n° 21854 | Fiche technique | 11482 caractères | 11482 1952 Temps de lecture estimé : 8 mn |
19/06/23 |
Résumé: Un sorcier, installé dans le village depuis peu, transforme à la demande les habitants en hybrides animaux. Deux femmes en profitent pour se découvrir vraiment. | ||||
Critères: ff forêt campagne dispute mélo fantastiqu sorcelleri -fantastiq | ||||
Auteur : SulfurousGuy Envoi mini-message |
L’histoire débuta un matin, quand une jeune femme du nom de Virginie reçut une visite impromptue. C’est ainsi qu’elle me l’a racontée :
Lorsque mon amie vint me rendre visite ce jour-là, la première chose que j’ai vue, ce fut sa poitrine. Un vêtement très fin, couleur chair, la recouvrait. En réalité, c’était sa peau et je la trouvais très belle. Des branches s’enroulaient autour de son buste. La nature avait-elle élu domicile sur elle, ou bien ce côté sauvage avait-il progressé depuis l’intérieur ? Puis mes yeux remontèrent vers les immenses bois de cerfs qui dépassaient de sa longue chevelure. Je n’avais même plus besoin de regarder ses quatre pattes inférieures de biche, je savais. Je redoutais ce qui allait suivre.
Ses yeux auréolés d’un bleu pétillant me contemplaient du haut des quelques centimètres qu’elle avait dorénavant d’avance sur moi. J’aurais dû être surprise. J’aurais dû ne pas ressentir de sentiment à ce moment précis, car je n’étais qu’une amie, et les amies ne tombent pas amoureuses. Mais je faillis perdre mes moyens. Troublée, je me détournai, pour qu’elle ne voie pas mon visage. Et puis j’avais peur que mes sentiments ne m’emportent irrémédiablement. Je lançai au mur devant moi :
Du coin de l’œil, je la vis hausser les épaules d’évidence. Elle était folle de lui depuis des années, et aujourd’hui, grâce à ce sorcier arrivé au village, elle avait souhaité se montrer comme elle était vraiment. Le sorcier permettait à celui qui venait le voir de révéler sa nature profonde et de s’y incarner.
Tom, le conjoint de Monica, ne la méritait pas, cette biche, et ne l’aimait pas, au fond. Il cherchait le moindre prétexte pour l’humilier. Cette fois-ci ne ferait pas exception. Sa réaction serait terrible.
J’allais rester impuissante à la tragédie qui allait se dérouler devant mes yeux. Je devais l’empêcher. Je bénis alors l’idée qui me traversa l’esprit.
Elle fronça les sourcils :
Le bobard grossier semblait passer. La naïveté de Monica l’avait rendu plausible. Je n’aimais pas lui mentir, mais je devais la protéger. Visiblement un peu frustrée, elle piétina du sabot. Ce simple geste la rendait encore plus attirante.
Je me figeai. Tom devait être là-bas. Il était hors de question que la stratégie s’évente aussi tôt. Je la rattrapai sur le pas de la porte.
Elle se retourna :
Ses épaules se détendirent.
Puis elle me regarda avec des yeux ronds :
J’écarquillai à mon tour les yeux en entendant ce laïus sortir de mes lèvres, mais Monica ne releva pas la référence. Son esprit était si pur ! Je ne l’en aimais que plus. Je sortis un plateau du four.
Elle acquiesça et je pus venir plus près d’elle. C’était comme de vouloir approcher un animal tendu sans le faire fuir. Je restais vigilant à chacun de mes gestes. Pendant que je préparais lentement le thé, je l’observais. Elle jetait des regards furtifs autour d’elle, comme si elle évaluait son environnement. Puis je posais le service sur la table. Elle était juste derrière moi et je fermai les yeux pour savourer son parfum. Elle sentait la sève, les aiguilles de pin.
Pendant qu’elle se servait, je pouvais plus aisément réfléchir à la suite de la manœuvre. Le subterfuge n’allait pas durer longtemps, Tom allait s’apercevoir qu’elle n’était pas rentrée. Alors je pris mon portable pour l’appeler en m’isolant dans ma chambre. Je respirai un bon coup avant de composer le numéro. Une fois les salutations passées, je décochai ma flèche :
Il n’insista pas, ne chercha même pas à en savoir plus ou à la voir. Ce mec me dégoûtait, mais ça m’arrangeait, au fond. Au moins, cela me laissait le champ libre.
Quand je descendis les escaliers pour la retrouver et que je vis Monica en train de plier ses pattes avant sur une chaise, je réalisai que j’aurais un problème d’ergonomie à gérer.
Avec sa nouvelle forme, Monica ne supportait aucun siège. Je me doutais que le lit poserait aussi un problème : il s’effondrerait sûrement sous son poids. Alors nous nous sommes installées sur le tapis.
Ses gestes rapides et apeurés montraient une posture de survie, dans laquelle Monica s’était toujours placée, d’ailleurs… me dis-je en rassemblant mes souvenirs. Au moindre souffle d’air, au moindre bruit dans la cuisine, ses jolies oreilles horizontales frémissaient. J’étais vraiment en train de craquer. J’avais envie de lui toucher les seins. J’eus alors peur de ne pouvoir tenir longtemps. Malgré mes réticences, je devais hâter l’évènement.
J’appelai alors Tom le lendemain pour venir la chercher. Dans le même temps, j’informai Monica qu’il était finalement revenu plus tôt. Cependant, rien ne se passa comme prévu.
À voir la tête horrifiée du mari quand il vit la transformation de sa femme, je tentai de sauver les meubles :
Je l’entraînai dans une autre pièce. Pendant qu’il me suivait, je fulminais. J’avais du mal à contenir mon émotion devant sa réaction. Cette forme allait particulièrement bien à Monica, et si j’avais été à la place de cet imbécile, je n’aurais pas dit non.
Il haussa les sourcils.
Quand il comprit que nous n’avions plus rien à nous dire, il tourna les talons. Sans un mot ni un regard, il se dirigea vers l’entrée et claqua la porte restée entrouverte tout ce temps. Sur toute la traversée du salon, Monica, larmoyante, ne le quitta pas du regard, mais ses appels de biche n’eurent aucun effet, à part me briser le cœur. Depuis la cuisine, j’entendis la porte claquer brutalement et les brames devenir plus désespérants. Cet homme n’avait aucun cœur, comment avait-il pu gagner celui d’une âme si pure et gentille ?
Nous savions tous les trois que les sortilèges du sorcier récemment installé au village faisaient apparaître la vraie nature de la personne qui venait le consulter, et que, de ce fait, les effets étaient irrémédiables. Quelque chose de lourd chuta sur le sol. Devinant la nature de cet objet, précieux à mes yeux, je me précipitai dans le salon pour la prendre dans mes bras. Elle s’était évanouie. Cela me fit quelque chose de prendre son torse nu dans mes bras, et je m’en voulus d’y penser dans un moment si tragique.
Avec l’aide de quelques coussins, je l’installai confortablement au sol et lui mis une épaisse couverture sur les épaules, puis j’appelai le médecin, qui arriva une heure plus tard :
Je lui lançai un regard effrayé :
Il soupira, remit son chapeau et sortit.
En regardant dormir Monica, je réalisai à quel point je l’aimais. Quand nous étions petites, nous adorions courir dans la forêt toutes les deux et nous chamailler parmi les branches. Je pris des oreillers et une couette dans la chambre et m’installai à ses côtés sur le sol. Mon mari était parti il y a des années et depuis, je m’étais toujours sentie un peu seule.
Quand Monica se réveilla, ses yeux de biche, au milieu de son visage encore humain, me regardèrent avec une tristesse immense.
Elle sentait la mousse.
Ses propos brisèrent mon cœur encore une fois.
Dans la matinée, comme l’avait prévu le médecin, elle parvint à se relever, bien que difficilement, et me demanda de l’aider à marcher vers la fenêtre. Elle resta là un long moment, à contempler la forêt au loin.
Le soleil glissait sur ses jolies hanches et ses fines pattes que je dévorais des yeux. Elle continua, peu consciente de son effet sur moi :
Je tressaillis. J’aurais tellement adoré qu’elle reste ici, en ma compagnie, mais malgré mon attachement, impossible pour moi d’aller à l’encontre de son désir. J’aurais aimé lui dire combien je chérissais sa présence.
Elle se tourna vers moi :
Elle prit ma main et la baisa avec une immense délicatesse en me regardant dans les yeux puis elle se dirigea vers la porte. Quand le claquement résonna dans la pièce, ce fut à mon tour de m’effondrer en sanglot.
Les larmes s’écoulèrent, tantôt douces et tantôt amères, durant les jours suivants qui me parurent une éternité. Un matin, après une longue nuit passée à pleurer, une idée me vint. Folle, mais en y réfléchissant bien, je n’avais pas le choix. Moi aussi, rien ne me retenait dans ce monde.
Quelques heures plus tard, la femme-biche, peu effrayée par la nouvelle venue, s’approcha entre les arbres. Elle espérait sa venue depuis des jours. La femme-biche et la femme-cheval s’embrassèrent. Elles se retrouvaient enfin, sans honte. Leur passion avait bien plus de consistance que celui des hommes. Virginie lui caressa le bras nu. Il était si doux. Sa main descendit jusqu’au cuir de sa croupe. Monica pleurait des larmes de bonheur :
Elles s’étendirent dans la neige et firent l’amour, cet amour dont elles se languissaient depuis une éternité.
Leur métamorphose se poursuivit jusqu’au stade ultime. Personne n’entendit plus parler d’elles, mais on pouvait parfois voir, si on se promenait non loin du village à la lisière de la forêt, les silhouettes d’une biche et d’une jument jouant ensemble qui se détachaient dans la brume.