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n° 21903Fiche technique25035 caractères25035
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Temps de lecture estimé : 18 mn
16/07/23
Résumé:  la chaleur, la nudité, la jeune fille et la mort.
Critères:  voisins grossexe contrainte policier -policier
Auteur : Amateur de Blues            Envoi mini-message
Canicule

Il fait si chaud cette nuit qu’Anne n’arrive pas à dormir. Elle est allongée nue sur son lit et la fenêtre est ouverte, mais elle transpire tout de même et le drap est humide sous elle. La rumeur de la ville entre dans sa chambre et elle écoute les dernières voitures qui circulent, les voix des fêtards qui sortent des bars, des rires et des cris. La solitude l’écrase et elle sent les larmes affleurer ses paupières.


Dans un sursaut de combativité avant l’apitoiement sur soi-même, elle se lève et prend la troisième douche de la soirée. L’eau glacée l’électrise et elle se sent tout de suite mieux, mais maintenant elle a envie d’un verre et elle avait pourtant décidé de ne pas boire ce soir. Elle ne se rappelle plus vraiment pourquoi elle avait pris cette décision héroïque et elle se retrouve sans y penser dans la cuisine en train de se servir une dose d’alcool.


Depuis qu’elle vit seule, Anne a une passion pour le Cognac. La première gorgée lui brûle l’œsophage, mais elle sait que la suite descendra toute seule et qu’à la fin de la dose, elle devra mener un nouveau combat pour ne pas se resservir. Le verre à la main, elle passe au salon prendre l’air sur son minuscule balcon.


Elle est toujours nue, mais qui peut la voir, au milieu de la nuit, sur le balcon d’un appartement où aucune lumière n’est éclairée ? Sa résidence est faite de plusieurs petits immeubles et de son balcon, elle a vue sur les cuisines de l’immeuble voisin. Les fenêtres sont ouvertes et les lumières éteintes, de grands trous noirs dans la façade avec parfois une diode électrique qui veille sur un plan de travail.


Et puis soudain, dans une de ces cuisines, un étage en dessous du sien, un frigo s’ouvre et sa lumière bleutée éclaire un corps, celui d’un homme qui cherche quelque chose de frais. Comme elle, il est nu et l’éclairage du frigo illumine son profil, son bras musclé, sa poitrine velue et surtout un sexe énorme qui pend devant lui, long et épais, comme une trompe d’éléphant. Anne n’a jamais rien vu d’aussi impressionnant. Elle est fascinée, mais cela ne dure pas : le frigo se referme et l’inconnu disparaît dans l’obscurité de son appartement.


Anne n’a jamais vu de films pornographiques et a connu si peu d’amants. Elle reste pétrifiée, immobile, tandis que son imagination galope. Elle rencontre l’inconnu près des boîtes aux lettres, il l’invite chez lui, elle joue enfin avec ce membre magnifique. Elle peut le caresser autant qu’elle veut, le prendre dans sa bouche. L’histoire est si convaincante qu’elle se sent défaillir, les jambes comme du coton.


Mais ce n’est qu’une histoire. Quand elle reprend ses esprits, elle est toujours aussi seule. Il fait toujours aussi chaud. Elle doit travailler le lendemain. L’inconnu d’en face ne revient pas dans sa cuisine, alors elle abandonne son guet et retourne s’allonger sur son lit aux draps froissés.



Le matin, il fait un peu plus frais. Anne déjeune dans sa cuisine, la radio allumée. En tartinant sa biscotte, elle pense à l’inconnu de la veille. Elle se demande comment le rencontrer. Elle voudrait au moins le voir de plus près pour savoir s’il est juste un fantasme ou si c’est un homme vraiment attirant. Pendant ce temps, un journaliste égraine les nouvelles à la radio, mais ce n’est qu’un fond sonore, elle ne l’écoute pas.


Et maintenant, dit le journaliste, malheureusement un nouveau fait divers dans le quartier des docks. Une nouvelle fois, une jeune femme a été retrouvée violée et étranglée à son domicile. Je vous rappelle que c’est la deuxième fois en quelques semaines, dans ce même quartier, avec beaucoup de similitudes entre les deux affaires. Est-ce qu’on a affaire à un tueur en série ? Les enquêteurs n’excluent pas cette possibilité et lancent un appel à témoin. La victime, comme dans l’autre affaire, a probablement ouvert la porte à son assassin puisqu’aucune effraction n’a été constatée.


Anne rêve en mangeant sa biscotte. Puis elle s’habille en vitesse, elle est en retard. Et la voilà qui dévale les escaliers parce que l’ascenseur est occupé. Elle saute dans un bus bondé. C’est comme ça tous les jours, son quotidien. Dans le bus, elle ne regarde personne, pense toujours à son presque voisin. Mais quand elle lève les yeux, elle croise un regard, les yeux sombres d’un homme debout un peu plus loin qui la mange des yeux.


C’est inhabituel. En général, elle passe plutôt inaperçue avec ses vêtements bon marché et ses rondeurs banales. Mais là, les minutes passent et l’intérêt de l’homme ne faiblit. Grâce à de brefs coups d’œil, Anne constate qu’il est plutôt pas mal, grand, mince, habillé tout en noir avec un air sévère dont il ne se départit pas. Quand leurs regards se croisent, il ne détourne jamais la tête, c’est Anne qui doit vite faire semblant de s’intéresser à ce qui se passe au-dehors pour éviter de perdre contenance.


Finalement, elle descend à son arrêt et l’inconnu reste dans le bus. Elle travaille, elle déjeune avec ses collègues, mais elle n’oublie pas l’incident. Un homme nu dans la nuit, l’inconnu du bus, c’est peut-être le signe qu’il va enfin se passer quelque chose dans sa vie. Cela vient peut-être d’elle. Elle a enfin fait le deuil de sa dernière liaison et est prête pour une nouvelle aventure. Pendant cinq ans, elle a partagé la vie d’un homme. Elle l’a aimé très fort, puis un peu moins et leur vie commune a fini dans une acrimonie indigne. Quand il est parti en la traitant de conne, elle avait tout d’abord été soulagée.


Ensuite, elle avait regretté d’avoir perdu le meilleur de sa jeunesse avec un type qui n’en valait pas la peine. Pendant toutes ces années, le sexe n’avait pas eu beaucoup d’importance. Elle n’y prenait pas beaucoup de plaisir, car son compagnon était quelqu’un d’assez routinier, sans imagination et en plus, il avait tendance à éjaculer beaucoup trop vite. Elle avait cru que cela n’était pas le principal dans leur relation, mais aujourd’hui, elle se sent excitée et se dit qu’elle aimerait faire l’amour avec un bel étalon, sans penser à rien d’autre qu’à son plaisir.

La journée passe vite et il y a même un moment assez drôle : quand son idiot de chef la félicite pour la synthèse qu’elle a faite de la réunion hebdomadaire, elle rougit et imagine ce gros quinquagénaire la prendre en levrette dans un flash. Alors elle éclate de rire et il ne comprend pas pourquoi.


En rentrant chez elle, elle regarde les hommes dans le bus, mais personne ne s’intéresse à elle. Arrivée à l’entrée de sa résidence, elle hésite un instant, mais ne peut s’empêcher d’entrer dans le hall du bâtiment voisin du sien pour regarder les noms sur les boîtes aux lettres. Cela ne lui apprend rien, évidemment, mais elle reste songeuse à la pensée de rencontrer l’inconnu au gros sexe. Que pourrait-elle lui dire s’il arrivait maintenant ? C’est alors qu’elle avise une affichette à côté des boîtes aux lettres. Il y aura une fête de voisins dans le jardin de la résidence vendredi soir, c’est-à-dire dans deux jours. Tandis que son esprit s’envole, elle essaye de comprendre à qui cette affiche s’adresse. Est-ce seulement pour les habitants de ce bâtiment ou pour toute la résidence ? Elle est rassurée en voyant le même flyer dans son immeuble, à côté de sa boîte. Elle ira à cette fête et rencontrera sûrement l’homme nu de la cuisine. Bien sûr, cette fois, il sera habillé.


Le soir, la chaleur persistant, elle ne peut résister au désir de revoir cet homme dans sa cuisine et elle passe sa soirée dans le noir, près de sa porte-fenêtre ouverte. Il ne se passe rien, mais elle scrute. Dans sa cuisine, la radio parle toute seule, sans personne qui l’écoute.


On commence à bien connaître le fonctionnement de ces tueurs en série, dit un expert quelconque, mais Anne ne l’écoute pas, puisqu’on a maintenant la conviction que les différents meurtres du quartier des docks ont été commis par le même individu. Et dans ce fonctionnement, il y a malheureusement un écart entre les différents passages à l’acte qui diminue avec le temps. C’est comme si le soulagement apporté par l’action durait moins longtemps à chaque fois. Et donc, aujourd’hui, les enquêteurs sont inquiets, car ils pensent qu’ils vont découvrir une nouvelle victime d’un jour à l’autre. C’est pourquoi ils lancent cet appel à toutes les jeunes femmes qui vivent seules. Soyez prudentes, ne recevez pas d’inconnu chez vous, même s’il a l’air parfaitement sympathique.


La radio n’est qu’un fond sonore pour Anne qui plonge son regard dans la nuit, rêvant à des choses inavouables, glissant parfois la main dans sa culotte pour se caresser lentement sans jamais pouvoir atteindre l’extase. Pour cela, elle sait qu’il lui faudrait la vue du membre exceptionnel de son presque voisin et malheureusement, il est absent ce soir ou bien il n’a besoin de rien dans sa cuisine.


Le sexe qu’elle a entrevu lui semble surtout exceptionnel parce qu’elle n’en a pas connu beaucoup, trois ou quatre à peine, et que le dernier en date, celui qu’elle a eu régulièrement en main pendant cinq ans, n’avait rien de très attirant. Frisant le ridicule quand il n’était pas bandé, il ne devenait jamais vraiment gros et dur et il avait la fâcheuse habitude de cracher son jus bien avant qu’Anne en tire un plaisir quelconque. Elle avait fini par se dire que le sexe n’était pas une activité si intéressante, au fond, et que la tranquillité d’une vie de couple, comme tout le monde, était sa priorité. Tout ça pour ça, se retrouver seule aujourd’hui, prête à s’offrir au premier venu et guetter ainsi dans le noir.

Pourtant, elle n’a pas attendu en vain. La fameuse cuisine s’éclaire et un homme entre dans la pièce. Ce n’est pas celui de la dernière fois. Pourtant, il est nu aussi. Combien d’hommes nus y a-t-il dans cet appartement ? Celui-ci est beau, grand, blond, mais il a un sexe tout à fait ordinaire et il ne fait aucun effet à Anne. Elle est déçue, mais elle le regarde quand même. Que va-t-il faire, celui-là ? Il cherche quelque chose dans un tiroir. Il lui tourne le dos et elle contemple ses fesses musclées, mais non, ce n’est pas son genre. Trop blond, trop mince.


C’est alors que l’autre homme, celui qu’elle attendait, entre à son tour. Ou du moins, il n’entre pas vraiment, il reste à la porte, il s’appuie d’une épaule contre l’encadrement et il regarde le grand blond un moment. Il semble toujours aussi puissant, son sexe est toujours aussi gros, mais cela n’a pas l’air important pour lui. Il dit quelque chose à l’autre homme et puis il appuie sur l’interrupteur. Aussitôt, la pièce est plongée dans le noir et Anne ne voit plus rien.


Cette nuit-là, comme la précédente, elle ne dort pas beaucoup. Elle part fatiguée au travail. Il fait trop chaud, même tôt le matin. Dès qu’elle monte dans le bus, elle regarde les passagers pour tenter de retrouver l’homme de la veille, celui qui la déshabillait du regard, mais il n’est pas là. Ah si, il est là, il monte deux arrêts après le sien. Tout d’abord, il ne la remarque pas et elle peut l’observer. Il est vraiment pas mal, toujours vêtu de noir avec ses cheveux très bruns impeccablement coiffés. Puis il tourne la tête vers elle et elle cesse de le regarder. Elle cesse même de respirer un instant avant de se reprendre. Ce n’est qu’un inconnu dans le bus. Il ne va rien se passer, comme d’habitude.


Mais quand elle descend à son arrêt, elle constate par un rapide coup d’œil qu’il descend derrière elle. Son cœur bat plus vite. C’est un truc de collégien de suivre une inconnue dans la rue. Anne se retient de marcher plus vite, ce qu’elle ferait spontanément, comme si elle était poursuivie. Son cœur bat trop vite, c’est idiot. D’ailleurs, comme elle n’ose pas se retourner, elle ne sait pas s’il est derrière elle ou s’il a continué son chemin sans se soucier d’elle. Pour le savoir, elle s’arrête à une terrasse pour boire un café. Après tout, elle arrive toujours à l’heure au travail. Elle pourrait bien être en retard pour une fois.


Dès qu’elle s’assoit, l’inconnu en noir est là, debout devant elle.



Il s’assoit et le serveur s’avance. Ils commandent et attendent en silence, comme d’un commun accord, que le jeune homme revienne avec leurs cafés. Anne tente de sourire à l’inconnu, mais il se contente de la regarder avec cet air sévère qui ne l’a pas quitté. Il est impossible de savoir ce qu’il pense.



Et il s’en va sur le trottoir à grandes enjambées sans se retourner. À son travail, Anne pense et repense à cette drôle de rencontre. Elle décide de rester positive. Cet homme était bizarre, mais en tout cas, il était tombé sous son charme. Ce soir, elle ira à la fête de la résidence et rencontrera peut-être l’amant de ses rêves. Sur le bureau de sa collègue, tout près d’elle, il y a un journal gratuit distribué à la sortie du métro. Le titre principal concerne un nouvel assassinat de jeune femme dans son quartier. Le mode opératoire est toujours le même. On est sûr maintenant qu’il s’agit d’un tueur en série. Mais Anne imagine qu’elle joue avec le membre viril de son voisin. Elle ne voit rien.


Le soir, elle prend une douche, enfile une petite robe d’été légère et se parfume avant de descendre dans le jardin de la résidence. Quand elle arrive, il y a déjà beaucoup de monde, des gens qu’elle ne connaît que de vue, des enfants qui courent et qui crient. Mais « LE » voisin, celui qu’elle cherche des yeux depuis le premier instant, n’est pas là. Pas encore, se dit-elle, et elle se dirige vers une grande table où chacun a posé sa bouteille, du vin, de la bière, du cidre et divers jus de fruits. Elle hésite un instant.



Elle se retourne et c’est lui. Il est mal rasé, il sourit comme un idiot et elle essaye désespérément de ne pas le regarder en dessous de la ceinture.



Il a tout ce qu’il faut sur une petite table, de la menthe, du rhum et de la glace pilée qu’il sort parcimonieusement d’une glacière. Anne peut admirer ses biceps quand il secoue le mélange dans un shaker en argent. Elle le remercie, trempe ses lèvres et le félicite sincèrement parce que la boisson est parfaite. Ils commencent à parler de la chaleur qui les écrase, mais ils sont interrompus par d’autres voisins qui réclament des mojitos. Anne pense qu’il l’a déjà oublié, mais dès qu’il a un instant de libre, il se tourne vers elle avec un merveilleux sourire. Elle le veut, cet homme ! Elle a l’impression que c’est la première fois de sa vie qu’elle veut vraiment un homme.


Ils parlent de tout et de rien, de leur travail – Tony est ambulancier –, de la résidence. Des voisins passent, se mêlent à la conversation puis s’éloignent, et eux, ils restent ensemble. Anne enfile les mojitos comme des verres de jus de fruits et sa tête tourne. Elle a l’impression que le temps ne passe pas, que c’est un rêve, hypnotisée par les yeux noirs d’Antoine, fascinée d’être aussi près de cet énorme sexe dont elle n’oublie jamais la présence.


Les gens rentrent chez eux les uns après les autres, mais eux, ils restent là, à parler encore, à grignoter des cacahuètes et des chips. Ils continuent d’échanger sur tous les sujets, l’art, la politique et ils voient qu’ils s’entendent bien. Anne précise qu’elle est célibataire et Tony parle de son coloc qui ne pouvait pas être là ce soir, car il travaille, il est infirmier.


Ensuite, ils font partie du dernier carré qui range les tables pliantes et les chaises. Ensemble, ils ramassent les emballages et les croûtes de pizza abandonnées. Au moment de se séparer, Tony pense qu’il va au cinéma le lendemain, voir le dernier film de Wim Wenders et il demande à Anne si elle a envie de l’accompagner. Elle accepte bien sûr.


La journée qui suit passe trop lentement au goût de Anne. L’homme aux yeux noirs est à nouveau près d’elle dans le bus, mais quand il descend à son arrêt, elle lui fait remarquer dès qu’ils sont sur le trottoir qu’elle n’a pas le temps de lui parler. Dès qu’elle le peut, elle s’échappe de son bureau climatisé pour se précipiter chez elle. Elle essaye trente-six robes avant d’en choisir une, la plus courte, parce qu’elle veut que son futur amant puisse voir ses cuisses quand elle sera assise dans la salle obscure.


Ils se retrouvent devant le cinéma, dans la chaleur étouffante du début de soirée. Anne apprécie à nouveau le sourire éblouissant de son nouvel ami et ils se précipitent à l’intérieur pour profiter de l’air climatisé. Le film est… c’est toujours compliqué Wenders, magnifiquement filmé, mais compliqué à suivre et Anne n’arrive pas à se concentrer. Ses yeux quittent toujours l’écran pour se poser sur le profil de son voisin, la mâchoire carrée, le nez droit. Parfois aussi, elle laisse son regard traîner sur la bosse de son pantalon et elle ne peut s’empêcher d’imaginer qu’elle y pose sa main. Mais elle ne le fait pas, elle se contente de mouiller sa culotte avec son imagination débridée.


Antoine ne quitte pas souvent l’écran des yeux. Il a l’air concentré d’un étudiant. En plus de le désirer, elle tombe amoureuse de cette concentration-là. Parfois, tout de même, il se tourne vers elle et lui sourit. Elle attend la suite qui ne vient pas. Alors elle essaye de suivre ce qui se passe à l’écran, mais elle décroche encore et elle attend la fin du film, se demandant ce qu’il va lui proposer ensuite.


Finalement, au bout de deux heures et demie, ils se retrouvent en face l’un de l’autre, dans la nuit, sur le trottoir brûlant. Tony parle du film avec enthousiasme, dit qu’il est ravi de ne pas avoir été seul à le voir parce que c’est toujours mieux quand on peut en parler après. Anne y voit un sous-entendu et se lance :



Elle voit tout de suite que c’est une erreur. L’air gêné de Tony est éloquent.



Anne s’enfuit. Elle a le visage écarlate et le ventre brûlant. Elle n’a jamais eu aussi honte de sa vie. Une fois enfermée chez elle, elle sait qu’elle ne pourra pas dormir. Les instants passés reviennent en boucle et la torturent. Comment peut-on être aussi stupide et prendre ainsi ses rêves pour la réalité ? Un verre de Cognac, un deuxième, ce n’est qu’au troisième qu’elle trouve un peu d’apaisement. Que va-t-elle devenir ? Comment rencontrer quelqu’un ? Un moment, elle songe à sortir sur le balcon, mais la honte revient. Pour voir quoi ? Deux hommes qui n’ont pas besoin d’elle pour se faire du bien ? C’est alors qu’on sonne à la porte. Il est presque minuit.


Elle hésite un peu, elle titube dans le couloir, mais elle ouvre la porte. C’est sûrement lui. Elle a peut-être mal compris. Ce n’est pas lui, c’est l’autre, l’inconnu du bus, l’homme aux yeux noirs, aux cheveux noirs, aux vêtements noirs. Il a même des gants noirs, ce soir, et sous l’éclairage blafard du palier, il a l’air extrêmement pâle, presque vert, comme s’il était malade.



Mais elle ne finit pas sa phrase, car l’homme avance une jambe pour bloquer la porte. Ses chaussures aussi sont noires, de grosses rangers de l’armée, bien cirées. Les évènements se précipitent, Anne n’arrive plus à accommoder, il la bouscule et il entre, s’avance jusqu’au séjour et elle ne peut que le suivre.



Il se laisse alors tomber sur le canapé, comme s’il était chez lui, tandis qu’Anne se tient debout, les bras ballants, un pli marqué entre les deux yeux comme si elle essayait intensément de comprendre la situation, mais elle est trop ivre pour y parvenir. Elle ne porte que sa culotte et un grand tee-shirt rose décoré d’un nounours qu’elle a enfilé avant d’aller ouvrir. Elle se sent si vulnérable et elle l’est.



Comme elle refuse, oh, sans parler, juste en secouant la tête, il bondit de sa place et sa grande main gantée de noir la saisit à la gorge, serrant son cou si fort qu’elle n’a plus d’air pour respirer.



Le sale type retourne sur le canapé tandis qu’Anne, hébétée, descend lentement sa culotte le long de ses jambes. Curieusement, plutôt qu’à un moyen de s’en sortir, elle pense qu’elle est négligente et qu’elle aurait dû s’occuper de son buisson plutôt hirsute depuis des jours. Elle enlève ensuite son tee-shirt et ses petits seins ballottent un moment. Quand elle regarde l’homme, il a sorti un gros sexe violet et sale et il se masturbe.



Anne ne bouge pas, tétanisée, absente à elle-même.



Et elle s’approche, comme un animal domestique qui craint son maître. Dès qu’elle est à sa portée, le sale type l’attrape par le poignet et la projette sur le canapé à côté de lui. Puis, avant qu’elle ait la moindre chance de se ressaisir, il se couche sur elle et la pénètre brutalement en même temps que ses deux mains se serrent sur son cou.



Anne comprend qu’elle va mourir et sa seule pensée est qu’elle l’a mérité, que cela devait arriver pour la laver de sa honte. Elle cherche désespérément de l’air, elle se débat un peu, mais si peu. Le monstre ne relâche pas sa prise, il est sur le point de jouir.

À cet instant, on entend une voix dans l’entrée, quelqu’un qui appelle : « hou hou, Anne, vous êtes par-là ? ». Le violeur bondit hors du canapé comme s’il avait reçu une décharge électrique au moment où le beau Tony entre dans la pièce et ils se retrouvent face à face. Tony jette un œil à la jeune femme, son visage violet et l’air qu’elle tente d’absorber comme un poisson hors du bocal et il comprend la situation. Il lâche le moule à cake qu’elle avait oublié après la fête au jardin.



Il a un couteau à la main, une lame longue et pointue, mais Tony ne tergiverse pas. Il a travaillé des années en psychiatrie et il sait s’occuper des patients récalcitrants. Il écarte l’arme d’un grand geste du bras, remonte son genou dans les testicules qui pendouillent et envoie son coude sous le nez de son adversaire. Le nez craque et l’homme s’effondre sur le tapis. Alors, sous les yeux d’Anne qui n’arrive pas à comprendre ce qu’elle voit, il roule l’affreux dans le tapis et s’assoit sur le paquet pour reprendre son souffle.


Quand Anne reprend ses esprits, elle se rend compte que Tony la regarde en souriant et qu’elle est nue. Elle attrape un plaid pour s’en envelopper et elle se rend compte qu’elle n’a plus honte. Cet homme ne l’a pas rejetée. C’est un nouvel ami et il le restera.



S’ils avaient pu aller sur le balcon, ils auraient vu Laurent nu dans sa cuisine en train de confectionner une mousse au chocolat pour l’amour de sa vie.