n° 22262 | Fiche technique | 12927 caractères | 12927 2152 Temps de lecture estimé : 9 mn |
03/02/24 |
Résumé: Landeline et le virtuose | ||||
Critères: fh | ||||
Auteur : Landeline-Rose Redinger Envoi mini-message |
Longtemps dans le simple halo lumineux de la lune, agenouillée sur un coussin de confort, longtemps j’avais sucé son sexe. D’ordinaire, le vieil homme m’avait voulu en femme fixe, nue à la fenêtre ou suggestive à souhait, dans les vêtements qu’il choisissait au préalable dans la boutique proche du Jardin de l’Oratoire. Emilie-Reine, la vendeuse connaissait le rituel.
Il était long sans être en pleine vigueur, ne laissant pas en bouche la mollesse gélatineuse propre aux pénis de vieillard.
Pour cette fois ma tenue était sobre sans recherche d’un style d’excentricité. Costard masculin de coupe féminine, pantalon ample et souple couvrant des escarpins de facture classique. J’avais ouvert la veste sur ma poitrine nue et le balancement métronomique de mon visage au long de son sexe, faisait tanguer mes seins dans un rythme simultané. Je suçais sans relâche, mais lentement, le petit homme que je voyais entièrement nu pour la première fois. Il gardait comme à son habitude un silence qui d’ordinaire laissait la part la plus noble au son de sa contrebasse. Ce soir l’instrument était remisé dans un coin de la pièce où il apparaissait en clair-obscur.
Le buste entièrement dénudé, ainsi agenouillée devant le vieil homme j’étais, je crois, la forme anthropomorphique de la contrebasse. Pour tout dire, je ne ressentais aucun effet du désir ou du plaisir au creux de mes cuisses. Mais il est vrai également que ma bouche avait toujours accueilli de bonne grâce le sexe des hommes.
Mécaniquement, je poursuivais le jeu régulier et le vieillard, hormis quelques discrets "ouf !" sporadiques, n’émettait aucun autre son qu’une respiration plus haletante que d’ordinaire. Ou si peu. Je savais, je pressentais plus exactement, que son sexe n’inonderait pas ma bouche. Les minutes passant lui donnaient une vigueur supérieure, jusqu’à atteindre une raideur bien différente de son état initial. Par expérience, je reconnais comme d’autres savent un bon vin à la première mise en bouche ou bien un havane à la senteur de sa cape, moi je sais précisément appréhender l’intervention de la chimie dans le processus érectile. Au fait de sa grande raideur, son gland à lui seul emplissait ma bouche. Ma langue volatile et joueuse s’y promenait, l’enveloppait dessous, le lapait ou mes lèvres l’habillaient en amplifiant le mouvement de succion.
Le petit homme si distingué dans ses costumes de représentation, m’apparaissait ce soir nu, et presque perdu dans son grand fauteuil ; il avait quelque peu perdu de sa superbe. Si par l’exercice incessant de ma bouche sur son membre, j’avais senti quelques friselis de sueur sous mes aisselles, si la pointe de mes seins avait une tension marquée, pour autant rien de mon sexe ne suintait, rien ne filait au long de mes cuisses. Je ne fus d’ailleurs pas tentée d’y glisser un doigt.
Alors mes mains toujours lentes et précises poursuivaient le va–et-vient au long du sexe qui se calait bien aisément dans ma bouche, allant parfois se loger dans la descente de ma gorge, puis la quittant, pour revenir au bord de mes lèvres pour l’oxygène.
Je ne pourrais dire avec précision la durée de cette fellation, car on sait la variable temporelle de la médication adaptée à chaque homme. Et aussi lorsque son sexe revint à son état originel, je me plus à poursuivre le jeu, léchant le pendentif de ses couilles cherchant à combler ma bouche de l’entièreté de son sexe – gland et testicules semblaient souvent être un beau final pour moi comme pour mes partenaires.
Redonnant du volume à ma chevelure, je revêtis ma veste, tamponnais un élégant mouchoir soyeux sur mes lèvres et quittais le vieil homme.
Je pris place dans la limousine d’où le chauffeur dévoué m’adressa quelques mots de politesse.
C’est durant ce trajet, où la limousine me déposerait chez moi, que je ressentis les effets tardifs du plaisir. Et ne pouvant chasser l’idée récurrente de la verge du vieil homme dans ma bouche, je commençais à caresser mon sexe à travers le tissu souple du costume. Pour un peu j’aurais aimé me mettre entièrement nue et jouir sur le siège ample de la grande voiture. Je n’en fis rien.
Rendue dans mes appartements, je ne pus réfréner cette pulsion tardive et passais une nuit blanche à jouir intensément. Au matin mes joujoux gisaient sur et sous mon lit, on eut dit un désordre de chambre d’enfant. Pour autant, les petites heures de sommeil ne m’avaient pas rendue au calme et à la lassitude du corps. Entre mes cuisses, mon sexe battait les roulements du désir, le drap humidifiait mes fesses. Je jouissais sans que mes mains n’atteignent les trous de mon corps.
Quelques heures plus tard, à peine apaisée je quittais mon appartement et filais en courant rejoindre le train des joggers du Parc Georges Brassens. Et c’est ainsi, précisément au niveau du petit cheval et sa charrette, que je reconnus Alban.S malgré son corps rondelet et sa large barbe. Le désir qui ne m’avait pas quitté m’emporta vers des temps anciens où le sexe d’Alban.S forçait mon corps. Je marquais un temps de pause sur un banc. Au tour suivant j’abordais Alban.S.
Le lendemain de ce week-end à rebondissement, le lundi donc, j’attendais Alban.S. Ce qui était un fait rare, je l’avais convié à me rejoindre chez moi pour prendre une petite collation. J’ai vu dans ses yeux passer la frayeur sous un voile de désir. Le temps se prêtait grandement à la longue robe blanche que j’avais passée, un bandeau rouille retenait mes cheveux, petites toiles aux pieds. Dessous, un string blanc pour ne pas marquer le tissu et un soutien-gorge du même blanc car en cette période du mois, mes seins demandaient une taille supérieure et pesaient un peu sur ma colonne. Le ferme maintien des balconnets leur donnait un bombé qui n’échappait pas au regard des hommes. Pour tout dire, la nuit suivant ma nuit blanche ne m’avait pas laissée plus de repos que celle où je m’adonnais aux activités ludiques que mon corps réclamait à grands cris.
En un mot, j’attendais Alban.S avec une excitante fébrilité. J’allais du patio à la fenêtre écartant les lames du store, guettant l’imminente arrivée d’Alban.S. Je m’étais toutefois assoupie dans mon transat, quand un ronflement de moteur sembla proche de ma demeure. Mais l’impasse rapproche facilement et amplifie le moindre véhicule, qu’il fut à quatre ou deux roues. Plus excitée que nerveuse, je filai ouvrir quand je reconnus la limousine noire et le chauffeur du vieil homme, extrayant un vaste étui noir et rigide de la banquette arrière.
Je restais là, maintenant l’étui alors que la limousine s’éloignait lentement et presque sans bruit.
J’ai attendu, j’ai longuement attendu mais Alban.S n’est pas venu.
Je revenais d’un pas léger, picorant de-ci de-là une petite miette de ma baguette Poilane, en pensant pêle-mêle à Tom, Albane dont j’étais sans nouvelles, à cette terre qui ne tournait pas toujours très rond. J’avais pris par le parc pour remonter par la rue de Convention et débouchant dans mon impasse Santos, j’aperçus un homme de stature forte, combinaison noire et casque à la main. Alban.S ? Non, pas assez élancé.
L’homme qui avait planté son scooter précisément au pas de ma porte, semblait m’attendre, tout comme si mon planning de la journée lui avait été communiqué. Sans faire le jeu d’un récit énigmatique et semblablement à vous-même, je me questionnais intérieurement, investissant en quelques minutes à peine, le champ des possibilités qu’un étranger fut à ma porte. L’énigme fut en somme rapidement résolue.
Je passais sur le "pas aussi bien que vous" qui en somme me taillait le costard de la pute mémorable. Et pour tout dire ce trait d’humour plus subtil donnait quelques points à l’homme en noir. Toutefois j’étais intérieurement déçue que cette présence postée devant mes yeux ne fut pas celle d’Alban. S. vingt mille euros était une somme rondelette et mon attachement sentimental à l’instrument n’était pas à la hauteur de mes ambitions de contrebassiste, pas plus que ne m’émoustillait le souvenir de Dimitri. En un mot j’allais vendre la contrebasse.
L’homme en noir eut une esquisse de sourire et me tendit une carte de visite.
Il chaussa son casque et enfourcha son scooter.
Je regardais partir ce bonhomme culotté, non dénué d’humour, avec un plaisant sentiment.
Fin de l’épisode.
Je posais mon pain Poilane sur la maie de cuisine, et entrepris une petite concertation de ma contrebasse, cette très vieille fille de 1720 encore courtisée de nos jours, comment pouvais-je rivaliser ?
La contrebasse sembla glisser de son socle.
Les jours suivants comme on parle à son animal de compagnie, je monologuais prenant à témoin ma contrebasse. Dès lors, je savais que m’en séparer serait peut-être un crève-cœur. Ou bien faire fi des sentiments se forger un cœur de pierre et la laisser partir comme de vulgaires planches de bois. Mais vous me savez pourvue du sentiment de fidélité. Alors que cette transaction me posait quelques soucis de conscience, j’entrepris de penser à déserter ma demeure, fuir mes pensées troubles, enfin m’éloigner. D’abord, le parc fut le lieu plus fréquent de longues sorties de jogging. Puis munie de quelques pass-coupe-fil, on me vit à Orsay, souvenons-nous, j’y avais attendu Tom – mais aujourd’hui j’y étais pour Cézanne, puis je déambulais dans quelques rues pour rejoindre l’Orangerie et les œuvres panoramiques de Monet, impressionnant impressionniste.
Parfois ma pensée allait vers Dimitri, ce vieillard assez énigmatique, un inconnu en somme. Je gardais du parcours érotique que j’avais fait pour lui, un soyeux souvenir. Que Dimitri ait fait le choix de mes tenues, qu’il fut ainsi dans la pénombre et le silence, ajoutait en la mémoire un passage romanesque, romantique presque.
Est-ce que la contrebasse n’était pas l’âme qui survivait au corps de Dimitri. Pour autant, ce passage-là bien qu’il me fût doux avait laissé mon désir s’étioler. Au fil des semaines la contrebasse que j’avais vue comme une amie, une confidente m’apparaissait dès lors comme l’œil de Moscou. En un mot, je n’étais plus libre chez moi, quelque chose me suivait, m’observait, passait les murs. Un mari jaloux, un amant éperdu, un invisible détective.
A peine l’avais-je appelé que l’homme au scooter était à ma porte.
A peine fut-il à ma porte qu’il s’en retournait avec l’instrument et le pesant d’or qu’elle valait, solidement arrimée dans son dos.
L’enveloppe renflée des vingt mille euros, me sembla comme l’objet libérateur d’un poids qui annihilait mes forces vives.
Une journée de sommeil me rendit à la légèreté, mon corps recouvrait un élan de tonicité, je m’y sentais bien, d’un bien-être retrouvé.
Je passais une robe noire à bretelle fine, des sandales plates et m’attablais à la terrasse d’un café rue de la Convention.