Un récit historique situé lors de la fin du XIXème.
La façon de penser et de faire varie en fonction des époques.
Bonne lecture : )
Siméon Mabassy
Grand homme politique et directeur du journal qu’il a fondé peu après l’instauration de la Troisième République, et dans lequel il assassine par écrit ses nombreux adversaires ventripotents (auquel il ressemble de plus en plus), mon cousin Siméon Mabassy ne décolère pas : son épouse a osé le tromper, lui, l’homme ayant dépassé la centaine de maîtresses !
Tandis que je suis dans son bureau, je lui fais remarquer cette contradiction :
- — Ne me fais pas rire, Siméon ! Tu as eu tellement de maîtresses que les doigts de mes mains et de mes pieds ne suffisent pas à les compter !
- — Pour un homme de mon envergure, ça ne compte pas !
- — Joli jeu de mots que tu te feras un plaisir de caser dans un prochain article de ton journal.
- — C’est ça, rigole, Eugène ! Tu as de la chance d’être à la fois mon cousin et mon associé ! Sinon…
Je sais que je peux me permettre bien des choses grâce à cette double relation avec Siméon, et j’en profite depuis bien des années. De plus, c’est moi qui ai apporté le plus gros capital lors de la création du journal, donc j’ai voix au chapitre et je fais souvent contrepoids au tempérament orageux et impulsif de mon cousin. Nos mères sont sœurs, et nous avons une petite ressemblance physique, surtout le haut du visage, car celui de mon cousin est dévoré par une barbe de prophète. Quant à moi, je me contente d’une fine moustache et d’une barbichette, comme sous le défunt Second Empire.
Faisant fi de sa menace larvée, poings sur les hanches, et trouvant que mon cousin exagère, je poste devant lui :
- — Deux poids, deux mesures : tu te permets de folâtrer avec tout ce qui porte des jupons, délaissant depuis longtemps ta femme et tes enfants, mais dès que la mère de ta progéniture a une seule petite faiblesse en quinze ans de mariage, toi, tu veux la renvoyer en Italie comme une malpropre, loin de ses enfants, ou la faire interner comme folle. T’es franchement un gros salaud, Siméon.
Derrière son bureau, mon cousin se met à bouillir :
- — C’est moi que tu traites de salaud !?
- — Bien sûr que oui, Valentina ne mérite pas ça, sans oublier toute la presse adverse qui se fera un plaisir de dire la même chose, sous d’autres vocables, souvent moins polis.
- — C’est moi le salaud, alors que cette traînée m’a trompée sous mon propre toit ?
Je me fais un plaisir de rééquilibrer la balance :
- — Toi, tu l’as trompée bien des fois en faisant venir sous ce même toit diverses maîtresses. Faut-il que j’énumère quelques prénoms ?
- — Tu n’as pas le droit de me traiter de salaud ! Pas toi !
Croisant les bras, je rétorque moqueur :
- — Et tu vas faire quoi ? Me provoquer en duel ? C’est ta marotte quand on te contrarie. C’est trop risqué pour toi, tu sais que je sais me servir d’une épée et d’un pistolet, pas comme ces journaleux péteux et ces députés branlants que tu as provoqués. Remarque, c’est peut-être la solution à tous nos problèmes : toi mort, tout le monde sera content !
À ces mots, Siméon devient écarlate. Profitant de mon avantage, et décidé à l’asticoter encore un peu plus, j’enfonce le clou :
- — Eh oui, cher cousin ! Tu as tellement d’ennemis, aussi bien en politique, en affaires, sans oublier tous ceux que tu as cocufiés, quand ce n’était pas les deux ou les trois en même temps. Ajoutons que la plupart de tes anciennes maîtresses n’ont pas énormément apprécié la manière cavalière dont tu les as abandonnées, avec parfois un polichinelle dans le tiroir. Alors, calme-toi et laisse-moi te proposer une solution adéquate.
À moitié furieux, mon cousin tourne en rond entre son bureau et la fenêtre aux lourdes tentures, puis se tournant vers moi, il demande d’un ton hargneux :
- — C’est quoi ta solution ?
- — Je vais y venir, mais avant, je vais dérouler ma pensée. À condition que tu te calmes un peu, sinon tu vas finir par nous faire un arrêt cardiaque.
- — Ne fais pas trop long ! Bien que tu m’aies parfois été de bon conseil…
Me rappelant de bien des événements pas si lointains, je me mets à rire :
- — Parfois !? Tu as l’art de la litote ! Je ne compte plus le nombre de fois où j’ai dû te sauver la mise ou arrondir les angles !
- — Bon, bon, bon… Dis ce que tu as à dire, Eugène.
- — Tu veux séparer tes enfants de leur mère ? Mauvaise idée !
- — Et pourquoi donc ?
Je m’exclame, mettant les points sur les i :
- — Tu ne sauras pas quoi en faire, de tes enfants ! C’est à peine s’ils te connaissent ! Tu es un coup de vent pour eux, sans plus, une sorte d’oncle lointain. Te rends-tu compte qu’ils me voient beaucoup plus en une seule saison que toi durant dans toute leur vie, y compris ton aîné qui a maintenant presque quatorze ans ?
- — Euh…
J’ajoute d’autres points sur les « i »et certains accents sur diverses voyelles :
- — Tu réalises que je suis plus souvent chez toi que toi ? Je passe fréquemment faire un petit coucou en fin d’après-midi, je joue souvent avec tes enfants, je fais la conversation à ton épouse. Un dimanche sur deux, voire plus, je te remplace au repas dominical, en amenant un poulet rôti, un gâteau. Et une dinde à Noël que tu oublies une fois sur deux de passer en famille…
- — Je… j’ai des obligations professionnelles…
- — Oui, oui, je les connais tes obligations professionnelles, elles ont de belles gambettes et des seins pointus en obus, ton autre marotte.
Il grimace. Je continue sur la lancée :
- — Rappelle-moi un peu comment tu t’es construit durant ton enfance ? Contre ton père et par amour pour ta mère qui était une femme délaissée. Eh bien, toi, tu reproduis exactement le même schéma, tu singes ton père !
- — T’exagères, Eugène !
- — Ah oui ? Ose me dire le contraire, prouve-moi l’inverse, Siméon. De plus, il ne t’a pas échappé que ton aîné est tout simplement ton portrait craché, aussi bien pour le physique que pour le caractère qu’il a quand même plus mesuré, ce qui est un point positif.
- — C’est vrai que je ne peux pas renier mes enfants…
Les bras toujours croisés, je m’approche lentement de mon cousin posté de l’autre côté du bureau qui nous sépare :
- — Je suis content de te l’entendre dire, Siméon. Maintenant, sépare donc tes enfants de leur mère, et dans quelques années, tu verras au moins un ennemi implacable de ton propre sang se dresser face à toi. Tout comme tu l’as fait avec ton propre père. Et tu risques d’avoir deux garçons, car le puîné ne cède en rien sur ce plan-là à son grand frère.
- — Tu veux rire ! Des enfants, face à moi ?
- — C’est ce qu’a dû se dire ton père en te voyant faire au début. Pourtant, à peine à vingt ans, tu as magistralement vengé ta mère, et ton géniteur ne s’en est jamais relevé. Et toi, tu te crois si au-dessus de tout le monde pour croire que tes copies conformes ne pourraient pas réussir la même chose ? Tu veux les faire enfermer, eux aussi ? Ce sera du pain béni pour tes ennemis !
Grimaçant de plus belle, Siméon s’agace :
- — Passons ! C’est quoi ta solution ?
- — Réponds sincèrement à mes questions, Siméon. Au moins une fois dans ta vie !
- — Tu me cherches ou quoi ?
- — Tu réponds, c’est tout ce que je te demande. Question numéro un : tu souhaites divorcer, n’est-ce pas ?
- — Et comment ! Je ne veux plus que cette traînée…
Tendant le bras, je le coupe en plein vol :
- — STOP ! Pas besoin de faire de grands discours, Siméon. Question numéro deux : tu souhaites continuer à voir tes enfants, n’est-ce pas ?
- — Ce sont MES enfants ! Et comme j’en aurais assurément la garde, je ne vois pas où est le problème.
Je soupire bruyamment :
- — Tu ne sauras pas les éduquer, admets-le ! Tu feras mumuse avec eux quelques semaines, puis tu passeras à autre chose. Tu les abandonneras à une gouvernante. Question numéro trois : tu souhaites que le cas de ta femme ne soit pas récupéré par tes ennemis, n’est-ce pas ?
- — Je la ferais expulser, Valentina n’est pas française.
Mon cousin va toujours trop vite en besogne, tout n’est pas toujours aussi simple qu’il le désire. Je lui fais donc remarquer divers points de détail :
- — Elle l’est devenue en t’épousant, je te signale. De plus, tes ennemis se feront un plaisir de te mettre des bâtons dans les roues, la procédure traînera durant des mois et des années.
- — Dans ce cas, je la ferais interner !
- — Eh bien, dans ce cas, tes ennemis se feront un plaisir de pointer du doigt tes multiples incartades et ta façon violente de réagir. Ils en feront une martyre. D’ailleurs, tu réagis trop souvent de façon excessive. C’est du pain béni pour eux.
Rageur, sachant que j’ai raison, mon cousin serre les poings. De mon côté, je reste impassible, tout en le regardant sans baisser les yeux. Je le connais depuis longtemps, depuis notre enfance commune. Puis se détendant, en me fixant, il soupire :
- — Alors c’est quoi, ta solution, Eugène ?
- — J’épouse Valentina.
Les yeux exorbités, mon cousin rugit :
- — QUOI !!?
- — Tout reste en famille. Je suis déjà presque un père pour ta progéniture, je ne t’empêcherai pas de les voir de temps à autre.
Tremblant, Siméon se ramasse sur lui-même, tel un félin qui veut bondir sur sa proie :
- — Tu veux dire que, toi et ma femme, vous êtes amants ?
- — Arrête tes crises idiotes de jalousie mal placée ! Le pire que j’ai pu faire à ton épouse est de l’embrasser sur la joue ! Et devant toi, imbécile !
Reprenant raison, il se détend un peu plus :
- — Alors pourquoi veux-tu épouser Valentina ?
- — Parce que, malgré tout ce que tu as pu lui faire, elle est toujours restée une bonne épouse, et je sais qu’elle restera toujours une bonne épouse, quoiqu’il arrive. De plus, ta famille gardera son unité, elle sera un peu plus la mienne que maintenant, bien que je ne puisse pas avoir d’enfants.
Se redressant, mon cousin lâche dans un petit rire sec :
- — C’est vrai que tu es impuissant…
- — Je ne suis pas impuissant, Siméon, bien des femmes te le confirmeront. Moi au moins, je n’ai pas trente-six enfants illégitimes à droite et à gauche. Tu veux que je te cite quelques dates et quelques prénoms ?
- — Ça va, ça va…
À nouveau, je mets les points sur les i :
- — Je suis stérile, nuance, mon cher cousin. Et je te rappelle que j’ai plus d’une fois consolé certaines femmes que tu avais délaissées.
- — Tu as l’art de passer après moi !
Avec une rapidité surprenante, je bondis d’un bon mètre en avant, et par-dessus le bureau, j’agrippe Siméon par le col sous sa vaste barbe, collant mon visage contre le sien :
- — Encore une flèche de ce genre, cher cousin, et tu seras un homme mort au petit matin, lors d’un duel à la régulière.
Siméon me regarde d’un air totalement abasourdi. Sans ménagement, je le repousse, tout en le libérant, puis je me calme aussitôt :
- — Tu es exaspérant, Siméon ! Un jour, tu finiras par me lasser, moi aussi.
Encore sous le choc, mon cousin se réajuste, tout en me fixant d’un air hébété. Droit comme un i, je continue d’une voix égale :
- — Une précision : Valentina n’est pas au courant de la proposition que je viens de te faire. Je ne pense pas qu’elle la refusera, surtout que je sais être persuasif. Et toi, si tu réfléchis bien, tu verras qu’elle arrange les quatre parties.
- — Quatre parties ?
- — Toi, moi, Valentina et tes enfants. Ah oui, et même l’opinion publique, ce qui fait cinq.
- — Je n’aime pas ta solution…
- — Bien sûr, le grand homme que tu es préférerait une solution radicale, comme ton journal.
Blessé dans sa fierté masculine, mon cousin s’offusque :
- — Je suis le mari bafoué !
- — Tu es le mari bafoué d’une femme continuellement bafouée depuis le lendemain de sa nuit de noces. Et ça, tu le sais très bien, sinon je peux te rafraîchir la mémoire. Moi aussi, je sais rédiger des articles. Je l’ai fait bien des fois, aussi bien dans tes colonnes que dans celles des autres journaux.
Siméon cligne des yeux :
- — Es-tu en train de me menacer ?
- — Quelle idée ! Je me comporte tout simplement comme toi, cher cousin, c’est de famille, non ? En parlant de famille, je te rappelle que ma solution possède l’avantage que ça reste justement en famille.
Les mains posées à plat sur son bureau, mon interlocuteur grimace :
- — Oui, en quelque sorte…
- — Alors, tu dis oui ou tu dis non ?
- — Là, tout de suite ?
- — J’applique tes méthodes, aussi bien au sein de ton journal qu’à l’assemblée. Désolé de devoir te botter le cul pour faire avancer les choses, Siméon.
- — Je suis ton cousin !!
- — Ah oui ? N’est-ce pas toi qui voulais me provoquer en duel pour m’occire, il y a quelques minutes ?
Je vois bien que mon cousin est partagé entre différentes attitudes à suivre. Son cerveau est en train de fonctionner à plein régime, évaluant à toute allure les pour et les contre. Depuis que je le fréquente, je sais que Siméon sait réagir efficacement dans l’urgence, ce qui explique pourquoi je le bouscule depuis tout à l’heure.
Quelques instants s’écoulent, puis il lâche de mauvaise grâce :
- — Ta solution semble en effet la plus… médiane…
- — La meilleure, Siméon, la meilleure ; n’ayons pas peur des mots.
Mains posées sur le bureau qui nous sépare, il me demande d’un air torve :
- — Tu es amoureux de ma femme depuis longtemps ?
- — J’ai toujours apprécié Valentina, je t’ai maintes fois dit que tu avais de la chance de l’avoir épousée, même si visiblement, tu faisais autrement.
- — Ça ne répond pas à ma question, Eugène.
Déroulant ma pensée, je réponds peu à peu à son interrogation :
- — Des femmes, j’en ai connues beaucoup. Moins que toi, je le reconnais. C’était agréable, très agréable, mais pas au point de me lier avec elles pour longtemps. Pour en revenir à Valentina, je reconnais sans souci que j’ai toujours apprécié sa compagnie. Mais jusqu’il y a peu, je n’avais pas songé à en faire mon épouse, puisque c’était la tienne. De plus, elle me donnait l’impression d’être une Madone italienne, lointaine et intouchable.
- — Alors, pourquoi vouloir l’épouser ?
Je dodine de la tête :
- — Comme je viens de te le dire, elle était une Madone, comme sur les tableaux de Raphaël. Et puis, quand j’ai appris qu’elle avait fauté, j’ai réalisé qu’elle était finalement une femme de chair et d’os.
- — Je ne comprends pas…
- — Elle était tombée de son piédestal, elle était devenue accessible. Tu comprends mieux ?
Mon cousin me regarde étrangement :
- — T’es bizarre, Eugène… En clair, tu avais idéalisé ma femme, c’est ça ?
- — Il y a de ça. Et comme tu la délaissais, elle était surtout devenue une mère, une madone. Je sais, je me répète. Alors je me suis dit : pourquoi pas moi ? Surtout si ça arrange tout le monde. Du moins, je le suppose. Comme je te l’ai déjà dit, Valentina ne sait rien de mon projet pour elle.
- — C’est pas dit qu’elle accepte… Tu es joueur…
- — À ma façon. Car je ne risquerais pas un seul franc sur une roulette. Bon, revenons à nos moutons : tu valides ma proposition ?
Siméon reste pensif quelques instants, puis il concède :
- — Même si j’aurais préféré expulser ma femme, ta solution me convient, surtout dans l’intérêt des enfants. Mais je pose une condition non négociable.
- — Annonce la couleur.
- — Je ne veux plus qu’elle reparaisse sous mes yeux à partir de maintenant !
- — Je te fais remarquer que vous serez les deux présents quand vous passerez devant le juge lors du divorce.
À moitié amusé, mon interlocuteur lâche :
- — Tu aimes chicaner, toi !
- — Je suis ton cousin, mon cher Siméon, ne l’oublie pas. D’accord pour ta condition, mais quelque chose me dit que tu finiras par fléchir dans quelques années, peut-être même dans quelques mois.
Mon cousin grommelle dans sa barbe. Je me détends, ça s’est mieux passé que prévu, malgré le fait que j’ai dû secouer le prunier (ou le cocotier, diront les amateurs d’exotisme) :
- — Bon, eh bien, je vais aller faire ma proposition à ta future ex-épouse. Et j’espère pour toi qu’elle dira oui.
- — Tu espères pour moi ? Comment ça ?
- — Parce que, si ça ne se passe pas comme prévu, tu es bien du genre à faire une grosse connerie, une du genre que je n’arriverai pas à rattraper, ou que peut-être je n’aurai pas envie de rattraper. N’oublie pas que je suis aussi actionnaire dans ton journal, un gros actionnaire, un très gros actionnaire.
- — C’est une nouvelle menace ?
Devant son air renfrogné et un peu inquiet, je souris :
- — Non, juste une constatation pragmatique de la réalité. Et je ne tiens pas à perdre mes actifs si tu coules le journal sur un coup de tête. Tu vois comme c’est amusant d’être de l’autre côté de la barrière ?
- — T’exagères, Eugène ! Je ne suis pas comme ça, pas à ce point !
- — Meuh non, Siméon : tu es simplement pire !
En riant, je le plante sur place pour aller voir ma peut-être future épouse.
Valentina Mabassy
Inutile de préciser que Valentina a été très surprise par ma proposition. Mais comme elle a les pieds sur terre, elle a vite vu que ma demande était une solution qui lui sauvait la mise, sans la séparer de ses enfants.
Ce qui ne l’empêche pas d’ergoter :
- — Mais… Eugène… et vous ? Pourquoi m’épouser ?
- — Admettez que nous ferions un meilleur couple, vous et moi, que celui que vous faites avec Siméon. De plus, les enfants m’aiment bien, ils me considèrent comme un oncle, même si je suis le cousin de Siméon.
- — C’est vrai…
- — Qu’est-ce qui est vrai, Valentina ? Que nous formerions un meilleur couple ou que les enfants m’aiment bien ?
Oubliant de répondre, elle se tord les mains :
- — J’avoue que votre proposition me surprend…
- — Peut-être, mais avouez que ma proposition arrange tout le monde. De plus, vous serez plus heureuse avec moi qu’avec mon cousin. Ce qui n’est pas très difficile.
Les yeux baissés, elle murmure :
- — Je… j’aime encore mon mari…
- — Je sais, Valentina… Je sais aussi que vous m’aimez bien. Mais il convient de savoir tourner la page. Vous avez fauté, c’est vrai, mais ce n’est rien en comparaison de ce qu’a pu faire Siméon durant toutes ces années.
Valentina reste silencieuse. Elle est sans doute en train d’évaluer les tenants et les aboutissants de cette nouvelle situation. Puis elle prend la parole, mettant en avant un faible argument :
- — Je ne suis plus toute jeune, Eugène…
- — Vous avez à peine la trentaine !
- — Vous pouvez épouser une jolie jeune femme qui vous donnera de b… Oh, pardon !
Elle se met à rougir. Elle balbutie :
- — Ex… excusez-moi, Eugène…
- — Vous ne pensiez pas à mal, Valentina. Désolé si je suis peu romantique, mais vous avez le choix entre trois solutions : être chassée de France sans vos enfants, être internée loin de vos enfants, ou être ma femme avec vos enfants. J’ose espérer que la troisième option est la moins pénible.
Elle sourit faiblement :
- — Je le reconnais… Il y a aussi la solution du… du suicide…
Alarmé, je capture ses mains dans les miennes :
- — Ne faites pas cette folie, Valentina ! Chassez cette option ! Pensez à vos enfants et aussi un peu à moi ! Et s’il faut un décès, je préfère que ce soit Siméon lors d’un duel !
- — Siméon est très fort dans cette partie, il l’a prouvé maintes fois.
- — Mais il sait aussi que je suis loin d’être mauvais.
Je presse ses mains blanches plus fortement :
- — Ma chère Valentina, je ne voudrais vous donner l’impression de vous contraindre, mais il est temps pour vous de connaître une nouvelle vie sans remettre en cause l’existant, je veux dire par là, vos enfants. De mon côté, je m’engage à m’occuper de vous tous.
- — Je sais très bien que vous saurez parfaitement vous occuper de vos quasi-neveux et nièce…
- — Et de vous aussi, Valentina.
Elle me regarde avec un air triste :
- — Les sentiments ne se décrètent pas, Eugène, même si je reconnais que vous saurez parfaitement rendre heureuse votre épouse.
- — Justement, soyez cette épouse.
- — Vous êtes impossible, Eugène… vous me tourmentez…
- — Vous êtes inutilement fidèle à un homme qui ne vous mérite pas.
- — Nous nous sommes mariés pour le pire et le meilleur. Et seul Dieu a le droit de briser ce qu’il a réuni.
Un brin cynique, je rétorque :
- — Je vous signale que les hommes ont inventé le divorce.
- — Non reconnu par l’Église…
- — Vous êtes catholique de naissance, mais vous avez épousé un athée. Est-ce que ça compte aux yeux de Dieu ?
On dirait que ma nouvelle approche assez insolente donne de meilleurs résultats. Interloquée, elle me regarde étrangement :
- — Euh… c’est que…
- — Finalement, vous avez fait un demi-mariage religieux !
Valentina ouvre de grands yeux étonnés :
- — Vous avez de singuliers arguments !
- — En tout cas, pour une croyante, je suis étonné que vous ayez évoqué le suicide.
- — Ce… c’était une option, comme vous avez dit…
- — Je vous préviens, Valentina : si vous tentez un geste malheureux, je vous inflige la plus belle fessée de votre vie !
À la fois choquée et amusée, elle me demande :
- — Vous oseriez ?
- — Deux fois plutôt qu’une, d’autant que vous avez deux belles fesses !
Offusquée et rougissante, elle plaque sa main contre ses lèvres :
Puis elle éclate de rire. Je préfère ça. J’attends qu’elle se calme.
Quelques instants plus tard, s’étant reprise, elle essuie de l’index les larmes qui perlent sur le coin des yeux. Elle respire plusieurs fois de forte façon, puis enfin, elle s’adresse à moi :
- — Merci Eugène ! Vous avez l’art de secouer les gens…
- — J’espère que vous êtes dans de meilleures dispositions. En tout cas, pour la fessée, je suis très sérieux, Valentina.
- — C’était juste un moment de faiblesse de ma part…
Puis elle se lève, tandis que je reste assis. Me tournant le dos, elle se dirige vers la fenêtre, regardant l’horizon au lointain :
- — Si je suis votre femme, je suppose que…
- — Ne parlez pas de devoir conjugal, mais de plaisir conjugal.
- — J’aimerais bien vous croire, Eugène…
- — Je ne demande qu’à vous le prouver, Valentina.
Bien qu’elle me tourne le dos, je parie qu’elle sourit néanmoins. Comme elle ne répond rien, j’en profite pour être le plus clair et net avec elle :
- — Valentina, je sais très bien que je ne peux pas demander que vous soyez amoureuse de moi, les sentiments ne se commandent pas. Mais si vous devenez ma femme, je peux vous assurer que je saurais m’occuper de vous.
- — Je vous crois, Eugène. Je vous connais assez pour cela… Finalement, je vous connais même mieux que mon propre mari. C’est dire…
Me levant à mon tour, j’explique mon point de vue :
- — Si je vous épouse, ce n’est pas pour avoir des maîtresses, et je ne suis pas du genre platonique. Je préfère vous prévenir tout de suite.
- — Je me doute que vous avez des… des besoins…
- — Vous aussi, des besoins, vous en avez. Nous irons à votre rythme.
Valentina ne répond rien, elle continue de regarder au lointain. Puis, toujours sans se retourner, elle demande d’une voix un peu tremblante :
- — Comment annoncer tout ceci aux enfants ?
- — Annoncer précisément quoi, Valentina ?
La jeune femme se tourne vers moi :
- — Le divorce…
- — Je peux m’en occuper, si vous le souhaitez…
- — Je vous reconnais bien là, Eugène… Pour le reste, laissez-moi leur annoncer de ma propre bouche…
- — À quel reste faites-vous allusion ?
Légèrement rougissante, elle baisse un peu la tête :
- — Je faisais allusion au… au remariage…
En deux pas, je suis sur elle. Je la prends dans mes bras, et je l’embrasse aussitôt sans lui laisser le temps de réagir. Ce n’est pas très fair-play, mais il faut savoir pousser son avantage, même si j’ai dit que nous irons à son rythme. Néanmoins, on ne peut pas dire qu’elle proteste beaucoup ! Quand nos lèvres se séparent, toujours captive dans mes bras, elle me gronde gentiment :
- — Je suis toujours une femme mariée, Eugène !
- — Je prends juste un peu d’avance, Valentina.
Nous nous regardons d’intense façon. Valentina tremble dans mes bras, mais je sais que ce n’est pas de peur ou d’appréhension. Je l’embrasse à nouveau. Là aussi, je n’ai pas droit à une énorme résistance de sa part, tant s’en faut…
Une presque nouvelle famille
Je n’ai pas attendu que le divorce soit prononcé pour commencer à goûter aux charmes de ma future épouse. Adepte d’un minimum de convenances, Valentina a bien protesté un peu face à mes assiduités, mais je voyais bien qu’elle ne détestait pas qu’on la désire de la sorte, même si elle avait l’impression de passer d’hiver en été.
Bien sûr, j’y vais de façon progressive, on ne gravit pas le Mont-Blanc comme si on faisait une simple balade bucolique. En parlant de Mont-Blanc, j’ai très vite réussi à révéler les siens que j’ai embrassés, caressés, palpés…
Je me souviens fort bien de la première fois…
- — Oooh ! Que me faites-vous là, Eugène ?
- — Je rends hommage à vos paysages, Valentina… dis-je le nez plongé dans son décolleté largement ouvert.
La mode féminine est assez contradictoire : elle dévoile souvent allègrement le haut et parfois les épaules, mais elle couvre de trente-six épaisseurs de tissu les jambes et même les chevilles, sans parler de la demi-sphère du panier sous la robe qui n’aide pas les approches, mais que Valentina ne porte pas (et c’est tant mieux), sauf durant des très grandes occasions. Néanmoins, je ne vais pas me plaindre que le haut soit accessible à ma convoitise !
Décidé à passer à l’étage supérieur, je révèle au grand jour un premier sein au téton érigé que je capture aussitôt entre mes lèvres. Valentina pousse un petit cri de surprise, mais ne me repousse pas pour autant. Peu après, son autre sein vient rejoindre le premier, aussi bien dans mes mains que dans ma bouche.
Du coin de l’œil, je constate que ma future épouse est à la fois étonnée et ravie. Je pense que mon cousin n’a pas su lui démontrer à quel point elle était désirable. Ce qui est étonnant, car Valentina est indéniablement une belle femme pour qui ne déteste pas le style vénitien auquel elle fait irrésistiblement penser. Du moins, de la part de ceux qui ont un peu étudié la peinture italienne. À ce propos, il faudra par la suite que je fasse faire quelques portraits…
À moitié rassasié par ses doux et lourds seins, je remonte vers ses lèvres que je capture, tout en n’oubliant pas de soupeser, de palper, de caresser ses masses moelleuses. Visiblement, Valentina aime ma façon de lui démontrer ma passion.
Quand nous reprenons notre souffle, elle murmure :
- — Vous… vous êtes toujours ainsi avec les femmes pour qui vous inclinez ?
- — Dois-je comprendre que vous admettez que j’incline pour vous ?
Les yeux luisants, elle répond :
- — Vu le fait que vous souhaitez toujours m’épouser et que vous prenez de l’avance, je suis bien obligée de l’admettre. Quand vous m’avez fait votre proposition, j’ai cru que vous le faisiez par devoir. Je constate que ce n’est pas tout à fait le cas…
- — Je le fais aussi par désir…
Elle se met à rougir comme une frêle jeune fille. Quelque chose me dit qu’elle va souvent rougir de la sorte par la suite !
Après avoir souvent vérifié que notre vie de couple ne posait visiblement pas de problème particulier (sans aller toutefois à la consommation), c’est à deux que nous avons annoncé la double nouvelle : divorce et remariage. Quand j’ai parlé de divorce entre leur mère et leur père, les enfants ont été inquiets. Mais quand Valentina a parlé de son futur remariage avec moi, ils ont été nettement soulagés.
Du haut de ses treize ans, Arnault, l’aîné, résume la situation en disant :
- — Finalement, ça ne change pas grand-chose. Mis à part que c’est plus officiel.
Puis il se tourne vers moi en me demandant :
- — Comment je vais devoir t’appeler ? Mon oncle ? Beau-père ? Eugène ?
Bien que je vouvoie leur mère et que ce soit réciproque, j’ai toujours demandé à ce que la progéniture de mon cousin me tutoie. Je trouve que c’est empesé de s’entendre dire vous par un enfant, ça vous donne un énorme coup de vieux, moi qui ai à peu près l’âge de Valentina. Les traditions ont parfois du bon, mais il convient d’être moderne de temps à autre.
Je réponds à mon futur beau-fils :
- — Les trois à la fois, si tu veux, Arnault. Comme tu viens de le dire, ça ne change pas grand-chose. Sauf que tu me verras plus souvent. Et aussi que vous allez changer de maison puisque vous viendrez habiter chez moi.
La plus jeune, Clémentine, s’exclame, toute contente :
- — Ah oui, je préfère ! Il y a un grand jardin !
Antoine ne dit rien, il a toujours été plus « taiseux » que son frère et sa sœur, mais il est assez évident qu’il ne déteste pas le changement qui est en train de survenir dans sa vie, ça se lit sur son visage souriant. C’est sa sœur qui s’empare de son temps de parole :
- — Maman, pourquoi t’as pas épousé directement Oncle Eugène ?
Surprise par cette question, Valentina ne sait pas quoi répondre. Je le fais à sa place en m’accroupissant devant la fillette pour être à sa hauteur :
- — Ma petite Clémentine, as-tu réalisé que si j’avais épousé ta mère à la place de ton père, tu ne serais pas là devant moi en train de me poser cette question ? Peut-être qu’il y aurait une autre Clémentine à ta place, mais ce ne serait pas toi.
Un peu perturbée, la fillette fronce des sourcils, des rouages étant en train de tourner dans son jeune cerveau. Elle finit par dire :
- — Oui, je comprends… ça serait embêtant si je n’existais pas…
- — Ah ça, oui ! Il n’y a pas deux Clémentines comme toi sur cette terre !
Avec un large sourire, elle se jette spontanément sur moi. Manquant de basculer en arrière, je la serre aussitôt dans mes bras. Tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes.
Le soir même, c’est sa mère que je serre avidement dans mes bras, une belle femme quasiment nue, si on excepte un serre-taille et des bas maintenus par des rubans. Oui, assurément une belle femme dans toute sa plénitude, avec ses courbes, ses pleins et ses déliés.
Je reconnais avoir un peu triché pour obtenir ce résultat, en étant venu lui souhaiter bonsoir avant que je ne retourne soi-disant chez moi, le déménagement étant prévu dans deux jours. Comme de coutume, j’ai commencé à embrasser Valentina, puis mes lèvres sont descendues dans son décolleté pour couvrir ses beaux « Monts Blancs » de baisers brûlants. Peu après, ses tétons révélés à l’air libre eurent droit à une taquinerie qui se transforma en tétée, car je suis resté un grand enfant malgré le fait que j’ai dépassé l’âge d’être un bébé.
J’aurais pu m’arrêter là, mais devant le peu de résistance et les multiples soupirs d’aise issus des lèvres de ma future épouse, je me suis dit qu’il serait idiot de s’arrêter au milieu du gué. Donc j’y suis allé gaiement et Valentina s’est retrouvée très vite avec moins de vêtements sur elle, ma bouche et mes mains les ayant remplacés !
Tandis que je suis en train de la dévorer et de faire glisser mes mains partout sur son corps si doux, ma future épouse proteste mollement :
- — Eugène ! Vous… vous abusez !
- — Je n’abuse pas, Valentina : je suis simplement en train de vous démontrer que notre mariage sera vraiment fusionnel, et qu’à deux, nous ne formerons qu’un.
- — Oh, Eugène, vous êtes… vous êtes un… Oooh !
Sa bouche récuse et refuse, mais son corps s’abandonne sans opposer la moindre résistance, tétons durs comme des pointes d’acier, pupilles dilatées telles des soleils noirs.
À présent, ma bouche avide farfouille sa fente dégoulinante nichée sous un sombre bosquet. J’ai bien vu qu’elle était surprise que je me mette à la lécher de la sorte. Je présume que mon cousin n’est pas coutumier de ce genre de pratique. Il a tort, ça prédispose nettement mieux les femmes à notre égard. L’étonnement passé, Valentina s’abandonne bien vite à ma caresse insidieuse, à tel point qu’elle ne met pas longtemps à jouir :
- — Oooh oui ! Oooh oui ! Ouiii !
Puis agitée de soubresauts, elle chasse ma tête. J’en profite alors pour me redresser pour mieux me positionner. Verge en avant, je me vautre sur le corps tremblotant de plaisir, et j’entre en Valentina avec une facilité déconcertante. Mon torse plaqué sur ses seins, je la regarde droit dans les yeux, elle soutient mon regard, tandis que je commence à la pistonner doucement, mais puissamment, puis de plus en plus vite.
Elle pousse un petit cri chaque fois que je m’enfonce en elle. Parfois, je m’empare de sa bouche. Peu après, une sorte de chant monte de ses lèvres. Les yeux à présent révulsés, elle se laisse aller à une puissante vague de plaisir qui monte insidieusement en elle, irrésistible, tel un raz-de-marée.
À nouveau, elle jouit sans retenue. C’est le moment que j’attendais, depuis le temps que je me retenais. À mon tour, je jouis bruyamment, libérant tout ce que j’ai en moi pour le lui donner au plus profond de son intimité.
Puis je perds mes repères, flottant béatement dans un bien-être cotonneux.
Un peu plus tard, nous sommes étendus l’un à côté de l’autre, nos doigts entremêlés. Soudain, Valentina se redresse sur ses coudes, contemplant son entrejambe d’où s’évade petit à petit ma semence. C’est un spectacle à la fois incongru et jouissif pour moi, mais j’ignore l’état d’esprit de la future femme.
Un peu essoufflée, Valentina tourne la tête vers moi :
- — Ça se passe toujours comme ça ?
- — Ça devrait toujours se passer de la sorte, ma chérie.
Elle me regarde intensément :
- — C’est bien la première fois que tu m’appelles chérie ! Oh pardon, je vous ai tutoyé !
- — Je préfère que tu me tutoies. Nous sommes devenus suffisamment intimes, tu ne crois pas ?
- — Je… je le crois aussi…
Puis elle détourne le regard pour contempler à nouveau son entrejambe :
- — C’est étrange…
- — Qu’est-ce qui est étrange, ma chérie ?
- — Il n’y a pas si longtemps, j’aurais considéré ce… euh… spectacle comme dégoûtant. Maintenant, je trouve que c’est… comment dire… normal… et même souhaitable…
Me dressant à moitié, de ma main libre, je caresse sa poitrine :
- — Faire l’amour est aussi naturel que de respirer ou de manger.
- — Ce n’est pas l’avis de bien des gens ni de l’Église.
- — C’est l’avis de la Nature. Et si Dieu n’avait pas voulu que les humains fassent l’amour, il ne nous aurait pas donné de sexe et de la possibilité de nous en servir.
Se laissant caresser par mes bons soins, tout en continuant de contempler le bas de son ventre, Valentina s’exprime :
- — J’aime ta façon de voir les choses : pour toi, tout est naturel. Tu dois être en train de me contaminer : je n’éprouve aucune honte, je dirais même que… que c’était comme un dû. Je m’étonne moi-même !
- — Quand une marmite rencontre son couvercle, il n’y a plus lieu de s’étonner, ma chérie…
- — C’est bien ce que je disais : pour toi, tout est naturel, et avec toi, ça me semble tout aussi naturel.
Je capture momentanément ses lèvres pour y déposer un baiser assez exigeant, ma main toujours sur son sein. Quand nos lèvres se décollent, je lui demande en plaisantant :
- — Toujours partante pour le remariage ?
- — Si c’est ta façon d’accomplir le devoir conjugal…
- — Pour moi, un homme et une femme doivent prendre, donner, et jouir. J’attends de toi que tu sois une compagne et une maîtresse.
- — Je veux bien essayer de faire ça pour toi, Eugène… Mais il faudra que tu me guides et que tu m’aides…
- — Pas de souci, ma chère future femme !
Puis nous recommençons à faire l’amour, avec un peu moins d’entraves. Je sens que je ne vais pas du tout regretter de donner mon nom de famille à Valentina…
La cérémonie du mariage est modeste, pas besoin qu’il y ait foule autour de nous. Néanmoins, le repas se déroule dans la salle privative d’un restaurant réputé pour sa bonne cuisine. Le petit orchestre nous fait danser jusqu’à tôt le matin. J’adore virevolter en musique avec mon épouse dans mes bras, de m’étourdir contre son corps si apetissant, enveloppé par son parfum enivrant. J’adore aussi la façon dont Valentina me regarde. Elle sent, elle sait que je vais bien m’occuper d’elle, et elle ne se trompe pas.
Ce que je lui prouve aussitôt lors de la nuit de noces…
Quelques jours plus tard, un dimanche, alors que tout ce petit monde est installé définitivement chez moi, tandis que nous sommes en train de déjeuner tous les cinq autour d’un poulet bien grillé, Arnault prononce le mot de la fin :
- — Finalement, rien n’a changé… sauf Mère qui a meilleur visage…
En effet, c’est fort bien résumé.
Quelques années plus tard
Bien que mon cher cousin ne soit pas toujours d’accord, je viens souvent au journal avec les enfants. Une façon de faire d’une pierre trois coups : Siméon voit sa progéniture, les enfants se frottent au métier, et ça occupe tout ce petit monde.
Arnault aime bien rédiger des articles. Antoine préfère plutôt le monde de l’impression à celui de la plume. Il a toujours eu un côté ingénieur. Clémentine marche sur les traces de son aîné, avec un côté très sociétal. Je me souviens de la tête de son père quand il a découvert que la rédactrice d’un article qu’il trouvait plutôt bon était sa fille de quatorze ans :
- — Tu rigoles, Eugène ? C’est vraiment Clémentine qui a écrit ça ?
- — Oui, c’est elle qui a écrit ça. Tout ce que j’ai eu à faire est de corriger quelques fautes, et de redresser quelques phrases.
- — Que quelques phrases ?
- — Presque rien. Bien que jeune, ta fille est douée.
Mon cousin agite la liasse de papier :
- — Mais je ne peux pas publier ça !
- — Je croyais que cet article était plutôt bon ?
- — Pas une gamine de quatorze ans ! Mon journal n’est pas une nursery !
- — J’aurais pu te mentir, Siméon. Clémentine prendra un nom de plume, elle est d’accord. Elle l’a même déjà choisi « Chloé de Bamassy ».
Siméon fronce des sourcils :
- — Ça sonne italien… comme sa mère…
- — Bamassy, Mabassy, ça sonne italien l’un comme l’autre… Toujours est-il que je compte faire paraître cet article, tu dois bien ça à ta fille. On avisera en fonction des retours. Il reste quelques maladresses de style, mais ta fille est très prometteuse.
Quand Clémentine a découvert sa prose dans le journal, elle était aux anges. Il lui a fallu deux jours pour reposer un pied sur terre. Tout comme son frère aîné, deux ans auparavant.
En parlant de lui, Arnault, l’aîné de la fratrie, est actuellement dans son bureau :
- — Mon père a encore chicané sur l’article que je viens de lui soumettre. Pourtant, tu l’avais validé.
- — Ne t’inquiète pas, mon grand, je ferai passer ton article. Comme tous les précédents.
- — Merci, mais pourquoi mon père agit ainsi ?
Lui désignant le siège qui est devant mon bureau, je lui réponds ce qui me semble être la vérité :
- — Parce que tu lui ressembles trop.
- — C’est vrai que je lui ressemble beaucoup, du moins physiquement. Il paraît que je suis son portrait craché au même âge. Mais ça vient faire quoi ?
- — Tu as du talent, Arnault, et tu sais ce que tu veux. Ton père craint inconsciemment que tu lui piques sa place.
Étant à présent assis, Arnault hausse les épaules :
- — Pff ! C’est stupide, ce n’est pas mon intention !
- — Je sais, mais lui, il ne te connaît pas vraiment.
- — C’est vrai que, toi, tu me connais mieux. Tu es peut-être mon oncle lointain, mais à la vérité, mon père et toi avez échangé vos rôles. Tu es un meilleur père que mon propre père ! Tu es vraiment un bon beau-père.
Bien qu’un peu ému, je me fais moqueur :
- — Eh bien ! Que me vaut ce concert de louanges ? Aurais-tu besoin d’argent de poche ?
Jambes croisées, le jeune homme se met à rire :
- — Tu ne changeras jamais, mon oncle, mais je t’aime bien ainsi.
Je préfère changer de conversation :
- — Au fait, jeune séducteur, qu’en est-il de Marie-Adélaïde que tu as vue avant-hier ?
- — Justement, j’allais t’en parler, Eugène. J’ai suivi tes conseils et tout s’est bien passé… peut-être même trop bien…
- — De quels conseils parles-tu ?
- — La séduction, les avances, les approches et tout le tralala… et aussi le fait de faire attention, si tu vois ce que je veux dire. Je me sens trop jeune pour devenir père.
Amusé, je lui demande :
- — Es-tu en train de me dire que tu as été au-delà de ce que la morale exige ?
- — Un peu quand même, mais pas trop au-delà. Tu avais raison : on peut faire bien des choses très excitantes sans tenter le diable.
- — J’en suis heureux pour toi… et aussi pour Marie-Adélaïde, je suppose.
Bien calé dans son siège, Arnault affiche un large sourire satisfait :
- — Tu supposes bien, puisque nous avons recommencé ce matin.
- — Ce matin ?
- — Quand on veut, on peut.
- — Je vois ça… Pourtant, comme toutes les jeunes filles de son âge et de sa condition, elle est dûment surveillée et chaperonnée.
- — Quand on veut, on peut. Tiens, il faudra que j’en fasse ma devise.
Une bonne devise en effet, à condition que mon beau-fils ne marche pas trop sur les pieds des autres pour la concrétiser. Je lâche ma petite sentence du jour :
- — Si tu agis en politique comme tu as agi avec Marie-Adélaïde, tu vas aller loin…
- — Ah bon ? La politique, c’est comme les femmes ?
- — Une femme n’est pas tout à fait une jeune fille, mais tu es sur la bonne voie.
- — Il y a beaucoup de différence entre une femme et une jeune fille ?
- — Tout dépend de la femme. Mais sache, jeune homme, que si tu ne fais pas attention, une vraie femme te croquera tout cru.
Arnault hoche la tête :
- — J’ai vu ça avec mon ami Ernest, il se croyait fort, mais il a été carrément le dindon de la face, plumé de janvier à décembre.
- — Justement, garde l’exemple malheureux de ton ami en tête, et évite de te croire plus fort que lui. C’est ainsi qu’on se fait rouler dans la farine.
- — Justement, je le croyais bien plus fort que moi dans ce domaine. Son beau château était bâti sur du sable. À ce propos, son père l’a envoyé à la campagne pour se faire oublier.
Puis, un coude posé sur son genou, il se penche vers moi :
- — En tout cas, Marie-Adélaïde a beaucoup apprécié ce que je lui ai fait. Le seul ennui est qu’elle parle déjà de mariage…
- — Tu sais bien que les jeunes filles sont éduquées dans ce sens. Mais rassure-toi, ça m’étonnerait que son père veuille d’une alliance avec ton père. À condition qu’elle ne perde pas sa virginité… Et encore…
- — J’ai bien compris l’enjeu ! Je ne pense pas qu’elle osera raconter à ses parents les savoureuses privautés que je lui ai faites. Ils seraient sans doute très choqués !
J’imagine assez bien ces savoureuses privautés, d’autant que je suis celui qui les a expliquées à mon beau-fils. Puis, je deviens plus sérieux :
- — Et toi, en es-tu amoureux ?
- — Hmm, je ne pense pas. Je l’aime bien, c’est vrai, mais sans plus.
- — Dans ce cas, il serait bon que tu ailles bientôt voir ailleurs. Plus vite tu couperas court, mieux ça se passera.
- — Ce n’est pas très fair-play, mais je comprends… De plus, si je romps avec Marie-Adélaïde, elle n’aura pas perdu sa vertu… Comme disent les Anglo-saxons, ç’aura juste été un gentil flirt.
- — Un peu plus qu’un gentil flirt…
Arnault affiche un sourire entendu :
- — Oui, mais qui ira le crier sur tous les toits ? Si je résume, il faut savoir donner aux femmes sans trop leur prendre. Je me trompe ?
- — C’est bien résumé. Tu as un bon esprit de synthèse, d’ailleurs c’est la raison pour laquelle tes articles sont appréciés.
- — Mon père ne semble pas être du même avis.
Sans chercher à être diplomate, je lève les yeux vers le plafond :
- — Ah ton père ! Il n’aime pas la concurrence, même de sa propre descendance !
- — Tu crois que… que je le dépasserai un jour ?
- — Tu es actuellement encore en dessous de lui, mais l’écart est mince. Il te manque simplement un peu d’expérience.
Mon neveu me regarde d’un air étonné :
- — Tu es en train de dire que je suis presque au même niveau de mon père ?
- — Si tu continues sur ta lancée, tu finiras par le dépasser dans peu de temps. Mais si tu t’endors sur tes lauriers, tu rétrograderas. Et plus dure sera la remontée.
- — Bon à savoir…
Comme j’ai envie de le titiller, j’ajoute d’un air suave :
- — Mais ne tarde pas trop à avancer, sinon ta sœur te dépassera.
- — Clémentine ?
- — Tu as une autre sœur ?
Arnault fait la grimace :
- — Une autre sœur, non. Mais des demi-sœurs, oui.
- — Ah ça, ton père sème à tout vent. Mais revenons à Clémentine. Je te confirme qu’elle est forte dans son domaine.
- — Je sais, j’ai lu tous ses articles. Elle sait incontestablement mener sa barque. Je me demande si elle ne devrait pas écrire un roman, faire un peu comme cet Émile Zola qui aborde chaque fois un thème social.
- — D’après ce que je sais, il a dans l’idée d’écrire une grande fresque, comme Balzac. On verra ce que ça donne par la suite, mais je pense que Zola est bien parti pour réussir. Comme ta sœur, d’ailleurs, si elle s’y attelle sérieusement.
Le jeune homme se lève :
- — Bon, mon nouvel article ne va pas s’écrire tout seul, je ne suis pas assez riche pour m’offrir les services d’un nègre.
- — Oh toi, tu vises quelqu’un !
À présent debout, Arnault fait la moue :
- — J’ai appris que les Lettres de mon moulin n’étaient pas exclusivement de la plume de Daudet. Je suis déçu, j’avais beaucoup aimé ces divers contes.
- — Tu retardes un peu, c’est connu depuis quelques années. On parle de Paul Arène et aussi de Julie Daudet, la femme d’Alphonse. Mais Daudet n’est pas le seul à se faire aider. Le regretté Alexandre Dumas n’a jamais caché qu’il utilisait ci et là des aides extérieurs, d’ailleurs il en plaisantait. Mais lui ne s’en cachait pas, contrairement à beaucoup d’autres.
Je me lève à mon tour :
- — Tiens, une idée comme une autre : pourquoi ne pas t’associer avec ta sœur pour écrire un roman ?
- — Tu rêves, mon oncle ! Clémentine n’est pas partageuse et moi non plus !
Nous nous quittons. Je retourne à mon bureau, car moi aussi, j’ai un article qui ne s’écrira pas tout seul. Je jette un coup d’œil à la petite photographie colorisée qui représente Valentina. Je songe alors aux trois portraits que j’ai fait faire d’elle, dont un qui n’est pas à montrer à tout le monde…
Un après-midi parmi d’autres
En milieu d’après-midi, je rentre à la maison retrouver ma chère épouse. Je lui parle de l’entretien que j’ai eu avec son fils aîné, en oubliant toutefois le passage avec Marie-Adélaïde. Assise à côté de moi sur le même canapé, Valentina me demande :
- — Et tu crois sincèrement qu’il dépassera son père ?
- — Il est bien parti pour. De plus, il est plus pondéré, plus calme, donc avec beaucoup moins de probabilités de se tirer une balle dans le pied.
- — C’est vrai qu’il est moins agité que Siméon…
- — Il doit tenir ça de toi, ma chérie.
Elle me sourit :
- — Oh, juste un petit peu… Au fait, mon aimé, sais-tu quelque chose au sujet de Marie-Adélaïde ? Arnault la fréquente beaucoup ces derniers jours…
- — C’est une jeune fille et c’est un jeune homme… une des lois universelles de l’attraction…
- — Justement, ne risque-t-il pas de faire une… bêtise ?
- — Cette jeune fille est chaperonnée. De plus, j’ai déjà chapitré Arnault à ce sujet.
Valentina plisse légèrement des yeux :
- — Justement, je me méfie de toi à ce sujet ! Tu as une façon tellement… euh… étrange de voir les choses…
- — Il me semble bien que tu ne sois jamais énormément opposée à mon étrange façon de voir les choses, ma chérie.
Mon épouse fronce des sourcils :
- — Marie-Adélaïde est une pure jeune fille. Si tu vois ce que je veux dire…
- — Arnault l’a aussi très bien compris. Il connaît la frontière à ne pas franchir.
- — Ça me rassure à moitié…
- — Sauf grosse erreur de sa part, tu ne verras pas de sitôt un père en furie réclamer réparation.
Ma femme devient songeuse, avec une ombre de tristesse sur son visage :
- — J’espère que tu as raison… Je ne voudrais pas qu’Arnault soit obligé d’épouser une jeune fille pour une mauvaise raison… enfin, je me comprends. Remarque, je me suis mariée par amour avec ton cousin, mais ça n’a pas été une franche réussite, sauf nos trois enfants.
- — Je reconnais que les trois enfants sont réussis, je n’aurais pas mieux fait.
Valentina se contente de sourire. J’aime quand elle sourit. Je me demande ce que je n’aime pas en elle. Étrange de constater que je l’ai côtoyée durant des années, sans réaliser qu’elle aurait pu être mon épouse. On a souvent les choses sous son nez, mais on ne les voit pas.
Mais maintenant que j’ai Valentina sous mon nez jour et nuit, et que je le vois vraiment, mon envie d’elle reste toujours et encore forte, très forte, plus forte. Ce que je me fais un plaisir de démontrer aussitôt, en la pelotant et en l’embrassant dans le cou.
Ainsi entreprise, ma femme s’exclame :
- — Ça va faire quatre ans que nous sommes mariés, mon aimé, et tu te comportes toujours comme si nous étions perpétuellement en voyage de noces !
- — Il me semble t’avoir prévenue, ma chérie…
- — Remarque, je ne te le reproche pas… J’aime quand tu me désires !
- — Donc, tu vas sans doute beaucoup aimer ce qui va arriver, car j’ai une grosse envie de toi !
Quelques instants plus tard, vêtements ôtés, c’est en levrette que je décide de prouver à ma femme à quel point je la désire. La première fois que je lui ai proposé cette position, elle n’était pas très enthousiaste, elle considérait que c’était trop vulgaire et bestial, mais elle avait quand même accepté d’essayer au moins une fois. Depuis, elle ne déteste pas que je la prenne ainsi.
Nous sommes entraînés dans une délicieuse et torride cavalcade, elle ma jument dans laquelle je suis rivé, mes mains agrippées à ses hanches. Valentina oscille, elle ondule du bassin, bien loin du comportement passif qu’on demande souvent aux femmes dites bien nées. Et moi, ça me convient parfaitement, je n’aime pas faire l’amour à des poupées inertes.
Ma femme se masturbe, tandis que je ramone furieusement ses entrailles. Là aussi, se faire du bien avec ses doigts est quelque chose qu’elle aime à présent. Je suis assez fier d’être l’initiateur de Valentina, de faire en sorte que, derrière sa façade de Madone, elle soit aussi Marie-Madeleine, une Bethsabée, comme disent certains, même si cette femme biblique n’y est pour rien dans son actuelle réputation.
- — Oh oui… oh oui… Ouiii !
Valentina est engagée sur la pente de la jouissance. Elle n’hésite plus à vocaliser son plaisir, elle dit même parfois des mots crus, mais ça reste assez rare, elle n’assume pas encore. De mon côté, je sens que je ne vais plus résister longtemps. Je m’accorde quelques pistonnages supplémentaires dans son antre si doux et si chaud avant de lâcher le grand flux qui envahira et inondera les profondeurs de ma femme et maîtresse.
- — Argh ! Ah que c’est bon !
- — Oh oui, vas-y ! Mets-m’en partouuut !
- — C’est bien mon intention, petite vicieuse !
Nous décollons tous les deux vers d’autres cieux, ceux qui ne sont pas très bien vus par la morale et la religion, mais peu importe, ma philosophie est qu’on doit se faire son petit paradis sur terre avant d’aller brûler en enfer, puisque je ne me comporte pas comme un chaste moine.
Oh oui, que c’est bon, c’est si bon ! Trop bon quand je me vide, enveloppé dans les petits cris de jouissances de Valentina !
Quelques semaines plus tard, j’apprends par la bouche de mon neveu et beau-fils que sa relation est finie avec Marie-Adélaïde, mais qu’ils restent néanmoins amis, ayant admis qu’ils avaient sans doute confondu amitié sincère et amour. Un peu songeur, Arnault conclut :
- — En tout cas, je peux dire que j’ai fait mes classes avec elle, sans toutefois la déshonorer. Ce fut une expérience très enrichissante…
Je constate que mon neveu est plus mature que son père…
Aller et retour
Arnault confirme petit à petit ses dons dans la rédaction d’articles. Son père est à la fois fier de lui et un peu jaloux que son aîné commence à se faire un prénom. Il faut avouer que je lui donne parfois un petit coup de pouce, afin de lui faire gagner un peu de temps. Il convient de savoir aider la prochaine génération à se faire une place au soleil.
Sa sœur Clémentine confirme aussi son talent pour la plume, mais autrement, ce qui n’est pas plus mal, le frère et la sœur ne se marchant pas sur les pieds. Quand on lit sa prose, on ne soupçonne pas une seule seconde la jeunesse de cette autrice. Quant à Antoine, il passe son temps à l’imprimerie ou dans diverses fabriques à essayer de comprendre comment fonctionnent les diverses machines et à tenter de les améliorer. Je l’ai mis en relation avec un camarade de promotion qui est devenu inventeur à ses heures perdues. Mon beau-fils est ravi de pouvoir s’éclater dans son atelier.
Pour ma part, je continue toujours de profiter de Valentina, inventant très souvent de nouvelles façons de l’honorer. Même si ça peut paraître puéril, j’aime me glisser sous ses jupons tandis qu’elle est debout, afin d’aller embrasser ses belles fesses et léchouiller une fente très accueillante. Une fois, alors que j’étais en train de déguster son popotin, tout en étant enseveli sous ses tissus, Valentina a reçu la visite inopinée de deux amies qui ne se sont aperçues de rien (ou bien, elles ont fait semblant). Très embarrassée, ma femme les a conviées à passer sur la terrasse, leur indiquant qu’elle viendrait les rejoindre aussitôt. Nous évoquons de temps à autre cet épisode croustillant…
Soyons clairs : je ne passe pas la majorité de mon temps à faire l’amour à ma femme. Nous discutons, nous nous baladons, nous faisons plein de choses à deux, et parfois avec les enfants qui apprécient la quiétude du logis.
Logis où je déplacerais bien mon bureau, mais ce n’est pas toujours possible, hélas. En effet, il est bon de discuter avec les autres membres de la rédaction, afin d’être toujours dans le sens du vent et de l’information. Même si ça ne me déplaisait pas, je ne peux pas demander à tout ce petit monde de venir systématiquement chez moi.
Étant une fois de plus dans mon bureau situé dans les locaux du journal, Arnault se confie :
- — Je ne sais pas pourquoi, mais le fait de savoir que Marie-Adélaïde va se fiancer m’agace. Tu en penses quoi, mon oncle ?
- — Peut-être es-tu possessif, cette jeune fille est quand même ta première inclination…
- — Je ne pense pas être possessif, ni même jaloux. Je crois t’avoir raconté certaines choses qui vont dans ce sens, il me semble.
C’est vrai qu’il m’a avoué bien des choses peu racontables, mais qui sont néanmoins coutumières pour certains grands félins qui fraient dans les sommets ! Ce petit risque d’aller loin, mais peut-être pas dans la meilleure direction. Il faudra que je veille au grain.
Pour en revenir à son ex-dulcinée, j’explique mon point de vue :
- — C’est vrai, mais Marie-Adélaïde possède un statut spécial : elle est ta première. Sinon, il y a bien une autre explication : tu en es inconsciemment amoureux.
- — Moi ? Amoureux de Marie-Adélaïde ?
- — Et pourquoi pas ? Pour ma part, ce fut bien le cas avec ta mère. Je ne l’ai réalisé que bien plus tard. Tu avais le choix, quant à ta première petite amie. Pose-toi la question : pourquoi elle et pas une autre ?
- — Parce qu’elle…
Il suspend sa phrase, puis il reprend :
- — C’est vrai que Marie-Adélaïde n’était pas le choix le plus simple et le plus évident pour commencer… Il y avait aussi Ernestine ou Marie-Aline… elles auraient été plus… euh… faciles…
- — Sans doute, mais tu avais une complicité indéniable avec Marie-Adélaïde, n’est-ce pas ?
- — C’est vrai, nous savions discuter de tout et de rien… D’ailleurs, ça nous arrive toujours de le faire de temps en temps…
J’y vais de ma petite leçon du jour :
- — Quand tu fais ta vie avec quelqu’un, ça ne se limite pas qu’au sport en chambre, même si cette partie est très agréable. Finalement, ça représente au mieux trois-quatre pour cent de ta relation.
- — Seulement ? Tu veux rire, Eugène !
- — N’oublie pas que tu dors un tiers de ton temps. Ça enlève pas mal de pourcentage. Et puis, selon les circonstances, tu ne le fais pas forcément tous les jours.
Mon jeune collègue me faire remarquer :
- — Tu peux aussi le faire plusieurs fois par jour… Il me semble que tu en sais quelque chose. Je sais très bien que tu n’es pas très chaste avec ma mère. Je ne te le reproche pas, tant mieux pour vous deux. D’ailleurs, à ce propos, concernant ma chère maman, j’ai nettement constaté un avant et un après. Tu es mieux assorti à ma mère que mon père, c’est évident.
- — Je reconnais que tout va très bien entre ta mère et moi.
Entendant cette litote assumée, Arnault se met à rire :
- — Tu aurais été un énorme menteur à m’affirmer le contraire ! Bon, pour en revenir à Marie-Adélaïde, tu crois que j’en suis amoureux malgré moi ?
- — Disons que tu l’aimes bien. Elle est peut-être moins experte que certaines de tes maîtresses passées et présentes, mais elle ne démérite pas. Je me trompe ?
- — C’est vrai que… Je suis parfois tombé sur des sacrées… euh… tu vois ce que je veux dire… j’ai bien profité, mais je sentais bien que ce genre de femme n’était pas pour moi. On va dire que j’ai fait mes petites expériences.
Mon simili neveu étant venu chercher une solution, je lui en propose une :
- — Mon conseil serait que tu te rapproches à nouveau de Marie-Adélaïde afin de constater l’état des lieux.
- — C’est peut-être un peu dangereux, non ?
- — Si tu penses que ça peut être dangereux, c’est que tu admets que Marie-Adélaïde n’est pas n’importe quelle femme.
- — Euh… pas faux…
- — Tu as une partie de ta réponse. À toi de voir si c’est la nostalgie qui parle ou autre chose.
Pensif, il hoche plusieurs fois la tête, puis après quelques secondes de silence, il s’adresse à moi :
- — Je vois… tu es de bon conseil, mon oncle. Avec toi, je peux parler de bien des choses. Ce qui est impossible avec mon père. À ce propos, lui aussi se confie à toi ?
- — Ça lui est arrivé, il a parfois besoin de moi, même s’il n’aime pas trop l’admettre.
- — Ça ne m’étonne pas de lui. Comme tu me le conseilles, je vais vérifier si c’est de la nostalgie ou autre chose, comme tu dis.
- — Ne te précipite pas, quant aux conclusions…
Avant de pivoter sur lui-même, Arnault sourit :
- — Ne t’inquiète pas, je viendrai te demander conseil entretemps !
Trois mois plus tard, et quelques conseils en prime, mon neveu se fiance officiellement avec Marie-Adélaïde, son père me tenant en grande estime, faisant fi du ressentiment qu’il éprouve envers mon cousin. Comme quoi je me trompe parfois…
Saynète de la vie quotidienne
Un beau jour, tandis que je suis dans son bureau, après avoir parlé de l’actualité assez fournie, Siméon change complètement de sujet :
- — Valentina a bien changé…
- — Je croyais que tu ne voulais plus en entendre parler ?
- — C’est une constatation… Je l’ai entraperçue plusieurs fois… Comment dire… c’est elle et à la fois pas elle, c’est surprenant.
Assis dans un fauteuil, je croise les jambes :
- — Je te confirme que c’est bien elle. Je crois surtout que tu ne connaissais pas vraiment ton ex-femme, tu en avais une idée faussée.
- — Moi, une idée faussée de Valentina ?
- — Globalement, tu as dès le départ une idée faussée, car tu divises les femmes en deux catégories : les saintes et les putes. Et ce n’est pas mieux pour les hommes : ceux qui sont pour toi et ceux qui sont contre toi. Tu es trop manichéen.
- — Parfois, je me demande où, toi, je dois te ranger : parmi mes amis ou mes ennemis ?
- — Si tu savais raisonner en dégradé, tu n’aurais pas à te poser la question.
Accoudé sur son bureau, Siméon fait la grimace, puis il demande :
- — Je trouve que Valentina s’est très vite consolée avec toi.
- — Serais-tu jaloux ?
Surpris par ma réplique, il se récrit :
- — Moi, jaloux ?
- — Depuis combien de temps avais-tu oublié de t’occuper correctement de ton ex-épouse ? Des années, une dizaine d’années. Valentina est une femme normale, elle a besoin d’aimer et d’être aimée. Et comme tu la délaissais, elle a fini par céder.
Sous mon attaque, mon cousin proteste :
- — Et son devoir d’épouse ?
- — Et le tien de l’aimer, de la choyer et de veiller sur elle ? Rassure-toi, je m’occupe de cette pénible obligation à présent envers Valentina.
- — Pénible ? Ce n’est pas l’impression que vous donnez tous les deux !
- — Est-ce que tu comprends le second degré, Siméon ?
- — Pff, avec toi, on ne sait jamais sur quel pied danser !
Toujours assis, je continue :
- — En attendant, te voici libre, totalement libre.
- — Libre, libre, tu parles ! Elles me causent quasiment toutes de mariage, même certaines femmes mariées !
- — Eh bien, Siméon, épouse l’une d’elles.
Il me regarde, les yeux écarquillés :
- — Tu… tu rigoles ?
- — Étant marié, tu auras la paix. Remarque, il se peut qu’une de tes maîtresses exige le divorce puisque tu es déjà passé par cette étape.
- — J’en suis à me demander si je n’ai pas fait la connerie de ma vie en divorçant ! Valentina me laissait justement en paix ! Je pouvais faire ce que je voulais, comme je le voulais, quand je le voulais.
- — C’est toujours trop tard qu’on réalise certaines choses. En tout cas, de mon côté, épouser Valentina est sans doute la meilleure chose qui me soit arrivée.
Désabusé, Siméon se cale au fond de son fauteuil :
- — Tu as toujours eu l’art de retomber sur tes pieds, Eugène ! Finalement, à bien y réfléchir, je suis le dindon de la farce !
- — Je te rappelle que c’est toi qui voulais expulser ou faire enfermer ton ex-femme. Et si je n’avais pas mis mon grain de sel, tu l’aurais fait sans sourciller !
- — Ton grain de sable, plutôt !
Croisant les doigts, je réplique :
- — Tu as toujours été trop impulsif, Siméon. Tu ne sais pas poser les choses à plat sur la table pour mieux analyser la situation. Tu as un très bon instinct pour tes articles et la politique, mais pour le reste, tes intuitions ne fonctionnent pas toujours au summum.
Mon cousin ne répond rien. Je me lève, je pense que ce n’est pas la peine que je reste plus longtemps. J’annonce ce que j’ai l’intention de faire :
- — Bon, je vais rentrer chez moi.
- — Et baiser mon ex-femme ?
- — Tu deviens désagréable, Siméon. En tout cas, c’est ce que tu aurais dû faire plus souvent quand tu étais marié avec Valentina. Remarque, je ne me plains pas quant au résultat final de ton oubli en la matière.
Puis je m’éclipse sans attendre sa réponse. En effet, si mon cousin avait été plus assidu avec son épouse, elle ne serait pas la mienne aujourd’hui. Tout en descendant l’escalier, je me dis que les voies de la Destinée sont décidément étranges, et que le déroulement d’une vie tient à un ensemble de petits riens. Les petits ruisseaux font les grandes rivières.
Une heure plus tard, je dois reconnaitre que Siméon avait raison : je baise son ex-femme.
Le temps arrange souvent bien les choses, Valentina est devenue plus passionnée et moins pudique. Elle m’a avoué une fois en catimini qu’elle rattrapait le temps perdu, elle m’a même fait dans la foulée un étrange reproche :
- — Pourquoi n’as-tu pas essayé de me séduire dès le début ?
- — Pardon !? Tu peux répéter, ma chérie ?
- — Tu as très bien entendu ! Nous aurions gagné une dizaine d’années !
- — Je ne peux te donner tort, mais tu ne serais peut-être pas actuellement mon épouse, juste ma maîtresse ou une ex… On ne peut rien prédire. C’est parce que tu as eu une expérience malheureuse que tu peux mieux juger.
- — Peut-être, en effet…
Je concède néanmoins :
- — Mais quelque part, tu as raison : nous aurions dû être en couple plus tôt…
- — Pour que tu abuses éhontément de moi, c’est ça ?
- — Exactement !
L’intérêt d’être stérile est que je peux m’en donner à cœur joie sans craindre une fâcheuse nouvelle quelques semaines plus tard. En contrepartie, je ne serai jamais réellement père, même si je peux dire que j’ai cependant trois enfants.
En tout cas, contrairement à mon cousin, je ne fais pas de dichotomie en ce qui concerne les femmes. Je sais que certaines Dames très comme il faut de la Haute Bourgeoisie ou de la Noblesse peuvent donner des cours de dévergondage aux catins des ruisseaux. Je ne dirais pas que Valentina fait partie de cette catégorie, mais elle sait être « tout feu tout flamme ».
Alors qu’elle est en train de lécher soigneusement mon bâton de vie, l’ayant bien capturé en main, mon épouse dit :
- — Je me demande si tu n’exerces pas une mauvaise influence sur moi, mon aimé…
- — Qu’est-ce qui te fait dire ça, ma chérie ?
- — Ce que je suis en train de faire, par exemple ! Jamais, ça ne me serait venu à l’idée de faire ça avec Siméon.
Ce qui ne l’empêche de continuer à donner des petits coups de langue fort appréciable. À moitié assis grâce à deux gros oreillers calés dans mon dos, je réponds placidement :
- — Ce n’est pas faux. Quand je te prenais pour une Madone, ça ne me serait pas non plus venu à l’idée, je le reconnais.
- — Je sais, je sais… c’est parce que je suis tombée de mon piédestal que tu t’es intéressé à moi. T’es vraiment étrange dans ton genre, Eugène…
- — Désolé, mais il y a du vrai… Avant, tu étais intouchable, maintenant, c’est l’inverse !
Ma verge bien serrée entre ses doigts, elle soupire bruyamment :
- — Oh oui ! Tu passes ton temps à me tripoter et à me peloter !
- — J’adore ! Et toi aussi, avoue-le.
- — Je suis une honnête femme, moi, Monsieur le dépravé !
- — Eh bien, l’honnête femme que tu es va se faire un plaisir de venir s’asseoir sur mon pieu et de présenter ses adorables lolos à ma bouche afin que je les dévore !
Elle ne répond rien, mais son regard luisant parle pour elle…
Un grand homme
Le temps file tel le sable dans un sablier. Marie-Adélaïde et Arnault se sont mariés et ont déjà un enfant. Sur mes conseils, mon beau-fils continue de considérer sa femme comme sa maîtresse (ce que je fais d’ailleurs avec sa mère), ce qui plaît beaucoup à la jeune épouse.
Séducteur en diable, Antoine papillonne allègrement, et Clémentine ne semble pas pressée de se lier avec un jeune homme, bien qu’elle soit venue plus d’une fois me demander conseil sur la gent masculine. Elle n’est plus une oie blanche, elle papillonne elle aussi, mais à sa façon.
Toujours aussi intransigeant et volontaire, Siméon mène d’une main de fer son journal et se fâche avec bien des gens. Cette fois-ci, je suis inquiet, et je ne m’en cache pas :
- — Siméon, tu as fait une énorme connerie en acceptant de te battre en duel avec ce sénateur. N’oublie pas que c’est un ancien soldat qui a grimpé un à un les échelons à la force du poignet. Ce n’est pas un planqué. Ce quidam a connu bien des champs de bataille.
- — Et moi, je suis un bon tireur.
- — Lui aussi, sans parler du fait qu’il est nettement plus mince que toi, il offre moins de surface à viser ! Toi, que tu sois de profil ou de face, ça ne change pas grand-chose !
Mon cousin se retourne, l’air mauvais :
- — Tu es vexant, Eugène !
- — Je suis réaliste, Siméon ! Je serais toi, je me dépêcherais de faire demi-tour. De plus, les torts sont partagés, tu peux t’en sortir sans souci la tête haute.
- — Tu n’es pas moi ! Mon honneur, tu en fais quoi ?
Je m’exaspère devant son stupide entêtement :
- — Ton honneur, ton honneur, tu as été déjà injurié nettement plus que ça, et plus que traîné dans la boue ! Cherches-tu à montrer que tu es toujours combatif ? Ou cherches-tu carrément à te suicider ?
- — Ce n’est pas demain la veille que j’aurai un pied dans la tombe.
- — À ta place, je ne serais pas si affirmatif…
Oui, Siméon est devenu un bon tireur (il s’est amélioré au fil du temps, s’entraînant souvent), mais son adversaire l’était aussi, même s’il fut tué sur le coup. En revanche, depuis presque deux jours, mon cousin est en train d’agoniser dans son lit. Attristé par tout ce gâchis, je reste à son chevet pour l’assister.
Le teint cireux, mon cousin lève les yeux vers moi :
- — Tu avais raison, Eugène, c’était le duel de trop…
- — La prochaine fois, tu y réfléchiras à deux fois.
- — Il n’y aura pas de prochaine fois, Eugène, je sais très bien que je suis foutu, c’est juste une question d’heures. Tu diras à Valentina que je l’ai aimée, mais que je l’ai mal aimée. Idem pour mes enfants.
- — Ils le savent déjà, Siméon…
La tête enfoncée dans le gros oreiller blanc, les yeux vitreux et perdus dans le vague, après avoir grimacé, Siméon soupire bruyamment :
- — Oui, j’aurais dû t’écouter plus souvent…
Puis il expire sur ces dernières paroles.
Comme convenu, aucune messe ne fut ordonnée, puisqu’il était férocement athée et anticlérical, même si son entourage souhaitait néanmoins un petit office religieux. J’ai dû faire entendre raison à diverses personnes. Aujourd’hui, nous sommes actuellement au cimetière, devant la grosse tombe familiale.
Je prononce les dernières paroles de mon petit discours :
- — À sa façon, ce fut un grand homme, aussi bien en politique qu’en journalisme. Il laisse un petit empire de la presse derrière lui, dont la relève est assurée. Je ne vais pas vous mentir, même si trop souvent les morts sont parés de toutes les vertus : il n’a pas toujours été un bon mari, ni un bon père, ni même un franc camarade, mais à l’aune de l’Histoire, il est néanmoins un grand homme.
Puis je jette une poignée de terre sur le vernis du cercueil.