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n° 21901Fiche technique19281 caractères19281
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Temps de lecture estimé : 14 mn
15/07/23
corrigé 15/07/23
Présentation:  Il s’agit d’un texte que je viens d’envoyer pour un concours local. Les contraintes étaient de ne pas dépasser les 20 000 caractères et d’intégrer la phrase que je cite en résumé.
Résumé:  Le vent souffle dans ma tête tout le temps, il chasse les nuages, les gros, ceux qui font couler les yeux. C’est bien pratique le vent…
Critères:  fh vacances plage amour exercice -prememois
Auteur : L'artiste  (L’artiste)      Envoi mini-message
Feux d'artifice

Mercredi 12 juillet 2023




Le 14 juillet, pensé-je. Quelle importance les gens prêtent-ils donc à cette date ? OK, OK, la prise de la Bastille, la Révolution, la chute de la monarchie, mais aussi des milliers de morts dans un bain de sang… Pour en arriver à quoi ? Les têtes couronnées sont certes tombées, mais nos dirigeants actuels ne nous considèrent pas moins pour des pommes et j’en décapiterais bien encore quelques-uns. Il aura fallu attendre cent une années avant que ce morbide événement ne soit décrété férié… Ils ont du coup eu le temps de cogiter, dans les hautes sphères, n’auraient-ils pas pu le placer en septembre, en octobre ou en novembre, ce fameux 14 juillet ? Voire mieux, pourquoi pas un 21 janvier ? Ça, au moins, ç’aurait été lourd de sens… Franchement, un jour chômé au beau milieu des vacances, ça nous fait une belle jambe !


Nous pourrions aussi bien profiter, Emma et moi, de notre tranquillité pour nous baigner à la rivière, puis nous allonger à l’ombre d’un vieux chêne, seuls et à poil, sereins, les voyeurs et autres pervers étant partis mater de la viande fraîche au cap d’Agde.

Vous l’avez compris, les moutons, la populace, la fête nationale, le clairon et risquer un carcinome sur les plages méditerranéennes n’est pas vraiment mon dada ! Malgré tout, plein d’entrain, je lui réponds :





*



Emma, ma meilleure amie ! Cela fait presque un an qu’on est cul et chemise… un an que j’en pince pour elle, j’étais déjà sous le charme au premier jour de fac. Elle ne paraît pas s’en apercevoir, ou fait semblant de ne rien voir. Moi, je suis un grand timide. Les filles, elles m’impressionnent. Je ne suis pourtant pas vilain, enfin, je ne crois pas… juste maladivement introverti. Donc, Emma : plutôt mourir que de lui déclarer ma flamme… j’aurais trop peur de me prendre un vent et de passer pour un naze ! N’allez pas lier cette crainte de me faire remballer à un ego surdimensionné, car ce que l’on peut penser de moi, je m’en fous pas mal, mais en ce qui la concerne, c’est différent. J’attends donc patiemment, bien qu’en vain, un signe de sa part. Je fantasme aussi souvent que, ne résistant pas à l’envie de m’embrasser, elle se jette à mon cou. Je sais, je sais… on peut toujours rêver !


Nous passons la soirée ensemble. On écoute de la zic, on mate des séries Netflix et l’on médit sur nos ex-profs et ex-camarades de fac. Bien entendu, nous n’avons jamais de gestes déplacés, cela dit, j’adorerais goûter à l’ivresse de ses baisers, la dénuder, effleurer sa peau… découvrir son corps, l’aimer, ELLE, passionnément !

Ce ne sont pourtant pas les occasions qui manqueraient. Par exemple, nous venons de sortir sur la terrasse prendre l’air… Certes, on étouffe dans une chambre de 10 m2 en plein été devant un écran d’ordinateur, mais dehors il ne fait pas si chaud ; du coup, après un frisson, elle me dit :



Et voilà que nous nous asseyons à même le sol. Entre mes genoux, enserrée dans l’étau de mes bras et son dos tout contre mon torse, elle expire lascivement.

Quelques minutes s’écoulent ainsi ; pas un mot, pas un son… Mon cœur s’emballe et une tempête de désir me traverse l’esprit. Alors que ce souffle passionné me transporte et que la bise nocturne lèche nos peaux, nous admirons la voûte étoilée… Pourrait-il y avoir contexte plus romantique ? Je hume son délicat parfum à grandes et lentes inspirations et me blottis tout contre elle, cherchant le courage de me lancer. Elle m’interrompt dans mon élan :



Que voulez-vous répondre à ça ? Est-elle si naïve ? M’allume-t-elle ? « En confiance », super ! Maintenant, si je lui saute dessus, je la trahis. Souhaite-t-elle que je fasse le premier pas ? À quelques centimètres de mes lèvres, la chair de son cou m’appelle irrésistiblement. Mes mains quitteraient bien aussi ses hanches pour glisser jusqu’à ses seins, tout juste recouverts d’un léger textile laissant deviner deux tétons dressés par la fraîcheur de la température ambiante… de plus en plus bouillante me concernant.

J’ai envie d’elle, de l’étreindre passionnément. Le désire-t-elle également ? Dans le doute, je préfère m’abstenir et me contente de la serrer un peu plus fort.





Jeudi 13 juillet 2023



Emma passe me récupérer et s’annonce de deux coups de klaxon qui, bien entendu, me réveillent en sursaut d’une nuit beaucoup trop courte.


« Déjà neuf heures ? », maugréé-je, encore à moitié groggy. D’un bond, je m’extirpe du plumard et fonce à la salle de bain en entendant la porte d’entrée se refermer sur mon amie.



Ma brosse à dents en bouche, j’enfile à la va-vite mon jean tout en m’exclamant :



Descendant quatre à quatre les escaliers, je la retrouve, debout dans le hall, toute mignonnette malgré un air un tantinet contrarié, certainement dû à mon retard.



Je récupère le sac préparé la veille avec le nécessaire à notre escapade méditerranéenne, pique dans l’armoire de la cuisine un paquet de pains au chocolat (ou chocolatines, c’est selon…) et me voilà fin prêt.




*



L’Opel Corsa, vingt ans d’âge, de ma copine, prend enfin la route. Nous nous élançons tête baissée dans l’arène, dans la gueule du loup, dans la cohue estivale. Faut-il quand même que je l’aime, mon Emma ! En sa compagnie, le masque est tombé, je me sens moi-même, naturel, sans craindre un quelconque jugement. C’est simple, on est sur la même longueur d’onde, interconnectés. Nous sommes certes très différents sur bien des points, mais jamais en conflit, comme si nos divergences pouvaient se compléter, se marier, se nourrir l’une de l’autre. Eh oui ! j’ai l’impression de la connaître depuis toujours, que nous sommes tous deux les atomes complémentaires d’une unique molécule, les polarités covalentes d’un aimant, le yin et le yang. Avec elle je me sens libre de tout dire, de tout faire, de tout… tout sauf… mais putain, pourquoi ce blocage ? Si je me leurrais ? Si elle ne partageait pas mes sentiments ? Si… Je préfère vivre d’espoir plutôt que de le voir se briser.


Elle est superbe au volant. L’air s’engouffrant par la fenêtre restée ouverte fait danser ses cheveux, dégage sa nuque, et sa petite jupe plissée qui échoue au-dessus de son genou a tendance à remonter légèrement à chaque débrayage, à chaque freinage. J’y poserais bien ma main, moi, sur sa cuisse, mais ne risque finalement ni l’incident diplomatique ni l’accident.


À défaut de la Marseillaise qui pourtant aurait été de circonstance en cette période, Rage Against The Machine résonne dans l’habitacle. Emma me parle d’elle, je l’interroge :



Emma s’esclaffe, ma réflexion semble l’amuser.





*



En bout de nationale, Port-Vendres apparaît encastré entre deux flancs de colline, en bord de mer. L’appart se trouve le long des quais accueillant encore quelques rares chalutiers, à quelques centaines de mètres des criques. Cet ancien port de pêche est mignon comme tout, bien loin des résidences « cages à lapins » de la majorité des stations balnéaires occitanes qui, selon moi, dénaturent le paysage côtier.


Alain, son père, nous reçoit tout sourire. Les retrouvailles sont émouvantes. L’homme ne correspond pas du tout à l’image que je m’en faisais, alors que je l’imaginais bourru et sévère, la peau tannée par le soleil, c’est finalement un personnage assez frêle et très sympathique qui m’apparaît. Après avoir étreint chaleureusement sa fille, il se tourne vers moi et me tend la main.



Me voilà donc rangé à « juste un ami, rien de plus ». Mais quand comprendra-t-elle que je suis mort d’amour ?


Alain nous a préparé un festin pour nous accueillir : deux pizzas surgelées et un rosé de Collioure. Père et fille discutent, se racontent leur vie respective ainsi que diverses anecdotes. Je reste en retrait, en observateur, ne sachant trop quoi dire.


Le repas avalé, le gendarme doit reprendre du service et nous laisse un double des clefs de l’appart. Il ne pourra poser de permes que dans quelques jours : « la semaine du 14 juillet, c’est tout le monde sur le pont ! » clame-t-il en se mettant au garde-à-vous. « À ce soir, les amoureux… et soyez sages pendant mon absence ! »





*



La crique de l’Huile (l’Oli, en catalan), une petite étendue de galets entre mer et rochers. Sous la chaleur étouffante, nous nous installons. L’endroit est noir de monde… je lutte contre ma claustrophobie naturelle et tente d’ironiser.



Lui non plus ne couvrait déjà pas grand-chose, mais l’action s’avère terriblement sensuelle… Sitôt dénudés, nous nous précipitons vers les vagues pour nous rafraîchir. La baignade est source de jeux, mais aussi de rapprochements : on s’éclabousse, on chahute, nos corps se frôlent, se collent. J’ai bien failli l’embrasser une paire de fois, je nous sentais complices… Pourtant lassé, je sors de l’eau avant elle qui souhaite en profiter encore et l’attends sur ma serviette. Je la guette.



Un gars au look de surfeur accompagné d’un petit groupe de jeunes m’interpelle. Surpris, je lui réponds :



Emma s’approche, radieuse. L’eau ruisselle sur sa peau, scintillante. Une goutte glisse de sa poitrine et chemine doucement, tortueusement jusqu’au nombril pour finir par s’y loger, hypnotisant mon regard…

Elle interrompt sa marche un instant, me sortant de ma rêverie, semble surprise, puis s’exclame « J’y crois pas ! Éric, c’est bien toi ?! », avant de s’élancer en sa direction. Mon cœur cesse de battre. L’étreinte s’avère franche et sincère. Ma gorge se noue. Il lui enserre la taille, les mains posées, à plat, sur ses omoplates. Les deux corps sont soudés, peau contre peau, la magnifique poitrine féminine écrasée contre le torse viril, et ne paraissent pas souhaiter se séparer. Le monde s’écroule, mon univers vacille, la tête me tourne.


Pourquoi ne m’a-t-elle pas parlé de cet ami qui devait nous rejoindre ?


Toute la clique s’installe avec nous, m’oppressant. La serviette d’Éric échoue à côté de celle d’une Emma rayonnante. Son sourire, ses yeux étincelants, ses mimiques la rendent encore plus adorable, en particulier la façon dont elle se mordille la lèvre inférieure en lançant des regards de braise… qui ne me sont malheureusement pas destinés. J’enrage. Le souffle de désir ressenti hier se change en un orage grondant… les éclairs me brûlent les entrailles, me consument de l’intérieur. Je sais, c’est ridicule, nous ne sommes pas en couple et ma jalousie est excessive, mais pourquoi m’a-t-elle demandé de venir ? Elle ne comptait tout de même pas sur moi pour tenir la chandelle !


La journée se poursuit ainsi, les deux semblant très proches… intimes. Plus je les sens complices, plus le ciel s’obscurcit et menace ; mes espérances s’envolent. Je reste donc en retrait et rumine ; eux se remémorent leurs bons souvenirs communs et en créent de nouveaux.




*



La fin d’après-midi se conclut à Collioure, les amis d’Emma nous ont quittés, mais nous ont promis de nous retrouver le lendemain pour les feux du 14… J’ai hâte !


Le restau situé presque les pieds dans l’eau derrière le clocher du village est ma foi assez sympa. La marinade estivale s’est calmée, les touristes commencent à déserter la plage, le club nautique voisin range son matériel, la température se fait plus clémente, l’ambiance générale deviendrait presque apaisante. J’observe, songeur, un goéland sur une table proche de la nôtre. Il semble serein et pas le moins du monde effrayé par notre présence ; j’envie la quiétude qu’il dégage, la liberté qu’il symbolise.



Alors qu’Émilie repart en nous gratifiant de son plus beau sourire, Emma s’interroge.



Si minime… le sol s’effrite sous mes pieds, l’orage a tout balayé sur son passage, l’ouragan a disloqué mon cœur, mon âme saigne. Je ne peux m’en prendre qu’à moi, cela fait longtemps que j’aurais dû lui déclarer ma flamme. Alors oui, la tourmente qui a soufflé cet après-midi aurait pu nourrir de la colère, mais n’a finalement engendré qu’un profond désespoir… j’ai laissé filer la femme que j’aime.





Vendredi 14 juillet 2023



Grasse mat, pique-nique et plage sont au programme. La tempête est passée, laissant place au calme plat… « pétole », comme diraient les marins ! Je me sens vide, rien ne m’intéresse, rien ne m’émeut plus.




*



Comme convenu avec Éric et sa bande, nous montons les retrouver en fin d’après-midi à la tour Madeloc, afin d’avoir un panorama sur les différents feux d’artifice qui seront tirés depuis la côte. Le 14 juillet : un petit pas pour la République, un naufrage me concernant.


Éric et ses potes ont déjà investi les lieux, ils ont amené avec eux quelques packs de bières et une enceinte afin de saturer de bruit l’atmosphère de cet endroit au demeurant si calme, comme si le silence leur faisait peur. J’étais pourtant bien, moi, à l’écart de toute cette agitation… toute cette exubérance m’insupporte, aujourd’hui plus encore. Je repense au goéland d’hier, sur la terrasse de « Derrière le clocher », et me surprends à souhaiter m’envoler pour planer au gré du vent et des courants ascendants, loin de tout ce vacarme et de la folie des hommes.


Contre mauvaise fortune bon cœur, je décapsule une canette et admire le paysage, seul, assis sur une pierre. Ça s’agite dans mon dos, ça se raconte des blagues, j’entends par moment Emma rire aux éclats, exacerbant ma jalousie. Ils ne sont en fait pas si méchants et l’ambiance, je dois le reconnaître, est plutôt bienveillante. Pourquoi suis-je si timide ? Alors que je devrais me mêler au groupe, être plus sociable, participer à la fête et me battre, encore, pour conquérir ma douce, je reste là, maussade, à noyer ma peine dans le houblon. Je ne la mérite pas, et puis elle semble si heureuse, Éric a bien de la chance.


Une grande couverture a été installée à même le sol afin d’accueillir tout le monde, quelques boîtes de pizza sont posées en son centre. Emma m’appelle :



Effectivement, il est déjà 23 heures. Une légère tramontane s’est levée, mais encore trop faible pour compromettre les festivités… Quel dommage ! Je les rejoins donc pour m’asseoir, bougon, auprès de ma muse qui m’a si lâchement abandonné.



Effectivement, les villes côtières s’illuminent une à une, de mille feux multicolores. Je dois reconnaître que la vue est fantastique… J’en prends plein les mirettes et contemple.


La troupe si agitée tout à l’heure se retrouve stoïque, pantoise devant un tel spectacle ; seuls quelques « Oooh » admiratifs résonnent à la moindre explosion de fusées pyrotechniques. Alors que la magie du moment dissipe presque tous mes soucis, un doigt vient à la rencontre des miens. Ce rapprochement qui aurait tout aussi bien pu être fortuit se concrétise. Le contact se fait plus franc, Emma enveloppe maintenant ma main de la sienne, tendrement. Le vent souffle dans ma tête tout le temps, il chasse les nuages, les gros, ceux qui font couler les yeux. C’est bien pratique le vent… Ce soir, il m’apporte un espoir, me comble de bonheur et évince mes craintes, mes réserves et mes doutes.


À en croire les exclamations de notre entourage, les différents bouquets finaux sont certainement lancés. La tramontane a forci, balayant mon visage. Mon cœur tambourine désormais dans ma poitrine comme s’il voulait s’en extraire, la chair de poule investit ma peau, une douce chaleur irradie pourtant mon corps… Emma vient de poser sa tête sur mon épaule et me susurre tendrement ces quelques mots portés par une brise :





*



1. À Collioure, au bout de la plage Saint-Vincent, perchée sur un rocher, se trouve une petite chapelle du même nom datant du XVIe siècle. Cet endroit était le point de rendez-vous des jeunes qui souhaitaient flirter. Lorsqu’un Colliourenc en pinçait pour une fille, il lui proposait de l’accompagner pour écouter le chant du poulpe derrière cette fameuse chapelle… Il s’agissait donc d’une façon plus courtoise, et surtout plus poétique, de faire la cour à l’élue de son cœur. La légende est restée et a maintenant donné son nom à un cocktail. Nul doute qu’Emma attendait impatiemment qu’Arthur se décide enfin…