Ce texte simili-historique utilise une trame générale que j’ai déjà exploitée dans un précédent récit assez ancien.
Cette présente histoire reste assez soft, malgré quelques saynètes.
Bonne lecture : )
Préambule
De retour d’une série de victoires éclatantes dans les contrées du Nord, emporté par son élan, le Maréchal de la Tourette décida de faire un petit détour afin d’envahir le Grand-Duché de Coursansax (orthographe francisée) pour son propre profit. Malheureusement pour lui, il subit inopinément une lourde défaite totalement imprévue dans laquelle il trouva malencontreusement la mort, à la stupéfaction générale du Continent et de toutes les Cours, grandes comme petites.
- — Le Maréchal de la Tourette est mort vaincu !? Comment diable est-ce possible !? Cet homme était le Dieu de la Guerre en personne !
- — Il faut croire qu’il est tombé sur un diable plus puissant qu’un dieu…
Sans doute renseigné par ses espions, l’information est une arme plus puissante que l’épée, le fils puîné (Eudes de Coursansax) du Grand-Duc avait fermement pris les choses en main, car tout le monde autour de lui se lamentait, acceptant déjà une fatale défaite. Bien que jeunot, Eudes mit en place un splendide traquenard qui ne laissa aucune chance à l’attaquant trop confiant.
Quelques mois plus tard, une expédition punitive se dirigea vers le Grand-Duché pour rétablir l’ordre des choses : en clair, un grand royaume se doit de mater un simple duché, fut-il nommé « grand ». Même scénario, un nouveau traquenard (différent du premier) pulvérisa l’armée envahissante, propulsant définitivement Eudes au titre d’héritier. Pour sceller la paix, le roi voisin Bohémond XVIII offrit alors sa fille aînée au vainqueur, la transmission de couronne se faisant par la lignée mâle. À la surprise générale, là aussi, le mariage fut heureux et dura douze ans, jusqu’à ce que la maladie emporte l’épouse, laissant le nouveau Grand-Duc éploré.
Entre-temps, neuf ans après le double épisode malheureux, Bohémond XIX succéda sans heurt apparent à son père, malgré un manque évident d’imagination pour les noms royaux. Dans la foulée, il épousa une des filles de son meilleur allié du Sud, Marie-Bertille, mais ce mariage est purement politique, les deux époux n’ayant quasiment aucun atome crochu.
Le rôle de la nouvelle Reine est d’offrir des héritiers. Quoique…
- — On murmure que la Reine possède une inclination pour les personnes de son sexe…
- — On murmure bien des choses, mon cher Comte. Ce qui est certain, c’est que le garçonnet qu’elle a mis au monde en début de mois est indubitablement l’enfant de notre Roi.
- — Indubitablement, comme vous dites… Ou bien, c’est l’un des oncles du nouveau-né qui en est le vrai père…
- — Que voulez-vous, on murmure bien des choses…
Si la nouvelle Reine n’a franchement pas éveillé l’intérêt de son conjoint, d’ailleurs, c’est réciproque, elle s’entend beaucoup mieux avec les deux jeunes frères du Roi. Ce qui fait parfois jaser. Certaines mauvaises langues disent que Bohémond n’aurait pas dû naître en premier, mais en troisième position dans l’ordre dynastique.
Eudes et Bohémond, les beaux-frères, cohabitent plutôt bien, même si certaines personnes ne digèrent toujours pas l’affront d’une armée royale platement vaincue deux fois par un petit Grand-Duché. Mais depuis sa première démonstration, Eudes de Coursansax prouva plus d’une fois qu’il n’est pas bon de se frotter à lui en écrasant d’autres armées adverses, grâce à un très bon sens de la stratégie, combinée à une tactique irréprochable, et surtout grâce aux traquenards très meurtriers en tout genre qu’il savait mettre en place avec la patience d’un horloger.
- — Monseigneur, vous êtes obligé d’occire ainsi tous vos ennemis, du premier au dernier ?
- — Je sais que ce n’est pas fort chrétien, mais un ennemi mort est un ennemi qui ne revient plus vous faire la guerre.
Depuis, les pays voisins et limitrophes préfèrent vivre en bonne entente avec le Grand-Duché, plutôt que de devenir la risée du continent et de risquer des révolutions de palais, comme ce fut le cas par deux fois dans des contrées voisines. Car souvent, quand le souverain montre un signe de faiblesse, c’est signe qu’il faut le remplacer.
Certaines personnes appellent ça la monarchie tempérée par l’assassinat…
Invités de choix
Plaçons-nous à présent à l’époque de notre histoire, c’est-à-dire un peu plus de deux ans après le décès de l’épouse du Grand-Duc, la grande sœur de Bohémond XIX.
Même si Bohémond XIX est un jeune roi fougueux, sauf avec la Reine, qui rêve d’être un grand conquérant, ses généraux l’y aidant à nouveau dans le Nord, il sait qu’il convient pour l’instant de ménager son ex-beau-frère veuf. C’est ainsi qu’en ce mois de mai, il est reçu fastueusement par Eudes dans une demeure proche de la frontière.
Quand on est jeune, plutôt beau, en bonne santé et très bien placé dans la hiérarchie, il est facile d’avoir du succès auprès des Dames, c’est une évidence. Depuis quelques mois, Mademoiselle Anne-Henriette de Paliguette est la favorite officielle du jeune roi, et contrairement à ses consœurs, elle semble vraiment éprise.
- — Ah, Bominou, que je suis heureuse avec vous !
- — J’en suis fort aise, Anne-Henriette. Mais je préfère que vous m’appeliez plutôt Bohémond, les surnoms que vous me donnez sont trop puérils…
Malgré le fait que le ciel soit apparemment sans nuage, malheureusement pour sa favorite, le jeune souverain s’est déjà lassé, et louche énormément sur Madame Gabrielle de Montgagnant, une femme un peu plus âgée, mais très experte en la matière et n’ayant pas froid aux yeux, ni au décolleté qu’elle a ravageur. Mais comme la sûrement future favorite en titre est une femme mariée, Mademoiselle de Paliguette sert à présent de paravent, et malgré sa naïveté, elle a fini par en prendre conscience.
Comme il convient d’avoir les coudées franches, le Roi s’entretient avec le mari de la Dame convoitée, un brave homme assez au fait des choses militaires :
- — Monsieur de Montgagnant, je vous confie la mission d’aller inspecter toutes nos places fortes de notre royaume, et d’y mettre bon ordre.
- — À votre service, votre Majesté.
Personne n’est dupe, y compris le mari qui y gagne un sérieux avancement et divers titres qui s’accompagnent de monnaies sonnantes et trébuchantes. D’ailleurs, il est parti guilleret faire sa longue tournée, accompagné de jour comme de nuit d’une gente demoiselle totalement inconnue, dont il semble fortement proche.
Les tentatives de « re-séduction » de Anne-Henriette sont hélas bien faibles, elle n’est pas femme confirmée dans la galanterie, ni experte dans l’art d’enchaîner les hommes. Elle ne possède pour elle que sa bonne volonté et son réel amour. Elle redoute le jour où sa déchéance sera confirmée, et que les deux seules solutions seront le mariage avec un homme qu’elle n’aime pas ou le couvent. Quoiqu’il existe aussi une troisième option, celle de passer de vie à trépas, aidée par le poison d’une concurrente, un dénouement qui n’enthousiasme pas beaucoup la demoiselle, ce qui est fort logique.
En attendant, elle essaye de faire bonne figure, ayant été obligée d’accompagner le Roi et la Cour dans le Grand-Duché. Si Bohémond XIX est bien parti pour tourner la page, il agit parfois de façon blessante, sans s’en rendre compte, légèrement aiguillé et aiguillonné par sa nouvelle Dame de Cœur qui veut démontrer ainsi sa toute-puissance.
Bien entendu, Eudes de Coursansax est parfaitement au courant de la situation. Il n’entretient pas à grands frais un réseau de renseignement pour des nèfles. C’est tout juste s’il n’a pas un espion infiltré dans la chambre royale, voire sous le lit. Quoique…
- — Bon, allons de ce pas recevoir Bohémond et toute sa suite. Je sens qu’il va y avoir du spectacle, en plus de ceux que je vais donner cette semaine !
Descendu du grand escalier pour accueillir son ex-beau-frère, Eudes dissimule difficilement un sourire amusé face le ménage à quatre qui se présente sous ses yeux : le Roi (qu’il connaît assez bien), la Reine (qu’il a déjà rencontrée diverses fois, et qu’il plaint d’être l’épouse du premier), la future Maîtresse en titre (dont il se méfie ataviquement, malgré l’évidente beauté) et enfin la future ex-Maîtresse (qu’il découvre avec grand plaisir).
C’est en dévisageant pour la première fois cette dernière qu’il pense : Décidément, Bohémond est aveugle, il ne voit pas plus loin que le bout de son nez !
Entouré d’une partie de sa propre cour, Eudes accueille chaleureusement ses invités. Il baise la main de chacune des Dames, et s’attarde un peu plus sur celle de la future délaissée.
Les festivités s’enchaînent les unes aux autres durant trois jours, banquets, ballets, comédies, sans que ce soit trop tape-à-l’œil et ostentatoire : il ne conviendrait pas de vexer l’orgueil souvent mal placé du visiteur-Roi. Volontairement, Eudes réussit à faire bien avec peu, ce qui ne met pas à mal ses finances. Une pierre, deux coups.
Ce soir se donne une comédie-ballet, un genre très affectionné par tous. Grâce à un tour de passe-passe fort diplomatique, la Reine et Anne-Henriette sont dans la loge du Grand-Duc, tandis que le Roi est dans une autre loge avec Gabrielle, sa nouvelle folie dispendieuse du moment.
Quelques minutes après le début du spectacle, Gabrielle de Montgagnant persifle à l’oreille de son royal amant :
- — Pff, tout est dans le faux-semblant !
- — Sans doute, mais curieusement, je me divertis plus ici que lors des fêtes données chez nous, alors que les nôtres sont certainement plus onéreuses !
- — Des habits cousus d’or et de diamants le valent bien.
Songeant à certaines dépenses, le Roi grimace fugacement :
- — D’où je suis assis, je ne saurais distinguer s’il s’agit d’or ou de peinture jaune… Mais connaissant notre hôte, je parie qu’il s’agit plutôt de peinture, il n’est pas du genre à jeter l’or et l’argent par les fenêtres… Sans parler du verre qui remplace aisément le diamant…
- — Bohémond, il convient de savoir tenir son rang…
- — Le vôtre surtout…
- — Parce que je le vaux bien !
- — Assurément…
Le spectacle se poursuit devant eux, déployant mille séductions et éclats. La maîtresse royale se penche à nouveau vers son voisin, lui faisant admirer au passage son décolleté qui dévoile sans complexe ses aréoles :
- — Quand allez-vous laver l’affront ?
- — Croyez-vous qu’il soit sage de parler de ça ici, dans l’antre du principal concerné ? Le Grand-Duc est sans doute l’homme le mieux informé du monde !
- — Peu importe ! Vous êtes Roi d’un grand royaume fort riche, au moins vingt fois plus vaste que ce misérable Duché parsemé de montagnes.
- — Vingt-trois fois, précisément. Il faut choisir, Madame : ou bien nous dépensons l’or pour des fêtes coûteuses, ou bien pour des armées bien entretenues.
Surprise par cette répartie à laquelle elle ne s’attendait pas, Gabrielle de Montgagnant se tait momentanément, puis elle revient peu après à la charge :
- — Levez donc de nouveaux impôts !
- — Il convient de tondre la bête et non de l’écorcher. De plus, les dernières récoltes n’ont pas été fameuses. Et ne me dites pas que nos paysans doivent brouter de l’herbe, certains le font déjà. Non, la conjoncture n’est point propice. Sauf si nous sacrifions la plupart des ballets et autres divertissements. Sans parler d’une certaine demeure en cours de construction.
La jeune femme agite son éventail devant son visage pour cacher sa moue crispée :
- — Bohémond, il convient de savoir tenir son rang…
- — Vous l’avez déjà dit, ma chère amie. En attendant, contemplons ce beau spectacle, même si les perles et les parures sont fausses. D’autant que je ne vois toujours pas la différence entre vrai et faux.
Du coin de l’œil, le Roi regarde dans l’autre loge sa future ex-maîtresse qui semble captivée par la scène. Une certaine nostalgie s’empare de lui, se disant qu’il entendait moins d’exigences quand il était dans les bras d’Anne-Henriette, se laissant griser par son entrain spontané dénué d’arrière-pensées. Ça manquait sans doute de panache, de clinquant, mais c’était spontané, sincère.
Mais il convient de savoir tenir son rang de grand Roi…
Échanges de bons procédés
Le lendemain, pour se changer les idées, Anne-Henriette est en train de se balader seule dans le parc. Plus personne de la Cour royale ne lui accorde le moindre intérêt, sachant que sa cause semble perdue, sauf éventuellement quelques rares âmes charitables. Dûment averti, Eudes se fait un plaisir de la rencontrer par inadvertance. Heureuse d’avoir quelqu’un avec qui parler, après les salutations de rigueur, la jeune femme se laisse un peu aller :
- — Vos spectacles sont vraiment… vraiment… euh… spectaculaires !
- — Je vous remercie, mais ceux-ci sont plutôt en carton-pâte.
- — N’est-ce pas le but du théâtre comme du ballet ? Du faux semblant qui fait rêver ?
Ils se mettent à discuter durant un long moment. Doucement, mais sûrement, Eudes entraîne volontairement son interlocutrice vers un endroit plus écarté du parc. Assise sur un banc, mise en confiance, Anne-Henriette se révèle petit à petit, laissant poindre ci et là un certain désarroi concernant son avenir :
- — Vous comprenez, Monseigneur, je ne sais pas ce que je vais devenir, n’ayant pas de parent haut placé, ni même d’appui. Je vois bien que tout le monde m’abandonne…
Elle ajoute précipitamment :
- — Sauf… sauf vous… Depuis que je suis arrivée en ces lieux, vous avez toujours été prévenant à mon égard. Je… je ne vous ennuie pas avec mes soucis ?
- — Si c’était le cas, j’aurais trouvé déjà un prétexte pour vous quitter. J’ai peut-être une solution pour résoudre vos soucis.
- — Ah bon ? Laquelle ?
Il convient de savoir pousser son pion au bon moment. Eudes capture la main de la jeune femme :
- — Que diriez-vous d’être mon épouse, Anne-Henriette ?
Stupéfaite, la jeune femme s’exclame, les yeux grands ouverts :
- — V-votre… votre é-é-épouse !?
- — Ne serai-je pas un mari acceptable ? À moins que vous ne préfériez le couvent…
Totalement ébahie, la jeune femme se tait, mais n’en pense pas moins. La main de Anne-Henriette toujours dans la sienne, Eudes continue sur sa lancée :
- — Vous savez très bien que votre disgrâce définitive n’est plus qu’une question de jours. Et même si vous aimez sincèrement le roi, c’est en pure perte.
- — Je ne le sais que trop bien…
- — Moi, je vous propose d’être heureuse, de vous offrir une vie agréable, loin des tourments d’une Cour agitée par les médisances et les complots.
- — Vous y avez vécu, Monseigneur ?
La réponse tombe comme un couperet :
- — Assez pour ne plus y revivre. Mais assez, aussi, pour savoir y dénicher les pépites.
La jeune femme rosit, son nouveau soupirant en profite pour lui demander :
- — Si vous voulez me faire plaisir, Anne-Henriette, laissez tomber ce « Monseigneur » trop protocolaire, et appelez-moi Eudes tout simplement.
Sa main toujours captive, Anne-Henriette sourit timidement, puis elle tente d’argumenter :
- — Vous avez été marié à une vraie princesse, la sœur du Roi. Pourquoi vouloir de moi qui ne suis même pas duchesse ou comtesse ?
- — Ma descendance est assurée, j’ai le droit de penser à moi. J’ai eu le coup de foudre pour vous à la seconde où je vous ai vue descendre du carrosse royal.
- — Mais de là à faire de moi votre femme !
- — Dans ce cas, à défaut d’être mon épouse, soyez d’abord ma maîtresse.
Un timide sourire se dessine sur son mignon visage :
- — Vous ne perdez pas le nord, Monsei… euh… Eudes ! Pourquoi voudriez-vous d’une simple demoiselle qui est la future ex-maîtresse de votre ex-beau-frère qui est aussi le souverain d’un pays voisin qui aimerait beaucoup conquérir votre Grand-Duché ?
- — Vous me confirmez que mon pays est toujours sur la sellette ?
Anne-Henriette soupire :
- — D’après ce que je sais, plusieurs Grands aimeraient laver l’affront fait il y a plus d’une décennie…
- — Je n’en doute point, mais pour l’instant, vos Grands savent que c’est risqué.
- — Pas tous… Dans l’absolu, notre Roi inclinerait bien à cette aventure, lui aussi, mais il est plus prudent. Il m’a confié une fois que son père lui avait révélé quelques secrets avant de décéder, et que certains d’entre eux vous concernent.
Assez surpris par cette confidence, Eudes s’étonne :
- — Des secrets me concernant ?
- — Tout ce que je sais est : même un tigre peut être tué par un porc-épic. Ne m’en demandez pas plus…
- — Belle sentence… Mais je vous rassure, je n’ai pas l’intention d’utiliser mes piquants envers votre gracieuse personne.
Rosissant à nouveau, la jeune femme regarde son voisin :
- — Honnêtement, j’aimerais vous croire, mais… comment dire… ce n’est pas que j’ai peur de vous, mais vous me faites penser parfois à de l’eau qui dort…
- — C’est une image que j’aime renvoyer…
- — Et compris le fait que cette eau qui dort cache un Léviathan ?
Égayé, Eudes se met à rire :
- — Hahaha ! Pourquoi pas, en effet !
Puis lâchant la douce main de la jeune femme, il redevient sérieux :
- — Chère Anne-Henriette, puis-je compter sur une réponse de votre part avant que vous ne repartiez d’ici deux jours ?
- — Vous me mettez à la torture, Mons… euh… Eudes…
- — Le choix est pourtant simple : vous dites oui ou vous dites non.
Elle se tord les mains :
- — Je sais, mais… malgré tout, j’éprouve encore des sentiments pour Bo… euh, pour le Roi, même si je ne devrais pas.
- — Ah ça, c’est évident qu’il ne mérite pas votre amour désintéressé.
- — Ce… ce n’est pas facile, vous savez… Si… si je vous dis oui et que je reste ici avec vous, ça risque d’être intéressé, ne croyez-vous pas ?
Eudes pousse plus loin son pion :
- — Vous êtes franche et spontanée, j’aime beaucoup. Parlons clairement : votre intérêt à vous est-il d’être humiliée à la Cour ? Est-il d’aller végéter dans un obscur couvent en repentir d’avoir aimé un homme qui ne vous méritait pas ? Ne parlons même pas d’un mariage mal loti, afin que vous cédiez la place avec un soi-disant lot de consolation.
- — Je… Et puis, Eudes… serais-je à la hauteur de vos attentes ?
- — Assurément, chère Anne-Henriette.
Elle ne répond pas tout de suite, un sourire crispé sur les lèvres. Puis elle reprend :
- — Je… je ne comprends pas… Vous pouvez avoir toutes les femmes que vous voulez, et c’est moi qui…
- — Toutes les femmes, vous exagérez, Anne-Henriette…
La jeune femme respire un grand coup, puis regardant son voisin dans les yeux, elle lâche :
- — La plupart des femmes seraient très heureuses d’entendre votre proposition si… si inattendue… Mais… pourquoi moi ? Je ne suis rien du tout sur l’échiquier politique ! Je ne représente aucune alliance !
- — Comme je vous l’ai déjà dit : j’ai envie de me faire plaisir.
La jeune femme rougit un peu. Elle objecte :
- — Mais de là à ce que je sois votre épouse…
- — Vous avez déjà évoqué le cas… Oui, je pourrais envisager de faire de vous ma maîtresse, puis un beau jour, vous abandonner. Mais quelque chose me dit que vous valez nettement plus que d’être une simple passade.
Abasourdie, Anne-Henriette devient cramoisie. Le Grand-Duc continue :
- — Savez-vous pourquoi ma petite contrée résiste si bien à la pression de ses puissants voisins ?
- — Je… je sens que vous allez me le dire.
- — Parce qu’il convient de prendre l’initiative pour ne pas être le jouet des circonstances. C’est aussi simple que ça !
La dernière syllabe prononcée, Eudes la capture dans ses bras et l’embrasse fougueusement. Surprise, elle se laisse faire, puis dans un faible sursaut, elle semble résister mollement, avant de s’abandonner.
Rapport au Roi
Alors qu’il vient d’arriver presque en courant dans les appartements de prestige, à moitié essoufflé, le Surintendant confie au Roi qui était seul sur place, si on excepte quelques gardes :
- — Sire, il semblerait que le Grand-Duc soit arrivé à ses fins.
- — Comment ça ? De quoi parlez-vous, Monsieur de Bertelier ?
- — Je parle de Mademoiselle de Paliguette, votre Majesté…
- — Mais encore ?
- — Il y a une grande possibilité qu’elle ne soit pas du voyage de retour.
Le jeune Roi écarquille les yeux :
- — Quoi ? Comment ce diable d’homme fait-il ?
- — Il applique peut-être sa méthode militaire envers les femmes.
- — Il faut le croire ! Je croyais que Anne-Henriette était folle de moi !
Le Surintendant explique diplomatiquement :
- — Elle est toujours folle de vous, ça se voit dans son regard, mais je pense que le Grand-Duc lui a fait entendre raison. Maintenant, la voie est libre…
- — Mais le paravent n’est plus…
- — Ce n’était plus qu’une question de jours ou éventuellement de semaines, votre Majesté.
Fronçant des sourcils, le Roi a un geste agacé :
- — Oui, je savais que le terme était proche, mais je préfère quand c’est moi qui décide !
Puis, il se tourne posément vers son visiteur :
- — Que savez-vous de plus ?
- — Monsieur le Grand-Duc aurait embrassé par surprise Mademoiselle. C’est ce qui se dit.
- — Par surprise ? Ça ne m’étonne pas de lui ! C’est un spécialiste des traquenards !
- — De ce qu’on m’a rapporté, le traquenard a complètement désarçonné votre maîtresse. Puis Monsieur le Grand-Duc a ensuite entraîné ailleurs sa conquête.
- — Ah ? Et ensuite ?
Le Surintendant a un geste d’impuissance :
- — Ça, nous l’ignorons. Mais une heure plus tard, ils étaient côte à côte en train de deviser, et l’ambiance était bonne.
- — Ne me dites pas qu’ils auraient…
- — Je ne pense pas, mais il y a fort à parier que notre hôte ait avancé d’autres arguments pour ranger définitivement Mademoiselle dans son camp.
Fort perplexe, Bohémond XIX s’interroge :
- — Pourquoi s’enticher d’Anne-Henriette ? Il existe bien d’autres femmes plus profitables pour lui, bien des alliances bénéfiques !
- — Eudes de Coursansax a toujours mené sa barque comme il le souhaitait, je ne vous apprends rien à ce sujet. Des enfants, il en a déjà, sa descendance est assurée et elle n’est point des moindres puisque vous en êtes l’oncle. Mademoiselle de Paliguette est à son goût, c’est évident depuis que nous sommes arrivés ici. De plus, il a sans doute apprécié sa bonne nature, ainsi que deviné son potentiel.
Entendant ce dernier mot, le jeune Roi s’étonne :
- — Sa bonne nature, soit. Mais quel potentiel ?
- — Pour ma part, je crois que Mademoiselle de Paliguette est juste en train d’éclore. Je ne pense pas me tromper à ce sujet.
Crispé, le récent souverain s’emporte :
- — Billevesées ! Je sais très bien que vous n’appréciez guère Madame de Montgagnant, mais de là à tenter de me donner des regrets ou des remords !
- — Ce n’était pas mon but, votre Majesté. Je ne faisais qu’émettre un avis personnel sur Mademoiselle de Paliguette. Quant à Madame de Montgagnant, je reconnais qu’elle est assurément une maîtresse d’un tout autre niveau.
Le vieil homme se tait. Devinant des non-dits, le jeune homme lui dit :
- — Parlez sans crainte…
- — Madame est intelligente, ambitieuse et voluptueuse. Sans oublier une très bonne répartie souvent cruelle et une solide culture.
- — C’est aussi mon avis. Elle est donc parfaite, ne pensez-vous pas ?
- — C’est un grand feu qui brille assurément…
- — Auriez-vous peur que je me brûle ?
- — Vous pourriez être très échaudé…
Légèrement agacé, Bohémond s’approche de la fenêtre :
- — Je vous remercie de votre sollicitude à mon égard. Madame de Montgagnant est plus piquante, plus épicée, voire plus intrépide, c’est un fait. Mais je suis le Roi, et aucune femme n’aura d’ascendant sur moi ! Vous pouvez disposer, mon cher Bertelier.
Le Surintendant s’incline, puis se dirige vers la porte à reculons. Si le Roi voyait l’expression de son visage, il serait peut-être moins affirmatif concernant sa certitude au sujet des femmes.
Un clou en chasse un autre
L’heure du départ approche. Madame de Montgagnant affiche publiquement la mine réjouie de celles qui ont gagné, sa rivale restant sur place. Curieusement, le roi semble moins joyeux. Il arrive à s’isoler momentanément avec son ex-maîtresse :
- — Vous restez donc ici…
- — Je crois que c’est mieux pour tout le monde, ne croyez-vous pas ?
- — Je trouve que vous avez vite accepté la nouvelle situation.
À la grande surprise du jeune homme, Anne-Henriette devient toute rouge de colère contenue :
- — Que pouvais-je faire d’autre, Bohémond ? Votre décision était prise depuis longtemps ! J’ai fait ce que j’ai pu avec mes moyens, mais comment lutter contre une telle intrigante ?
- — Je vous défends de dire du mal de Madame de Montgagnant !
Les yeux de la jeune fille lancent des éclairs :
- — Ah oui ? Elle ne se gêne pourtant pas d’en prononcer allégrement sur mon dos ! Le pire est que vous l’approuvez sans réserve ! Vous pensiez que j’étais ignorante de toutes ses médisances acérées ?
- — C’est que…
- — Je vous ai sincèrement aimé, Bohémond, oh oui… et vous m’avez jetée tel un simple mouchoir usagé !
- — Je vous interdis de…
Péremptoire, elle le coupe :
- — Désormais, vous n’êtes plus mon Roi, vous n’avez plus rien à m’interdire. Adieu Monsieur.
D’un geste brusque, elle lui tourne délibérément le dos, le plantant là sur place, tandis qu’elle s’enfuit. Figé sur place, Bohémond se sent stupide, et aussi très vexé. Il est vrai que, si Anne-Henriette reste à présent auprès d’Eudes, il n’a plus aucun pouvoir sur son ancienne maîtresse. Il sent confusément qu’il perd quelque chose, sans se l’avouer vraiment.
Froissé par cette découverte, faisant néanmoins bonne figure, il retourne auprès de sa Cour. Avant de partir définitivement, il s’entretient fugacement avec son ex-beau-frère :
- — J’ignore ce que vous lui avez raconté, mais elle a effectivement changé d’avis.
- — Je lui ai simplement exposé les faits : elle avait beau vous aimer vraiment, elle ne pouvait rien faire pour améliorer la situation, et ç’aurait été pire encore les prochains jours. Je lui ai proposé une solution, c’est-à-dire, de rester avec moi.
- — Et si elle ne vous avait pas plu ?
- — Elle aurait tôt ou tard plu à quelqu’un de mon entourage. Je me suis servi en premier.
Intrigué, le jeune Roi aimerait bien poser diverses questions pour en savoir un peu plus, mais il n’ose pas, Eudes l’intimide malgré lui, malgré un écart d’âge réduit. Arrivé au pied du grand escalier, Bohémond regarde autour de lui :
- — Je ne la vois pas…
- — Pensez-vous qu’elle aurait à cœur de vous voir partir ?
- — En tout cas, elle a été fort insolente à mon égard !
- — Une façon comme une autre de réussir à couper définitivement les ponts. Retournez donc chez vous avec votre nouvelle maîtresse officielle. Entre nous, mon cher voisin, j’espère que tout ira bien pour vous, Madame de Montgagnant est en effet un morceau de Roi et elle le sait pertinemment.
Bohémond le regarde, vaguement inquiet. Quand il monte dans son carrosse, il est presque happé par sa nouvelle maîtresse. Amusé, Eudes sourit d’une façon étrange, avant de remonter les marches. Le voyant sourire de la sorte, le roi fronce légèrement des sourcils. Une nouvelle ère commence, et il n’est pas dit qu’elle sera un long fleuve tranquille…
Toute la troupe royale s’éloigne…
Le dernier cavalier disparu dans un nuage de poussière, la petite Cour ducale se disperse. Resté seul en haut du grand escalier, poings sur les hanches, Eudes soupire :
- — Une bonne chose de faite avec ce faible sire. Maintenant, retrouvons notre petite ingénue !
Il ne met pas longtemps à la retrouver en pleurs. Tout en reniflant, elle s’étonne :
- — Comment avez-vous su que j’étais là ?
- — Je commence à vous connaître…
- — En si peu de temps ?
- — Une preuve de plus que nous avons un bout de chemin à faire ensemble.
Elle renifle pitoyablement :
- — Je dois être affreuse…
- — Vous avez été à votre meilleur avantage plein d’autres fois.
- — Je suis pitoyable, je l’aime encore…
- — Laissez-moi prendre doucement sa place.
Elle lève les yeux :
- — Vous avez bien du courage !
Prenant sa main, il l’aide à se lever, ce qu’elle fait maladroitement. Puis Eudes la plaque contre lui, caressant ses cheveux :
- — Laissez-vous aller, Anne-Henriette, pleurez de tout votre saoul… Puis après la pluie, viendra le beau temps.
Obéissante, elle se laisse aller, inondant de ses pleurs l’épaule compatissante.
Étourdissements
Deux jours plus tard, en fin d’après-midi, sous une faible brise et un soleil radieux, Anne-Henriette et Eudes se baladent sans compagnie dans les jardins attenants.
- — Eudes, je vous remercie de ne pas… je veux dire…
- — Que je ne vous force pas la main ?
- — Oui, c’est ça. Je vous en remercie vivement.
Amusé, le Grand-Duc glisse :
- — Vivement, je vous reformule ma proposition, Anne-Henriette.
- — Je… je vous remercie aussi pour votre proposition, mais… je ne voudrais pas abuser de la situation.
- — Cela dit, sans vouloir vous effrayer, c’est plutôt moi qui adorerais abuser de vous !
Elle rougit, mais répond quand même :
- — Vous êtes un petit voyou dans votre genre, Eudes !
- — Je suis un Grand-Duc, donc un grand voyou…
- — Soyons plus sérieux, je vous prie. Je ne peux quand même pas devenir votre épouse uniquement par gratitude !
- — Voyez le Roi et la Reine, c’est uniquement politique.
S’arrêtant près d’un bosquet, elle soupire :
- — Et c’est bien dommage… Pauvre Reine…
- — Quelque chose me dit que vous ne connaissez pas tous les dessous…
- — Et je préfère ne pas savoir. La politique… ça me fait trop penser aux latrines…
- — Belle sentence !
Anne-Henriette se plante devant Eudes qui capture aussitôt ses deux mains. Elle soupire :
- — Vous êtes très gentil, mon cher Eudes. Si… si j’avais pour vous un peu des sentiments que j’ai pu éprouver pour qui vous savez, alors… alors je pense que j’aurais beaucoup aimé être pour vous une épouse attentionnée…
- — Vous êtes déjà très attentionnée…
Elle se tortille sur place :
- — Je… j’ai trop peur de vous décevoir… de ne pas être à la hauteur…
- — La franchise fait partie de vos qualités. Répondez à deux questions, Anne-Henriette.
La jeune femme tremble un peu :
- — Je… je vous écoute…
- — Si je n’étais pas Grand-Duc, mais simple nobliau, voire simple bourgeois, auriez-vous moins de réticences ?
- — Oui, peut-être… je ne sais pas… Vous êtes trop au-dessus de moi. Il n’y a que dans les contes de fées que le Prince épouse la Bergère.
Tenant toujours les mains de sa voisine entre les siennes, Eudes sourit :
- — Je ne suis pas Prince…
- — Juste en dessous, convenez-en !
- — Avez-vous aimé mon baiser ? Volé, j’en conviens…
La jeune femme devient écarlate, n’arrivant pas à réfuter ou à confirmer. Son soupirant sourit plus largement encore :
- — Je crois que j’ai ma réponse. Puis-je me permettre de recommencer ?
- — Euh, je… c’est que… vous… je…
- — Houla ! Vous êtes plongée dans une étrange confusion ! Souffrez que je vous administre aussitôt un remède !
Aussitôt, Eudes l’embrasse. Comme la précédente fois, sa victime ne semble pas trop offusquée par cette initiative. Alors, sentant qu’il peut pousser son avantage, le Grand-Duc devient plus passionné et passionnel. Après un baiser incontestablement très torride, il continue ses baisers dans le cou de la donzelle qui frémit, sans toutefois se débattre :
- — Oooh… Eudes… que… que faites-vous ?
- — Je vous témoigne une petite partie de la passion qui m’anime !
- — Une… une petite partie !?
Pour démontrer ses dires, Eudes plonge dans le décolleté, puis couvre les monts qui lui sont offerts de mille baisers voraces. Emporté par son élan, il ravage l’échancrure à tel point que les deux seins se retrouvent hors du corsage, ce dont profite immédiatement le Grand-Duc dont la bouche s’empare aussitôt des tétons déjà durcis. Pendant de longs moments, les lèvres et la langue de l’homme jouent avec toutes les merveilles offertes, allant de temps à autre se ressourcer sur la bouche d’Anne-Henriette.
Après de longues périodes d’agaceries, la jeune femme arrive à repousser gentiment son assaillant :
- — Eudes, vous… vous êtes fou !
- — Fou de vous, oui assurément.
- — Je…
Poitrine toujours dévoilée, Anne-Henriette est à présent captive dans les bras de son hôte. Celui-ci lui demande d’une voix altérée :
- — Osez me dire que ma passion n’éveille rien en vous !
- — Euh… Je…
- — Vous frémissez de la tête aux pieds, et je lis bien dans vos yeux que votre âme est chamboulée.
- — Je… je dois avouer que…
Il en profite pour l’embrasser à nouveau dans le cou, elle frémit de plus belle :
- — Oh Eudes ! Que me faites-vous là ? Je ne comprends pas ce qui m’arrive…
L’homme se redresse, son nez proche de celui de sa prisonnière :
- — Vous ne comprenez pas, dites-vous ? Pourtant, vous et le Roi…
- — Je… avec Bohémond, c’était la flamme… Mais… mais avec vous, c’est… c’est un brasier…
- — Je suis très heureux de vous entendre dire ce genre de chose, je vous remercie de votre franchise qui est l’une de vos nombreuses qualités, Anne-Henriette.
- — Je… euh… merci…
Il l’embrasse à nouveau. Cette fois-ci, elle se fond à lui, elle coule contre son corps, répondant à ses baisers enflammés. Ravi de la tournure des événements, le Grand-Duc se laisse aller à sa passion dévorante, submergeant sa nouvelle conquête de mille démonstrations de désir, de convoitise et de concupiscence.
Profitant ignoblement que sa proie soit étourdie par qui est en train de lui arriver, tout en continuant de l’embrasser et de la patiner, Eudes entraîne Anne-Henriette vers le château, puis utilisant un passage dérobé, il la soulève fébrilement dans ses bras, tandis qu’elle s’accroche à son cou :
- — Oh Eudes ! Que me faites-vous là ?
- — Ce que j’aurais dû faire depuis longtemps si j’avais eu le bonheur de vous connaître bien avant !
Peu après, les deux tourtereaux se retrouvent bien vite dans une vaste chambre fort accueillante.
Allongée sur le lit, Anne-Henriette est littéralement dévorée par les baisers fougueux de son prétendant. Embarquée dans un tourbillon, elle se laisse aduler, n’opposant aucune résistance, participant même un peu plus à sa reddition. Caressée, câlinée, cajolée, elle se retrouve bien vite délestée de sa robe, de ses jupons, puis de sa chemise.
Ravissements
Une fois presque dénudée, Eudes la couvre complètement de baisers brûlants, tandis que ses mains caressent avec avidité tous ses monts et vallées. Anne-Henriette semble visiblement adorer ce qu’elle est en train de subir, car elle s’ingénie à faciliter la tâche de son assaillant, chose que celui-ci constate avec grand plaisir :
- — Ah Anne-Henriette ! J’ai trop envie de vous !
- — Oui… je… je le constate !
- — Et vous, avez-vous envie ?
- — Je… franchement, je suis… je suis curieuse…
Eudes ne s’attendait pas à ce genre de réponse. Un « oui », un « non », un « je ne sais pas », il le prévoyait, mais pas un « je suis curieuse ». Cependant, ça a le mérite d’être franc, ce qui n’est pas un mal, car nombre de femmes sont dissimulatrices. De ce fait, il demande une précision :
- — Curieuse de quoi ?
- — Je suis curieuse de voir jusqu’où… enfin… jusqu’où…
- — Vous le savez très bien, ma chère enfant !
- — Au risque de vous étonner, eh bien, non… pas avec vous, en tout cas !
Eudes est franchement intrigué :
- — Comment ça ?
- — Comme je vous l’ai déjà dit : la flamme et le brasier…
- — Vous êtes en train de me dire que vous ressentez avec moi des choses inconnues ?
La jeune femme marque une certaine pause avant de répondre en catimini :
Entendant cette exclamation spontanée, Anne-Henriette esquisse un petit sourire :
- — C’est bien la première fois que je vous vois désarçonné…
- — Je pensais que… vous et Bohémond…
- — Il faut croire que je prenais des vessies pour des lanternes. Oui, Bohémond et moi avons souvent fait des choses que nous n’aurions pas dû entreprendre, car nous n’étions pas mariés ensemble. Mais je… j’éprouve plus de sensations avec vous qui n’avez encore pas fait certaines choses…
Agenouillé sur le lit, Eudes est franchement étonné de la tournure des choses :
- — Ah bon !? Je…
- — C’est bien la première fois que vous ne finissez pas non plus votre phrase…
- — C’est la soirée des premières fois, pour vous comme pour moi… Eh bien, dans ce cas, permettez-moi d’explorer votre adorable petit corps comme il se doit !
Anne-Henriette devient cramoisie :
- — Ne soyez pas trop… euh… vous… vous voyez ce que je veux dire…
- — Vous aimez jouer aux devinettes, chère enfant !
- — Ne vous moquez pas de moi, Eudes ! La situation est déjà si… étrange pour moi !
Changeant d’attitude et de ton, le Grand-Duc demande placidement :
- — Dans ce cas, Anne-Henriette, aimez-vous les balades en forêt ?
- — Euh… oui… mais je ne comprends pas où vous voulez en venir…
- — Je veux en venir à l’orée de la forêt et de ses bosquets.
Anne-Henriette cligne des yeux :
- — Je… je ne comprends toujours pas…
Sans se donner la peine de répondre, Eudes enfouit son nez dans la toison bouclée de la jeune femme, à la recherche de l’ouverture d’une certaine fente dans laquelle niche un certain petit bouton rose fort sensible.
Comme il s’y connaît à minima en anatomie féminine, Eudes se fait un plaisir de titiller, de lécher, de sucer l’objet de sa convoitise, tandis qu’Anne-Henriette émet des petits bruits étranges, d’abord de surprise, puis de plaisir.
- — Hmmm… Oooh ! Que… que me faites-vous là ?
Mais Eudes ne répond pas, trop occupé plus bas. La jeune femme se laisse entreprendre, soumise à cette nouvelle caresse inconnue pour elle. N’étant pas particulièrement prude, elle avait parfois laissé ses doigts s’égarer à cet endroit pourtant interdit, mais jamais une langue n’avait osé s’aventurer de la sorte !
Anne-Henriette est partagée entre deux attitudes : repousser cette tête ou la presser encore plus contre son intimité. Coupant la poire en deux, elle pose une première main sur la tête de son nouvel amant, glissant ses doigts dans ses cheveux.
Son autre main s’invite à côté de la première. Anne-Henriette vibre de la tête aux pieds. Elle avait déjà éprouvé du bien-être dans les plaisirs interdits du lit, mais pas à ce point ! La flamme et le brasier, songe-t-elle. La flamme d’une petite bougie comparativement !
Soudain, survenue du néant, quelque chose de dantesque déferle en elle, une puissante vague qui la retourne impitoyablement, tel un frêle esquif dans un océan déchaîné. Explosée, déflagrée en mille parties, la jeune femme jouit puissamment, mêlant paradis et enfer en un seul et immense plaisir.
Éblouissements
Puis quelques instants plus tard, Anne-Henriette revient lentement à elle. Regardant son amant qui la caresse, elle demande d’une petite voix :
- — Qu… qu’est-ce que c’était ?
- — Je suis à la fois triste et ravi.
- — Pourquoi ?
- — Triste pour vous, et ravi de vous avoir fait découvrir la jouissance.
Elle ouvre de grands yeux avant de répondre :
- — Ah oui ? Je pensais que c’était moins puissant que ça !
- — Vous voulez dire que c’est une première pour vous ?
La jeune femme se redresse sur un coude :
- — Je ne vais pas vous mentir : j’ai déjà éprouvé du plaisir auparavant, mais pas à ce point ! Une fois de plus, c’est la flamme et le brasier !
Elle reste silencieuse, Eudes n’intervient pas, il se contente de lui sourire et de la caresser. Il sent qu’il doit la laisser parler. Ce qu’elle fait peu après :
- — Et dire que je croyais tout savoir et avoir tout vu sur le sujet… Oui, c’était agréable… je me disais que les romans exagéraient un tantinet… Eh bien non ! Je commence à comprendre bien des choses.
- — Vous m’en voyez ravi.
Mutine, Anne-Henriette réplique :
- — Savez-vous que vous vous répétez assez souvent ?
- — Souhaitez-vous que nous continuions de faire un petit bout de chemin dans la forêt ?
- — Vous m’en voyez ravie…
Amusé, le Grand-Duc se penche sur sa nouvelle conquête et entreprend de l’embrasser longuement, tout en la patinant voluptueusement. Puis leurs lèvres se séparent.
À son tour, Eudes ôte ses vêtements sous l’œil captivé de sa nouvelle maîtresse en devenir, même si celle-ci essaye de garder une certaine contenance. Quand il enlève le bas, Anne-Henriette laisse échapper malgré elle :
- — Ah !
- — Quoi donc ?
- — La… la nature ne vous a pas oublié ! Je ne… je ne pensais pas que ça puisse être si… euh…
- — Continuez, ma chère…
- — Euh… Si beau !
- — Sans doute aimeriez-vous lui faire un petit baiser ?
- — Volontiers…
Sans complexe apparent, la jeune femme pose délicatement ses lèvres sur le gland luisant, puis elle se redresse :
- — Ça vous convient ?
- — Je constate avec plaisir que ça ne vous révulse pas…
- — Oh non ! Pour les raisons que vous devinez, Bohémond et moi…
- — Je comprends. Et Bohémond avait droit à quoi, si ce n’est pas indiscret ?
Elle se contente de sourire et commence une splendide fellation, y mettant tout son savoir-faire en la matière. Assez étonné, Eudes murmure au bout de quelques instants :
- — Et cet abruti t’a laissée de côté pour cette… enfin bref…
- — Hm-hm…
- — Décidément, Bohémond est aveugle !
Il se laisse aller à cette douce caresse chaude et humide. Il se demande si la jeune fille n’est pas en train de se venger de son ancien amant en déployant toute son habileté. Peu importe, le résultat est largement au-delà de ses attentes !
Eudes caresse délicatement les cheveux d’Anne-Henriette toujours appliquée autour du mandrin de chair. Celle-ci semble apprécier que sa main câline sa chevelure. Les fins doigts de la jeune femme jouent avec les deux testicules bien fermes. Ravi de la tournure des événements, Eudes se dit que cette petite ira loin !
Et autant que ce soit avec lui, plutôt qu’avec un autre.
Bien qu’il ait une bonne emprise sur lui-même, le Grand-Duc commence à avoir quelques soucis de contention, car Anne-Henriette n’est pas née de la dernière pluie en ce qui concerne l’art buccal. Délicatement, mais fermement, il repousse la tête enrobée autour de sa verge. La jeune femme s’en étonne :
- — Vous n’avez pas aimé ?
- — Oh si !
- — Alors, je ne comprends pas…
La regardant dans les yeux, Eudes explique :
- — Parce que j’ai trop envie d’investir un autre endroit… plus bas… est-ce possible sans danger ?
- — Ma mauvaise période s’est achevée, il y a quatre jours.
- — Dans ce cas… si vous n’êtes pas contre…
Amusée, la jeune femme dit en souriant :
- — Vous demandez toujours la permission ?
- — Profitez-en, Anne-Henriette, car quand vous serez à moi et que je vous connaîtrai mieux, les actes auront priorité sur les paroles !
- — Vous tenez toujours à ce que je sois votre épouse ?
La réponse tombe, péremptoire :
- — Si vous ne voulez pas être mon épouse, soyez au moins ma maîtresse.
- — Je suis très contente que vous sembliez apprécier mes… services…
- — Oui, je sens que je vais apprécier beaucoup de vos services !
Avec délicatesse, mais fermeté, Eudes positionne la jeune femme sur le lit afin de passer à l’étape suivante. Anne-Henriette se laisse faire, curieuse de voir comment ça va se passer, car depuis le début, elle découvre petit à petit des sensations plus puissantes et plus jouissives.
Positionné comme il se doit, Eudes s’enfonce délicatement entre les lèvres détrempées. Anne-Henriette frémit de tout son corps :
- — Oh mon Dieu !
- — Qu’y a-t-il ?
Assez gênée, la jeune femme bredouille :
- — Ce… c’est t-trop bon !
- — Vous m’en voyez ravi et en même temps étonné !
- — Pourquoi donc ?
- — Ce n’est pourtant pas la première fois qu’un homme vous explore de la sorte…
Elle rougit un peu plus :
- — Non, c’est vrai, mais…
- — Mais ?
- — C’est nettement mieux avec vous !
- — Vous m’en voyez une fois de plus ravi !
Puis il s’enfonce encore plus loin. Spontanément, avec férocité, sa nouvelle maîtresse agrippe ses bras, plantant ses ongles dans la chair. Presque aussitôt, l’étreinte se desserre :
- — Oh pardon, Eudes ! Je… je ne sais pas ce que…
- — Laissez-vous aller, montrez-moi à quel point vous aimez !
- — Ce… ça ne va pas vous faire mal ?
- — Un coup d’épée ou de mousquet fait beaucoup plus mal, vous savez…
Elle sourit, elle hésite un peu. Eudes commence alors ses va-et-vient en elle. La jeune femme frémit, tangue, puis se laisse aller, à nouveau agrippée aux bras de son amant. Son nouveau galant accélère la cadence, elle gémit, mais ne cherche pas à s’évader, bien au contraire : ses mains sont fermement rivées aux bras qui l’encadrent, puis ses jambes enserrent les reins de l’homme qui l’entreprend avec ardeur et vigueur.
Durant ce temps, Eudes, qui est assez souple de sa personne, en profite pour embrasser et dévorer les seins dont les pointes sont tendues vers sa bouche vorace. Puis il remonte vers le cou et la nuque. Anne-Henriette gémit à la fois sous les coups de la verge qui l’explore et sous les baisers brûlants.
Une voix rauque et mâle retentit à ses oreilles :
- — Laissez-vous aller, ma douce, laissez-vous complètement aller !
- — Ooh !
- — Laissez le plaisir vous envahir, jouissez sans honte !
- — Hmmm !
- — Je veux revoir votre visage devenir si radieux quand vous exultez !
- — Non… non… ah… Aaah !
- — Osez et donnez-vous complètement à moi !
- — Ah… aaah ! Oh oui, oh ouiii !
Une fois de plus, elle jouit, embarquée dans un tourbillon dantesque qui l’emmène au firmament, loin de cette basse terre et de ses innombrables soucis. Cet homme est diabolique ! Jusqu’où l’entraînera-t-il dans ces divines turpitudes ?
Ailleurs, loin…
Très loin, sans doute…
Anne-Antoinette émerge petit à petit de sa douce torpeur. Soudain, elle se redresse, fixant droit dans les yeux son voisin :
- — Je commence à mieux comprendre certaines choses…
- — Ah oui ? Lesquelles ?
- — Bohémond s’étonnait souvent de la réussite de votre mariage. Je crois que je viens de deviner une partie de la réponse !
- — Dois-je comprendre que vous ne détestez pas ?
- — Hmmm, je crois que je vais sérieusement réfléchir à votre étrange proposition, vous savez, celle liée à un certain anneau au doigt.
Eudes caresse délicatement les courbes de son corps alangui :
- — Souhaitez-vous que je vous fournisse d’autres… disons… arguments pour vous aider à faire votre choix ?
- — Ah !? Parce qu’il y a d’autres arguments ? Déjà aujourd’hui, vous m’en avez fait découvrir bien des nouveaux !
- — J’en suis flatté…
- — Mais si vous me faites découvrir ces autres arguments, ne craignez-vous pas d’avoir dévoilé toutes vos batteries ?
Le Grand-Duc se met à rire :
- — Hahaha ! Je vous remercie de votre sollicitude, chère enfant, mais à vrai dire, nous ne faisons qu’effleurer le sujet.
- — Effleurer !? Ne vous vantez-vous point ?
- — Point du tout, la gamme est vaste. Je vais me permettre une comparaison imagée. Vous connaissez le lac de Traivaulx, je suppose…
- — Euh oui…
Tout en continuant à la caresser, Eudes poursuit :
- — Vous savez nager, m’avez-vous confié il y a peu.
- — Oui, en effet…
- — Traverser ce lac d’est en ouest ou l’inverse, vous y arriveriez, je présume.
- — Oui, il n’est pas bien large… Ah, je vois où vous voulez en venir… Non, le traverser du sud au nord, je ne saurais le faire, ce lac est trop long.
- — Eh bien, certaines personnes le traversent en nageant du sud au nord, puis du nord au sud, l’aller-retour, sans trop de difficultés.
La jeune femme s’étonne :
- — C’est possible !?
- — À condition d’y aller étape par étape…
Anne-Henriette jette ses bras autour du cou de son amant :
- — Eh bien, mon cher Eudes, apprenez-moi à le traverser dans ce sens-là !
- — Avec plaisir !
Cette nuit torride s’achève au petit matin, avec deux corps épuisés entrelacés l’un dans l’autre et gisants dans des draps fort froissés et défaits…
Juste une petite précision pour clore ce chapitre : Anne-Henriette dira rapidement oui.
Un tête-à-tête imprévu
Un peu plus d’une année plus tard, une étrange missive parvient au palais du Grand-Duché : Monsieur de Montgagnant, le mari de l’actuelle Maîtresse en titre du Roi souhaite rencontrer son dirigeant en aparté. L’époux trompé est toujours en mission pour inspecter et éventuellement consolider les diverses places-fortes du Royaume, une façon diplomatique d’écarter au loin le conjoint légal.
Cogitant sur cet événement inattendu, Eudes voit mal cet homme tenter de l’occire. Il sait que son épouse ne veut plus qu’il reparaisse devant elle, car il lui rappelle trop sa vie d’avant. Après quelques rapides échanges épistolaires, la rencontre se passe dans un endroit sûr, situé sur le Grand-Duché, juste à la frontière.
Maximilien de Montgagnant est un homme assez débonnaire. Sollicité par les gardes qu’Eudes a emmenés avec lui, il abandonne volontiers ses armes sur le seuil. Après les salutations, les deux hommes commencent à discuter des dernières nouvelles, une façon de se jauger avant de rentrer dans le vif du sujet. Sur la table trônent divers pichets et plats garnis dans lesquels les deux hommes se servent.
À un moment, la conversation s’oriente vers Gabrielle, l’épouse infidèle. Maximilien de Montgagnant hausse les épaules :
- — Bah, en un mot comme en cent, ma femme est une garce. Je lui ai servi de marchepied vers le Roi, j’en suis conscient. Mais je reconnais avoir profité d’elle et de ses appas.
- — Il se dit qu’avant de l’avoir vue, vous étiez contre le fait de lui être fiancé.
- — On dit bien. J’ai radicalement changé d’avis quand j’ai découvert quelle femme mon entourage se disposait à mettre dans ma couche de façon légale. Mais le cadeau était trop beau, j’aurais dû me méfier…
Il boit une gorgée, puis il continue :
- — Vous aussi, méfiez-vous, ma chère épouse vous voue une haine farouche.
- — En quel honneur ?
- — Une bonne partie de sa parentèle a disparu dans les expéditions vous concernant. Il est vrai que vous ne faites pas dans le détail : simple soldat et Grand de ce monde sont logés à la même enseigne, tous égaux. Il paraît que votre devise est : un bon ennemi est un ennemi mort qui ne revient pas vous faire la guerre.
Reposant un pilon grignoté et oubliant volontairement la devise énoncée, Eudes hoche la tête :
- — C’est bien ce qu’il me semblait, vous m’en donnez confirmation. Je me tiens déjà sur mes gardes depuis un certain nombre d’années, je sais parfaitement que divers nobles ne rêvent que de revanche. Et s’ils me tiennent un jour en leur pouvoir, ils ne se contenteront pas que de me décoller…
- — Ça, c’est certain ! Gabrielle se fera un plaisir de vous arracher elle-même les yeux à vif ! Mais comme à chaque fois, toutes les expéditions contre vous ont tourné au désastre, ils y réfléchissent à deux fois. Mais pas ma chère épouse qui est convaincue que tout lui est dû. À ce propos, la Reine devrait se méfier, il arrivera un jour où Gabrielle souhaitera très fortement sa place, et comme dans notre belle religion, nous sommes mariés jusqu’à ce que la mort nous sépare, un poison pourrait bientôt rendre veuf notre Roi…
Eudes fait remarquer un point de détail :
- — Ce qui est valable pour la Reine l’est aussi pour vous, le mari gênant.
- — Je vous rassure, je le sais fort bien. D’autant plus que j’ai déjà échappé à deux tentatives, du moins, il me semble. Ou bien le hasard fait bien les choses…
N’ayant eu vent que d’une tentative, le Grand-Duc s’étonne :
- — Ah bon ? Déjà deux fois ?
- — Peut-être trois fois, car je suis assez dubitatif quant à un certain événement survenu, il y a un gros mois… Voyez-vous, deux décès inopinés et très opportuns en même temps, ça ferait jaser. Mais avec quelques mois d’écart, ça passe mieux.
- — Vous avez le moral !
Essuyant ses doigts, Maximilien soupire :
- — Il le faut bien… Entre nous, j’espère qu’une nouvelle expédition se fasse jour contre vous, pour que vous l’anéantissiez comme les précédentes en légitime défense, et que ça fasse un tel remue-ménage en haut lieu que le Roi se sépare de mon épouse, ou que carrément le Roi disparaisse.
- — Pour récupérer votre tendre épouse ?
- — Vous voulez rire ? Plus je mets de distance entre elle et moi, mieux je me porte ! Je ne souhaite pas la mort de Gabrielle, mais j’avoue que ça m’arrangerait.
- — Vous êtes direct !
Maximilien remplit à nouveau les deux coupes, puis s’empare de la sienne :
- — Buvons à nos femmes, la vôtre que vous avez empruntée en quelque sorte au Roi, et la mienne que le Roi m’a empruntée. La balance est ainsi rétablie.
- — Sans oublier votre actuelle compagne…
Son visage s’illumine :
- — Ah Gaëtane ! Elle est nettement plus reposante que mon épouse. Moins belle, moins piquante, moins instruite, mais nettement plus facile à vivre ! Le jour et la nuit entre ces deux femmes !
- — Sans indiscrétion, d’où l’avez-vous dénichée ? Elle semble être sortie de nulle part…
La question amuse visiblement le mari de la maîtresse du Roi :
- — Héhéhé ! Elle sort d’un bois !
- — D’un bois ?
- — Oui, d’un bois. Un jour que j’étais parti à la chasse en petit équipage, je me suis trouvé nez à nez avec Gaëtane qui relevait ses collets. Elle était assez crottée et souillon à force de vivre dans les taillis, mais elle avait quelque chose en plus. J’ai préféré fermer les yeux sur son braconnage, à la condition impérative que je puisse la revoir. Elle ne savait pas qui j’étais, elle pensait que j’étais juste un compagnon ou un servant.
- — Vous aviez caché votre rang ?
Maximilien se penche vers son hôte :
- — J’ai préféré jouer profil bas, ainsi on sait mieux où on met les pieds. Une fois décrassée avec une jolie robe sur le dos, j’ai constaté tout de suite que je n’avais pas fait fausse route. J’ai vite réussi à en faire ma maîtresse, tandis que ma femme devenait celle du Roi. Là aussi, la balance a été rétablie.
- — Je vois que vous avez le sens de l’humour !
- — Il vaut mieux avoir de l’humour que des humeurs…
Il se met à pouffer de rire :
- — Excusez-moi, mais je viens de me souvenir de la tête qu’a faite Gaëtane quand elle a découvert qui j’étais réellement !
- — Ça a dû lui faire un choc !
- — Vous ne croyez pas si bien dire ! J’ai dû courir après elle quand elle s’est enfuie dans les bois !
- — Mais heureusement, vous l’avez visiblement rattrapée…
Se tapant la cuisse, Maximilien devient hilare :
- — Ça oui, mais je n’ai jamais aussi vite couru de ma vie que ce jour-là ! Maintenant, elle m’accompagne dans mon périple des diverses forteresses que j’inspecte. Il paraît que je fais tellement bien mon office, par rapport à mes prédécesseurs, que tous les rapports sont louangeurs envers ma personne.
- — Je vous le confirme. À tel point que ça chagrine parfois votre épouse…
- — Ah elle ! Gabrielle ne supporte pas la moindre ombre… Elle veut tout le soleil pour elle.
Il reste pensif un bref instant, puis il enchaîne :
- — En tout cas, la prochaine fois que vous serez face à face, vous pourrez remercier ma chère épouse : elle vide tellement les caisses du trésor pour ses bâtisses, ses caprices, ses fêtes, ses robes et ses bijoux que je ne peux mener à bien le renforcement des places-fortes, dont les deux qui jouxtent votre Grand-Duché. Tout au plus du décor de théâtre… Ça ressemble à de la pierre, ça a l’apparence de la pierre, mais ce n’est guère de la pierre…
Eudes apprécie l’information. Il demande d’un air détaché :
- — Je suppose que les armées royales ne sont pas mieux loties ?
- — Vous supposez bien. Rien n’a été renouvelé depuis un certain temps, tout est rapiécé. La paie tarde trop souvent, et quand elle arrive, certains officiers se servent en premier et ne laissent presque rien. Quant à la motivation des troupes, elle est au ras des pâquerettes. Il va de soi que je ne vous ai rien dit. D’ailleurs, je ne suis même pas ici avec vous.
- — Il va de soi…
Il repose son verre sur la table :
- — En tout cas, vous et moi avons finalement plutôt bien réussi, côté cœur.
- — Je le pense aussi…
Les deux hommes discutent encore quelques instants, puis chacun repart d’où il était venu. De son côté, Eudes vient d’avoir confirmation de ce que ses espions lui avaient communiqué. À présent, il sait aussi que les deux forteresses voisines ne sont pas et ne seront pas non plus au summum de leur possibilité, ce qui est très bon à savoir.
Contre qui vous savez
Environ trois mois plus tard, un danger imprévu se fait jour, le rapport des forces entre pays se modifie avec un souverain lointain qui a décidé de se tailler un empire. Dans le cabinet du Haut Conseil du Roy, l’envoyé spécial est en train de faire son rapport, concernant la participation du Grand-Duc à la coalition que le Royaume souhaite mettre en place.
Étant resté seul avec le souverain, il aborde à présent un sujet plus intime pour le roi Bohémond :
- — Oui, votre Majesté, j’ai vu de mes yeux ex-Mademoiselle de Paliguette, ou si vous préférez la nouvelle Grande-Duchesse, elle est devenue une pure merveille en moins de deux ans !
- — Vous vous gaussez de moi ?
L’homme est affirmatif :
- — Point du tout. Je l’ai connue quand elle était votre maîtresse, c’était une jolie fille, un mignon bouton de rose. Depuis, elle s’est épanouie. Et je vous confirme que les portraits que nous avons pu voir d’elle sont conformes à la réalité, voire inférieurs, car il se dégage d’elle une aura que les peintres ne sauraient représenter.
- — En clair, vous êtes en train de me dire que j’aurais dû la garder comme maîtresse.
Restant impassible, l’envoyé spécial biaise :
- — Nul ne peut prédire l’avenir…
- — Mais Eudes de Coursansax le savait, n’est-ce pas ?
- — Monseigneur était un veuf éploré, je pense qu’il a eu un sincère coup de foudre. Je ne crois pas qu’il faille y voir une machination, une revanche quelconque.
- — Vous en êtes certain ?
- — Rien n’est jamais certain. À l’époque, vous vouliez vous débarrasser de Mademoiselle de Paliguette afin d’avoir les coudées franches avec Madame de Montgagnant, il y a eu alors un arrangement qui a satisfait les quatre parties.
Clignant des yeux, le roi demande :
- — Les quatre parties ?
- — Pour vous, le changement aisé de maîtresse. Pour votre nouvelle maîtresse, se débarrasser d’une rivale. Pour votre ex-maîtresse, se recaser sans aller au couvent. Et enfin pour le Grand-Duc, une nouvelle femme, et non des moindres.
- — À vos propos, je crois entendre mon regretté Bertelier ! Ah Grand Dieu, pourquoi est-il parti si tôt ? En clair, c’est moi le plus lésé…
L’envoyé spécial demande d’une voix doucereuse :
- — En quoi êtes-vous le plus lésé, Sire ? Madame de Montgagnant est splendide et tient parfaitement son rôle.
- — Sans doute, mais comme tout le monde le sait, elle a un caractère très ombrageux et la langue acérée. Elle n’est pas non plus très facile à gérer…
- — Il est inutile de le nier.
Le souverain laisse échapper un long soupir :
- — Je dois reconnaître qu’Anne-Henriette était plus… facile à vivre… Et elle était vraiment folle de moi… Je sais fort bien que si je n’étais point roi, mon actuelle maîtresse ne serait point mienne. Elle a des ambitions de reine. Parfois, je crains même pour la vie de mon épouse, c’est dire…
- — Si c’est ainsi, il convient d’agir promptement.
Bohémond a un petit geste de futilité :
- — Ce ne sont qu’idées fugaces qui me traversent l’esprit. Rien de concret.
- — Parfois il convient de suivre son intuition, votre Majesté.
- — Et votre intuition à vous, elle vous recommande quoi ?
- — De mettre en place une réunion de toutes les contrées concernées pour contrer qui vous savez…
- — Même Nathaniel le Cruel ?
- — On n’est jamais de trop contre qui vous savez…
Trois semaines plus tard, une grande réunion se met en place au palais royal.
Retrouvailles
Quand le couple ducal fait son apparition dans la vaste salle du trône, un grand murmure s’élève parmi les courtisans. Il est indéniable que la nouvelle Grande-Duchesse resplendit au bras de son époux. Sidéré, Bohémond n’en croit pas ses yeux, Madame de Montgagnant, sa maîtresse toujours attitrée, se pince furieusement les lèvres face à cette concurrente issue du passé. Quant à la Reine, elle affiche un sourire de satisfaction vengeresse.
Durant les minutes et les heures qui suivent, tout le monde a l’impression que l’univers gravite autour d’Anne-Henriette, reléguant l’actuelle maîtresse royale dans l’obscurité. Froissée, ulcérée, celle-ci décide de déserter les lieux, peu importe ce que lui ordonne son royal amant.
Un peu plus tard, Bohémond arrive à s’isoler un peu avec son ancienne amoureuse :
- — Vous… vous avez singulièrement changé, Anne-Henriette…
- — D’après l’expression de votre visage, il semble que oui.
- — C’est étonnant !
- — Eudes s’est fort bien occupé de moi.
- — Je vois ça…
Bohémond reste immobile, comme figé. Son ancienne maîtresse poursuit :
- — Quand je pense que je songeais à me retirer au couvent. Finalement, je dois vous remercier de m’avoir traînée dans cette excursion à laquelle je ne voulais pas participer. Ma vie a pris un énorme virage.
- — Oui, je vois ça…
- — Vous vous répétez, mon cher Bominou. Vous permettez que je vous appelle ainsi en souvenir de nos jours heureux ? Ce n’est que plus tard que j’ai compris l’ambiguïté de ce surnom, j’étais décidément très naïve à cette époque.
Son interlocuteur hoche la tête, perdu dans un lointain souvenir :
- — C’était l’un de vos charmes, vous étiez si nature…
- — Mais vous avez préféré des charmes plus capiteux, plus vénéneux. Je sais qu’elle vous mène parfois la vie dure. On raconte partout qu’elle se prend vraiment pour la Reine.
- — Où raconte-t-on ces médisances ?
- — Dans votre propre Cour et dans toutes les Cours voisines. En tant que roi d’un puissant pays, vous devez bien vous douter que tous vos faits et gestes sont épiés, scrutés et divulgués.
Le Roi fronce des sourcils :
- — J’ai plusieurs fois sévi, mais rien n’y fait.
- — Comprenez tous ces pauvres gens, Bominou, les valets, les servantes et les chambrières, tous ceux qu’on ne voit pas, les obscurs, les invisibles : en rapportant un seul ragot bien juteux, ils gagnent parfois plein de pièces d’or, parfois assez pour aller se retirer à la campagne.
- — Peste soit ces canailles !
Sans transition, Anne-Henriette change de sujet :
- — En parallèle de l’alliance que vous souhaitez mener à bien, mon cher époux est venu avec un traité spécifique auquel je vous demande de bien réfléchir. Je vous connais assez pour savoir que vous seriez capable de refuser par orgueil une honnête proposition, celle d’une paix entre nos deux contrées pour une décennie. Vous n’ignorez pas la montée en puissance de qui vous savez. Il y a bien des siècles, Attila a été arrêté grâce à une coalition, avec des alliés sûrs auxquels on pouvait se fier. La valeur n’est pas au prorata des étendues…
Un peu surpris par ce qu’il vient d’entendre de la bouche de son ex-maîtresse devenue très sérieuse, Bohémond se crispe un peu :
- — Je sais… je sais… Mais mon ministre de la Guerre est d’un autre avis. Gabrielle aussi. Ils estiment que le Grand-Duché n’a plus sa place sur l’échiquier…
- — Je vois qu’elle a toujours une énorme emprise sur vous. Vos deux précédents échecs n’ont-ils pas servi à servir de leçon ? Il est de notoriété publique que, dans ces deux cas, c’est votre maîtresse qui a poussé à l’affrontement pour se venger d’un impair malencontreux à son encontre, et aussi pour promouvoir sa famille.
N’aimant pas trop qu’on lui rappelle ses revers, Bohémond s’agace :
La réplique tombe aussitôt, glaciale :
- — Auriez-vous oublié que je ne suis plus votre sujette, mais la Grande-Duchesse d’un pays voisin et actuellement allié ?
Le Roi la regarde, interloqué :
- — Vous avez bien changé !
- — Celle que vous avez connue a disparu pour vous, mais elle existe toujours pour mon époux. Il a su me comprendre, il m’a acceptée telle que je suis. Très vite, j’ai compris où était mon « intérêt ». Et depuis, je ne le regrette pas.
Bohémond ne répond rien. Anne-Henriette s’incline légèrement :
- — Je crois que nous n’avons plus rien à nous dire, Bominou. Je vais donc rejoindre l’homme de ma vie. J’ai sincèrement cru que c’était vous, je me suis trompée. Tout comme vous, qui vous leurrez avec votre chère Gabrielle.
Impériale, elle quitte posément la pièce, sans attendre une parole ou un geste.
Un clou distinct en chasse un autre
Les voies du Ciel sont souvent impénétrables et fort capricieuses. La grande menace qui faisait trembler petits et grands s’est soudainement effacée quand le nouveau conquérant (version Attila ou Tamerlan, au choix) est décédé inopinément lors d’une beuverie trop appuyée. Certains milieux bien informés parlent plutôt d’une orgie durant laquelle il aurait trop donné de sa personne. Quelques-uns parlent aussi de poison. Peu importe, le résultat reste le même, pour la plus grande joie des ex-futurs pays visités qui acclament la Divine Providence dans divers Te Deum fort pompeux et emphatiques.
La liesse populaire dura une semaine, et un peu plus longtemps dans les classes aisées. Il fallait au moins ça pour fêter le grand événement.
Comme très souvent, une fois l’orage passé, tout le petit monde politique a repris ses petites habitudes et complote joyeusement. Furieuse d’avoir été si facilement éclipsée par son ex-rivale lors de la grande réunion, Gabrielle, aidée par une grosse partie du Conseil, pousse à laver tous les affronts, les anciens comme les nouveaux, envers une si petite contrée qu’il faut assurément rayer de la carte.
- — Votre Majesté, il est grand temps de remettre les pendules à l’heure. Nous sommes le plus puissant royaume et nous nous laisserions dicter notre conduite impunément par un simple duché ?
- — Oui, Votre Majesté, il faut que cela cesse. Nous devenons la risée de tous.
- — Sire, les armées sont fin prêtes, elles piaffent d’impatience !
- — De plus, Sire, le Nord s’agite à nouveau, inquiétant le Grand-Duc, qui devra intervenir, ce qui pour offre une très belle opportunité ! Si nous attaquons, il devra gérer deux fronts.
Intérieurement exaspéré, le Roi rétorque :
- — Messieurs, je vous rappelle que Eudes de Coursansax a toujours vaincu tous ceux qui se risquaient chez lui.
- — Justement, tous ensemble, vainquons-le, et imaginez tout le prestige qui en jaillira sur Votre Royale Personne !
Entre-temps, Eudes a proposé à Bohémond un autre pacte intéressant. Celui-ci est donc pris entre deux feux. On le pousse par-derrière à attaquer, mais le pacte est alléchant. Son ministre de la Guerre lui a assuré qu’il ne manquait pas un seul bouton aux armées qui ne rêvent que de fondre sur la petite contrée pour venger leurs aînés. Quant aux traquenards, tous les grands esprits militaires jurent que plus personne ne retombera dedans.
Le jeune Roi est tenté de croire à tout ce que son entourage revanchard lui raconte, que la victoire sera facile, qu’il laissera son nom dans l’histoire comme Bohémond le Vengeur, mais quelque chose en lui murmure que le Grand-Duc sera capable de cruellement griffer au sang avant de succomber. S’il succombe !
Sans parler des piquants, dixit son défunt père…
Beaucoup plus loin de là, dans le palais ducal, Eudes est à mille lieues de ces tergiversations. Il est actuellement au lit avec sa jeune épouse, une activité nettement plus intéressante que l’invasion (ou pas) d’un pays voisin.
Anne-Henriette a vite appris que dormir nue avait ses avantages. Bien qu’elle sache qu’elle va bientôt être une biche livrée au féroce appétit d’un tigre, à moitié assise contre quatre gros oreillers, la poitrine pointée et arrogante, elle se questionne :
- — Une chose me turlupine…
- — Vous avez de ces mots, ma chérie ! répond son mari en caressant la délicieuse poitrine qu’elle offre à ses mains.
- — Ah vous ! Tout de suite le mauvais esprit !
- — Je vous écoute…
- — Voilà : Bohémond n’a jamais mis enceinte une seule de ses maîtresses. En revanche, la Reine a accouché de trois enfants… Je sais que ma rivale, Gabrielle, a essayé plusieurs fois de lui donner un enfant, mais sans résultat.
Sans cesser de caresser les seins et de titiller les tétons de son épouse et amante, Eudes fait remarquer :
- — Je vous rappelle qu’elle et son mari n’ont pas eu d’enfant, malgré quelques années de mariage qui ont été assurément consommées.
- — C’est vrai. Mais moi ? Et Louison ? Babette ?
- — Louison ? Babette ?
- — Mes prédicatrices… Elles étaient domestiques auprès du précédent Roi, elles l’ont déniaisé à tour de rôle…
- — Il faut croire que le Roi ne fait pas mouche à tous les coups… Ou bien…
Anne-Henriette affiche un petit sourire :
- — Ou bien ?
- — Plein de possibilités… Néanmoins, j’espère pour lui que ses enfants sont bien les siens. Au pire, il en sera l’oncle. Mais assez parlé de votre ex, c’est votre mignon petit corps qui m’intéresse ci-céans !
Il ponctue sa phrase par quelques tapes légères sur la courbe des hanches de sa femme. Celle-ci rétorque malicieusement :
- — Ci-céans ou ci-séant avec un S comme sodomie ? C’est vrai que ce n’est pas ainsi que nous serons parents un jour !
- — Certains jours, il convient de ne pas prendre la voie royale. Honnêtement, j’aimerais vous garder à moi égoïstement le plus longtemps possible.
- — J’avais bien compris, Monsieur mon époux, dit-elle en s’abandonnant déjà dans les mains pernicieuses et perverses de son mari qui sait si bien lui démontrer la passion et la fougue qui l’anime en pareil cas.
Après quelques préliminaires qui la firent jouir plusieurs fois, Anne-Henriette est à présent allongée sur les coussins sous son ventre, se doutant fort bien de ce qui allait lui arriver à elle, pauvre créature sans défense livrée à l’appétit vorace d’un loup affamé.
- — Quel magnifique popotin vous avez là !
- — Pourtant, vous commencez à le connaître par cœur !
- — Point ne me lasse !
Agenouillé derrière elle, Eudes s’apprête à lancer sa cavalerie, lance lubrifiée pointée en avant. Anne-Henriette pousse un petit soupir quand la lance fait son entrée en elle. Bien que son mari investisse souvent cet endroit, la sensation reste toujours un peu étrange, bien que jouissive à sa façon. Oui, c’est un tantinet pervers, mais avec Eudes, ça se transforme en pur plaisir.
Décidément, avec Bohémond, c’étaient vraiment des jeux d’enfants auxquels ils se livraient…
- — Tout va bien, ma mie ?
- — Vous devriez savoir que si je ne dis rien, c’est que tout va bien…
- — Auquel cas vous n’oseriez pas me le dire…
Elle tourne la tête vers son mari et amant :
- — Cette période est passée et dépassée, mon ami. Grâce à vous, ma parole s’est libérée en même temps que mon corps !
- — Vous m’en voyez ravi !
Agrippé fermement aux hanches douces et pleines, Eudes commence son lent mouvement de pistonnage, tandis que son épouse agite fébrilement ses doigts dans sa fente bien détrempée par l’excitation.
Tout en la besognant avec application, Eudes se félicite à nouveau d’avoir eu la bonne pioche avec sa douce et tendre épouse. Il se doutait que celle-ci avait un gros potentiel et que son ex-beau-frère était largement passé à côté. Tant pis pour lui, il n’avait qu’à regarder plus loin que le bout de son nez et du décolleté de sa nouvelle maîtresse !
Dans la vie, il y a deux espèces d’hommes : ceux qui sont aveugles et ceux qui ne le sont pas.
De son côté, tout en se masturbant avec volupté, Anne-Henriette songe à tout le chemin parcouru depuis sa première rencontre avec Eudes. Alors qu’elle pensait finir ses jours dans un couvent ou auprès d’un homme non aimé, jamais elle n’aurait songé devenir une Grande-Duchesse et aussi de se transformer de la sorte en une belle dévergondée avec et pour son mari !
Les sens en feu, elle se demande fugacement de quoi est-elle la plus étonnée ? Son nouveau statut social ou sa licence en mœurs ?
Peu importe, pense-t-elle : elle est comblée à tous les niveaux !
La cavalcade infernale se poursuit de plus belle, la colonne de chair explorant sans relâche les sombres profondeurs offertes, tandis que des fins doigts agiles et poisseux s’agitent toujours frénétiquement, bien décidés à dénicher une jouissance tant attendue !
Puis c’est la double explosion, celle d’un volcan en éruption et celle d’un tourbillon de plaisir.
Tête renversée, tendue comme un arc, Eudes se laisse aller au doux délassement de se déverser, tandis que, tête baissée, Anne-Henriette est envahie de mille papillons qui voltigent dans tous les sens, la transportant une fois de plus vers de nouveaux horizons, au-delà les nuages.
Décidément, peu importe la hiérarchie et l’étiquette : il vaut mieux un duc compétent qu’un roi maladroit, songe-t-elle fugacement en sombrant dans les délices de la petite mort…
Le mieux est l’ennemi du bien
Toujours allongée sur le ventre, en sueur, se reposant de l’assaut qu’elle vient de subir, Anne-Henriette demande soudainement à son mari :
- — J’y songe : finalement, Bohémond a signé ou il n’a pas signé ?
- — À votre avis ?
- — Faible comme il est et sachant que sa très chère maîtresse est derrière, j’inclinerais pour le non. Mais en même temps, comme il sait réfléchir, pour son propre intérêt et celui du royaume, il devrait dire oui.
- — Je vous rappelle, mon aimée, qu’une bonne partie de ses conseillers et ministres veulent une revanche. Sans oublier sa très chère maîtresse comme vous dites…
- — Aïe ! Dans ce cas, c’est mal parti !
- — Tout dépend pour qui !
Se tournant sur le côté, face à son époux, elle s’impatiente :
- — Au lieu de me faire languir, dites-moi tout !
- — Il n’a pas signé ! Il a cédé à son entourage.
Énervée, elle s’exclame :
- — Ah le sombre imbécile ! Qu’allons-nous devenir ?
- — Nous ? Rien de particulier…
- — Comme ça ? Je ne comprends pas ?
- — Un traité peut en cacher un autre, ma très chère épouse…
Un peu perdue, elle lâche :
- — Je ne comprends toujours pas…
- — Que pensez-vous que Bohémond et sa clique veulent faire ?
- — Euh… profiter de l’affaiblissement général lié à l’agitation du Nord pour nous attaquer et prendre leur revanche !
Eudes affiche un grand sourire radieux :
Sidérée, sa femme le regarde avec des yeux ronds :
- — Ça n’a pas l’air de beaucoup vous inquiéter !
- — Mon cher ex-beau-frère va recevoir dans quelques jours des nouvelles fort alarmantes pour le Grand-Duché qui iront dans son sens à lui. De ce fait, il viendra aussitôt nous faire un petit coucou avec ses armées, bien décidé à profiter de notre faiblesse, sachant que nous serons trop occupés sur nos frontières septentrionales.
- — On dirait que ça vous réjouit !
Eudes affiche un sourire encore plus large :
- — Mais voilà, on ne change pas une combinaison qui gagne. L’armée royale tombera dans le même type de traquenard qu’il y a quelques années, et carrément sur son propre sol, là où elle s’y attend le moins. Ce ne sont pas ses deux forteresses en carton-pâte qui vont arrêter nos troupes.
Stupéfaite, Anne-Henriette se redresse :
- — Mais… mais… c’est impossible ! Le gros de nos troupes sera engagé au Nord !
- — Bohémond et toute sa clique de conseillers pensent en effet que nos troupes commencent déjà à s’engager au Nord.
- — C’est vrai, puisque j’ai vu partir ce matin et cet après-midi des contingents.
Il capture délicatement le menton de son épouse entre ses doigts :
- — L’information est la meilleure épée, dit-on. À condition qu’elle soit véridique…
Anne-Henriette ouvre de grands yeux :
- — Attendez… vous voulez dire que tout ceci n’est qu’un gigantesque leurre, un artifice ?
- — Vous avez tout compris, ma mie. C’est du théâtre, du faux-semblant. Les États du Nord sont lassés de faire les frais de l’ambition du royaume voisin, et ont fait un accord solide avec moi.
Sidérée, la jeune femme s’exclame :
- — Quoi !? Un accord ?
- — De ce fait, avec un peu de chance, dans une semaine, au pire deux, je vous ramène votre ex-amoureux au bout d’une laisse pour que vous en fassiez votre valet ordinaire.
- — Vous… vous voulez rire !?
- — À condition que je puisse le capturer vivant, bien sûr. Mais imaginez donc Bohémond en simple domestique, à votre unique service…
- — Décidément, vous êtes un gros filou de Grand-Duc !
Eudes dépose un preste baiser sur les lèvres de sa femme :
- — Je suppose que ça mérite une belle nuit d’amour, n’est-ce pas ?
Tout en souriant, elle plisse des yeux :
- — Vous n’êtes qu’un « horrrible » profiteur ! Mais c’est une bonne initiative…
- — Laquelle ? Le leurre, le domestique ou la nuit d’amour ?
- — Si vous êtes encore en forme, continuez donc à abuser de ma faible personne !
Ayant l’esprit fort pratique, Eudes de Coursansax ne se fit pas prier deux fois, et même plus que trois fois…