n° 21973 | Fiche technique | 33487 caractères | 33487 5622 Temps de lecture estimé : 23 mn |
06/09/23 |
Résumé: Comme dans une chanson d’Indochine… | ||||
Critères: fantastiqu -fantastiq | ||||
Auteur : Calpurnia Envoi mini-message |
Souvent, pour combattre mon spleen automnal, je vagabonde dans les limbes urbains à la tombée de la nuit, malgré les protestations de ma mère qui m’assure que je cours un risque effroyable, là où une paisible citoyenne qui a terminé sa journée de labeur ne devrait pas se trouver, où vient s’échouer la lie de la métropole, toxicomanes à la recherche d’un nid pour consommer leur produit à l’abri des regards, clochards sans papiers, miséreux du bout du monde en quête de tout ce qui pourrait ressembler à un toit, prostituées accompagnées de leurs clients, adolescents en fugue, parfois une famille rom de passage… Les anciens bâtiments industriels aux façades couvertes de tags aux codes cryptiques y alignent leurs fenêtres brisées sur des cours envahies par une végétation sauvage. Il me plaît à rêver de l’époque où ces usines foisonnaient d’ouvriers travaillant à la chaîne, partageant un petit blanc, quelques rondelles de saucisson et de chaleur humaine à l’heure de la pause dans le bistrot dont il ne reste que ruine et poussière. Parfois, un chien hurle à la lune, un avion traverse le ciel en rugissant son indifférence, bien qu’il semble vouloir prendre toute la ville entre ses ailes, un murmure d’étourneaux salue les derniers feux du soleil. Dans l’azur sans nuages, le froid s’invite pour la soirée. J’accélère mon pas et remonte mon col.
Mon lieu de prédilection : un terrain vague sur lequel pourrit, depuis de nombreuses années, une Mercédès 350 bleu-turquoise qui doit dater des années soixante-dix, épave d’un luxueux paquebot du bitume que possédait peut-être un riche PDG. Elle n’a échappé à la casse auto que pour finalement échouer dans cet improbable bas fond. Rongée par la rouille, maltraitée par les intempéries autant que par les apaches, elle a gardé la plupart de ses chromes, mais aucune de ses roues, rétroviseurs, phares… comme une vieille dame édentée au passé glorieux qui tient à rester digne malgré sa déchéance. Les portières crient un peu quand on les manipule, mais elles s’ouvrent encore. Je m’installe à l’arrière, sur la banquette au cuir par endroits lacéré, mais toujours confortable. Ceci est mon lieu favori de rêveries solitaires. Le silence y est merveilleux. Dans cet écrin de souvenirs anciens, les odeurs qui m’entourent m’appellent aux voyages imaginaires. Je peux rire et pleurer seule, à mon envie. Parfois, je m’y endors et passe ici ma nuit.
Soudain, un sanglot m’éveille. Je m’aperçois qu’un homme est assis au volant. Sa silhouette est massive, ses cheveux sont roux. Il ne dit rien et c’est à peine s’il bouge ses épaules. Puis, après un soupir, il sort de sa poche un grand carré de tissu à carreaux écossais et se mouche. Même si je ne veux pas le déranger dans son chagrin, à cause de l’étroitesse du lieu que nous partageons, arrive le temps où il faut se décider à parler :
Il se remet à sangloter de plus belle.
Il sort de sa poche une flasque de whisky, en prélève une rasade, et m’en propose.
J’en bois quelques gorgées. Mais je dispose de ma propre boisson, de l’absinthe, cachée dans un compartiment de mon sac. J’offre à Bill d’y goûter, mais il n’aime pas. Chacun ses goûts, chacun son ivresse. Rapidement, l’alcool me brûle le gosier, mais apaise les vagues de mon âme, même si je suis quasi certaine de le payer plus tard d’une crise d’angoisse. Pour une fois, j’ai trouvé un compagnon bienveillant à ma soûlerie. La présence de Bill m’apaise, même s’il pleure son ami tué par leur antagoniste, qui devient notre ennemie commune, du fait de ce partage improvisé.
Bill boit encore, puis réfléchit un moment.
Bill actionne le levier de vitesses, et la Mercédès s’envole verticalement, d’abord lentement, puis avec une vitesse fantastique. Nous sommes propulsés à travers les airs par un mystérieux moteur qui ne laisse aucune chance à la gravité. À cause du vent qui souffle en altitude, je suis ballottée sur mon siège – il n’y a pas de ceintures de sécurité à l’arrière - et dois me cramponner à la poignée. La voiture traverse toutes les couches de l’atmosphère et se retrouve bientôt en orbite.
Nous sommes maintenant en impesanteur, et la vue est digne des plus belles photos de Thomas Pesquet et Samantha Cristoforetti, l’astronaute italienne qui, elle, est vraiment capitaine. Encore un coup d’accélérateur, et nous quittons les environs de notre planète bleue pour nous enfoncer dans le vide interplanétaire. J’espère que Bill sait où il va, parce que je n’ai rien d’une héroïne de roman et commence à ressentir le mal de l’espace. Je biberonne ma bouteille d’absinthe pour tenir le coup.
Enfin, nous rejoignons ce qui semblait de loin un point brillant, mais minuscule, et s’avère de plus près un immense vaisseau spatial constitué d’une roue tournant sur elle-même. Bill cherche un endroit discret pour se poser.
Il approche notre véhicule d’une porte située près du moyeu de l’immense roue. Puis nous nous immobilisons et restons attentifs à tout signe d’intervention de la part de notre adversaire. Rien ne bouge.
Il ouvre la boîte à gants et en extrait deux masques à oxygène, avec des casques à visière, et des gants.
Pas très rassurée par ces propos, et par ailleurs torturée par une grosse envie de faire pipi, je revêts l’équipement qu’il me tend, et lorsque nous sommes prêts tous les deux, il ouvre la portière. Nous sommes immédiatement éjectés par la dépressurisation contre la paroi métallique. Bill trouve un bouton, appuie dessus. Une porte s’ouvre, nous nous engouffrons dans l’ouverture qui se referme derrière nous. L’air nous entoure à nouveau. J’ai mal aux oreilles. Mais pas le temps de me plaindre. Il n’est pas simple de remplacer Bob Morane ! Même pour aller sauver celui-ci…
Bill et moi nous faufilons dans un dédale de coursives à peine éclairées de rouge. Lorsque des hommes du SMOG croisent notre chemin, dans leurs uniformes gris, il nous faut nous cacher, puis progresser de nouveau dès que la voie est libre. Au début, la gravité est faible, mais au fur et à mesure que nous montons les étages au moyen d’échelles qui n’en finissent pas, nous la ressentons de plus en plus, jusqu’à revenir à une pesanteur terrestre.
À force d’explorer ces lieux qui sont immenses, nous finissons par découvrir ce qui ressemble à un laboratoire. Dans l’une des salles, des gens sont enfermés dans des tubes de verre, inconscients, reliés à de nombreux capteurs, et flottant dans une sorte de liquide amniotique.
Quelqu’un, sans doute tapi dans l’ombre, s’avance derrière Bill avant que j’aie le temps de prévenir mon ami, et lui assène un coup de matraque derrière la tête, le laissant inconscient. Ne tenant pas à subir le même sort, je lève les mains et me rends.
Me voici enfermée dans une petite cellule, avec une couchette repliable, un lavabo, des toilettes sans lunette et, au plafond derrière un grillage fin, un néon qui dispense une lumière froide que je ne peux pas éteindre. En y réfléchissant, je me suis fourrée dans un beau guêpier. En attendant de trouver une solution à mes soucis, je prends enfin le temps de pisser en espérant qu’aucune caméra ne me surveille. Puis je me couche et m’endors en me disant que même si la miss Ylang-Ylang me tue, j’aurais quand même vécu une belle aventure spatiale qui m’aura distrait de mon ennui habituel, en me permettant de rencontrer l’un des héros de mon adolescence.
Après quelques heures d’un mauvais sommeil rempli de cauchemars, deux gardes viennent me chercher. Ils ne répondent pas à mes questions, m’obligent à marcher jusqu’à un bureau garni d’une épaisse moquette rouge, d’un papier peint à grandes fleurs orange, avec des tableaux abstraits aux jaunes et bleus psychédéliques. Il y a même un téléphone Socotel à cadran de la même couleur que les murs. Une chaîne hi-fi diffuse en sourdine de la musique disco. Dans cette station spatiale, le temps s’est arrêté dans les années soixante-dix, dirait-on. D’ailleurs, un calendrier posé sur le bureau indique que nous sommes en novembre 1976. Une revue Times, avec Jimmy Carter en couverture, confirme cette époque.
Une femme est assise dans un grand fauteuil de rotin. Elle me tourne le dos ; je n’en vois que sa nuque et la fumée de sa cigarette. Mais je perçois nettement son parfum. Brusquement, elle se lève et se retourne. Pas de doute, elle correspond à sa description, avec son élégance, ses yeux noirs et brillants, légèrement bridés, sa longue chevelure de nuit, ses longs gants noirs et sa robe dos nu : miss Ylang-Ylang dans toute sa splendeur. Il me faut avouer qu’elle est d’une beauté peu commune. Elle me tend la main. Moi, serrer celle de l’assassin de Bob Morane ? Je refuse. Elle n’insiste pas.
Je lui réponds d’une voix agressive, alors que la sienne est au contraire très douce, voire doucereuse. Attention : cette femme est venimeuse, je le sais. Il me faut rester sur mes gardes, et ne pas céder à la flatterie.
Elle claque ses doigts gantés et, aussitôt, les photos de Bill et Bob, inconscients dans leur tube d’hibernation, mais aux corps intacts, apparaissent sur l’écran d’un projecteur de diapositives. Je me dis que cela ne prouve rien, en tout cas pas son intention de les libérer si je fais ce qu’elle me demandera.
Elle se met à rire, d’un rire détestable.
Trois jours et trois nuits durant, je m’efforce de lui composer des textes qui flattent sa mégalomanie. Après tout, qu’importent les vers, si elle est contente ?
Mais l’inspiration se refuse, car je sais bien que les mots ont un pouvoir qui peut s’avérer maléfique, surtout entre de mauvaises mains. Ma nature rejette cette perspective, même pour sauver la vie de mes héros préférés. Je m’embrouille les doigts sur les touches du clavier à la mécanique plutôt déconcertante, et froisse beaucoup de papier. Je ne produis que quelques banalités, avec des rimes riches pour en cacher les clichés.
Le troisième jour, elle vient me rendre visite et lit mon œuvre. Son visage devient cramoisi. Elle se met en colère, sans pour autant élever la voix. Il me semble être livrée à nouveau à ma terrible enseignante de cours préparatoire, à l’âge de six ans, quand je faisais trop de fautes à la dictée, quand je pissais dans ma culotte au moment d’être surprise en train de copier sur ma voisine, parce que les mots étaient trop difficiles, et que les autres enfants se moquaient de moi. En y réfléchissant, cette femme odieuse ressemblait à Miss Ylang-Ylang. Les deux visages se superposent.
Accompagnée de deux gardes qui ferment la marche, elle nous conduit à travers les couloirs de son immense base spatiale vers une chambre où tout est sombre.
En m’habituant à la pénombre, je finis par remarquer qu’une femme est couchée sur le lit. Elle tourne son regard vers nous. Miss Ylang-Ylang n’exagère pas : son physique est repoussant, voire fait horreur. Elle est difforme, toute petite, avec des bras minuscules et une tête énorme, grimaçante, des yeux globuleux immenses qui n’expriment rien.
Soudain intéressée par notre présence, elle se lève et s’avance vers nous en sautillant péniblement. Elle veut me caresser. L’Eurasienne me tient les épaules pour m’empêcher de fuir, et je suis obligée de laisser s’exprimer cette tendresse envahissante.
L’être étrange qui se trouve à côté de nous semble tout droit issu d’un film en noir et blanc de David Lynch. Elle saute de joie. Elle ne peut manifestement pas parler ; les sons qui sortent de sa bouche sont des gloussements. Mais elle n’a pas l’air vraiment méchante. Pas rassurée, j’abandonne mes vêtements à ma geôlière, qui les glisse dans un sac. Les gardes en profitent pour se rincer l’œil, tandis que Miss Ylang-Ylang m’attache sur les draps par poignets et chevilles. Puis nous nous retrouvons toutes les deux, Tokyo Lil et moi, dans la chambre obscure.
La sœur maudite s’approche de moi et commence à me caresser. Même quand elle essaie de sourire, l’expression de son visage est vraiment abominable, mais je me force à ne pas détourner le regard et ressens plus de pitié que de peur. Tout à coup, j’entends une voix chuchoter sous le lit.
Il sort de sa cachette en prenant garde à ne pas se faire repérer de Tokyo Lil, dont les yeux sont tournés vers moi. Puis il plaque sa main gauche sur la bouche de la femme, fermement, pour l’empêcher de crier, et de l’autre, il défait le lien de l’un de mes poignets. Je me libère rapidement.
Il se retrouve torse nu, et j’enfile l’habit qu’il me tend. C’est mieux que rien, cela suffit à protéger des regards mon intimité. Bob est un athlète impressionnant, aux muscles finement découpés, le torse glabre et luisant de sueur. Il n’a pas vieilli depuis ses premières aventures, au début des années 1950. Je ressens un spasme dans le ventre en devinant ses formes malgré le manque de lumière. Mes lectures d’adolescence me reviennent en mémoire, l’odeur de la bibliothèque du collège où aucun épisode des exploits de Bob Morane et Bill Balantine ne m’a échappé, celle du papier des livres qui se mêlait à celle du gymnase où je détestais les cours de sport, quand je me cachais dans un coin pour lire alors que les autres élèves transpiraient sur les agrès de gymnastique au son des coups de sifflet du prof.
Lorsqu’elle nous voit fuir, Tokyo Lil trépigne de rage et pleure. Bob est obligé de la ligoter sur le lit et de la bâillonner pour éviter qu’elle donne l’alerte. Je suis désolée pour elle. Elle a été privée de l’une de ses pauvres joies, mais je ne me sens pas l’âme d’une prostituée pour handicapée, même par compassion. Je dépose un bisou sur son front pour me faire pardonner cette fuite. Bob s’impatiente, il craint que nous soyons surpris, et je ne veux surtout pas décevoir mon héros par un comportement inefficace, alors je cours avec lui de toutes mes forces dans un labyrinthe de couloirs dont il semble maîtriser le plan à la perfection, tandis qu’avec mon sens de l’orientation parfaitement nul, seule, je me serais perdue depuis longtemps.
Nous rejoignons Bill qui dort dans une sorte de cage de verre, connecté à différents tuyaux. Bob a déjà compris comment manœuvrer cette technologie ; il programme la séquence de réveil. Il regarde sa montre pour savoir dans quel délai il pourra récupérer son ami, sa fameuse montre qui l’accompagne toujours dans l’action.
Enfin, Bill est parmi nous, bien fringant, tandis que Bob finit de le débrancher des appareils. Il est temps de retrouver la Mercédès spatiale et rentrer sur Terre. Soudain, je perçois un parfum qui me glace. Trop tard : Miss Ylang-Ylang nous surprend et nous menace avec son pistolet. Elle marche comme un chat : personne ne l’a vue arriver.
Elle s’approche de Bob.
Elle caresse les puissants pectoraux, visiblement envoûtée par les parfums virils qu’il dégage. Bob ne la repousse pas, car il veut éviter de la provoquer alors que nous sommes déjà en mauvaise posture, mais il n’encourage pas non plus cet assaut de séduction. Pendant ce temps, je crève de jalousie. Des gardes nous attachent les mains derrière le dos, sans ménagement. Me voici de retour dans ma petite cellule. Nerveusement épuisée, je me jette sur la couchette et fonds en larmes.
Un vieil homme s’approche et touche mes cheveux pour me consoler. Comment est-il arrivé ici ? Je n’ai même pas entendu la porte s’ouvrir.
Le vieillard disparaît soudain en traversant la porte. Il me semble avoir rêvé. L’accent belge de sa voix résonne encore sous mon crâne. Seule la feuille de papier dactylographiée recto verso témoigne de cette rencontre. Elle évoque une nuit d’amour, non pas tendre, mais violente et passionnée, puis une dispute entre mes vrais parents, Bob Morane et Miss Ylang-Ylang, leur rupture définitive. Bob et Bill retrouvent ensuite leur amitié légendaire, après une période de brouille causée par cette femme vénéneuse. Je glisse ce précieux document dans la poche de la chemise que Bob m’a donnée.
Plusieurs heures s’écoulent, ce qui me laisse le temps de préparer mon plan. Au matin, la maîtresse des lieux vient me chercher. Me surveillait-elle discrètement ? Elle ne semble pas avoir remarqué la présence du vieil homme dans ma cellule. De nouveau, me voici les bras liés dans le dos. Nous nous dirigeons, à travers un dédale de couloirs, vers l’immense vivarium d’où émane une intense chaleur moite.
Il s’agit d’une salle au plafond de verre qui se trouve sous nos pieds, baignée de lumière artificielle, d’une dizaine de mètres de hauteur. Une végétation luxuriante de plantes tropicales accueille une dizaine d’araignées monstrueuses. Un personnel de la base leur jette avec prudence, à travers une trappe, tout un troupeau de bœufs et des moutons vivants, aussitôt déchiquetés après leur chute par des puissants crochets, dans des flots de sang et des meuglements désespérés.
Bob et Bill sont déjà présents, debout, ligotés, torse nu, calmes malgré la promesse de leur horrible trépas. Leurs nerfs d’acier sont impressionnants. Leurs traits carrés n’évoquent aucune angoisse. Mais j’ai déjà pris ma décision. J’adresse ma proposition à l’Eurasienne.
Elle se saisit la feuille pliée en quatre, et le lit. Je frémis pendant que ses yeux parcourent ce texte produit dans l’urgence. Puis elle éclate de rire.
Elle éclate de ce rire que je déteste.
J’en suis d’autant plus consciente que je ressens, depuis mon enfance, une totale phobie des araignées. Même une toute petite d’entre elles, lorsqu’elle se hasardait sur un mur de ma chambre, m’a systématiquement fait hurler de terreur. Mon père devait accourir avec un balai pour l’écraser, sinon j’ameutais tout le quartier.
Il essaie, avec l’aide de son compagnon, de se saisir de Miss Ylang-Ylang. Celle-ci, souple et vive, joue l’esquive. Quelques hommes de main font les frais des prises de judo de Bob qui les met à terre en un éclair, ainsi que des poings du géant roux qui l’accompagne. Mais la patronne du lieu dispose d’un pistolet pour les tenir en respect.
Pour éviter qu’ils se fassent tuer dans un dernier baroud d’honneur, je saute de moi-même à travers la trappe du vivarium. J’essaie de tomber la tête la première afin de m’assommer pour ne pas me retrouver consciente entre les pattes des araignées, mais c’est l’eau d’un étang qui m’accueille quelques mètres plus bas, indemne. Dès que j’émerge à la surface, trois ou quatre de ces créatures monstrueuses accourent vers moi à une vitesse incroyable, se disputant entre elles les meilleures parts de cette proie.
Lorsqu’elles arrivent sur moi, je m’évanouis.
La douceur d’une main de femme sur mon front m’éveille. Elle porte un masque et un uniforme de pompier. Je découvre que je suis allongée sur un brancard. Nous nous trouvons dans une ambulance qui fonce sur les boulevards, deux tons en action. À travers les vitres aveuglées, je constate que le soleil se lève.
Ma voix est faible et rauque.
J’y retrouve le cadavre d’une bouteille d’absinthe – j’ai tout bu, jamais je n’en avais consommé autant en une seule nuit ! Et aussi une feuille de papier pliée en quatre, dactylographiée de petits caractères bleus racontant l’étrange histoire de ma naissance, écrite par un auteur populaire décédé à Bruxelles en 2021, à l’âge de cent deux ans.