse mes vêtements.
Nouvelle vague de chahut. A côté, ils doivent se demander ce qui se passe dans cette salle, un congrès de cow-girls ou les groupies d’un célèbre comique.
Troisième concert de hurlements et de rire. Certaines tapent du pied par terre. Comme le principal est dit, je me sens un peu soulagé et je regarde autour de moi. Je suis sidéré par la beauté de ces femmes qui étaient prêtes à se glisser dans mon lit simplement parce que j’avais écrit quelques mots « trop mignons ». Le pouvoir du verbe. Je vois des yeux magnifiques et des bouches attirantes, des jambes parfaites et des poitrines provocantes. Si j’avais une centaine de vies, j’en donnerais bien une à chacune de ces dames. Je le pense et il semble que je le dis, ce qui accroit encore la confusion.
Adeline me chuchote à l’oreille qu’il est temps que je file à mon rendez-vous, son parfum me rappelle de délicieux souvenirs, mais je m’éclipse. Taxi, grand restaurant, vautour américaine dans une robe aussi minimale qu’improbable. Quel âge pense-t-elle avoir ? Est-ce vraiment à son avantage de me montrer ses vilains genoux et son décolleté fripé ?
Je m’ennuie pendant tout le repas. Les serveurs sont guindés et essayent de nous faire croire que nous sommes dans un lieu étoilé, mais le chef n’est pas à la hauteur. Miss Alexandra joue au jeu de la séduction comme une actrice de série B, avec des moues de petite fille et des regards à la Greta Garbo. Elle boit verre sur verre. Le vin ne le mérite pourtant pas. Après un blanc de Californie qui troue l’estomac, le « sommelier » nous propose un vin chilien qui me rappelle le vin algérien que nous achetions à bas prix à la superette près du campus. Je me demande ce que je fais là.
Je réponds par monosyllabes à la conversation insipide de mon Américaine et je fais mentalement le bilan de ma vie. Je me rends compte que je n’ai jamais su profiter des bons moments, obnubilé par la réussite à tout prix, tout ça parce que mon seul but était d’épater mon père qui ne croyait pas en moi. J’ai passé ma jeunesse, le nez dans les formules mathématiques pour décrocher un diplôme d’ingénieur, malgré mes faibles capacités intellectuelles. Ensuite, j’ai eu une idée géniale, une seule et j’ai passé les vingt années suivantes à tenter d’en faire une entreprise viable, c’est-à-dire le nez dans la paperasse soixante heures par semaine et tous les emmerdements pour occuper mes insomnies. Alors que m’occuper d’Adeline aurait dû être ma seule priorité.
Quand Alexandra me propose de rejoindre sa chambre, je dois la faire répéter car je ne l’écoute plus. Il faut dire que ses longues tirades sur tout ce qu’elle a fait de formidable dans sa vie sont tellement ridicules. Nous sortons du restaurant et je dois la soutenir pour traverser le hall de l’hôtel tant elle titube. A un moment, elle est presque couchée sur moi et un petit sein mou s’échappe de sa robe. J’essaie de le remettre en place sans la lâcher et c’est assez délicat. Pendant la manœuvre, des lumières clignotent sans que je comprenne de quoi il s’agit. Nous parvenons finalement à l’ascenseur.
Dans la cabine, elle m’embrasse, « à la française » dit-elle. Sa bouche a un goût de vinasse, son corps est collé contre le mien et je suis étonné de ne même pas bander. Une fois dans la chambre, elle disparaît aussitôt dans la salle de bains et me laisse enfin seul un instant. A travers l’immense baie vitrée, je contemple la Tamise et les tours de la City. Tout est si irréel que j’ai presqu’envie de me pincer pour me réveiller dans mon lit. Je regarde la porte et envisage de filer en douce. Mais mes brevets sont les gosses que je n’ai pas eus et je suis prêt à me battre pour eux.
Quand la dame ressort de la salle de bains, elle est nue.
Je ne sais pas répondre. Je n’aime pas son air d’ivrogne, ni son assurance. Mais elle se moque de mes réponses. Elle s’approche et s’attaque à ma braguette. Quand elle arrive à ses fins, elle s’agenouille avec ma nouille à moitié dure dans la main, prête à la prendre en bouche. Elle a dû regarder trop de films pornos. C’est à ce moment que la porte s’ouvre en grand et que mon armée pénètre dans la chambre. Il y a Adeline et une douzaine de femmes qui entrent et font comme chez elles. Elles sont aussi nues que mon Américaine et elles ont l’air particulièrement ravies de la bonne blague qu’elles sont en train de jouer. Elles rient, s’interpellent, sautent sur le lit et surtout, elles nous photographient sous tous les angles avec leurs portables. Alexandra met un moment à comprendre la situation et elle reste bêtement à mes pieds avec ma zigounette à la main, comme si elle posait.
Puis, quand elle assimile, elle se redresse, furieuse, avec ses nichons qui s’agitent dans tous les sens.
Mais personne ne lui prête attention. Adeline me roule un patin, sans doute pour me sortir de l’hébétude provoqué par leur intrusion. Les femmes dansent grâce à la musique d’une enceinte connectée qu’elles ont amenée. Elles se déchaînent sur un morceau de la Mano Negra, un hymne parfait contre l’hégémonie anglo-saxonne qui me va droit au cœur, car c’est en dansant là-dessus que j’ai rencontré ma femme, preuve que je n’ai pas fait que travailler quand j’étais jeune.
Quand ma partenaire d’un soir tente de gagner la porte, des corps se pressent en dansant devant elle et quand elle essaye de s’emparer du téléphone, c’est d’autres corps tout aussi agréables à regarder qui l’en empêchent. Finalement, elle se laisse choir sur la moquette et se met à pleurer.
C’est le moment que choisit Adeline pour arrêter de m’embrasser. Elle sort de je ne sais où une mallette d’où elle tire une liasse de documents imprimés qu’elle pose sur une petite table qui attendait sagement dans un coin. La musique se fait plus discrète et ma petite amie du lycée me fait un clin d’œil.
Je finis d’enlever mon pantalon qui était encore autour de mes genoux et je jette un coup d’œil sur la somme en question. Si l’Américaine signe, nous voilà riches pour les décennies à venir.
Résignée, elle signe et la musique repart de plus belle avec ce bon vieux « Jumpin’Jack flash ».
« Quoi qu’il arrive, la Flamme de la résistance française ne doit pas s’éteindre et ne s’éteindra pas"
Charles De Gaulle – 18 juin 1940