n° 21855 | Fiche technique | 24645 caractères | 24645 4001 Temps de lecture estimé : 17 mn |
19/06/23 |
Présentation: Ce texte rompt avec les règles de la chronologie, pour évoquer deux impératrices de Chine ayant vécu à douze siècles de distance, mais ayant en commun l’ambition, la sensualité et la cruauté. | ||||
Résumé: Wu Zetian et Tseu Hi furent une exception dans l’histoire de l’Empire du Milieu, seules femmes à exercer durablement la réalité du pouvoir. | ||||
Critères: #nonérotique #historique #personnages fh hplusag fplusag fagée nympho grossexe fdomine partouze | ||||
Auteur : OlgaT Envoi mini-message |
Collection : Histoires de femmes libres Numéro 14 |
Résumé des épisodes précédents :
Cette collection parle de femmes qui, par leur pensée, leurs écrits, la liberté de leurs mœurs, ont été des précurseurs dans l’histoire.
En croisant les destins de deux impératrices de Chine, Wu Zetian (624-705) et Tseu Hi (1835-1908), je suis consciente de transgresser doublement la sacro-sainte chronologie :
– du fait d’un « retour en arrière » par rapport aux treize précédents chapitres publiés dans cette série ;
– et parce que ces deux souveraines vécurent à douze siècles de distance.
Pour défendre cette « hérésie » chronologique, je citerai ces lignes de la romancière française, d’origine québécoise Elisabeth Vonarburg (Chroniques du pays des mères, Lévis, 1999) : « L’histoire se fait au fil des calendriers ; mais les histoires sont hors du temps. »
Il faut dire que, concubines puis épouses, Wu Zetian et Tseu Hi, qui dirigèrent chacune l’empire du Milieu pendant plusieurs décennies, eurent en commun la sensualité, l’ambition et la cruauté. Ces deux femmes font certes froid dans le dos, mais leur parcours justifie qu’elles figurent dans cette rubrique consacrée aux femmes de pouvoir et d’influence.
Ces deux impératrices furent une exception dans l’histoire de l’Empire du Milieu, seules femmes à exercer durablement la réalité du pouvoir. C’est Wu Zetian qui, nous le verrons, alla le plus loin, se proclamant « empereur de Chine », alors que Tseu Hi exerça son pouvoir « derrière le rideau », à travers son influence sur des empereurs mineurs ou fantoches.
Avant de parler du parcours de ces deux femmes, il est utile de rappeler ce qu’étaient en Chine les impératrices, en distinguant les épouses des concubines. Dans la Chine féodale, la polygamie ne fut pas réservée au « Fils du Ciel ». Le nombre d’épouses et de concubines a varié selon les souverains. Elles furent généralement une dizaine, quelquefois une centaine.
L’impératrice était la « première épouse », puis venaient les épouses secondaires et les concubines. En Chine, les héritiers étaient classés selon le « rang » de leur mère et ensuite seulement selon leur âge.
Le rôle politique de l’impératrice dépendait de ses relations avec l’empereur, et aussi des circonstances, notamment si l’héritier du trône était mineur au moment du décès de l’empereur. De ce point de vue, c’est une situation comparable à celle des Régentes du Royaume de France, telles que Blanche de Castille, Marie de Médicis ou Anne d’Autriche.
Ce système féodal prit officiellement fin avec la chute de la dynastie Mandchoue en 1911. Toutefois, comme le retrace le célèbre film de Bernardo Bertolucci, « le dernier empereur » (1987), Puyi va prolonger cette tradition de polygamie, longtemps entouré de son épouse officielle, Wang Rong, et de sa concubine et épouse secondaire, Wen Xiu. Une des scènes du film, tourné dans la Cité Interdite, montre le véritable triangle érotique du dernier empereur avec ses deux femmes.
Que la pratique se soit poursuivie jusqu’à la fondation de la République Populaire de Chine, c’est ce que montre également un autre film célèbre, celui du réalisateur chinois Zhang Yimou, « Épouses et Concubines », récompensé par un « Lion d’argent » à la Mostra de Venise, en 1991. L’histoire se situe dans les années 20, pendant l’ère des seigneurs de la guerre. Le film raconte l’histoire de Songlian, quatrième épouse du richissime Maître Chen.
Officiellement proscrites après la fondation de la République Populaire de Chine, les concubines et maîtresses étaient pourtant nombreuses dans l’entourage du « Grand Timonier ». Dans son ouvrage sur « La Vie privée du Président Mao », traduit et édité en français chez Plon en 1994, son médecin personnel, Li Zhisui décrit le train privé de Mao, véritable harem ambulant et la salle 118 du palais de l’Assemblée du Peuple, qui accueillait les relations entre le Grand Timonier et ses maîtresses. Par sa cruauté et sa lascivité, Mao, véritable « dernier empereur de Chine », n’avait donc rien à envier à Wu Zetian, qu’il admirait d’ailleurs beaucoup !
***
Les relations de l’empereur avec ses épouses et ses concubines étaient très codifiées, afin de légitimer les héritiers conçus à cette occasion. L’empereur marquait la fin de « l’acte » par une petite toux, aussitôt consignée par un eunuque qui se tenait près de la fenêtre de la chambre. Quand il s’intéressait à une concubine, l’empereur choisissait à travers la présentation de leurs noms sur des petites plaques. Convoquée, « l’heureuse élue » était alors lavée, parfumée et conduite à la couche impériale.
Beaucoup de concubines ne passaient avec l’empereur qu’une seule nuit. Certaines n’étaient même jamais appelées ou perdaient les faveurs de l’empereur. Elles étaient alors reléguées dans le harem et n’étaient pas autorisées à se marier. Les concubines impériales espéraient toutes porter un enfant de l’empereur, car elles étaient alors beaucoup mieux traitées. Elles pouvaient même espérer devenir impératrices douairières si leur fils devenait empereur.
C’est d’abord la faveur impériale qui fut à la source de la puissance de Wu Zetian et de Tseu Hi.
Dans toute l’histoire de la Chine, Wu Zetian (624-705) fut la seule impératrice régnante, même si d’autres exercèrent le pouvoir dans le cadre d’une régence ou par leur influence sur des empereurs faibles. Wu Zetian resta dans l’histoire parce qu’elle s’éleva, par ses intrigues, du rang de concubine à celui d’impératrice régnante. Sa réussite fut la conséquence de son charme et de son caractère impitoyable.
Les portraits des historiens chinois insistent sur « ses cheveux relevés, en volutes nuageuses, ses sourcils arqués comme des feuilles de saule, son nez droit et bien planté, sa petite bouche ronde et charnue, ses yeux en amande minces, son opulent décolleté que flattait la mode des robes croisées, amplement ouvertes et voilées d’un châle câlin. »
Le poète et fonctionnaire Lo Ping Wang, qui fut un de ses adversaires politiques et parmi les victimes de la répression de la révolte de 684, insiste, dans ses vers, sur sa malice et sur son charme, même à un âge avancé : « Des sourcils arqués comme des antennes de papillon / Ne consentant pas à céder aux autres femmes / Cachée derrière sa manche, elle s’applique à calomnier / Son charme de renarde a le pouvoir particulier d’ensorceler le maître. ».
Wu Zetian, appelée alors Zhao, naquit sous la dynastie Tang, qui régna sur la Chine de 618 à 907. Son père était un magistrat du Sichuan, province du sud-ouest et grenier à blé de la Chine. Zhao, lettrée et cultivée, bénéficia d’une éducation soignée, en particulier dans les domaines de la peinture, de la danse, de la musique et de la poésie. Les changements d’affectation de son père lui permirent de voyager à travers l’empire.
Très jolie adolescente, elle entra, en 636, dans le harem de l’empereur Taizong, qui régnait depuis 626. À ce moment, la jeune fille est une concubine de rang mineur. Conformément à la tradition, Zhao reçut un nouveau nom. Elle devint « Mei » et reçut un surnom conforme à sa beauté : Meiniang, qui veut dire « jolie flatteuse ».
Dès ce moment, la future Wu Zetian ne se cantonna pas à un rang subalterne et n’eut pas froid aux yeux. Elle serait ainsi devenue, dès ce moment, la maîtresse du prince héritier Li Zhi, s’affranchissant ainsi des règles du harem.
L’empereur meurt en 649. La tradition est impitoyable : toutes les épouses et concubines qui n’ont pas donné d’enfants à l’empereur sont envoyées et enfermées dans un temple. Pour ces femmes, qui ne peuvent se remarier, le destin semble scellé. La belle Mei resta ainsi trois ans au temple bouddhique de Ganyesi. C’est alors que le prince héritier, devenu empereur sous le nom de Gaozong, revit Mei, mais la morale confucéenne lui interdisait de reprendre dans son harem une concubine de son père.
La chance de Mei fut d’être un instrument de la rivalité entre l’impératrice Wang et la seconde épouse, Xiaoshufei. Wang, pour écarter sa rivale la plus dangereuse, joua avec le feu, d’autant qu’elle poussa l’empereur à violer les règles. Mei réintégra le gynécée. Gaozong en tomba follement amoureux.
Dans un premier temps, le plan de l’impératrice fonctionna : la seconde épouse fut écartée, ainsi que les conseillers qui s’offusquèrent de la violation de la tradition. Mei s’éleva peu à peu dans la hiérarchie des concubines, occupant désormais le cinquième rang. Son influence sur l’empereur ne cessa de se renforcer.
***
Quand je dis que Wu Zetian fait froid dans le dos, c’est parce qu’elle ne recula devant aucun moyen, même les plus abominables, pour parvenir à ses fins. Son premier enfant fut une fille. Wu Zetian l’aurait étouffé et, quand l’empereur découvrit le drame, elle fit accuser ses servantes, qui, pour se défendre, rejetèrent la faute sur l’impératrice ! Celle-ci fut répudiée, immédiatement remplacée par la favorite ! Cela ne suffit pas à celle-ci, qui obtint de l’empereur que l’ex-impératrice, ainsi que l’ex-seconde épouse soient exécutées, dans des conditions atroces.
En moins de quatre ans, Mei, devenue première épouse, parvint ainsi au sommet de l’empire. C’est alors qu’elle prit le nom de Wu Zetian, qui signifie « selon la volonté du Ciel ».
À 32 ans, Wu Zetian ne se contenta pas d’être la première dans la couche du « Fils du Ciel ». Ce qu’elle veut est le pouvoir, qu’elle exerça dans un premier temps à travers un mari faible et en mauvaise santé. Un peu comme le fit la terrible mère de Néron, Agrippine, au début du règne de son fils, Wu Zetian assistait aux réunions importantes, dissimulée derrière un rideau. Malheur à ceux qui osèrent s’opposer à elle, ils furent impitoyablement écartés !
Wu Zetian régna aux côtés, ou plutôt au nom de Gaozong. Devenue « Impératrice céleste », elle alla jusqu’à créer un nouveau rituel religieux annuel qui la plaça au même niveau que le « Fils du Ciel » : l’impératrice célébrait un sacrifice à la terre, alors que l’empereur sacrifiait au ciel pour que les récoltes soient fructueuses. Le régime de Mao vanta les réformes économiques et sociales poussées par Wu Zetian, en particulier la baisse des impôts, la limitation des corvées ou encore du rôle de l’armée.
Elle donna quatre fils à l’empereur. Les deux aînés, appréciés par l’empereur et les mandarins, furent successivement princes héritiers, avant d’être écartés et assassinés, car perçus comme des rivaux par la toute puissante impératrice. Les historiens chinois attribuent ces meurtres à Wu Zetian.
Le troisième fils, Zhongzong, devint à son tour prince héritier, puis empereur à la mort de Gaozang. La réalité du pouvoir resta entre les mains de l’impératrice douairière. Zhongzong, ayant voulu s’émanciper, fut très vite écarté du pouvoir, au profit du quatrième fils, Ruizong.
Wu Zetian écrasa dans le sang une révolte des princes du sang en 684, faisant mettre à mort plus de 3 000 personnes parmi la famille impériale et les mandarins. En 690, Ruizong fut rétrogradé au rand de prince héritier. Wu Zetian se proclama alors « empereur de Chine » et revendiqua sa filiation avec l’antique dynastie Zhou, qui avait régné sur la Chine pendant des siècles, jusqu’à 256 avant notre ère.
Cette revendication est un cas unique dans l’histoire, la seule autre exception célèbre, deux siècles auparavant, étant Hatchepsout, qui se proclama Pharaon, sous la XVIIIe dynastie, en Égypte.
***
Wu Zetian se comporta en tous points en empereur. Sur le plan politique d’abord, car elle dirigea elle-même ses armées et tint tout le pouvoir dans ses mains. Mais aussi dans sa vie intime !
Malgré un âge avancé, sa sensualité ne se démentit pas. Son favori fut d’abord un jeune bonze, qui la poussa à soutenir le bouddhisme. Le jeune homme, décrit comme séduisant et vigoureux, oublia ses vœux de chasteté ! En réalité, homme de basse extraction, il avait choisi de devenir moine pour pouvoir mieux approcher la redoutable et sensuelle Wu Zetian.
Après sa période bouddhiste, Wu Zetian préféra le taoïsme. Les disciples de Lao Tseu estimaient qu’une sexualité active est gage de longévité. Une recommandation qui convenait parfaitement à l’insatiable Wu Zetian. En tant qu’empereur de Chine, elle eut un harem, composé de concubins endurants, destinés à satisfaire ses appétits sexuels, qu’elle entretenait en faisant un usage important d’aphrodisiaques !
Ses deux favoris suivants furent deux frères, Zhang Yizhi et Zhang Changzong, surnommés « Monsieur cinq » et « Monsieur Six », qui se partagèrent sa couche.
Wu Zetian se lassa vite. Elle prit alors comme étalon Xue Aocao, dont les attributs virils, surdimensionnés, faisaient fuir les femmes. Wu Zetian ne pouvait se passer de cet amant, si bien pourvu, qu’elle surnomma « Monsieur Bonne Taille ». Les accouplements frénétiques de l’impératrice et de Xue furent décrits avec un luxe de détails dans un roman érotique chinois du XVIe siècle, intitulé « Le Seigneur de la parfaite satisfaction » ! Ce livre du XVIe siècle contient de longues descriptions crues, prêtant à Wu Zetian de véritables orgies. L’auteur anonyme du livre imputa à l’appétit démesuré de l’impératrice la « dégénérescence énergétique » qui épuisa et coûta la vie à son époux.
***
Xue Aocao faisait partie des confucianistes, les pires ennemis de l’impératrice. Il déplorait que sa faveur ne soit due qu’à la taille de son pénis et à son endurance. Xue obtint que Wu Zetian rappelât à la Cour son troisième fils, Zhongzong, qui redevint prince héritier. La santé de la redoutable impératrice se dégrada en même temps qu’elle fut de plus en plus contestée. Les frontières furent violées par les Turcs. Suite à une nouvelle rébellion, Wu Zetian fut contrainte d’abdiquer en 705 au profit de Zhongzong, qui rétablit la dynastie Tang. Elle se retira dans un monastère, avec tous les honneurs et le titre de « Grand et saint empereur Zetian ».
Peu avant de mourir, en décembre 705, elle fit réhabiliter ses victimes, fonctionnaires, ministres, y compris ses anciennes rivales, l’impératrice Wang et la seconde épouse, Xiaoshufei. Elle demanda à être enterrée auprès de l’empereur Gaozang, avec le titre d’impératrice.
***
Mao Zedong, autre sanglant autocrate qui gouverna l’empire du Milieu de 1949 à 1976, considérait Wu Zetian comme « une gouvernante éclairée ». Ils eurent en commun d’être des tyrans qui prétendaient réformer à marche forcée et avec une extrême brutalité la Chine. Ils rejetaient l’un et l’autre la tradition confucéenne. Enfin, Wu Zetian et le « grand timonier » furent aussi, l’un comme l’autre, jusqu’à un âge avancé, des hypersexuels compulsifs, entourés de véritables harems !
Au-delà de ce parallèle audacieux à treize siècles de distance, Wu Zetian, par sa cruauté, ses crimes, ses méthodes implacables pour parvenir à ses fins, fait penser à d’autres femmes qui, comme elle, font froid dans le dos. J’ai déjà mentionné l’impératrice romaine Agrippine. On peut aussi la comparer à la terrible Frédégonde, reine des Francs au VIe siècle. Pour autant, si Agrippine ou Frédégonde furent aussi cruelles que Wu Zetian, Agrippine ne régna que brièvement, à travers son mari Claude puis son fils Néron. Frédégonde le fit à travers son mari Chilpéric puis son fils Clotaire. Mais ni l’une ni l’autre, même si elles eurent la réalité du pouvoir, ne fut « empereur » ou « roi ». À part, dans l’ancienne Égypte, sous la XVIIIe dynastie, la célèbre Hatchepsout, qui se proclama Pharaon et régna de -1479 à -1457, il n’y eut pas dans l’histoire de destin similaire.
Ce qui caractérise Wu Zetian est l’ambition sans limites, l’absence totale de scrupules, la cruauté et une hypersexualité exacerbée et assumée jusqu’à la fin de sa longue vie. Ses crimes font évidemment horreur, combien même il y eut dans ce domaine tant de personnages masculins célèbres par leurs méfaits.
Quinze siècles plus tard, une autre impératrice exerça un pouvoir absolu sur la Chine et rappela, par beaucoup de traits, la terrible Wu Zetian : il s’agit de Cixi, ou Tseu-Hi (1835-1908), impératrice douairière de la dynastie Mandchoue, qui exerça la réalité du pouvoir en Chine de 1861 à sa mort. Celle qu’on appela la « reine dragon » ou « le vieux Bouddha » est plus connue pour sa cruauté que pour son libertinage, qui fut pourtant à la hauteur du pouvoir absolu qu’elle exerça sur la Chine pendant plus de quatre décennies.
Née sous le nom de Yéonala, elle est la fille de Huizheng, noble faisant partie d’un clan mandchou. Belle et intelligente, elle devait initialement épouser Jung Lu, le capitaine des Gardes de l’Empereur.
En 1852, l’empereur Hien Fong succéda à son père, l’empereur Tao Kouang. Yéonala fit alors partie des jeunes filles de la noblesse mandchoue destinées à devenir des concubines du nouvel empereur.
Au départ, Yéonala dut se contenter du rang de 5e concubine, alors que sa cousine Sakota devenait impératrice. Ayant été contrainte de renoncer à son amour pour Jung Lu, Yéonala n’entendait pas se contenter d’un rôle secondaire. Yéonala réussit à obtenir le soutien d’un eunuque, Li Lien Ying, qui vanta à l’empereur les charmes de sa jolie concubine oubliée.
L’Empereur fit demander la jeune femme dans son lit. À 21 ans, Hien Fong était déjà usé par les abus de la chair et de l’opium. L’empereur devint fou de sa concubine, de son esprit, de sa beauté et de sa sensualité : la première fois qu’il la fit appeler, Hien Fong passa avec elle trois jours et trois nuits, interdisant à quiconque de les déranger !
En 1856, la jeune femme donna naissance à l’héritier du trône, Zaichun, alors que, de son côté, l’impératrice ne donnait à l’empereur que des filles. Yéonala devint la femme la plus importante de l’Empire. Elle prit alors le nom de Cixi (Ts’eu-hi) : « mère vénérable ». Tseu Hi poursuivit son ascension, en complétant son éducation. Son influence sur l’empereur et les affaires de l’empire ne cessa de croître.
***
Les circonstances favorisèrent la prise du pouvoir par Tseu Hi. En 1860, Français et Anglais attaquèrent Pékin et la cour dut fuir en Mandchourie. L’empereur, devant le désastre, sombra dans la dépression et décéda le 22 août 1861.
Deux clans s’opposèrent : le premier fut constitué de deux cousins favoris de l’Empereur, les princes Yi et Zheng. C’est le second groupe que Tseu Hi soutint, avec le commandant de la garde impériale, Jung Lu, son ex-fiancé.
Yi et Zheng furent désignés comme régents, mais l’édit de l’empereur était sans valeur, Tseu Hi ayant confisqué le sceau du défunt empereur. Les deux princes firent attaquer le convoi de Tseu Hi afin d’éliminer physiquement celle-ci et de récupérer le sceau. Le complot échoua, grâce à Jung Lu, qui devint alors l’amant de Tseu Hi. Les comploteurs furent exécutés physiquement. Le fils de Tseu Hi devint empereur à l’âge de 6 ans, sous le nom de Tonghzi.
Tseu Hi, impératrice douairière, s’entoura de fidèles. Li Lien Ying devint grand eunuque, et son amant, Jung Lu, prit le titre de Grand Conseiller. Pour faire taire les rumeurs de la Cour, Tseu Hi se décida à trouver une épouse pour son amant. Ce fut Mei, sa fidèle servante.
Même quand Tongzhi devint majeur, à compter de 1873, la réalité du pouvoir resta aux mains de Tseu Hi, qui régna « derrière le rideau », au sens propre comme au sens figuré, à l’image de ce que fit à leur époque Wu Zetian, ou au début du règne de Néron, l’impératrice Agrippine.
Tonghzi, épuisé par les débauches et l’opium, mourut à 19 ans, en 1875. Sa jeune épouse était enceinte. Si elle donnait naissance à un fils, Tseu Hi serait écartée du pouvoir. Avec l’accord des dignitaires, elle fit alors un nouveau coup d’État : son neveu, le jeune Zaitian, âgé de 4 ans, devint empereur sous le nom de Guangxu. Il fut soumis au même sort que son prédécesseur. Même devenu majeur, l’empereur resta la marionnette de sa tante.
***
Tseu Hi n’était pas partageuse et ne pardonnait pas les trahisons : son favori et grand amour, Jung Lu, se mit à la tromper avec l’une des concubines de son neveu Kouang Sou, héritier potentiel du trône. Blessée dans son orgueil, Tseu Hi exila son amant et fit jeter sa malheureuse rivale au fond d’un puits !
Comme Wu Zetian à son époque, Tseu Hi se jeta alors dans la débauche : de jeunes hommes étaient amenés la nuit au palais. Malheur à ceux qui reconnaissaient l’impératrice : ils étaient immédiatement exécutés. Sa soif de débauche allait de pair avec sa cruauté !
En 1898, l’empereur Guangxu décida enfin de s’émanciper, s’entourant de conseillers décidés à moderniser la Chine, à l’exemple de ce que fut l’ère Meiji au Japon. Pour contrer cette tentative, Tseu Hi fit déclarer l’empereur incapable de gouverner, fit exécuter les conseillers réformistes et annuler ses décrets. Guangxu, déclaré faible d’esprit, fut enfermé dans un pavillon de la Cité interdite. Pujun, le fils de son proche conseiller et neveu par alliance, le prince Tuan, devint héritier du trône.
Afin de contrecarrer l’influence des puissances étrangères, l’impératrice douairière soutint en 1900 la révolte des Boxers, qui massacrèrent les chrétiens chinois ainsi que les prêtres et assiégèrent les Légations, où les « diables étrangers » s’étaient réfugiés (les fameux « 55 jours de Pékin », que raconte le film de Nicholas Ray en 1963). Cependant, l’alliance des huit nations (Allemagne, Autriche-Hongrie, États-Unis, France, Italie, Japon, Royaume-Uni et Russie) et leur corps expéditionnaire eurent raison de la révolte. Tseu Hi fut forcée de fuir la Cité interdite pour se rendre à Xi’an. Le 3 janvier 1902, Cixi put retourner à la Cité interdite à Pékin, mais après avoir été obligée de signer un traité obligeant la Chine à payer les réparations liées au conflit pendant près de quarante ans !
L’empereur Guangxu mourut le 14 novembre 1908, probablement empoisonné sur l’ordre de Tseu Hi. Avant sa disparition, Cixi nomma Puyi, un enfant de trois ans, fils du frère cadet de Guangxu, héritier du trône, sous la régence de son père. Elle mourut le lendemain. Puyi fut « Le dernier empereur », rendu célèbre par le film de Bernardo Bertolucci.
***
Les historiens insistent sur la légende noire de Tseu Hi, considérée comme responsable de la chute de la dynastie mandchoue. Il ne faut toutefois pas oublier qu’à la fin de sa vie, après la désastreuse révolte des Boxers, elle se décida à lancer des réformes, trop tard pour sauver le régime impérial. Salir l’image de Tseu Hi arrange ceux qui ne supportent pas qu’une femme se soit arrogé le pouvoir ! Depuis Wu Zetian, cela ne s’était pas produit en Chine !
Tseu Hi est, dans l’histoire officielle de la Chine, la réprouvée. De la même manière qu’après la mort de Mao, la responsable de tous les maux causés par la politique du Grand Timonier fut sa veuve, Jiang Qing, la figure de proue de la « bande des quatre ». Sans exonérer ni l’une ni l’autre, cela confirme que l’histoire est encore écrite par les hommes !
Tseu Hi tenta en vain de s’opposer aux puissances étrangères et à leurs « traités inégaux ». Elle ne put sauver un système impérial décadent et condamné. Il s’en suivit des décennies de révolutions et de guerres civiles, avant que l’Empire du Milieu ne redevienne une puissance mondiale. Mais ceci est une autre histoire !
***
Pour ceux et celles qui voudraient aller plus loin, je les renvoie aux ouvrages et liens suivants :
1 – Au sujet des impératrices, des épouses et des concubines :
– https : //www.merveilles-du-monde.com/Cite-interdite/Vie-de-l-empereur.php
– http : //voyage.chine-evasion.com/infos-pratique/les-concubines-imperiales
2 – Sur Wu Zetian :
Philippe Delorme a consacré un chapitre à Wu Zetian, dans son ouvrage « Scandaleuses Princesses » (Pygmalion, 2005)
Outre l’article de Wikipédia, je renvoie aux liens suivants sur le net :
– https : //histoireparlesfemmes.com/2016/06/06/wu-zetian-unique-imperatrice-de-lhistoire-de-chine/
– https : //www.franceinter.fr/emissions/la-marche-de-l-histoire/la-marche-de-l-histoire-04-octobre-2018
– https : //cultea.fr/qui-etait-wu-zetian-la-plus-influente-des-imperatrices-chinoises.html
– https : //atlantico.fr/article/decryptage/l-exceptionnel-destin-de-wu-zetian-plus-belle-femme-de-son-temps-et-unique-imperatrice-de-toute-l-histoire-de-la-chine-bernard-brizay
3 – Sur Tseu Hi
Juliette Benzoni a consacré à Tseu Hi un chapitre dans son ouvrage « Par le fer ou par le poison » (Perrin 2018).
Dans la collection « Les Reines de sang », deux tomes sont parus : « Tseu Hi La Dame Dragon » (Éditions Delcourt, 2015 et 2018).
Outre l’article Wikipédia, je signale les liens suivants :
– http : //www.logpateth.fr/blogpress/?p=181
– https : //histoireparlesfemmes.com/2013/02/19/cixi-imperatrice/
– http : //titisbolgiguinet.blogspot.com/2015/12/rehabiliter-tseu-hi-limperatrice.html
À suivre : (15) « Colette, la romancière scandaleuse »