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n° 22155Fiche technique15230 caractères15230
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Temps de lecture estimé : 11 mn
06/12/23
Résumé:  Landeline et le jeune chercheur.
Critères:  collègues
Auteur : Landeline-Rose Redinger            Envoi mini-message
Le parfum du désir

C’est dans un café de mon quartier qu’aujourd’hui, je retrouve Colin Durand. Colin Durand n’est pas à proprement parler un chercheur, bien qu’il passe le plus clair de sa vie à l’INSERM. Tout au moins, l’objet de notre rencontre, s’il émane de ses trouvailles personnelles, n’a en somme aucun lien avec ses recherches professionnelles.


C’est vêtue d’un jogging à capuche et de baskets que je me rends à son rendez-vous. Et ce détail vestimentaire n’est pas sans importance dans la suite de l’expérience menée par Colin Durand.

Ni maquillée ni parfumée, les cheveux noués par un basique élastique, lunettes noires, j’entre dans le Grand Café où, déjà, Colin Durand s’affaire devant l’écran de son ordinateur de poche. Poignées de mains échangées, Colin Durand m’explique d’une manière simple, dénuée de toute théorie, le principe même de l’expérience dont je vais être sinon le cobaye, tout au moins l’électron attracteur par qui devra passer le courant alternatif du désir.


Traverser les rues de mon quartier sous la capuche d’un ample sweat-shirt ne m’est pas habituel.

Aux footings que je pratique avec régularité, j’associe bien généralement un collant qui moule au mieux mes fesses et un maillot qui met en valeur ma poitrine. C’est en somme et uniquement pour que l’on m’observe, que l’on me scrute, que l’on appuie son regard, de facto, pour que l’on me désire. La source du désir des hommes est au rythme de l’irrigation de mon plaisir. Mon plaisir humide.

Or, m’en allant rejoindre Colin Durand, je ressens cette petite frustration de n’être point visible, bien que je fusse d’emblée et sans hésitation volontaire, adhérent sans condition au projet de ce jeune homme, disons-le, un peu fou.


Une forme moderne de professeur Nimbus à la chevelure hirsute, chaussé de Doc Martens violets et d’un ample manteau. Trop pour lui. Trop ample. Dans le café d’où Colin Durand me fait un signe de main, chaque table est occupée et une brume de fumée s’étale comme un drap de lin blanc. Je m’assois en face de lui. Il m’invite à me rapprocher en inclinant vers moi l’écran de son portable. Comme une broche sans esthétique, Colin Durand pince un petit appareil sur le tissu de mon tee-shirt au creux de ma poitrine. Je n’ai ni quitté ma capuche, pas plus mes lunettes solaires. Consigne de Colin Durand. Au même titre que les courants d’air chauds et froids, que les rayons lumineux qui difractent la poussière, semblablement aux échos sonores, Colin Durand définit le désir comme une onde continuelle dans l’espace. Un courant électrique générant une intense luminosité ou la faiblesse d’une bougie. Donc Colin Durand recense un ensemble de facteurs causals de la propagation du désir. Ainsi, dit-il, le corps des femmes serait l’émetteur-récepteur le plus chargé des résonances magnétiques du désir. Il convient d’y adjoindre toutes formes visuelles, auditives, olfactives ou sensitives pour augmenter la densité du désir. Le désir serait un être protéiforme. Croyons-le !


Sachant, toujours d’après Colin Durand, que les radiations du désir peuvent par entrecroisement se multiplier, se disperser, devenir un élément vaporeux insaisissable dont la propagation peut s’étendre au-delà des murs des maisons, au-delà des villes, des continents.


Dans son étude, Colin Durand s’est focalisé sur le désir sensuel ou sexuel, faisant volontairement le choix arbitraire de l’observation d’êtres humains féminins et masculins.

Il va s’en dire que l’algébrique combinaison homme-homme ou femme-femme est sans doute soumise aux mêmes flux et ondes. L’objectif de notre jeune savant fou n’est aucunement de démontrer scientifiquement les choses ni d’en extraire une fumeuse théorie, non comme il vous est dit en préambule, Colin Durand veut proposer et soumettre les recherches menées sur une personne, moi en l’occurrence, sans en accoucher d’une règle sociologique.


Donc, si je suis vêtue simplement – pour cette fois – suivant la consigne de Colin Durand, eh bien, les curseurs sont au point nul ou presque.


Je m’explique :

Munie d’un récepteur, je suis le centre même – selon Colin Durand – de la manifestation du désir des hommes de ce Grand Café.



Devrais-je être quelque peu vexée que la ligne fût verte et plane ? Disons-le, vous qui me connaissez bien, que l’on me désire est bien la raison unique jusqu’alors de ma joie de vivre.

Je conviens donc de mettre en regard du désir les éléments réunis du charme et de l’érotisme.

Là, jogging informe et capuche me rendent asexuée, presque indissociable du reste des hommes. Quittant mes lunettes, abaissant ma capuche, la courbe verte se teinte dans la foulée d’un orangé pâlichon et entame une légère ascension, faible, certes, mais presque visible à l’œil nu.

Sur l’écran, on peut voir clairement converger vers ce qui me symbolise, un tracé lumineux de droites pointillées, qui représente le désir.


Colin Durand me demande de lancer ma chevelure en arrière et la courbe oscille, un éclat de rire la fait se dresser un tantinet.

Se peut-il donc que le désir soit un effet, une masse gazeuse électrique ?

Et si poursuivant alors la logique mathématique d’une énergie du désir, si nous pouvions alors alimenter des turbines, si nous faisions battre les ailes des éoliennes, ne serions-nous pas des dieux ? Des déesses ?

Si le désir éclairait les villes ?

Serais-je le premier maillon d’une énergie nouvelle et à l’infini renouvelable. Lorsque je quitte Colin Durand, je suis heureuse d’avoir généré un milliardième de l’énergie terrestre.



La phase numéro deux de l’expérience exige un prélude, et au postulat de base de Colin Durand, je compte bien ajouter ma touche personnelle. Ma connaissance de l’éclosion du désir est on ne peut plus fine. Mais que vous apprends-je que vous ne sachiez déjà ?

Les conditions de lieu sont les mêmes ; il faut tout de même inclure dans l’expérience la journée ensoleillée qui ne le fut pas dans l’expérience initiale. Je souligne donc cet élément météorologique à Colin Durand, sachant que n’en point tenir compte fausserait en quelque sorte les données finales de cette étude.

Colin Durand en convient et l’intègre hic et nunc dans les paramètres indexés aux calculs du taux énergétique du désir.


Devant mon miroir, j’avais en ligne une petite dizaine de paires de souliers, allant de la ballerine à l’escarpin sans omettre la botte et la cuissarde. Mais, me ravisais-je, susciter le désir n’est pas une injonction que le cerveau doit recevoir. Non pas d’ordre, pas de diktats. Oui, de la suggestion. Je reléguais cuissardes et talons hauts au-delà de quatorze centimètres. Pas plus la micro-jupe ou le décolleté affolant. Non, le désir est en demi-teinte, le désir aime le mystère, joue la farce du voile. Que je fusse affublée telle une pute, ce qui au demeurant m’est parfois agréable, ne serait pas pour l’affaire qui nous occupe un curseur satisfaisant. L’argent est le trait d’union de l’homme et de la pute. Alors l’homme est celui du pouvoir et la phase de séduction n’a plus lieu d’être, s’efface devant la transaction financière. Donc « pute » n’est pas de mise aujourd’hui.


La robe noire est un classique de la séduction. Une épaule dénudée en est un autre.

Au-dessus du genou, environ quinze centimètres. Assise, sa lisière en gagne la mi-cuisse. Jambes croisées, nous sommes précisément à la jonction du secret et de la trajectoire du désir. Donc ma robe noire. J’ai une affection pour celle-ci, car son histoire est singulière.


De toute évidence, et l’automne en est le guide, le collant noir de soie est la touche inconditionnelle de l’érotisme féminin. Rendons hommage à Bernard Giberstein qui coula corps et âme dans les flots lourds et désordonnés de l’océan. Est-ce que lors de sa lente descente dans les fonds marins, le créateur de DIM se vit accompagné d’une cohorte de nymphes en bas de soie ?


Le chaussant est de confort. Maison Ernest, on ne s’y trompe pas. J’ai une affection pour la bottine qui, couvrant la cheville, laisse l’élancement du mollet annoncer l’affinement de la jambe. La cuisse se cache au croisement horizontal du tissu de la robe. Et là, s’intensifie le désir.


Le petit blouson de cuir de vachette tranche, mais ne dépare pas de l’ensemble sombre qui me couvre. La chevelure lâchée est indéniablement, pour peu que l’on y passe ses doigts en fourche de temps à autre, indistincte de l’érotisme, un passage obligé. Inévitable.


Je cultive à loisir l’art de la fabrique, car c’est ainsi que je m’entrevois, une fabrique de stimuli. Je suis, me semble-t-il, une machine organique génératrice de stimuli. Mon corps est un objet du désir.

Sans étendre ma pratique de l’autostimulation, je connais les codes. Les codes du goût, de l’odeur, du visuel. Semblablement, les matières qui induisent l’envie, fussent-elles seulement entrevues.

Le capteur de Colin Durand, et démonstration m’en a été faite, a la capacité surprenante de détection d’ondes du désir passager. Assise en terrasse, croisant un ou plusieurs hommes, parfois le curseur simultanément aux regards insistants ou obliques, passe du vert pâlichon au rouge et réintègre le vert selon que le croisement de nos corps est rapide ou éloigné. Pour ce qui est du goût, la langue en est l’organe, et bien entendu nous n’en sommes pas à cette finalité.


Blush et rouge à lèvres, fard à paupières, vernis à ongles. Autant de teintes et de couleurs parties prenantes de la propagation du désir.


Le temps est frais, mais néanmoins le soleil tenace tient son rang jusqu’à l’arrivée rapide de la nuit. Octobre nous plonge dans ce brouillard sombre à peine sortons-nous de la douceur de l’été, de nos corps presque nus, de nos épaules teintées, de nos visages hâlés. Bientôt, le fard fait son office solaire. Mais au contraire de mes amies, je ne me pose pas nue sous les rayons bleus des UV.

Lorsque je quitte ma ruelle, je suis dans le désir de susciter le désir. Dans le plaisir d’une représentation de la jouissance à venir. J’ai cette intrinsèque capacité.

Quelque chose tourne autour de moi que d’autres verront, humeront, un effluve qui taquinera la narine. Mon parfum, voilà le lien d’une rencontre olfactive et optique. Je ne peux sans livrer ici un détail intime, vous conduire jusqu’au café où je m’en vais rejoindre Colin Durand. Oui, chacun de mes pas lance en résonance le cliquetis sec de mes talons, chaque cliquetis appelle un regard détourné, chaque regard transporte son rayon de désir et de chaque désir découle une humidité soyeuse à l’entrecroisement de mes cuisses. Ma marche d’approche est à elle seule une dispersion vaporeuse de désir.


Lorsque j’entre dans le Grand Café, déjà le sourire affiché de Colin Durand laisse présager de l’amplitude du désir. Écartant les pans de mon blouson, Colin Durand glisse le capteur en effleurant mon sein et l’écran se teinte de faisceaux verts luminescents. Croiser les jambes en écartant mon siège de la table, confère à une bonne partie des hommes alentour une émanation soudaine d’envie.



Mais Colin Durand est à la fois absorbé et sans doute déconcerté par les dizaines de rayons rouge sang qui traversent son écran. Pour les marqueurs de proximité, mesurés par son expérience, une seule femme, vieille femme au milieu des hommes. Je doute fort alors que son désir pour moi soit entier, j’y verrais plutôt de la nostalgie, voire de la mélancolie. Le moindre de mes gestes de mains, hochement de tête, rire un peu appuyé accroît les striures de l’écran. La salle est une bombe à neutrons de désir.

Hors de cette séance expérimentale, seule attablée et dans de semblables conditions, j’aurais joint les toilettes en sous-sol où ma main aurait œuvré sous ma dentelle, sans relâche. J’aurais appelé de mes vœux que quelques mâles observateurs bravent les codes de la bienséance, poussent la porte au sigle pour glisser sans manière – ou plus justement de manière brutale – leur sexe dans ma bouche ou dans… mais voyons, voyons, je m’emporte, je digresse.


Calme-toi, Landeline, je t’en prie, m’intimé-je, intimement.


Et je relègue la salacité, la vertueuse salacité au rang des codes non usités aujourd’hui. Portant à ma bouche un whisky, je fais aller mon index délicatement sur la trace rouge de mes lèvres qui laisse au verre mon empreinte. Sur l’écran et en tout sens fusent les éclairs rougeoyants des désirs entrecroisés et enchevêtrés. Pour confirmer la bonne réactivité de sa machine, Colin Durand m’ordonne d’abaisser sensiblement la fermeture à glissière de ma robe et de faire un signe visible au serveur. Affichant un sourire professionnel, le garçon prend ma commande et s’en va.



Je pense alors que Colin Durand n’a pas pris en compte l’intensité du désir qui était le mien lorsqu’il m’ordonna d’ouvrir plus amplement l’échancrure de ma robe.

Il réitère en me demandant un croisement ample de mes cuisses à l’arrivée du garçon et de ma boisson forte. Jouant de zèle, je m’exécute en inclinant mon corps dans le même temps, afin que l’on voie dans le relâchement du tissu de ma robe le bombé que fait ma poitrine. Colin Durand roule des yeux comme des boules de billard, visant à la fois son écran et le regard oblique du garçon de café vers ma poitrine. Je crois voir mon jeune chercheur partir en torche de feu avec sa machine infernale.



Vous le savez, vous qui sans doute m’avez pratiquée, que l’on me soumette et je m’affole, que l’on me courbe je m’ouvre, que l’on m’oblige et je consens, que l’on m’avilisse et je m’agenouille. Ce jeu-là lance mon plaisir à l’orée de la jouissance. Je pense alors que la réverbération ondulatoire de la somme de mon plaisir va en quelque sorte s’accoupler dans l’espace du Grand Café avec la multiplicité du désir des hommes attablés.

J’en suis là de mon égarement lorsque Colin Durand me donne les prérogatives suivantes et finales de son expérience.


Donc, enfilant mon blouson, petit sac à l’épaule, je quitte le Grand Café, non sans un déhanchement sensiblement amplifié et me retrouve dans la rue.

D’un pas moyen, je reprends le chemin, suivie par quelques hommes éparpillés et plus lointainement par Colin Durand et son ordinateur ouvert devant lui.

Aucun des hommes ne m’aborde, ils passent, doublent et bifurquent.



Assise sur la banquette basse de mon salon, en vis-à-vis de Colin Durand, j’écoute son commentaire désordonné de l’expérience. Jouant avec la fermeture à glissière de ma robe, je constate que le petit récepteur est encore sur ma poitrine. Croisant mes jambes en forçant le geste, le tissu remonte au-dessus de la lisière de mes bas, je sens une exhalaison de mon corps en mélange au parfum que je porte, est-ce donc cela le parfum du désir ?