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Temps de lecture estimé : 7 mn
20/12/23
Présentation:  Le calendrier de l’avent
Résumé:  Un récit réel en forme de conte.
Critères:  nonéro -contes
Auteur : giordano            Envoi mini-message
Un mystère de Noël

Bonjour,


Je ne sais pas écrire. Enfin pas comme celles et ceux qu’ici j’admire. C’est mon premier texte, mais je ne demande aucune indulgence, assumant mes limites et n’ayant aucune prétention à concurrencer Alphonse Daudet. Oui, « Les trois messes basses » est mon conte préféré, « Plus vite, Garrigou, plus vite », dont je ne résiste pas au plaisir de vous rappeler un passage :


Dehors, le vent de la nuit soufflait en éparpillant la musique des cloches, et, à mesure, des lumières apparaissaient dans l’ombre aux flancs du mont Ventoux, en haut duquel s’élevaient les vieilles tours de Trinquelage. C’étaient des familles de métayers qui venaient entendre la messe de minuit au château. Ils grimpaient la côte en chantant par groupes de cinq ou six, le père en avant, la lanterne en main, les femmes enveloppées dans leurs grandes mantes brunes où les enfants se serraient et s’abritaient. Malgré l’heure et le froid, tout ce brave peuple marchait allègrement, soutenu par l’idée qu’au sortir de la messe il y aurait, comme tous les ans, table mise pour eux en bas dans les cuisines. De temps en temps, sur la rude montée, le carrosse d’un seigneur précédé de porteurs de torches, faisait miroiter ses glaces au clair de lune, ou bien une mule trottait en agitant ses sonnailles, et à la lueur des falots enveloppés de brume, les métayers reconnaissaient leur bailli et le saluaient au passage :


  • — Bonsoir, bonsoir, maître Arnoton !
  • — Bonsoir, bonsoir, mes enfants !

La nuit était claire, les étoiles avivées de froid ; la bise piquait, et un fin grésil, glissant sur les vêtements sans les mouiller, gardait fidèlement la tradition des Noëls blancs de neige.


Extrait des lettres de mon moulin, « Les trois messes basses » – Alfonce daudet – 1887


Des Noëls blancs de neige, j’en ai connu quelques-uns, mais peu, ayant toujours vécu dans une région au climat doux, mais cette phrase « des Noëls blancs de neige », comme un tableau des Brueghel, m’a suivi tout au long de ma vie. Cela fait partie du mystère de Noël.


Si j’écris peu, je lis beaucoup. Et je lis rêve et le calendrier. Aujourd’hui, en un éclair, l’idée de ces contes et poèmes quotidiens a fait remonter à ma mémoire un épisode de ma vie. Une sorte de conte de Noël vécu et que j’ai eu brusquement envie de partager avec vous.


C’est en quelque sorte un conte réel. Oui, j’ose un oxymore ! Après tout, ce soir je me lâche, alors pourquoi pas un oxymore ? Un conte de Noël réel. Mais un conte peut-il être réel ? Est-ce un conte si c’est réel ?

Oui, puisque je vais vous le conter.


C’était, voici, disons une bonne vingtaine d’années. Le vingt-quatre au soir, évidemment. Avant d’aller fêter Noël en famille, il me vient l'envie de porter une petite bûche à une vieille dame seule que je connaissais depuis longtemps, me disant que cela lui ferait du bien de voir un ami, ce soir où la solitude lui pèserait sans doute plus lourdement. Je l’appelle et elle ne me cache pas sa joie de mon initiative, précisant qu’elle me préparerait un thé noir, se souvenant, et cela m’a touché, que c’était mon préféré.

Nous devisons et partageons la bûche et le thé.

Moment d’émotion à égrener les anciens jours de fête pour elle révolus.

Le moment venu, je prends congé non sans lui promettre de venir plus souvent, tout en n’étant pas certain de pouvoir tenir cet engagement. Mais le soir de Noël est toujours particulier.


Celui-ci le fut, et je ne me doutais pas à quel point.


En entrant dans ma voiture garée dans la petite rue, juste à côté d’une église en béton, pas belle, de celles qui ont été construites en grand nombre dans les villes à la fin du XIXe siècle, je vois du verre sur le siège passager, puis je cherche à comprendre et mes yeux se lèvent sur la vitre cassée. Cela me fait revenir au présent : j’y avais laissé mon sac. Mon sac en cuir souple, avec bandoulière, qui ne me quitte jamais. Mon cœur s’emballe. Des documents difficiles à remplacer, des mois de travail, mes papiers d’identité, la carte bancaire, les diverses cartes et que sais-je encore. Pas d’ordinateur, je n’avais à cette époque pas de portable. Pas mon téléphone, il était dans ma poche de veste, heureusement.


Soirée de Noël bizarre. On m’aide à colmater la fenêtre avec des cartons et un ruban collant et j’essaie de faire bonne figure pour ne pas gâcher la fête. Bien sûr, chacun compatit, mais je me vois déjà le lendemain au commissariat déclarer les pertes, faire opposition pour les chèques et la carte bancaire, mais la banque sera fermée demain, puis accomplir péniblement toutes les formalités administratives pour retrouver les papiers, puis chercher dans l’ordinateur de l’entreprise pour essayer de reconstituer mes dossiers, mais ce sont les vacances et je ne pourrai pas avant janvier, bref le moral est plutôt bas.

En plus, je culpabilise, parce que c’est évident, on ne laisse pas son sac en vue dans une voiture, même s’il fait nuit et si le quartier est on ne peut plus tranquille.

Enfin, me dis-je, ils m’ont laissé la voiture, c’est déjà quelque chose.

Mauvaise nuit, vous vous en doutez.


Le lendemain, je m’apprête à me rendre à reculons à l’hôtel de police, mais pourquoi appellent-ils ça un hôtel, quand je reçois un appel téléphonique :



  • — Bonjour, je cherche Monsieur X.
  • — C’est moi.
  • — Je suis Monsieur Y et je tiens votre sac à votre disposition.
  • — Pardon ?
  • — Vous n’avez pas perdu votre sac, avec vos papiers et des documents, hier soir ?
  • — Oui, mais….
  • — Eh bien, je vous donne mon adresse et je vous attends pour vous le donner. Mais si vous pouviez passer avant midi, ça m’arrangerait.
  • — J’arrive tout de suite. Merci infiniment, Monsieur.


La surprise passée, je me mets en route et trente minutes après, je sonne chez ce Monsieur qui ne me fait pas entrer et me donne le sac. Heureusement qu’il ne pleut pas, car je suis sur le trottoir. J’essaie de comprendre, encore ébahi.



Comment tout cela est-il possible ? Je me sens confus de le retarder, à la fois soulagé, heureux et perturbé. Je regarde mon sac sans y croire encore et pourtant c’est bien lui, je le touche ! Mon vieux sac de cuir noir, qui me suit depuis si longtemps. L’homme est pressé, certes, mais je ne peux pas partir aussi vite.



Dans ma voiture, je regarde, un peu anxieux tout de même, le contenu du sac. Les papiers, d’accord, mais les cartes et le travail ?

Allez-vous me croire ? Oui. Parce que c’est Noël et vous savez que je ne m’amuserais pas à raconter des histoires. Il ne manquait rien. Strictement rien. Comme si le mec n’avait pas fouillé le sac. Je tente de réfléchir. Peut-être cherchait-il du liquide ? Il n’y en avait pas. Le liquide est seulement dans la poche revolver de mon pantalon, mais pourquoi appelle-t-on ça « poche revolver », comme si on ne peut pas s’asseoir sur un revolver, ça ne doit pas être confortable ? Ou bien il a été pris de remords ? De scrupules ? Un soir de Noël, c’est peut-être la trêve même pour les voleurs ? Je me plais à le croire.


Deux jours plus tard, et après avoir cherché les heures d’ouverture de l’église, car maintenant peu d’églises sont ouvertes, sauf celle de mon village qui l’est obstinément, et ce depuis ma plus tendre enfance et certainement bien avant, de neuf heures à dix-neuf heures et trois-cent soixante-cinq jours par an, je suis allé, non pas à la messe, mais à son début, et j’ai discrètement déposé dans le tronc un assez gros billet. J’ai regardé le prêtre qui commençait son office, les nuques des gens agenouillés sur leur prie-Dieu, et me suis éclipsé, par respect pour lui et les fidèles.


Voilà. Le conte réel est fini.

Je ne crois en rien. Je n’ai pas d’explication. La providence ? Pourquoi pas ?

Mais un mystère de Noël, c’est certain.