n° 22108 | Fiche technique | 21930 caractères | 21930 3669 Temps de lecture estimé : 15 mn |
10/11/23 |
Résumé: Caroline s’installe dans un gîte de charme synonyme de vifs souvenirs. | ||||
Critères: ff amour cérébral caresses mélo fantastiqu -fantastiq | ||||
Auteur : Aventurine Envoi mini-message |
Ils partirent dans l’après-midi en direction du lieu de séjour de Caroline. À la grande surprise de celle-ci, c’est Thomas qui avait proposé de l’y emmener. Le trajet leur parut long malgré la petite quarantaine de kilomètres à parcourir. La pauvreté de leurs conversations n’y était sans doute pas étrangère. Pas de tension apparente entre eux, juste l’obligation de sauver les apparences. Thomas s’arrêta enfin sur un petit parking ombragé et coupa le moteur.
Caroline leva les yeux vers le quadragénaire au visage anguleux. Le voile de l’amabilité était tombé et il paraissait soucieux.
Tous deux sortirent de la voiture et Thomas ouvrit le coffre pour que sa passagère puisse y récupérer son sac de voyage. Debout à l’ombre des marronniers, ils admirèrent le paysage qu’ils n’avaient pas revu depuis six mois. L’oubli de ses lunettes de soleil obligeait Thomas à plisser ses yeux bleus, ce qui accentuait l’expression préoccupée qu’il affichait depuis quelques minutes. Caroline pointa du doigt en direction du gîte et proposa :
Thomas consulta sa montre, contracta nerveusement ses mâchoires saillantes puis répondit :
La bise qu’ils échangèrent en guise d’au revoir fut de celles que l’on donne à la va-vite parmi une foule de gens à saluer. Juste polie, pour en finir.
Alors que Thomas s’apprêtait à remonter en voiture, il s’arrêta net et lança à Caroline, qui commençait à s’éloigner :
Il s’interrompit et fit disparaître sa main dans la poche intérieure de sa veste en cuir. Il en tira une enveloppe ivoire de taille standard et la tendit à Caroline d’un air grave. Cette dernière s’efforça de masquer sa surprise, mais n’y parvint pas.
Sans autre explication, les mains dans les poches, Thomas regarda la destinataire du courrier retourner le pli entre ses doigts. Le papier portait quelques traces de manipulation même s’il semblait avoir été ouvert avec soin. Seul le morceau d’adhésif qui y avait été collé trahissait son ouverture. De l’autre côté, il n’y avait qu’un seul mot : son propre prénom, écrit d’une main qu’elle reconnut immédiatement. L’encre turquoise et le trait fin. Et surtout le cœur puéril sur le i de Caroline.
Thomas ne prit pas la peine de répondre et tous deux se séparèrent ainsi. Ils ne se reverraient sans doute que par hasard, mais toujours sans heurts. C’était mieux ainsi.
Caroline avançait lentement sur le chemin de halage et observait les reflets qui habillaient la rivière d’ombres et de couleurs chatoyantes sous les rayons estivaux. Comme Thomas le lui avait indiqué, elle n’était plus qu’à quelques dizaines de mètres de la prochaine écluse, celle qui serait son gîte pour la soirée. Son cœur accélérait à mesure qu’elle se rapprochait. Pourtant, malgré son impatience, elle ne se hâtait pas et s’imprégnait des lieux. L’éclusier n’arriverait que dans un quart d’heure environ pour lui remettre les clés.
Elle ne tarda pas à atteindre la charmante bâtisse en pierres apparentes et au toit habillé d’ardoises. La maison de l’éclusier dominait fièrement le canal, perchée sur son petit talus herbeux. On pouvait accéder à l’écluse en contrebas par un escalier en pierre. Coquette maison de poupées, elle arborait des portes et volets du même vert pomme que l’écluse en elle-même, comme pour bien signifier aux bateaux de passage qu’elle en était la gardienne. Caroline leva les yeux vers les fenêtres du premier étage. Deuxième, en partant de la gauche. C’est là-haut que se trouvait leur petit nid, lors de leur précédent séjour. Sa gorge se serra. Debout au milieu du chemin, elle fut submergée par l’émotion. Les souvenirs défilaient, l’effleuraient puis laissaient place à d’autres, à la manière des cyclistes bariolés qui passaient près d’elle en trombe. Elle ferma les yeux et l’obscurité revint dans son esprit. Pendant quelques secondes, elle écouta le son des pneus qui s’éloignaient en crissant sur le chemin. Un autre bruit, celui de pas lourds, la ramena alors à la réalité.
Elle cligna des paupières, chassant les larmes qui menaçaient d’emplir ses yeux noisette. À travers ce voile, elle distingua un sexagénaire bedonnant, chaussé de bottes en caoutchouc, qui s’approchait d’elle en sifflotant. Il avait surgi de l’arrière de la maison, poussant devant lui une brouette chargée de branchages. Il abandonna celle-ci et, s’essuyant les mains sur son bleu de travail, apostropha Caroline d’une voix sonore :
Caroline opina de la tête et avança vers lui, impressionnée par la carrure et le ton du personnage. Seul le sourire affable qu’il lui adressa alors la rassura quelque peu. Comme la dernière fois. L’homme plongea une main terreuse dans l’une de ses poches et en extirpa un trousseau de clés.
Caroline tressaillit à ces mots, mais tenta de demeurer impassible.
L’éclusier la dévisagea de son regard gris et sembla percevoir la gêne qui se posa brutalement entre eux pendant plusieurs secondes.
Sa main rondelette balaya l’air en un geste d’excuse. Il ajouta, en faisant tinter le trousseau entre ses doigts :
Puis, tournant les talons, l’homme fit entrer Caroline par l’une des deux portes vert-pomme. Sur la gauche, le petit hall donnait directement sur un escalier en bois verni. Face à eux, une porte béante laissait voir une petite cuisine, dont la table ornée d’une toile cirée fleurie était chargée de bocaux en verre de toutes tailles. Une odeur de confitures envahit les narines de Caroline, masquant de légers effluves de tabac froid. L’éclusier la devança dans l’escalier après avoir retiré ses bottes avec peine, entravé par son embonpoint. Gravissant chaque marche en prenant garde de ne pas glisser, Caroline sentit son cœur s’emballer à nouveau. Comme l’artiste nerveux en coulisse qui s’apprête à entrer sur scène. Trac, mais impatience. Parvenus au premier étage, ils firent halte devant la deuxième porte et l’éclusier introduisit l’une des clés dans la serrure.
Il jeta alors un coup d’œil vers le visage grave de Caroline, comme s’il s’attendait à quelque objection.
D’un geste ample, il ouvrit la porte et invita Caroline à le précéder dans la pièce.
Caroline retira le trousseau qui oscillait encore dans la serrure et posa les clés sur la commode. Elle referma doucement la porte et ouvrit fenêtre et volets. La brise s’engouffra dans la petite chambre mansardée, entraînant avec elle les parfums de prune sauvage qui émanaient du rez-de-chaussée. Six mois après, rien n’avait changé à l’exception de la saison, ce qui éviterait à Caroline de rester confinée dans l’atmosphère surchauffée par le minuscule radiateur. Les boiseries étaient aussi blanches que le grand lit à barreaux et la commode. L’unique mur peint en vieux bleu, celui situé derrière le lit, apportait une touche de couleur à l’ensemble, dans les mêmes tons que les myosotis qui parsemaient la housse de couette. Dans un coin, le miroir psyché au cadre argenté renvoyait à Caroline son reflet coloré.
Elle posa son sac de voyage et contempla son reflet. Elle portait une jupe noire à motifs fleuris orangés, qui mettait en valeur la finesse de ses jambes juste au-dessus des genoux. Débardeur orangé assorti, lunettes de soleil posées sur ses boucles brunes et bronzage doré. La parfaite touriste, pensa-t-elle, amusée. C’est pour cela aussi que je suis là. Profiter du cadre. Profiter de la vie. Caroline ouvrit son sac et en tira délicatement l’enveloppe, qu’elle avait posée sur ses vêtements soigneusement empilés. Elle hésita, mais ne put se résoudre à ouvrir le courrier. Avec un soupir désabusé, elle le plaça sur la commode près du trousseau de clés.
Profiter de la vie. C’est ce qu’elle s’efforça de faire ce soir-là. Le long des berges du canal, tant que le soleil d’été daignait éclairer le paysage devenu ardent. Marcher lentement sur le chemin poussiéreux et écouter le crissement des cailloux sous les semelles de ses sandales pailletées. Regarder défiler les reflets animés des eaux sombres et se laisser surprendre par le saut soudain de quelque poisson, perche ou brochet peut-être ? S’approcher d’une nouvelle écluse puis, devant chacune, s’émerveiller de ses couleurs ou de la perfection de ses parterres de fleurs. Et sur le chemin du retour, revoir le même décor sous un autre angle. Y découvrir des détails qu’elle n’avait pas repérés au début de cette boucle pittoresque. Lorsque Caroline revint de sa promenade, la maison l’accueillit non pas avec le parfum des confitures, mais avec le fumet d’un poulet rôti. Jeanne, l’épouse de Guy l’éclusier, invita son hôte d’un soir à les rejoindre pour le dîner lorsqu’elle serait prête, ce qu’elle accepta d’un ton enjoué. Elle fut généreusement nourrie de discussions joviales et de saveurs authentiques. Volaille juteuse de la basse-cour, légumes confits du jardin et tarte aux prunes dont elle pourrait emporter un peu des saveurs sous la forme d’un petit pot de confiture encore tiède.
De retour dans sa chambre après le repas, elle se sentait vibrer, heureuse de l’instant présent, le cœur léger. Pourtant, quand elle pénétra dans la pièce et posa les clés sur la commode, son regard fut attiré par l’enveloppe. Ce courrier qu’elle devrait, tôt ou tard, trouver le courage de lire. Elle se souvint des circonstances qui avaient suivi son premier séjour ici. Cette parenthèse à deux avait pourtant été enchantée, malgré la grisaille hivernale. À peine était-elle rentrée chez elle ce jour-là, que tout son monde s’était effondré. Le coup de fil de Thomas, l’annonce et le choc. Puis le retour sur les lieux, la police, le corps inerte dans l’ambulance, l’incompréhension des éclusiers. Les interrogatoires. La colère froide de Thomas.
Elle contempla encore quelques instants le canal désormais plongé dans l’obscurité. Puis elle ferma les volets en bois en les laissant légèrement entrebâillés, dans l’espoir de faire entrer un peu de fraîcheur. Dans la salle de bains située au fond du couloir, Caroline se doucha sous une eau tellement fraîche qu’elle en soupira d’aise à plusieurs reprises. Puis elle but à longues gorgées un verre d’eau glacé du pichet que Jeanne était venue lui apporter peu après le dîner. Dans la chambre elle resta nue pendant qu’elle finissait de sécher ses cheveux bouclés. Soudain, elle frissonna légèrement. L’air nocturne n’était pourtant pas venu à bout de la chaleur. Dans son sac qu’elle n’avait pas pris la peine de défaire, elle saisit et enfila un peignoir léger en satin saumon. Son préféré.
Devant la psyché, elle allait nouer la ceinture lorsqu’elle se sentit frissonner à nouveau. Étonnamment, il faisait tellement froid désormais dans la pièce que Caroline ferma complètement la fenêtre. L’espace d’un instant, elle se crut fiévreuse. En repassant devant le miroir, elle s’aperçut avec surprise que le double nœud du peignoir était devenu lâche et entreprit de le refaire. Elle sentit alors comme un courant d’air dans son cou. Ou plus exactement, un souffle bref, un air non pas froid, mais étrangement tiède. Ses mains restèrent en suspens et elle leva les yeux vers son reflet. Derrière elle, juste le mur bleu et la parure myosotis. Bien sûr que je suis seule ici, pensa-t-elle en se retournant malgré tout vers le lit. Lorsqu’elle refit face à la psyché, elle sentit à nouveau cet air tiède dans son cou, comme si quelqu’un se tenait derrière elle jusqu’à la frôler, le visage tout proche de ses épaules. Caroline trembla de plus belle et, portant une main à son cou, frémit lorsqu’elle sentit un autre souffle lui effleurer la nuque. Puis juste après, la douce pression d’un baiser.
Caroline resta interdite et tenta de faire abstraction des battements de son cœur, qui avait trouvé une autre raison valable de s’affoler. Je transpire, je dois vraiment avoir de la fièvre. Un autre baiser tout aussi délicat se posa sur son épaule droite. Toujours figée de stupeur, elle observa son reflet et la vacuité de la pièce qui l’entourait. Au fond d’elle, elle avait reconnu cette manière d’embrasser, cette manière de poser ses lèvres sur la peau jusqu’à lui imprimer une pression gourmande. Elle se souvint des lèvres charnues et des charmantes fossettes qui apparaissaient à chaque sourire. Sa gorge se serra, mais elle ne pleura pas. Ce n’est pas de la fièvre. J’ai sûrement trop bu.
Profite de la vie. Elle entendit cette phrase en son for intérieur, aussi nettement que si on la lui avait soufflée. C’est sa voix, songea Caroline. Je deviens folle. Caroline ferma les yeux en se sommant de se ressaisir, mais la sensation de baisers successifs dans son cou et sur ses épaules ne cessa pas. Toujours campée devant le miroir, elle tenta de respirer plus calmement. Le nouveau frisson qu’elle ressentit quelques instants plus tard ne fut pas causé par le froid surprenant qui enveloppait toujours la pièce. Un plaisir diffus monta en elle et ne fit que s’accroître lorsqu’elle sentit comme deux mains descendant en même temps le long de sa taille et de ses hanches. Puis, sous l’effet d’un soudain courant d’air à l’origine indéfinissable, son peignoir s’enfuit de ses épaules et glissa sur le plancher. Dans la psyché, elle observa sa nudité et le vêtement qu’on lui avait enlevé sans la toucher. Pourtant, ainsi dévêtue, elle n’avait plus froid : deux faisceaux de chaleur parcouraient doucement son buste, son ventre, telles deux mains audacieuses. En même temps, une onde délicieuse envahissait toute la surface de son dos, la naissance de ses fesses, comme si un autre corps nu se pressait contre le sien, debout devant le miroir.
« Dis-moi si tu aimes », murmura la voix près de son oreille, avant que d’autres baisers plus ardents ne se pressent sur sa nuque. Elle sentit alors deux paumes englober chacun de ses seins. La sensation de doigts taquins titillant ses tétons devint de plus en plus distincte. Chaque perception de courant d’air se transformait en impression charnelle de plus en plus intense. Caroline ouvrit les yeux et porta instinctivement les mains à sa poitrine. Dans le reflet du miroir, il n’y avait qu’elle. Toujours elle, seule.
« Dis-moi si tu aimes », répéta la voix familière. Le rire malicieux qui suivit cette phrase susurrée fit naître un large sourire au coin des lèvres de Caroline. L’effroi qui habitait son visage la quitta enfin. Puis, levant ses yeux noisette vers sa propre image, elle s’entendit répondre d’une voix douce : « Oui, continue, j’aime ce que tu me fais ». Saisie par une vague impression de ridicule, elle rougit puis referma les yeux. Elle se laissa bercer un moment par ses sensations et bascula vivement la tête en arrière lorsqu’elle sentit une main descendre jusqu’à son intimité. L’autre main caressait toujours l’un de ses seins et on l’embrassa sur les lèvres lorsqu’elle tourna la tête. Hésitant à croire à un rêve, elle laissa l’amante invisible lui prodiguer des caresses de plus en plus intimes.
Au bout de plusieurs minutes, ses jambes se mirent à trembler sous l’effet du plaisir, si bien qu’elle agrippa le cadre oblong de la psyché. Cette position et ces sensations la renvoyèrent soudainement six mois auparavant. Non, ce n’était pas un rêve, pas plus qu’une simple impression de déjà-vu. Craignant de perdre l’équilibre, Caroline alla s’allonger sur le lit, les deux poings serrés sur son ventre. L’effroi la saisissait à nouveau, mais c’est la puissance du plaisir qui troublait son élocution :
« Dis-moi… Dis-moi que c’est toi… »
Elle tendit l’oreille de toutes ses forces, de toute son âme, mais la voix ne répondit pas.
« Parle-moi encore, s’il te plaît… »
Les poings de Caroline se serrèrent encore plus fort. La présence invisible d’une langue léchant subtilement son sexe la fit trembler de volupté. Elle baissa les yeux vers ses jambes qui s’écartèrent spontanément, mais ne vit pas l’Autre. Une chevelure lui chatouilla le haut des cuisses. Caroline leva brièvement une main au-dessus de son bassin, mais ne toucha que le vide. Bientôt, elle sentit que l’orgasme allait s’emparer d’elle sous ces caresses habiles et délicates. La pression contre son clitoris se fit plus vive et des doigts glissèrent en elle. Plusieurs spasmes la secouèrent subitement et elle serra les cuisses. Elle ne put contenir les élans de l’extase et à cet instant, se réjouit que personne ne puisse l’entendre crier. Haletante, elle laissa ensuite le plaisir se dissiper doucement.
Elle était en sueur, ce qu’elle remarqua quelques minutes plus tard quand une brise inexplicable se mit à balayer la pièce. Elle eut froid à nouveau. Caroline se redressa et braqua le regard vers l’entrée. La porte était close, rien dans la pièce n’avait bougé. Pourtant, le courant d’air fit s’envoler l’enveloppe posée sur la commode. Elle contempla le pli qui virevolta quelques secondes avec grâce et se posa près d’elle sur la couette. Caroline quitta le lit précipitamment comme pour fuir le contact de l’objet. Puis elle ramassa le peignoir qui gisait sur le parquet en jetant des coups d’œil vers les coins sombres de la chambre. Elle hésita, finit par saisir délicatement le courrier et examina l’inscription de son prénom.
Revenue s’asseoir sur le bord du lit, elle se résolut à ôter avec soin l’adhésif collé sur l’enveloppe. Elle déplia d’une main tremblante la lettre qu’elle contenait. Sur la page décorée de papillons bariolés se déroulait l’écriture soigneuse de son amie Isabelle, de la même encre turquoise que celle de l’enveloppe. Elle se mit à lire à voix haute, pour meubler le silence nocturne avec le chant des mots :
Caroline chérie,
J’ignore combien de temps s’est écoulé depuis mon départ. Mais si tu lis ma lettre en ce moment, c’est que tu es de retour à notre gîte. Du moins, je l’espère. J’ai demandé à Thomas de te remettre cette lettre et je lui ai écrit également. Il sait pourquoi j’ai choisi de partir. Il sait aussi qui tu étais pour moi, et quels tourments me causaient mon attirance pour les femmes. J’espère de tout cœur que malgré les circonstances, il ne t’en veut pas au point de t’avoir écartée de sa vie. Et te concernant, je comprends que tu puisses m’en vouloir. Excuse-moi de t’avoir laissée juste après la magie de notre dernière escapade. Excuse-moi de t’avoir chamboulée, blessée, et de remuer le couteau dans la plaie en te demandant de revenir ici. Mais c’est le seul dernier cadeau que je pouvais t’offrir.
Je voulais te dire au revoir par écrit et m’assurer que tu serais, que tu es plus forte que moi. Je voulais d’abord que tu repenses à moi ici, dans ce gîte, en été. Nous n’avons eu que de jolis moments ensemble, alors j’espère que tu es allée flâner le long du halage, d’une écluse à l’autre, et que le retour sur les lieux t’a finalement offert plus de joie que de tristesse. Je voulais que tu revives un peu, par le souvenir, ce que nous avons partagé toutes les deux pendant nos deux ans ensemble. Je voulais que tu te rappelles mes mains dans tes cheveux ou sur ta taille, nos baisers tendres, nos caresses sans fin. Je voulais même que tu reviennes ici, avec une autre que moi, pour lui faire partager tout cela. Pourquoi pas ? Mon amante adorée (je te vois sourire, tu sais bien que j’adore t’appeler comme cela), je voulais que tu reviennes ici, mais sache-le, je ne veux pas, bien sûr, que tu me suives là où j’ai cru bon de m’enfuir. Ne me suis surtout pas non plus dans le doute, la honte ou la mélancolie. Je n’ai jamais voulu que tu partages mes peurs, ce sentiment parfois insupportable d’être différente. Même si nous nous sommes tant confiées à ce sujet.
Caroline sentit sa voix faiblir. Elle poursuivit sa lecture en silence, faisant fi des larmes qu’elle laissait couler sur son visage.
Alors, avant de partir, lis-moi attentivement. Sois plus forte que moi, Caroline. N’aie pas honte de m’avoir aimée, si tel est le cas. Aime celle que tu veux, si tu ne l’as pas encore trouvée. Réjouis-toi de trouver belles ou de désirer celles qui croisent ton chemin, ton regard, ta vie. Et surtout, aime-la, ton amante adorée ! Sois heureuse de marcher avec elle dans la rue, ta main dans la sienne, sans t’occuper du regard de certains passants. Profite de la vie, et aime. Je t’aimais aussi.
Isa
Deux nouveaux courants d’air tièdes passèrent sur chacune des joues de Caroline et y séchèrent les sillons de tristesse qui les traversaient. Comme deux mains tendrement posées autour de son visage.