n° 22066 | Fiche technique | 64444 caractères | 64444 10880 Temps de lecture estimé : 44 mn |
21/10/23 corrigé 22/10/23 |
Présentation: Des Auteurs se sont Associés pour vous distraire. | ||||
Résumé: Allez savoir ce qui peut se dire dans un salon de coiffure pour dames? | ||||
Critères: fff coiffure exhib portrait #collaboratif | ||||
Auteur : ClubAA Co-auteur : Charlie67 Envoi mini-message Co-auteur : Laetitia Envoi mini-message Co-auteur : Loaou Envoi mini-message Co-auteur : Melle Mélina Envoi mini-message Co-auteur : Juliette G Envoi mini-message Co-auteur : EdenPlaisirs Envoi mini-message Co-auteur : Wedreca Envoi mini-message |
Projet de groupe : Salon de coiffure pour dames |
Gudrun Fritz était arrivée en France un peu comme un cheveu sur la soupe. Un cheveu qu’elle n’avait d’ailleurs pas eu besoin de couper en quatre pour se décider à ce choix de vie.
Depuis très longtemps, Frau Fritz s’était brouillée avec toute sa famille. Ensuite, il y avait eu un mariage désastreux. Siegfried Bach était un pervers aux goûts sexuels détestables, qui avait très bien su cacher son jeu. Après dix ans d’une union sans amour, Frau Bach s’était retrouvée bâillonnée et attachée au pied du lit matrimonial. Puis elle avait été fouettée au martinet et prise de façon très immorale par son époux sadique et pervers.
Au lendemain de cette nuit odieuse, Gudrun avait décidé de quitter un mari si perturbé par ses vices. Elle avait donc vendu son salon de coiffure situé à Berlin pour tenter de refaire sa vie sous d’autres cieux.
Gudrun Fritz, femme au tempérament exécrable, avait le physique à l’avenant. De petite taille, frêle et sèche de corps comme d’esprit, la dame se savait sans charme. D’abord, sa chevelure d’un blond fadasse la désespérait. Ses baguettes de tambour étaient réfractaires à toute nouvelle coupe. Des crins taillés en un carré tombant sur ses minces épaules. Une frange en friche habillait son front trop étroit. Cette tignasse sans attrait pourrissait la journée de Gudrun dès qu’elle était face à son miroir. Le comble de l’ironie pour l’artiste qu’elle pensait être.
Si elle aimait ses yeux bleus, elle détestait son nez trop long et légèrement tordu sur la gauche et n’aimait pas sa bouche étroite et trop mince pour paraître sensuelle.
Les fruits de son divorce et la vente de son salon lui avaient apporté un apport financier conséquent. Gudrun, arrivée à Paris, avait investi le tout dans une nouvelle affaire. Un salon de coiffure pour dames, situé dans le XVIIIe arrondissement de la capitale. Le quartier de Montmartre.
Gudrun avait voulu des peintures pastel aux murs, un plafond gris profond et un sol de parquet sombre. Le mobilier mêlait des matières nobles. Du verre et de l’acier s’alliaient à des boiseries de teck ou d’ébène. De grandes glaces s’accrochaient aux murs et un immense miroir psyché trônait au centre de la vaste pièce. Des portraits de femmes étaient disposés au-dessus du long et large miroir qui surmontait ce que Gudrun nommait « Le Champ de bataille ». Le comptoir où elle officiait pour changer la face du monde. Une personne plus modeste se serait sûrement contentée d’affirmer qu’elle donnait à des femmes un autre visage, mais Frau Fritz était très éloignée de toute modestie. Les lavabos de marbre gris et les vasques immaculées du « Champ de bataille » étaient rutilants de propreté. Des sièges soigneusement alignés tels des destriers modernes prêts à porter leurs cavaliers au combat complétaient le coin dédié à l’art de la coiffure. Contre le mur opposé, des fauteuils de bois et de tissus attendaient de choyer les postérieurs féminins des clientes, qui patienteraient.
Gudrun Fritz ne supportait que difficilement Paris et abhorrait la vie parisienne. Elle exécrait toutes modes et les frivolités qui les accompagnaient. Des modèles de vie qui poussaient les femmes à se comporter en brebis dociles et bêlantes d’être manipulées. Si les ragots racontaient qu’elle détestait les hommes, elle ne semblait pas plus aimer les femmes. Et surtout les belles femmes ! Des créatures le plus souvent idiotes ou pour le moins évaporées. Des esclaves d’une beauté qui n’était qu’une chance génétique ! Une grâce de la nature qu’elles ne méritaient pas plus qu’une autre…
Ludwig van Beethoven, Schumann et Bach. Les seuls musiciens qu’elle aimait vraiment, hormis le génie musical et la verve de son idole, Helmut Fritz. Gudrun adorait une prose saine et culturelle et choisissait ses lectures avec un soin extrême. Depuis quelques années, elle avait découvert les romans d’une autrice qui écrivait avec un talent étonnant. Si la coiffeuse en était venue à détester l’acte sexuel par la faute de son ex-mari, elle dévorait littéralement les petits chefs-d’œuvre superbement teintés d’un érotisme léger et de bon aloi de Madame Juliette G.
Gudrun accrocha la petite affichette à la porte d’entrée de son cher salon. Un bristol cerné d’un joli cadre de bois clair et muni d’une mignonne cordelette.
« Entrez, mesdames. Installez-vous ! Je reviens dans un petit moment… ».
Il faisait doux en ce début de journée de printemps et Gudrun était sortie vêtue d’une robe blanche légère imprimée de petites fleurs roses et bleues. Un vêtement sans manches couvrant ses genoux, certainement très démodé, mais l’une des robes préférées de la coiffeuse.
Si de nombreuses choses agaçaient ou énervaient Gudrun Fritz, elle aimait beaucoup recevoir son courrier. Et surtout, ses abonnements à des revues de coiffure, ou les correspondances qu’elle entretenait avec d’autres femmes, toutes férues de conceptions de macramés et de puzzles. Les rares occupations de loisirs de la coiffeuse.
Gudrun entra en trombe dans son salon et la porte claqua derrière elle. Les quelques clientes installées n’en crurent d’abord pas leurs yeux. La coupe de cheveux d’ordinaire peu glorieuse de leur coiffeuse était en bataille, Madame Fritz avait le visage écarlate et paraissait en nage :
Aucune des habituées de l’endroit ne savait comment réagir. Ces dames n’avaient jamais vu leur coiffeuse dans un tel état. Si elle était parfois un peu sèche ou de mauvaise humeur, il en allait tout autrement en cet étrange instant. Gudrun Fritz paraissait tout autant affolée qu’en colère. Cette fois, elle semblait inquiète et plongée en pleine panique, au point d’en oublier sa maîtrise habituelle du français et de son accent.
Aussi soudainement qu’elle s’était laissé aller, Gudrun s’était subitement statufiée. Puis, avançant comme un automate un peu détraqué, elle se baissa et sa petite main laissa choir une feuille de papier blanc sur une petite table basse.
La petite voix sèche et rocailleuse teintée d’un léger accent germanique monta dans les aigus.
Gudrun Fritz laissa son regard clair aller de l’une à l’autre de ses plus fidèles clientes et laissa filer un long et puissant soupir.
Les clientes totalement atterrées n’avaient jamais vu madame Fritz aussi en colère.
La cliente la plus proche de la table se leva dans un mouvement souple et se baissa vers la table basse…
Petite salope,
Laisse la porte de ton salon ouverte.
Je te montrerai ma grosse queue !
Je vais te niquer Gudrun !
Devant ton miroir psyché !
Tu la veux ma grosse bite ?
Signé : Une grosse bite impatiente…
Monte là-d’ssus et tu verras Montmartre
Et sois bien convaincu
qu’tu verras sûr’ment quéqu’chos de plus
De là haut s’il fait beau
Tu verras de Paris jusqu’à Chartres
Et si tu n’l’as pas vu, t’as qu’à monter là-d’ssus
et tu verras Montmartre !
Ainsi chantait Monsieur Duplumard, bijoutier de son état, propriétaire de la petite joaillerie « L’amour Dort », qui faisait face au salon de coiffure « Au coup’tif ». Il était de bonne, bonne, bonne humeur ce matin, il y a des matins comme ça.
La boule à zéro, lustrée comme un diamant, sa belle et grosse moustache grise et ses culs de bouteilles qui lui servaient de lunettes, Monsieur Duplumard était l’âme de ce quartier, il faisait partie des murs. On pensait qu’il était LE primo-arrivant, mais ceci datait de bien avant les dinosaures et rares sont les personnes pouvant témoigner de la véracité de cette rumeur.
Monsieur Duplumard était marié à son métier et ne comptait pas ses heures. Il n’était pas rare qu’il quitte la bijouterie après la tombée de la nuit, mais cela ne le dérangeait pas, car il aimait son métier par-dessus tout. Et puis, cela lui permettait d’assister à la fermeture de son salon par la mère Fritz, ce qui était toujours un spectacle des plus… émoustillant. Même s’il n’en était pas très fier, il lui était arrivé plus d’une fois de se masturber derrière les stores à demi-tirés de sa boutique, en lorgnant de ses petits yeux lubriques le popotin de la femme de tous ses fantasmes. À chaque fois qu’il avait ainsi redécoré sa main, il se promettait de ne plus recommencer… mais que voulez-vous, la tentation était trop forte et la chair si faible.
Pourtant, il ne faudrait pas croire que le bijoutier n’était qu’un cochon… Oh non ! Il savait se montrer poète à ses heures et maniait les mots avec une dextérité qui en aurait impressionné beaucoup. Il avait même déjà écrit des dizaines de chansons pour la belle Gudrun, qui habitait ses rêves. Mais voilà, à chaque fois qu’il pensait à elle, les mots si charmants, qui d’ordinaire sortaient de sa plume, se métamorphosaient en des choses beaucoup plus… inconvenantes. La dernière fois, il avait même failli écrire une chansonnette qui aurait rivalisé avec « La grosse bite à Dudule ». Non vraiment, à chaque fois qu’il pensait à cette femme, les seuls bijoux qu’il avait envie de lui offrir étaient ses bijoux de famille !
Je suis Marie-Astrid de Kergariou, épouse Coët de Gourenden. J’ai 45 ans. Mon mari, Louis-Adrien Coët de Gourenden, 54 ans pour sa part, possède son entreprise de fabrication industrielle de Kouign Amann, et autres fars, palets, ainsi que de crêpes dentelles.
Nous avons eu cinq enfants, Guilhem, 15 ans, Domitille 14 ans, Côme 12 ans, Anaïg 10 ans et Brieuc, le petit dernier 7 ans. Autant la naissance des aînés a été programmée, autant l’arrivée de Brieuc fut une surprise. Une divine surprise.
Je suis mère au foyer, et croyez-moi, l’éducation de cinq enfants, ainsi que la tenue d’une maison, n’est pas une sinécure, dans la mesure où l’on prend les choses à cœur.
On me dit, malgré mes cinq grossesses, encore belle femme. Je devine parfois les regards masculins qui se posent sur ma personne. C’est flatteur, certes, mais je n’ai jamais été ce genre de femme et je les ignore.
Je suis d’un caractère facile. Même si je suis régulièrement obligée de fréquenter ou d’être en contact avec des personnes différentes, j’aime surtout et malgré tout les gens de mon milieu.
Non pas que je me sente supérieure aux autres, mais c’est tout de même plus simple de côtoyer des gens possédant les mêmes valeurs que soi. Nul sentiment de supériorité, donc, n’est-ce pas…
Des valeurs communes, cela évite les incompréhensions et facilite le respect des conventions, n’est-ce pas…
Mais l’idée sous-jacente reste tout de même de savoir m’adapter, afin de mettre à l’aise les gens de tous les milieux que nous sommes amenés à croiser et de me montrer délicate et respectueuse de tous.
Car soyons honnêtes, il y a une culture propre à notre milieu. Les indices visibles au premier abord sont importants. Il y a des signes de reconnaissance de classe, toujours sans vouloir faire d’ostracisme.
Par exemple, une jeune fille portant une jupe écossaise sous le genou, un chemisier double-boutonnage, un serre-tête et un carré Hermès, fait forcément partie du club. N’est-ce pas…
De la même manière, si la conversation tourne autour de l’histoire et de la Révolution française, un jeune homme montrant un attrait plutôt pour le côté chouan vendéen sera un indice fort. Disons-le franchement et sans détour, chez nous Charrette a plus la cote que Robespierre.
Encore un indice : une jeune fille qui vouvoierait ses grands-parents et appellerait sa grand-mère « Bonne-Maman » plutôt que « Mamie » indiquerait qu’elle appartient à notre milieu.
Enfin, citons un dernier signe de reconnaissance. Côté culture, il est évident que nos progénitures connaissent mieux les airs scouts, que l’on entonne à tue-tête dans le véhicule familial quand on a mal au cœur, que les calembredaines de cette Beyoncé, ou je ne sais qui…
Côté loisirs, ne tombons pas dans les clichés qui sont nombreux à circuler au sujet de notre milieu. Par exemple, les week-ends « chasse à courre », très peu pour moi. Même si mon mari retourne régulièrement dans les monts d’Arrée pour chasser, j’ai, pour ma part, horreur de cela.
Autre cliché ? Les soirées rallye, incontournables dans certaines familles. C’est loin d’être ma tasse de thé. Et cela, même si plus jeune, mes parents m’obligeaient à sortir le samedi soir (le monde à l’envers !) pour ces rallyes. Mais c’était surtout pour chaperonner ma sœur cadette.
Il nous arrivait toutefois, jeunes filles, de nous faire inviter à danser le jerk par des jeunes hommes qui transpiraient sous leurs blazers Pierre Cardin (il était de mauvais ton de tomber la veste), avant de nous raccompagner au buffet pour y siroter un punch, sous l’œil vigilant des parents organisateurs. Bref, nous savions tout de même nous amuser, à l’époque.
Non, pour ma part, côté loisirs, je suis plutôt bridge. Je m’occupe aussi activement de l’association des parents d’élèves de l’école Sainte-Marie-Ursule, où sont scolarisés mes enfants.
De plus, en ce moment, je m’investis beaucoup dans l’organisation de la kermesse paroissiale, pour laquelle je seconde le Père Ponce, notre curé.
À ce sujet, autre activité primordiale : la messe dominicale, bien évidemment. Alors, certes, rien ne vaut une messe du Grand Pardon, suivie d’une procession à la Basilique Sainte-Anne d’Auray, mais un office à la paroisse du quartier est incontournable le dimanche. C’est en effet une affaire sérieuse. En latin ou pas, peu importe, là n’est pas le souci, même s’il reste quelques questions de bienséance en suspens. Par exemple, sur la durée acceptable d’une sortie de messe.
Mais assez parlé de moi. Aujourd’hui, c’est vendredi, et le vendredi, c’est le jour de mon passage hebdomadaire au salon de coiffure, pour un petit coup de peigne. J’aime être et rester élégante.
Lorsque je suis arrivée chez Gudrun, ma coiffeuse, une agitation certaine régnait dans le salon. Les clientes présentes, d’un genre assez douteux d’ailleurs, soit dit en passant, semblaient totalement surexcitées et se passaient et repassaient une feuille de papier.
La lecture de ce mot a eu sur ma personne un effet terrible. Mon ventre s’est serré. Je n’ose l’avouer et, d’ailleurs, j’ai honteusement et volontairement omis de le signaler au Père Ponce, lors de mes dernières confesses.
Voilà… Depuis quelque temps, j’ai des pensées impies.
Tout a commencé lorsque j’ai surpris Guilhem, mon aîné, surfant sur des sites osés sur l’ordinateur familial. Après l’avoir vertement réprimandé puis envoyé dans sa chambre, j’ai voulu refermer l’ordinateur. Au lieu de ça, j’ai regardé ces images. Et là… De fil en aiguille, de surfs en sites, j’ai vu des choses de plus en plus obscènes, qui au lieu de me dégoûter comme l’aurait voulu la bienséance, ont aiguisé ma… curiosité. Puis, j’ai honte de l’avouer… fortement… intéressée…
J’éprouve une plus grande répugnance encore à dire que, depuis, lorsque je suis seule à la maison, je fais un usage de ces sites quasi quotidien.
Je suis surtout intéressée par ces vidéos de femmes, livrées à un ou des mâles. Je préfère même livrées à « des ». Cela me met dans tous mes états, je dois bien l’avouer. Je perds totalement le contrôle de moi-même et j’en suis réduite à commettre le péché de chair, sous la forme de l’acte de masturbation. Quelle honte !
Voir ces créatures entre les mains de mâles libidineux, livrées, pratiquer des actes sexuels plus que licencieux, dégradants, comme la fellation, ou pire et complètement contre nature, comme la sodomie, brrrr…
Je n’oublie bien évidemment pas de nettoyer consciencieusement l’historique de navigation après usage.
Voilà où j’en suis de ma déchéance. Pire encore, j’ai de plus en plus l’envie, le besoin de plus en plus prenant, de sauter le pas, et d’être non plus seulement spectatrice, mais aussi actrice et de participer moi-même à ces débauches. Pour le moment, je réussis à résister, mais je vois bien que ma volonté s’effrite et l’appel du stupre et de la luxure se fait de plus en plus pressant.
Certes, une femme dans ma position, bonne épouse et mère de famille, ne devrait pas. Mais c’est plus fort que moi. J’en suis arrivée à me dire que de le faire… eh bien, peu importe, personne n’en saura jamais rien.
Vous comprenez donc que la lecture de cette lettre… horrible… m’a toute tourneboulée.
Mon problème, au-delà d’être seulement moral, est aussi pratique. En effet, comment procéder ? J’ai bien consulté des sites de rencontres, pour voir comment cela se déroulait, mais sans oser créer un compte.
Mais, je reprends la narration de mon histoire. Donc, je viens de découvrir la teneur de la fameuse lettre dans le salon de coiffure de cette femme à fort accent germanique et ma première réaction, après la surprise, est d’être outrée.
Quelle honte !
Puis, assise à attendre mon tour, plus j’y pense, plus je me dis que c’est peut-être l’opportunité que j’attends. En y songeant, cette lettre est la solution ! Je ne peux pas laisser passer cette chance.
Qui a pu écrire ça ? Forcément quelqu’un qui connaît cette Gudrun. Un habitant du quartier, c’est obligé !
Mais surtout un pervers. Quelle horreur, un pervers dans notre quartier ! Puis l’évidence s’impose à mon esprit : malgré le côté subversif, un pervers, c’est grosso modo le style de personnage que je recherche…
Je vais devoir questionner Gudrun quand elle s’occupera de moi, pour savoir si elle sait qui cela peut bien être.
Oh mon Dieu : je n’arrête pas d’y penser.
Qui ?
Peut-être le libraire sur l’avenue. J’ai toujours trouvé qu’il avait un regard vicieux. Cette façon qu’il a de regarder, de dévisager plutôt les femmes…
Je l’imagine me surprendre en train de consulter discrètement quelques pages des 11 000 verges de Guillaume Apollinaire, ouvrage que je meurs d’envie de lire, mais que je n’oserai jamais acheter. Je l’ai quelques fois feuilleté dans la librairie, après m’être assurée n’être vue par personne.
J’imagine toujours, ce libraire libidineux fermer discrètement sa boutique, s’approcher par-derrière, me saisir les fesses et me susurrer à l’oreille : « Alors, qu’est-ce qu’elle lit cette salope ? Elle n’a pas honte ? Elle mérite une punition ! ».
Il pourrait soulever ma jupe, baisser ma culotte sur mes chevilles, et me fesser longuement. Puis il m’allongerait sur un étal après avoir écarté les piles de livres, il me pénétrerait sans ménagement et me besognerait vigoureusement.
Je sursaute. Gudrun m’invite à gagner le fauteuil de coiffure.
Ou bien, ce mystérieux expéditeur, se pourrait-il que ce soit Moussa, le jardinier du petit square du quartier ?
Il me coincerait dans la cabane où il range ses outils, avant d’exhiber devant moi un sexe énorme. Je le supplierais alors de me laisser « lui sucer la queue », ce sont les mots que j’utiliserais, comme dans les vidéos. Avant qu’il ne me trousse et m’honore dans ce lieu exigu, debout, les deux mains plaquées contre la paroi.
Mais je divague complètement. À quoi en suis-je réduite ? Quelle déchéance… !
Pour reprendre l’expression de ces femmes dans ces vidéos immondes « j’ai ma culotte toute mouillée ».
Sous mon tailleur gris, j’ai délaissé, comme de plus en plus souvent ces derniers temps, mes collants chair pour des dessous commandés sur internet, que je qualifierais de « dessous de prostituées ». Ainsi, je reste d’apparence respectable, mais sous mes vêtements, je suis la pire des catins, la pire des traînées, des dessous au-dessous de tout, quoi. Cela me fait un effet très particulier.
Alors que les mains de Gudrun s’affairent sur mes cheveux, mon imaginaire se remet en route.
Je suis nue sur un lit, les poignets et les chevilles attachées. J’ai aussi les yeux bandés. Autour de moi, il y a plusieurs hommes qui échangent. J’ai très peur. Qui sont ces gens ? Des tueurs psychopathes en série et en groupe ? Des rançonneurs ? Que va-t-il m’arriver ? J’entends d’abord seulement des bribes de conversation. Je distingue quelques « Belle salope » ou encore « J’aime ce genre de pute ». Je ne vois rien, mais dans mon affolement, il me semble reconnaître certaines de ces voix. Je n’en suis pas certaine, mais il y a là, Monsieur Sacavin, un des parents d’élèves de l’association. Et aussi Monsieur Lescroc, de l’agence immobilière du bout de la rue, qui n’a pas forcément la meilleure réputation dans le quartier. Et… Je ne peux y croire ! Le Père Ponce. Pas lui ! C’est impossible ! Je n’ai plus toute ma raison ! M’ont-ils droguée ? Forcée à ingurgiter cette substance dont on parle dans les médias, la drogue des violeurs ! Grand Dieu ! C’est certain, ma perception est altérée, ça ne peut pas être le Père Ponce.
Il y a d’autres voix que je ne reconnais pas. Peut-être le pharmacien qui est interpellé par un autre homme : « Vous avez des préservatifs ? », « Oui, j’en ai amené tout un stock ».
Ils s’approchent du lit. Les quolibets et autres phrases égrillardes fusent, des mains me caressent. Non, me triturent, cela n’a rien à voir avec des caresses. Mes seins, mon ventre, mon pubis, mes fesses. Ils laissent échapper quelques rires, certains gras, d’autres nasillards ou sardoniques, plus proches du rictus que du rire, d’ailleurs.
Ils me disent des mots comme : « Ouvre la bouche et suce » ou « Détachons-la et baisons-la les gars ». Et enfin, une dernière qui confirme une partie de mes doutes sur leurs identités. Juste après m’avoir détachée et forcée à me mettre dans cette position appelée « levrette », celui que je soupçonne d’être l’agent immobilier dit « à vous l’honneur, mon Père, passez le premier ».
Je pousse un léger soupir… La voix de Gudrun me sort de ma torpeur :
Il va vraiment falloir que j’arrive à modérer ces pulsions malsaines. Mon cas relève vraiment de la psychiatrie. Je deviens folle. Ou pire, mon cas relève d’un exorcisme. Le malin m’habite.
Cette fois, c’est décidé, je ne vais pas pouvoir rester avec toutes ces perversités sur la conscience. Je vais aller me confesser. Je suppose que cela me libérera de tous ces fantasmes insoutenables. En revanche, je ne parlerai pas au Père Ponce de ses interventions dans mes pensées impies. Ah non, grand Dieu, non !
Avant de me confesser, je vais tout de même m’accorder une heure pour regarder une dernière fois ces vidéos diaboliques sur internet. Une dernière fois !
Et si… et si j’arrive à savoir qui est ce pervers ? Il vaut peut-être mieux que je m’accorde un certain délai avant de confesser mes péchés.
Et puis, si le Père Ponce est vraiment dans le coup, je me dois de le vérifier avant d’aller me jeter dans la gueule du loup en me confessant auprès de lui.
Juste à la gauche de « Coup’tif » se tenait l’échoppe d’Ed. C’était une petite épicerie de quartier, on y trouvait de tout, des légumes goudronnés, des fruits radioactivés, des boissons édulcorées, des gâteaux manufacturés, des boîtes de conserve conservées… Bref, un peu de tout.
Monsieur Dredon Ed était ce qu’on appelle un homme à femmes. Il n’était pas rare de voir sur la petite épicerie « Fermé le temps d’une course » noté sur le petit écriteau posé sur la porte de la devanture. On devinait aisément une cliente le suivant à l’étage, dans ses appartements.
Ce n’était pas qu’Ed soit particulièrement beau, mais il était très charismatique, avait un sourire ravageur, l’humour facile et le bagout d’un vendeur de voitures.
Par goût du challenge ou de l’aventure, il s’était promis d’atteindre l’inaccessible étoile : mettre Gudrun dans son lit. Aussi, à chaque fois qu’il la croisait, il jouait d’astuce et d’espièglerie et réinventait l’essence même de la séduction pour marquer son premier point.
Mais si le brave bonhomme semblait avoir une vie tout à fait ordinaire, hormis les quelques extra avec ses clientes, il en vivait également une autre, bien plus extrême… remplie de belles femmes, toutes prêtes à s’offrir à lui dans des ébats des plus torrides.
Cette autre vie était celle de l’écriture. Alors, le soir après l’inventaire, il sortait son cahier de dessous la pile de carnets de commandes et poursuivait les aventures sulfureuses de son héroïne en manque de sexe. Bien que le nom de la belle ait été totalement inventé, il ne faisait aucun doute, dans son esprit, qu’il s’agissait de sa si convoitée Gudrun.
Là, dans l’arrière-boutique, il inventait tous les supplices auxquels il rêvait la voir soumise. Il n’y avait pas de limites… Elle lui appartenait… Il en faisait ce qu’il voulait. Alors, une main tenant le stylo et l’autre dans son pantalon, la soirée pouvait parfois être longue avant que l’explosion ne vienne interrompre le flux de son imagination fertile.
Yaime pas pariss !
Y fait touyours froid, gris, il pleut tout lé temps. Chez moi à Barcelona, au moins, yé dou soleil. D’accord, yé dou fouir parcé qué yé mé souis fait pincer et yé né veux pas finir comme Ramon, en prisonne. Ramone, y s’est fait pincer ici à Pariss. Doù coup, yé reste ici à attendre qu’il sorte de sa celloule.
Ici, yé souis femme dé ménage, ça mé permet dé voler parfois quelques babioles ou dé faire des repérages. Mais dans l’ensemble, yé reste très sage.
Yé n’ai marre d’écrire avec cet accent ! À vous dé l’imaginer à présent ! Mais ne perdez pas de vue que Conception Esperanza Y Gomèz à un cheveu (un seveu) sur la langue !
Aujourd’hui, j’ai rendez-vous au salon de coiffure, j’en aurai bien pour une heure. La mode est aux patines, fini les couleurs monochromes, maintenant, on fait des mèches. Faut suivre. Gudrun, la patronne, m’a convaincue d’éclaircir un peu mes cheveux en y appliquant quelques mèches châtain clair, ça va égayer un peu mon visage, que j’ai un peu dur.
Si j’aime bien la patronne, je n’en dirai pas autant des autres clientes, des habituées, on croirait qu’elles passent leurs journées au salon. Parfois, je passe juste pour couper une mèche et je les retrouve systématiquement. À croire que leur vie se résume à se faire coiffer, se pomponner pour leur mec. Parce qu’évidemment, s’il y a bien un sujet redondant… ce sont les hombrès.
Je ne suis pas spécialement féministe, mais elles me font un peu peur. Elles veulent plaire à tout prix et seraient prêtes à n’importe quoi pour leur homme. Elles ne vivent que pour eux ou quoi ? Elles attendent quoi ? Leur assentiment ?
J’arrive au salon un peu en avance, je m’installe au côté d’une pimbêche que je croise régulièrement. Elle se nomme Marie-Astrid, elle est l’incarnation de la femme coincée du cul, les sourires rares et souvent forcés, toujours vêtue de tailleurs super chicos. On voit dans son attitude un peu hautaine qu’elle me considère avec condescendance, mais cela ne m’émeut guère. Si un jour, elle a besoin d’une femme de ménage, le poste ne me déplairait pas, je suis sûre qu’elle doit avoir un coffre à bijoux bien fourni. Donc, faisons l’hypocrite, sourions-lui, ne sait-on jamais !
Une belle Asiatique entre et un court silence s’installe, le temps d’admirer la plastique de la nouvelle arrivante que le brouhaha reprend de plus belle. En effet, un tumulte inhabituel règne dans le salon.
Aujourd’hui, Gudrun est hors d’elle et la raison est que quelqu’un lui a laissé un message anonyme, ce genre de message bien salace qui fait rougir jusqu’aux oreilles la Marie-Astrid. Tout le monde y va de son commentaire.
Quelques minutes plus tard, entre une drôle de femme qui semble n’avoir jamais mis un pied dans un salon de coiffure – ce qui fait frémir notre Gudrun au vu du travail en perspective. Elle éclate de rire lorsque lui parvient le billet.
La coiffeuse l’apostrophe avant de se retourner vers moi, qui me marre bien également :
Bon sang, je ne m’attendais pas à une telle avalanche de reproches ! J’en prends plein les niflettes ! Du coup, je provoque encore plus et propose à la belle asiatique et à une jeune gothique venant juste d’arriver, de rester aussi, pour jouir à leur tour des promesses faites par ce mystérieux homme à grosse bite.
Puis j’ajoute :
Ça fait marrer la jeune gothique.
Cette dernière fait un clin d’œil à l’Asiatique, tout en envoyant :
Je regarde de nouveau le message et me languis de Ramon ; pas qu’il ait une « grosse bite », mais, au moins, il en a une. Je réalise que ça me manque. J’en ai marre d’agacer le sous-préfet, de me taquiner le hanneton.
Monsieur Xélère Jack et Mme Lère Axelle s’aimaient tendrement, mais avaient un léger problème : à chaque fois, c’était trop rapide. À noter que la sœur de Jack, Ella, avait le même souci.
Ce petit couple tenait la boulangerie « L’enfourne tout », sise juste à gauche du salon de coiffure de Gudrun.
Ces derniers temps, le couple battait de l’aile, Madame reprochant à Monsieur d’avoir les yeux un peu trop volatiles. À chaque fois que Gudrun ouvrait le salon, Monsieur s’arrangeait pour faire sa petite pause et fumer sa clope. Son cinéma n’était pas passé inaperçu.
Axelle n’était pas prêteuse, c’était là son moindre défaut. Mais elle avait beau espionner son mari tout ce qu’elle voulait, s’il y avait bien un endroit où la femme ne pouvait pénétrer, c’était bien l’esprit de son cher et tendre.
Et il s’en passait des choses, dans l’esprit de Jack… et pas que des avouables. Car si l’homme se levait tôt dans la nuit, ce n’était pas uniquement pour lancer le pétrin. Seul entre ses machines et ses fours, c’est là qu’il se laissait aller à rêver de la belle Gudrun dans le plus simple appareil. En amateur de belles miches, il imaginait ses mains malaxer une moelleuse poitrine, presque à en sentir la chair laiteuse rouler sous ses doigts, la faisant gonfler pour passer de la réalité à celle de ses rêves.
D’ailleurs, depuis quelques semaines, il lui était venu l’envie de coucher sur papier les visions qui le hantaient, afin de les revivre à l’envi d’une simple lecture. C’est ainsi que sur fond de bourdonnement du pétrin, et dans l’odeur de farine, comme pour une recette, il détaillait méthodiquement comment il utiliserait son gros rouleau dans les orifices de la dame. Quel délice de la pétrir ainsi et d’en faire à sa guise tout ce qui lui passait à l’esprit !
Madame Tsouan travaillait en France comme diplomate, une activité comportant certains risques, que Mei décidait de vivre pour honorer son pays.
Loïc Kermarec, son époux défunt, avait été un mari aimant, mais têtu comme une bourrique. Le fier et beau breton était mort, comme bien d’autres marins pêcheurs. Trois ans après la naissance de leur fille, une tempête emportait son bateau qui sombrait en mer Jaune.
Il était alors impossible à Mei de s’occuper seule de Ting Ting. La diplomate vivait à Paris et tenait à ce que son enfant soit élevée en Chine. Elle avait donc confié l’enfant à son frère. Xiong Tsouan. Le riziculteur, aisé pécuniairement et veuf lui aussi, acceptait de rendre service à sa sœur aînée, promettant d’élever la gamine pour en faire une bonne fille. Il était préférable de commencer par accomplir les formalités idoines pour que sa nièce porte le nom de jeune fille de sa mère. Après quoi, il avait élevé sa nièce comme son propre enfant dans son petit village des bords du fleuve Yang-Tsé-Kiang. Ting Ting Tsouan eut une enfance heureuse auprès de son oncle Xiong.
Plus tard, âgée de vingt-un ans, la vie de la jeune femme prit un autre tournant, un peu comme le faisait parfois son cher Yang-Tsé-Kiang : elle décida de quitter son pays pour retrouver sa mère à Paris.
Ting Ting était un curieux mélange de caractères. La délicatesse des femmes asiatiques et la force de l’héritage des Celtes. Elle connaissait très peu cette maman vue bien trop rarement. Leurs retrouvailles avaient été chaleureuses, puis leurs rapports étaient devenus guindés et parfois houleux. Ting Ting avait le caractère ombrageux de son défunt père, mais le respect des traditions et son éducation faisaient d’elle une enfant respectueuse des autres. Et surtout, elle restait pétrie de respect et obéissante envers sa génitrice, comme elle l’avait été avec son oncle.
Prévoyante, la diplomate avait fait donner des cours de français à sa fille durant toute son enfance. Hormis cette intelligente initiative de l’époque, le rôle de mère lui était inconnu. Mei Tsouan, désemparée, se sentait incapable de gérer cette jeune femme soudainement tombée du ciel. Heureusement, Ting Ting apprit très vite à se prendre en main et finalement trouva sa nouvelle liberté agréable. Elle put entreprendre des études dès son arrivée en France et choisit de s’instruire dans le domaine du commerce international.
La première déception de Ting Ting fut de trouver le riz sans saveur. Après quelques échanges avec son cher oncle Xiong, elle reçut bientôt des colis pour pallier cet inconvénient.
Le jour de ses vingt-deux ans, Ting Ting s’était disputée avec sa mère, avant de se calmer et d’accepter d’attendre encore. Elle tenait à partir pour une visite de Brest. La ville de naissance de son père disparu trop tôt l’attirait avec une force qu’elle ne comprenait pas vraiment.
Ting Ting ne comprenait pas grand-chose des habitudes parisiennes. Si elle était allée à l’école et avait reçu des cours privés de langue, son éducation restait celle d’une paysanne des rizières chinoises.
Elle parlait parfaitement la langue de ses nouveaux amis, mais la jeune femme ne comprenait rien à ce qu’ils nommaient « humour à la française ». La première cible de cet humour fut son prénom. Elle avait conscience que Ting Ting pouvait être vu comme amusant ou ridicule pour les Français. C’était pourtant son patronyme qui avait amené au surnom dont on l’affublait ensuite. Pour ses camarades, Tsouan était d’abord devenu Tsouan-Tsouan, avant de passer à tsouin tsouin. Et de là, ses proches s’étaient mis à appeler Ting Ting… Tagada ! Et bien sûr, la jeune femme n’y avait rien vu de compréhensible. L’humour français lui paraissait très complexe.
La jeune Asiatique avait découvert d’autres choses, dont l’une l’avait réellement surprise. Ses amis, filles comme garçons, lui firent vite comprendre qu’elle était très belle. Ting Ting, jeune Chinoise, douce et naïve, n’avait jamais pensé être jolie. Tagada, Française, curieuse et en quête de découvertes, chercha très rapidement à en savoir plus sur cette révélation.
De longs cheveux noirs, un visage particulièrement mince, Ting Ting cochait toutes les cases du charme asiatique par excellence. Ses yeux noisette en amandes et ses traits si fins l’auraient presque fait passer pour un ange. Mais ce calme apparent cachait un dragon…
Ceinture noire 3ᵉ Dan de kung-fu, on pouvait dire que Ting Ting savait se défendre. Si son oncle Xiong avait su l’initier à cet art depuis toute petite, c’est toute seule qu’elle avait gravi les grades un à un par la suite, pour en arriver là où elle en était. Cette discipline l’avait forgée année après année pour en faire la jeune femme qu’elle était aujourd’hui : une main de fer dans un gant de velours.
Malgré cette maîtrise d’elle-même et cette force qui la caractérisait, Ting Ting gardait pourtant en elle un plus grand secret, une faille capable d’étioler sa confiance en elle : Ting Ting n’avait jamais connu… le sexe. En d’autres termes, l’évocation même d’un membre viril pouvait lui faire perdre tous ses moyens. Et c’est parfois avec envie qu’elle observait ces autres filles, si futiles et si superficielles, mais qui possédaient en elles le secret du rapport charnel.
De plus en plus fréquemment, la douce et respectueuse Ting Ting devait lutter contre le comportement plus hardi de Tagada. Elle éprouvait le désir de quitter cette ville qu’elle ne comprenait pas. Partir et s’installer en Bretagne devenait un désir impérieux.
Après en avoir lu quelques passages au hasard, Ting Ting Tagada reposa le roman d’une certaine Juliette G. Il s’agissait d’une histoire plutôt fade et sans trop d’intérêt. La jeune femme avait découvert récemment d’autres lectures et s’était entichée d’une auteure de grand talent, connue sous le nom de plume d’EdenPlaisirs.
Ting Ting était venue plusieurs fois au salon de coiffure, mais uniquement pour se faire coiffer et couper les pointes de sa chevelure. Elle aimait également les shampooings aux senteurs qu’elle ne connaissait pas. Elle avait fini par apprécier Gudrun. Cette femme au caractère un peu sec ne mâchait pas ses mots.
Le salon se remplissait maintenant de plus en plus. Chaque nouvelle cliente, plus atypique que la précédente, rendait l’atmosphère de plus en plus électrique. Et le mot qui circulait de main en main n’aidait en rien au retour à la sérénité, si chère à Ting Ting.
Quand cette fille entra dans le salon, la jeune asiatique sentit que ses limites en termes d’acceptabilité avaient été atteintes. Vêtue de noir des pieds à la tête, les yeux noirs maquillés de manière outrancière et une coupe, mon Dieu… Cette fille était l’incarnation même de la provocation… tout l’inverse de Ting Ting. Comme un fait exprès, elle s’assit à côté de la jeune asiatique, non sans lui porter un regard plus appuyé que la bienséance ne le permettait. À l’atmosphère déjà excitée s’ajoutait maintenant la gêne.
C’est alors que le fameux mot passa à proximité de la jeune Ting Ting. D’un regard affûté, elle en capta immédiatement les quelques phrases sur le papier. Mon Dieu ! Comment pouvait-on écrire de telles horreurs ? Bien que retournée par le contenu du mot, elle se ressaisit. Ce n’était pas quelques mots parlant de… sexe, qui allait lui faire perdre ses moyens, tout de même. Alors, puisant au plus profond d’elle cette force qui lui était si précieuse pendant les combats, elle se leva et alla voir Gudrun.
Allant se rasseoir à côté de la fille en noir, Ting Ting ne comprit pas trop si elle venait d’avoir affaire à ce fameux humour français. Frau Fritz avait l’air tellement sérieuse… Mais elle n’eut pas le temps de réfléchir plus longtemps à la question, qu’un niveau de gêne encore supérieur l’attendait à sa place : la gothique tenait dans sa main un mot similaire à celui circulant déjà dans le salon. Sans trop savoir pourquoi, Ting Ting plaqua sa main sur celle de sa voisine pour cacher le bout de papier. Pourquoi avait-elle fait ça ? Elle se le demandait encore, mais autre chose fit bientôt s’évaporer cette question pour la remplacer par une sensation des plus étranges…
Sous ses doigts, la douce main de la fille des ténèbres bouleversait la jeune asiatique. Pourquoi ressentait-elle cela ? Et quelle était cette sensation ? Une certaine chaleur s’était emparée d’elle. Le dragon s’était changé en chaton. Alors, pour se donner une contenance, Ting Ting lui fit part de ses craintes à montrer ce deuxième mot aux autres.
Sous ses doigts, la main se déroba pour ranger le papier, ce qui heureusement interrompit ce moment des plus troublants.
Ting Ting repensait à cette main contre la sienne, qui lui avait fait ressentir ces choses si étranges et délicieuses à la fois. La jeune femme n’avait que trop souvent esquivé tout ce qui avait trait à sa sexualité. N’était-il pas temps d’affronter ses peurs ? De se lancer dans l’arène ? Il était temps que le dragon, à l’abri sous sa carapace, laisse place au petit chaton. Ça tombait bien : la fille en noir s’était rendue au comptoir de Gudrun qui l’interrogeait sur ses envies. Alors, sans trop y réfléchir pour ne pas faire marche arrière, Ting Ting attrapa un stylo sur la table basse et fouilla dans la veste de la fille, restée sur le dossier de sa chaise, à la recherche du mot. Elle griffonna quelques caractères au bas du bout de papier et le remit en place avec sa dextérité légendaire.
Gudrun venait de l’appeler, que, déjà, la fille aux yeux noirs revenait à sa place. Ting Ting se leva. Leurs regards se croisèrent un instant. Le cœur de la jeune asiatique battait à tout rompre. Cela se voyait-il ? Elle sentit son visage s’empourprer. N’avait-elle pas fait une erreur en laissant ses impulsions prendre la décision ? Pour la première fois de sa vie, la jeune femme n’avait plus le contrôle. Que cela était effrayant… mais grisant à la fois !
Putain ! Qu’est-ce que je fous ici, moi ?
Je suis en face de la devanture du seul salon de coiffure encore ouvert dans cette putain de ville ! L’un était en travaux et un autre fermé exceptionnellement « comme par hasard » ! Enfin bref, pas le choix, quoi…
Terminant ma clope sur le trottoir, les images de la soirée d’hier me reviennent en tête. Putain de rave, du pur délire… et un son de malade. Par contre, je regrette vraiment d’avoir pris ces trucs qui circulaient. Je ne sais pas ce qu’il y avait dedans, mais j’en ai encore la tête qui tourne.
Jetant un regard à la façade de l’établissement, qui m’inspire confiance comme une capote trouée dans un gang bang, j’écrase mon mégot dans le cendrier mis à disposition devant l’entrée… avec son petit panneau marqué « Je pense à la planète ». Quelle connerie !
Je pousse la porte d’entrée. Avec mon perfecto clouté, mon jean skinny noir et mes bottes de combat à talons, je sens déjà que je ne vais pas passer inaperçue.
Gling ! Gling !
Rien que le tintement de la clochette, quand j’ouvre la porte, m’indique le niveau de technologie de l’endroit : bienvenue dans les années cinquante !
À peine rentrée, c’est la confirmation. Oh putain ! J’aurais tellement voulu me tromper. Au vu du papier peint (le même que chez mes vieux) et des magazines d’un autre âge posés sur la petite table basse, la pièce semble avoir été figée dans le temps… depuis… bien, bien longtemps. Et ce ne sont pas les coiffures, trônant au-dessus des yeux qui me fixent, qui vont contredire ma théorie : j’ai fait un putain de bon dans le passé, c’est sûr ! C’est quoi toutes ces momies ? Je pourrais presque sentir l’odeur du formol !
Au milieu des magazines, j’aperçois même un recueil d’histoires de cette fameuse Juliette G. Mouais, pas mal… mais ça ne vaut pas du Wedreca !
Allez ! Je ne vais pas faire ma difficile. Tu vas prendre sur toi, ma grande ! T’as besoin d’une nouvelle coupe et il n’y a pas d’autres solutions. Alors, souris et sois sociable !
C’est à peine si quelques-unes ont esquissé une réponse en retour, que les voilà retournées à leur occupation : elles sont en train de se faire passer un bout de papier en faisant des têtes plus outrées les unes que les autres. Je suis tombée chez les folles… j’ai vraiment le bol, moi !
Et puis, je la vois…
Putain de merde, la meuf ! Au milieu de toutes ces daronnes, une jolie Asiatique toute timide attend sagement son tour, rougissant à chaque passage du fameux papier. Ce n’est pas que je sois une morte de faim, hein… mais cette vision féérique, au milieu de ce décor, fait naître dans mon corps comme des sensations… étrangement connues.
Allez ! Vas-y, ma grande ! La chaise libre à côté d’elle, elle est pour toi !
Tout en m’asseyant, je ne peux m’empêcher de plonger mon regard dans son petit décolleté trop mimi. Waouh ! Je sens que je vais avoir chaud, moi. Mais je n’ai pas le temps de voir si elle a jeté un regard vers moi, que le papier de toutes les attentions arrive dans les mains de ma voisine de droite.
Je lis alors les quelques mots inscrits sur la feuille et reste figée de stupéfaction. Putain de merde ! C’est quoi ce bordel ? Ce n’est pas tant le contenu qui me glace le sang, non… Au collège, j’en écrivais déjà des bien pires. Non, ce qui me scotche, comme une pucelle en classe devant son manuel d’anatomie, c’est que ce mot… ce n’est pas la première fois que je le vois.
Assise entre ma vision de rêve et le clone (pas dégueu non plus) de Pénélope Cruz, je mets ma main dans ma poche et en sors mon papier… puis le déplie.
Petite salope,
Laisse la porte de ton appart ouverte.
Je te montrerai ma grosse queue !
Je vais te niquer Erika !
Devant ta webcam !
Tu la veux ma grosse bite ?
Signé : Une grosse bite impatiente…
Mais alors que l’Espagnole est en train de charrier la patronne, en nous proposant d’assister à un bon défonçage de chatte en règle, une main s’abat sur la mienne pour en cacher le contenu. Tournant la tête vers la propriétaire de la main, je reste figée : deux grands yeux me fixent d’un air… entre apeuré et horrifié. Mais qu’ils sont beaux, putain… Je m’y noierais avec délice. Et puis cette main sur la mienne… si douce… Elle va finir par me faire pointer, si ça continue. Mais je ne me suis pas encore remise de cette apparition fantasmagorique, que ses fines lèvres me chuchotent déjà tout bas :
Elle a beau avoir des yeux à se damner, cette fille est soit trop émotive, soit elle en sait beaucoup plus qu’elle ne veut le dire.
Rangeant le papier dans ma poche, elle retire sa main (merde, j’ai mal joué sur ce coup-là), alors que je la vois faire le tour des clientes du regard, comme pour vérifier que personne n’a rien vu, je sens bien, à ses doigts qu’elle tortille dans tous les sens, qu’elle n’est pas à l’aise.
Toi, ma cocotte, tu nous caches quelque chose… c’est sûr.
Alors, pour sonder un peu tout ça et voir sa réaction, je lui chuchote ce que j’ai entendu dire dans mon immeuble :
Je vois alors, à ses yeux ronds comme des billes, qu’elle n’était pas prête.
Mon Dieu, qu’est-ce que j’ai fait là ? Je me suis peut-être trompée. Elle ne cache peut-être rien du tout, la pauvre… ou alors… elle le fait très bien.
Oh la conne ! Elle m’a fait sursauter !
La femme qui m’appelle de l’autre côté de son comptoir me sort d’un coup de ma torpeur. Hypnotisée par ma belle ingénue, je mets un temps à rassembler mes esprits. A priori, c’est elle la boss… celle que les autres appellent « Gudrun ». Femme élégante et digne, elle semble mener son affaire d’une main de fer. Posant ma veste sur le dossier de ma chaise, je la rejoins pour balbutier une vague réponse :
Le regard et le sourire en coin que je lance alors à ma complice, en revenant vers elle, font instantanément basculer la colorimétrie de son joli visage vers le rouge. Cette meuf est vraiment trop craquante !
Mais la patronne l’appelle déjà, me privant cruellement de sa compagnie. Je me retrouve alors seule, plongée dans mes pensées…
Qui peut bien avoir intérêt à distribuer ces mots obscènes ? Et pour quoi faire ? C’est dingue ça, quand même. Le mec, il croit quoi ? Que je vais laisser ma porte ouverte… pour qu’il rentre, comme ça… en pleine nuit… à mon insu ? Pour se faufiler sous mes draps pendant que je dors… et faire glisser sa main sur mon corps nu… jusqu’à ma… et là, y coller son gros sexe raide… son bon gros chibre… bien dur… et pour d’un coup, l’enfoncer dans ma chatte trempée qui n’attendrait que ça…
Eh ! Oh ! oh ! Mais je pense à quoi là, merde ! Non, mais ça va pas la tête ! T’es tarée ma fille, de penser à des trucs pareils !
Reprenant alors conscience du lieu où je me trouve, c’est à mon tour de jeter un regard circulaire autour de moi, la chaleur montant à mes joues… et de tomber sur le regard de ma jolie Asiatique que coiffe la patronne, parée, à son tour, d’un petit sourire en coin.
A-t-elle compris ce qui m’a traversé l’esprit ? Peut-elle lire dans mes pensées ? On le dirait bien, au vu du regard avec lequel elle me fixe à présent. J’ai chaud… très chaud. Mais la honte que je devrais ressentir a laissé place à une douce excitation complice, car son sourire est rassurant, et…
***
Gling ! Gling !
Enfin dans la rue ! Enfin sortie de là ! Mon cerveau a du mal à se réhabituer au monde réel. Après, je dois bien l’avouer, cette Gudrun sait y faire avec des ciseaux. Je n’aurais jamais espéré le résultat obtenu.
Bon, et maintenant, je fais quoi, du coup ? La petite rêverie de tout à l’heure m’a mise en appétit. Je me ferais bien une bonne grosse saucisse… avec deux belles patates… et beaucoup de sauce…
Passant ma main dans ma poche, j’en ressors le mot du pervers. Et si je laissais ma porte ouverte cette nuit, moi aussi… juste pour voir… comme ça…
Mais sur la feuille, une inscription manuscrite attire mon attention :
Ting Ting
07 80 99 37 34
Ah ben non ! En fin de compte, je pense qu’un petit régime me fera le plus grand bien. Ce soir, un petit abricot me suffira amplement…
Pour une fois que je vais me faire coiffer, je ne suis pas déçue !
Je dois dire que, jusqu’à présent, je n’y allais jamais. Je portais des cheveux très courts, presque en brosse, facile à couper avec ma tondeuse calée sur sa plus grande longueur. Je trouvais que ça me donnait un style un peu étrange, bien adapté à ma profession, jusqu’à ce qu’un client m’avoue qu’il hésitait à revenir : je ne lui paraissais pas assez féminine. Un petit sondage m’a vite fait comprendre qu’il n’était pas le seul, alors je les ai laissés pousser depuis… deux bonnes années.
Et la coiffeuse va avoir du boulot pour me donner l’aspect dans le style que je veux lui demander : un peu trash, mais décent.
Lorsque j’entre dans le salon, je suis surprise d’y trouver déjà plusieurs personnes qui attendent… ou qui attendaient, car il règne dans la grande pièce une effervescence assez peu compatible avec l’ambiance calme et rangée que je m’imaginais d’un salon de coiffure. Mon « Bonjour » discret ne reçoit aucun écho, toutes les autres clientes parlent à qui mieux mieux et se passent un papier, qui conserve encore des traces de pliage.
La coiffeuse m’examine les yeux exorbités et lâche :
Je reste un moment en retrait, laissant dire et surtout écoutant. Parce que si je viens pour la raison officielle de la boutique, je viens aussi pour essayer de recruter quelques clientes. La table basse supporte des revues ringardes et quelques livrets qui ne m’attirent pas plus. J’ai le temps de déchiffrer quelques noms inconnus : Juliette G, Loaou, Melle Méli… avant d’être interrompue par ma voisine qui me tend le papier qui circule. Je le lis et jure à haute voix malgré moi, tant je suis surprise :
Quelques voix sont choquées par les mots, mais la plupart soutiennent le fond :
Devant le brouhaha que j’ai généré et ma surprise n’étant pas celle qu’elles doivent imaginer, je commence à rire, n’arrive plus à m’arrêter.
La pagaille reprend à qui mieux mieux, j’essaye de me faire toute petite pour mieux les observer.
Ce message me casse la baraque ! Aucune d’elles ne peut savoir que j’ai quasiment le même dans ma poche, quoique rédigé en termes mieux léchés. Je l’utilise depuis des années avec suffisamment de succès pour me fournir une clientèle rémunératrice : provocation, observation, invitation. En effet, je suis la propriétaire et principale animatrice de ce que des ignorants appellent avec un mépris vulgaire « donjon ». Je suis une artiste qui se met à disposition de clients et clientes qui veulent des sensations, douces ou brutales, tendres ou épicées, mais toujours envoûtantes. Et, manifestement, une de mes clientes se ressert de ma trouvaille. Il y a plagiat ! Je devrais porter plainte ! Mais c’est un peu délicat…
La Marie-Astrid, la bourgeoise amidonnée en train de se faire coiffer, qui questionne assidûment la patronne avec la délicatesse d’un éléphant dans un magasin de porcelaine… Je suis sûre qu’elle serait intéressée ! Elle vient de choisir « Sans contact, bien sûr ». Je lui en foutrais du sans contact, tiens ! Je veux bien parier que je la ferais hurler de plaisir avec du contact très rapproché. Peut-être même avec « des » contacts : j’ai des aides, hommes, femmes, et même autres, pour satisfaire toutes les demandes.
Il faut que je trouve un moyen de lui en toucher un mot, discrètement. En attendant, je parcours des yeux l’espace à la recherche des porte-manteaux. Il n’y a qu’une veste assez prétentieuse pour lui appartenir, de surcroît assortie avec son tailleur. Je profite d’aller suspendre la mienne pour glisser dans sa poche ma carte, avec mon téléphone et quelques lignes anodines et troubles qu’elle saura forcément comprendre si elle est concernée. Alea jacta est !
Et l’Espagnole, qui feuillette ces petits fascicules qui ont l’air assez croustillants ? Je profite qu’elle remplace la « Mâdâme » sur le fauteuil et se fait shampouiner, pour les parcourir à mon tour. Bingo ! Ce sont des histoires un peu olé olé, et vu le sourire de l’Espagnole qui les lisait, je tiens une autre cliente ! Mais… elle conseille à la patronne d’en profiter… Quelle mauvaise idée : c’est chez moi qu’elles doivent venir ! La salope ! Quoi ? Elle veut rester pour filmer ? Ah non alors ! Carton rouge ! Je vais finir par craquer et l’inviter tout de go à une solution plus saine. Reste à voir comment l’approcher.
Une espèce de sauvage – une jeune couverte de noir, plus gothique que ça, tu meurs – vient d’entrer. La provocation personnifiée ! Elle pourrait bien être ma concurrente qui vient constater l’effet de son mot et prendre les commandes. Je vais l’avoir à l’œil.
Mais je n’ai plus beaucoup de temps : il n’y a plus qu’une cliente avant moi, une Chinoise. En photo, on la jurerait photoshopée pour être aussi jolie. Aspect fragile, mais méfiance… La chine, c’est le respect, la maîtrise de soi… Elle, c’est les contraintes qui lui plairaient, je me vois déjà l’attacher tendrement sur ma table recouverte de satin juste pour elle, nue et jambes écartées à plat dos, la faire jouir de caresses avec une plume ou une lanière de soie jusqu’à ce qu’elle crie d’arrêter. J’adore ça. Le faire et le subir, bien sûr.
Cette beauté exotique va proposer son aide à « Gudrun ». J’ai au moins appris le prénom de la patronne, mais elle ne m’intéresse pas, vu ses réactions. Ou alors elle cache bien son jeu. Quand la Chinoise revient s’asseoir, après avoir assez énervé Gudrun, la fille en noir lui donne un papier ! Putain, j’en ai la preuve : c’est elle qui recrute avec MA méthode ! Je peux difficilement lui faire la tête au carré : elle est plus grande que moi, plus jeune aussi. Merde.
Gudrun appelle déjà la suivante : « Mademoiselle Tsouanne ». Il ne reste que la fille en noir et moi. Je l’examine discrètement, elle n’arrête pas de surveiller la Chinoise dans le fauteuil, les yeux brillants. Ne tenant plus, je me rapproche d’elle, malgré une certaine appréhension, et lui demande à voix basse :
Pas de Bol, Gudrun l’appelle en me précisant que je passe juste après. Je lui tends à toute vitesse ma petite carte en lui chuchotant :
Il ne me reste qu’à patienter, assez peu parce que l’artiste Gudrun est efficace. Je ne peux pas dire que j’aime mieux la fille en noir quand elle sort : son nouveau look me hérisse autant que sa coiffure l’est, mais une cliente est une cliente, je ferai abstraction. Elle, je la vois bien avec du fer, des aiguilles… et de l’amour, bien sûr…
Le soleil s’est couché et la nuit est sur le point de s’installer. L’heure de fermeture du salon approche, et avec elle l’espoir de découvrir l’identité de l’homme au gros sexe.
Cachées derrière les containers à poubelles, à quelques pas du salon, les cinq femmes sont excitées comme des puces. Prise par le jeu et sans s’en rendre compte, chacune à sa manière a baissé la garde. Les barrières sociales tombées, ne reste plus qu’une bande de copines partageant le même moment de complicité.
Marie-Astrid s’est décoincée et pouffe comme une petite folle. Conception, quant à elle, a troqué son humour provocateur, avec un sourire empreint de tendresse pour ses sœurs d’un soir. Il en va de même pour la jeune Ting Ting qui semble vivre avec délice ce petit moment de folie, sous les yeux amusés d’Erika qui, l’espace d’un instant, ne voit plus en ses femmes que les amies qu’elle aurait tant aimé avoir. Il en faut parfois peu, se dit Émilie, pour que de parfaites inconnues s’allient le temps d’une soirée, et oublient leur quotidien afin de vivre une aventure, si futile soit-elle.
Et puis, une ombre apparaît au coin de la rue…
Un homme, dont la silhouette a traversé la lumière du réverbère, vient de s’arrêter devant la porte du salon.
Pointant du doigt la deuxième ombre en approche, Erika ne peut réfréner un frisson d’excitation.
La main d’Emilie la retient juste à temps par le poignet.
Sous le regard de cinq paires d’yeux médusés, une troisième ombre rejoint les deux premières devant la façade du salon de coiffure, capturant toutes les attentions.
Comme une seule femme, les cinq complices se penchent imperceptiblement pour mieux entendre la conversation lunaire qui vient de débuter :
Les échanges allant bon train, les trois hommes ne se rendent pas compte que la porte du salon vient de s’ouvrir. Ce n’est que lorsque la voix à l’intérieur les interpelle, que les trois bouches se ferment :
Restant quelques secondes les yeux ronds comme des billes, les trois hommes semblent hypnotisés par la vision qui s’offre à eux. Ne semblant pas décidés à esquisser le moindre geste, c’est la main de Gudrun, sortant de l’encadrure de la porte pour agripper le col du plus proche, qui initie le mouvement.
Bientôt, la porte se referme sur les trois chanceux. La rue déserte replonge dans le silence… laissant dans le noir, les cinq femmes hébétées… avec la même pensée résonnant dans leurs têtes :
Mais quelle salope !
Les deux textes « Salon de coiffure pour Dame » et « Salon de coiffure pour Homme » ont été initiés par Juliette G qui a rédigé leurs introductions et recruté quelques auteur(e)s pour participer à l’écriture de chaque histoire, chacun(e) dans le salon de son genre. Pour la synthèse, le flambeau a été repris par Melle Mélina et Patrick Paris sous la supervision technique de Charlie67…
Chaque groupe a développé son texte en commun grâce à un forum dédié, sans connaître ce que faisait l’autre groupe…
Ont participé à ce jeu, par ordre alphabétique : Briard, Edenplaisirs, JulietteG, Laetitia, Loaou, Melle Mélina, Patrick Paris, Patrik, Radagast et Wedreca. Saurez-vous retrouver qui a écrit quoi ?