Une histoire extrêmement soft.
Bonne lecture : )
Étrange visite
Tandis que je viens juste d’entrer dans mon appartement, je me fige sur place : je ressens indubitablement une présence, et même une odeur étrangement familière. Je referme la porte derrière moi, je m’avance dans le couloir en disant :
- — Je sais que vous êtes là, Charlotte.
Une voix féminine que je connais trop bien me répond :
- — C’est étonnant, mon cher Damien ! Comment avez-vous su ?
- — En ce qui vous concerne, j’ai un radar qui détecte aussitôt votre présence, c’est aussi simple que ça. Sans oublier votre odeur.
Ma visiteuse se tient debout dans le salon, elle s’avance un peu vers moi.
- — Mon parfum, vous voulez dire ?
- — Non, votre odeur, la vôtre qui vous est propre. Vous avez changé de parfum depuis la dernière fois.
- — Vraiment étonnant ! Vous êtes content de me voir ?
- — Si je disais non, je mentirai… mais votre présence chez moi m’inquiète ! Il ne me semblait pas vous avoir donné un double de mes clés. Mais je suppose que c’est un détail pour vous.
- — Oui, c’est juste un petit détail pour moi.
Je soupire, c’est bien ce que je pensais, ma visiteuse a toujours une notion de la légalité très faible. Et ce n’est pas à son âge qu’elle changera, surtout avec son vécu.
Je lui désigne un canapé :
- — Faites comme chez vous, Charlotte. Que puis-je vous proposer à boire ?
- — Ce que j’aime bien chez vous, c’est votre savoir-vivre.
- — Dois-je en conclure que vous n’avez pas l’intention de m’occire comme les autres fois ?
- — Vous exagérez, ce ne fut que seulement deux fois. Il me semble bien que notre dernière rencontre se soit bien déroulée, non ?
- — Uniquement parce que j’ai de bons réflexes ! Vous n’avez pas répondu à ma question : que souhaitez-vous boire ?
- — Un whisky, si vous avez. Avec deux glaçons, Damien.
- — J’ai ça en magasin.
Je lui apporte son verre. Elle le saisit sans hésiter :
- — Ce qu’il y a de bien avec vous, c’est que je peux boire sans crainte.
- — Je ne pense pas pouvoir dire la même chose à votre propos.
- — Vous êtes injuste, mon cher Damien, vous avez changé de catégorie.
- — Comment ça ?
- — Je vous aime bien, je ne vois pas pourquoi j’attenterais à votre vie, désormais.
- — J’aime beaucoup le « désormais »…
Elle m’adresse un large sourire charmeur :
- — Avant, vous étiez un homme parmi tant d’autres. J’ai appris à vous apprécier.
- — Vous m’en voyez flatté !
- — Vous voyez, votre réaction me confirme dans le fait que j’ai fait le bon choix. La dernière fois, ce fut un test pour vérifier si vous méritiez mon attention.
- — Je suis charmé de savoir que j’ai réussi le test. Et si à mon tour, j’attentais à votre vie ?
- — C’est une possibilité, mais vous ne le ferez pas. Du moins, pas avant de savoir pourquoi je suis ici, n’est-ce pas ?
- — Justement, que me vaut l’honneur de votre visite impromptue ?
Avant de répondre, elle boit un peu :
- — Faire plus ample connaissance, voyez-vous.
- — Je sais que vous êtes ludique à votre façon, Charlotte, mais quelque chose me dit que vous avez une autre bonne raison d’être là.
Elle pose son verre sur la table basse, m’offrant ainsi une mignonne vue dans son décolleté :
- — Il est toujours loisible de joindre l’utile à l’agréable.
- — Je vous crois sur parole.
- — Et pourquoi donc, mon cher Damien ?
Avec une interlocutrice comme Charlotte, je n’aurais peut-être pas dû dire ce genre de chose. Tant pis…
- — Je connais une partie de vos antécédents, j’ai pu me faire une petite idée à votre sujet. Néanmoins, j’avoue que je ne sais pas tout sur vous, chère visiteuse.
- — Il convient de garder une part de mystère…
- — Vous avez un certain sens du mystère, c’est certain ! Et vous débordez d’imagination pour écarter les gêneurs qui sont sur votre chemin. Même si je ne devrais pas vous le dire, je suis quasiment admiratif devant vos procédés.
Avec un sourire carnassier, ma visiteuse demande suavement :
- — Pourquoi quasiment ?
- — N’oubliez pas que je représente la loi, il serait malvenu que je vous encense !
- — Nous sommes entre nous, vous pouvez vous lâcher, mon petit Damien.
- — Contentez-vous du quasiment admiratif. J’en ai déjà trop dit.
- — Auriez-vous peur que je le clame à tout le monde ?
- — Je ne suis pas certain qu’on vous croie… Vous avez trop l’habitude d’endosser un rôle. Peut-être est-ce le cas actuellement.
Verre en main, elle me regarde droit dans les yeux :
- — Je joue avec vous, mais je ne joue pas un rôle, Damien.
- — C’est bien ce qu’il me semblait.
- — On dirait que vous me prenez pour une actrice ou une comédienne.
- — Vous avez l’art d’embobiner vos cibles.
- — Il convient d’atteindre l’objectif visé.
- — En vous amusant avec lui, comme un chat avec une souris.
- — Ce n’est pas faux…
Je bois une petite gorgée. Cette justicière auto-proclamée prend la vie comme un gigantesque terrain de jeu. Connaissant ses antécédents, je comprends ses motivations, mais je ne les approuve pas, même si au fond de moi, je me dis qu’elle n’a pas tort.
- — Au moins, certains de vos objectifs sont morts heureux…
- — Vous faites allusion à ceux qu’on a retrouvés dans une chambre en fâcheuse posture ?
- — Pas que dans une chambre. Visiblement, vous aimez faire d’une pierre deux coups…
- — Autant en profiter, d’autant que ce sera une prestation unique…
Je souris malgré moi :
- — Ceux qui ont eu les honneurs de votre lit sont restés rarement en vie très longtemps. Ce n’est pas pour rien si certains vous appellent la Mante religieuse.
- — La Mante ou l’amante ?
- — D’après ce que je sais de vous, les deux. Il semblerait même que vous soyez exceptionnelle dans les deux cas.
- — Oh, quelle flatterie !
- — Je rapporte divers propos à votre sujet. Et d’après certains détails, ces propos sont tout à fait mérités.
Elle croise et décroise ses jambes, qu’elle a fort belles :
- — Êtes-vous en train de me draguer à votre façon, Damien ?
- — Je sais être pragmatique.
- — C’est une des qualités qui vous ont fait changer de catégorie.
- — Et je ne déteste pas non plus jouer avec le feu.
Ce que je suis actuellement en train de prouver en contemplant à la fois son mignon décolleté et ses gambettes, alors que je devrais menotter illico cette dangereuse personne. Sûrement consciente que je pourrais décider de l’arrêter, ma visiteuse continue :
- — Je suis au courant. Vous êtes connu pour ça, votre hiérarchie n’apprécie pas toujours. D’ailleurs, c’est pour cette raison que je puis me permettre d’être ici ce soir avec vous, chez vous.
- — Je suppose que vous avez une bonne raison d’être ici.
- — J’en ai même plusieurs.
- — Commencez par la première.
Elle croise et recroise à nouveau ses jambes, laissant entrevoir un peu plus que la morale l’exige :
- — Je suppose que vous avez décidé d’aller au fond du Dossier Fontaine.
- — Oui, il y a des choses pas très claires et nettes, même si vous avez déjà fait le ménage.
- — Si on attend après la justice de notre beau pays, on peut attendre bien des années.
- — Je suis d’accord avec vous, mais vous avez une façon très expéditive de régler ce genre de problème. Vous êtes une justicière efficace, sachant se rétribuer au passage.
- — Que voulez-vous, j’ai des frais divers, mon cher Damien… ! On ne vit pas que de justice et d’eau fraîche…
- — Avec vous, j’hésite entre deux pôles opposés : ou mettre des menottes à vos jolis poignets, ou applaudir des deux mains. C’est irritant !
Elle sourit de façon lumineuse :
- — C’est l’effet Charlotte…
- — Dangereux effet !
- — Auriez-vous peur, Damien ?
- — Disons que je me méfie.
Elle agite son index comme pour me gronder :
- — Vous ne devriez pas. Vous avez changé de catégorie, n’oubliez pas.
- — Ça ne me rassure pas pour autant, même si je suis flatté. Je connais très peu de personnes qui ont survécu pour vous avoir côtoyée un certain temps.
- — Si vous vous occupiez plus des véritables fautifs du dossier Fontaine et que vous m’oubliez un peu, tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes.
- — Je dois reconnaître que je suis d’accord avec vous. Mais vous êtes mon dossier personnel, Charlotte.
Elle hausse les sourcils :
- — Ah ? Comment ça ?
- — J’aimerais beaucoup mettre la main sur vous, de façon légale, bien sûr.
- — Vous me faites penser à Quentin dans Cat’s Eye, le dessin animé.
- — Le policier qui pourchasse une voleuse de tableaux qui est en réalité sa fiancée ?
- — Exactement.
Je précise les différences :
- — Vous êtes plutôt une voleuse de vies que de tableaux, et vous n’êtes pas ma fiancée.
- — Des vies non méritées.
- — Ce n’est pas à vous d’en juger, Charlotte… il y a des lois pour ça, même si ce n’est pas toujours la panacée en la matière.
- — Je suis heureuse que vous abondiez dans mon sens.
Je préfère éviter de répondre, le sujet est glissant et ma visiteuse risque d’être plus convaincante que moi. C’est elle qui passe à un autre sujet :
- — Eh non, je ne suis pas non plus votre fiancée. Vous le regrettez ?
- — Nous ne sommes pas précisément dans le même camp, Charlotte.
- — Imaginons que nous soyons dans le même camp…
- — Je dois reconnaître que vous êtes une femme fort intéressante. Vous avez de l’esprit, de la répartie, du charme, vous êtes indéniablement intelligente.
Charlotte affiche un large sourire radieux :
- — Que de compliments ! En général, on me dit surtout que je suis belle.
- — C’est vrai aussi, mais vos adversaires ne voient que ça, ce qui les fait tomber dans vos filets.
- — Ah, un homme qui semble avoir les yeux en face des bons trous. C’est l’une des raisons qui fait que je vous aime bien, mon petit Damien.
- — Je vous en remercie.
Je la contemple quelques instants, puis je lâche :
- — Décidément, vous êtes trop dangereuse…
- — Vous vous répétez, mon ami…
- — Que voulez-vous, je répète les évidences !
- — Et c’est tout ce que je vous inspire ?
- — Il me semble bien en avoir dit plus à votre sujet. Mais ne comptez pas sur moi pour tout répéter depuis le début…
Elle affiche une moue amusée :
- — Je suis déçue, j’aime qu’on me dise franchement les choses à mon sujet.
- — Même ce qui est négatif ?
- — Surtout ce qui est négatif, mais avec diplomatie, quand même.
- — Le principal reproche que je vous ferais est que vous rendez votre propre justice, ce qui n’est pas légal, mais très efficace dans votre cas. Nous en avons déjà parlé.
- — Et rien d’autre ?
Je souris :
- — Vous êtes dangereuse, mais ça aussi, vous le savez déjà.
- — Oui, vous l’avez assez répété. Sinon, si je n’étais pas si dangereuse ? Vous auriez tenté votre chance avec moi ?
- — Oui, dans d’autres circonstances, j’aurais aimé vous séduire, mais je crains que ce ne soit pas approprié, de par nos métiers respectifs.
Elle joue avec moi :
- — Et pourquoi vouloir me séduire ?
- — Parce que vous êtes une femme diablement séduisante, Charlotte ! Vous cochez toutes les cases. Mais une fois de plus, vous êtes trop dangereuse pour moi.
- — En général, les hommes aiment bien le danger…
- — Sans doute, mais je ne suis pas suicidaire.
- — Donc vous vous contentez de femmes moins dangereuses, voire insipides, comme votre Marianne.
Je fronce fugacement des sourcils, je n’aime pas trop que ce soit ma visiteuse qui évoque la femme que je fréquente depuis quelques semaines, alors que je fais tout pour préserver ma vie privée. Restant flegmatique, je réponds :
- — Il est certain qu’on ne peut pas vous comparer, Marianne et vous. Chacune d’entre vous possède ses qualités et ses défauts, souvent inverses.
- — Ah bon ? Vous pouvez me donner un exemple ?
- — Bien sûr ! Je risque beaucoup moins ma vie avec Marianne qu’avec vous !
- — Qu’en savez-vous, Damien ? Votre nouvelle conquête est suffisamment bécasse pour provoquer un accident !
- — Hmm, seriez-vous jalouse, Charlotte ?
Ma répartie semble la figer sur place durant deux secondes. Elle fait la moue :
- — Ne soyez pas ridicule, mon petit Damien !
- — J’aime beaucoup la façon dont vous m’appelez, alors que j’ai une tête de plus que vous.
- — C’est affectif.
- — Merci, vous êtes bien bonne. Je reconnais que Marianne est assez maladroite, mais ça fait partie de son charme.
Elle m’adresse un petit sourire :
- — Décidément, vous êtes un gentleman…
- — J’essaye… Pourquoi ce compliment ?
- — Beaucoup d’hommes auraient continué. Vous avez changé de sujet.
Je me doutais bien que le sujet était glissant, et je sais aussi que mon interlocutrice peut se montrer très dangereuse. Certains cimetières peuvent en témoigner…
- — Je suppose que vous n’avez pas fait tout ce chemin pour me parler de mon actuelle conquête.
Son sourire devient plus carnassier :
- — Si, en quelque sorte…
- — Ah !? Je vous écoute…
- — Je vous propose une association, un partenariat…
- — C’est-à-dire ?
- — Vous avez accès à certaines informations, et moi aussi. Un échange de bons procédés.
- — Est-ce bien légal ?
Elle fait un petit geste gracile de la main :
- — Oh, la légalité, vous vous asseyez souvent dessus, mon petit Damien.
- — Moins que vous, chère Charlotte…
- — Pas faux… Et prime, j’ajoute un bonus, un beau bonus…
- — Lequel ?
C’est alors qu’explose la bombe atomique de la bombe anatomique :
Je me demande si je n’ai pas rêvé. Elle poursuit :
- — Vous me semblez être un bon spécimen d’homme à glisser dans mes draps. Mon lit est parfois trop grand et si froid, voyez-vous.
- — Je suis flatté… mais je crains que vous m’idéalisiez un peu trop.
- — Je ne vous plais pas ?
- — Il me semble avoir déjà répondu…
- — Oui, un pied dedans, un pied dehors…
Je résume à ma façon :
- — J’adorerais que Marianne soit à votre image, tout en étant ce qu’elle est au fond d’elle-même.
- — Précisez…
- — Vous seriez une compagne idéale si vous étiez un tantinet moins dangereuse et mortelle.
- — Ne vous ai-je pas dit que vous aviez changé de catégorie ?
- — J’ai bien entendu, mais n’est-ce pas là une stratégie de votre part ? Et qui m’assure que vous ne changerez pas d’avis en cours de route ?
Charlotte se fait très charmeuse :
- — N’avez-vous pas envie d’essayer au moins une petite fois ?
- — Quand on vous goûte, on devient accro à vie…
- — C’est gentiment tourné, Damien… Décidément, j’ai fait le bon choix avec vous.
Elle se lève et noue sensuellement ses bras autour de mon cou, plaquant vicieusement sa poitrine contre mon torse :
- — Allez, allez ! Avouez que vous en mourrez d’envie !
- — Il y a des verbes qui trouvent une résonance particulière dans votre bouche…
Elle se met à rire :
- — Oui, c’est vrai ! Mais j’ai prévu de revenir vous faire un petit coucou, et donc pour cela, il faut que vous restiez en vie.
- — Et si la prochaine fois, je vous accueille avec un escadron ?
- — Mais vous ne le ferez pas, n’est-ce pas ?
Je pose mes mains sur ses hanches, elle sourit, les yeux brillants. Je murmure :
- — C’est à voir…
- — C’est tout vu !
Puis elle m’embrasse.
J’ai déjà été embrassé par diverses femmes, mais là, c’est l’embrasement !
Ainsi va la vie
Malgré toutes mes bonnes résolutions, je suis devenu l’amant de Charlotte, ce qui me met en porte à faux vis-à-vis de mon métier. Néanmoins, je reste méfiant, tout en profitant de l’aubaine : ce n’est pas tous les jours qu’un homme comme moi a le plaisir d’avoir pareille femme dans son lit !
Oh non !
Dans mon cas, elle vient me faire un petit coucou environ deux fois par semaine, ce qui fait que Marianne est un peu reléguée en arrière-plan, même si je ne ferme pas la porte à une relation suivie avec cette dernière. Je me justifie auprès d’elle en invoquant mon boulot, et je sais me faire pardonner avec divers petits cadeaux et des week-ends à deux (quand Charlotte est au loin). Je sais que ce n’est pas honnête de ma part, je joue sur les deux tableaux.
Je ne me fais pas trop d’illusions, Charlotte finira par partir un beau jour, mais quand ? Demain, dans un mois, dans une année ? De ce fait, soyons sincères, Marianne est ma roue de secours.
En attendant ce funeste jour, je stocke plein de souvenirs dans ma mémoire. Il serait trop dangereux de conserver des écrits, des photos ou des vidéos de nous deux, ça risquerait de me coûter ma place, et même plus, si ça venait à se savoir.
Dommage…
Le marché qu’elle m’a proposé est largement valable et correct : je lui fournis quelques indications, elle m’en donne d’autres, et en prime, elle se donne à moi. Que demander de mieux ? Je vis une sorte de rêve éveillé, même si parfois j’ai la nette impression d’être une mouche qui voltige trop près de la toile gluante d’une araignée…
Il faut savoir vivre dangereusement…