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n° 22304Fiche technique24352 caractères24352
Temps de lecture estimé : 18 mn
07/03/24
Résumé:  Entre rêve et douloureuse réalité... une femme qui nage en plein délire ! Et si un jour vous aussi étiez confronté à ce genre de chose, comment réagiriez vous ?
Critères:  nonéro
Auteur : Jane Does      Envoi mini-message

Concours : Le refus
Un bébé toute seule

Le ciel me dégringole sur la tête. C’est impossible. Je regarde avec une vraie crainte le vieux bonhomme qui me fait face. Lui, les lunettes sur le nez, me sourit avec un air plutôt coquin. Au fond de moi, j’ai froid, d’un coup.



Bon sang ! Depuis quatre ou cinq jours, je me sens mal, ou enfin, pas très bien. Et hier j’ai décidé de consulter. Le premier matin, j’ai cru que ça venait de mon café. Exécrable, une nouvelle marque que je ne supporte pas. Et puis tout de même, au fil des nausées matinales, je me suis inquiétée. D’où ce rendez-vous avec notre médecin de famille. Lucien Lambert qui tripote son stylo en me couvant des yeux. Ce qu’il me raconte est aberrant, tout bonnement idiot. Pour ce qu’il m’annonce, il faudrait que… et non !



La stupeur se lit sur le visage du vieux praticien. Sûr ! Évidemment qu’il l’est, certain. Elle accuse le coup, cette gamine qui se tient assise devant lui. Ah ! Cette jeunesse ! Ne même plus savoir interpréter les signes évidents d’un état pareil. Pour une femme les premiers indices de sa « maladie » sont bel et bien les vomissements matinaux. La fille de Maria, c’est une sacrée jolie plante. Chez lui, le doute n’est pas, plus permis. Ce qui fait peur à cette gosse, c’est sûrement qu’elle a fait une connerie et ne s’en rend compte que maintenant. Mais lui, son boulot c’est de dénicher ce qui ne va pas chez les gens.


Le toubib de ma mère me scrute, comme pour chercher une réponse à une question dont je n’ai aucune idée. Comment est-il possible que je sois enceinte ? Pour cela il faut bien avoir une relation sexuelle avec un mec, non ? Et je dois avouer que depuis trois ans, mon existence, de ce côté du moins, c’est « Waterloo morne plaine ». Donc, le père Lambert ne peut que s’égarer. Son diagnostic ne peut en aucun cas être celui qu’il vient de poser. Bon ! Réagir, c’est juste ce dont j’ai besoin. Aucune femme ne fait « un bébé toute seule ». Je n’ai rien d’une vierge effarouchée bien sûr, mais je suis sûre de mon fait. Je n’ai pas couché avec un type depuis trente-cinq ou trente-six mois. Donc le toubib se goure forcément.



Je lui tends ma carte vitale et passe ma carte bleue sur le sabot sans contact. Un bip et l’argent change de poche. Je ne suis pas très rassurée. Pas d’ordonnance et un diagnostic qui ne me satisfait pas plus que cela. Comment lui raconter ça, à ce gars qui exerce la médecine généraliste depuis des années ? Du reste d’une voix claire et nette, il me parle de nouveau.



Je quitte le cabinet de Lambert, désemparée et inquiète. C’est impossible et pourtant, il a l’air si catégorique. Mince alors ! Je n’arrive pas à croire ça. Je n’ai plus fréquenté un garçon depuis que Jérémie m’a quitté pour Annabelle. Dégoûtée des mecs pas sérieux, je l’évite comme la peste et là, c’est comme si… le tonnerre s’abattait sur ma caboche. Enceinte ! Comment est-ce Dieu possible ? Le dernier homme que j’ai vu de près, c’est Alain chez ma copine Alexandra. Mais il ne m’a pas approché. Nous avions bu un peu, mais pas au point que je ne me souvienne pas d’un truc pareil. Oui… j’ai bien dormi chez ce couple, dans la chambre d’ami… mais seule, et je n’ai jamais eu la sensation d’avoir baisé cette fameuse nuit.


Merde ! Je fouille dans mes souvenirs de cette dernière soirée. Alex et moi avons chanté, rigolé, puis crevée je suis allée me pieuter dans la chambre d’ami. J’ai roupillé comme une masse et je n’ai pas vraiment le souvenir que son mec m’ait rejoint… Donc, la conclusion s’impose d’elle-même. Pas de rapport et de ce fait impossibilité d’être en cloque. Il va me falloir un second avis médical ? Je ne suis pas dans ma tête, prête à subir ce genre de chose. Montrer mon cul à Lambert, passe encore. Lui l’a vu alors que j’étais toute petite, mais pour un autre médecin, je ne m’en sens pas capable. Et puis… je me dois d’attendre un jour ou deux, c’est sans doute une intoxication alimentaire.


Un truc qui a échappé à la vigilance de Lucien… il n’est peut-être pas infaillible non plus. Dans mon cerveau ça bouillonne pour de bon. Je crois devenir folle tant ça tourne sous mes tifs. Et les jours qui suivent n’arrangent en rien ma situation. Mes nausées surviennent désormais après pratiquement tous mes repas. Je me traîne lamentablement dans mon petit deux pièces cuisine et au boulot j’ai une mine de déterrée. Ma collègue Sonia du bureau voisin me dévisage d’une drôle de façon chaque fois que nous nous croisons dans un couloir. Une peste celle-là, qui colporte tous les ragots. Je dois me méfier. Mais combien c’est compliqué de ne pas savoir, de ne pas comprendre surtout !



— xXx —



Le déjeuner dominical chez maman est un vrai supplice. Elle me suit du regard, comme si elle pressentait ce qui ne tourne pas rond chez moi. Oh ! Elle ne dit pas un mot, se contente seulement de me déshabiller des yeux. Et chacune des bouchées que j’avale en silence me provoque des haut-le-cœur qu’elle doit analyser. Un effort sans pareil pour paraître la plus naturelle possible. Essayer de ne rien montrer de ce qui me tourmente, du moins devant elle. C’est idiot je le sais bien, pour ne pas dire complètement con. Mais où se niche parfois l’amour propre des gens ? Ma fourchette voyage de mon assiette à ma bouche et je ne trouve aucune saveur à la tambouille de Maria. Maman est un véritable cordon-bleu, mais ce que je mange fait du yoyo dans mon estomac…



Ça n’appelle aucune réponse de ma part. Et puis ce qui me turlupine me fait poser prestement ma serviette, pour filer aux toilettes. Là, je régurgite dans un haut-le-cœur impossible à réprimer ce déjeuner qu’elle a mijoté avec amour. Pas moyen de cacher ma bobine défaite à la sortie du petit coin. Maman me dévisage et fait une drôle de moue. Je dois prendre les devants pour m’éviter une question gênante.



Pas la peine d’insister. De toute manière, ma mère a des idées plutôt tranchées sur certains sujets et je ne vais sûrement pas la faire changer d’avis. Alors oui, l’air frais de ce début d’après-midi ne peut que me faire du bien. Je déguste à cause de mes vomissements de plus en plus fréquents. Et zut ! L’idée que des petits pieds puissent pousser en moi m’est véritablement insupportable. Du reste je ne parviens toujours pas à entrevoir comment ce serait faisable. Inenvisageable pour moi qui vit seule, et ne garde aucun souvenir d’un quelconque rapport sexuel avec un mec. C’est inouï ! Il y a forcément une autre explication, puisque celle d’une baise dont je ne garderais aucun souvenir est à écarter.


Nous allons ensemble vers le lieu où repose mon père. Comment maman peut-elle vivre dans son souvenir de la sorte ? S’interdire toute autre vie depuis son départ prématuré dû à une douloureuse maladie ? Dix ans déjà qu’elle vit seule et que chaque dimanche, comme un pèlerinage, elle vient le saluer ici ! Il me manque aussi, mais j’ai fait mon deuil depuis longtemps. Et je ne garde que les bons moments en sa compagnie. Je me suis fait une raison. L’avoir vu souffrir comme ce n’est pas permis, une délivrance sans doute pour lui que son départ. Bien entendu, les rapports entre maman et papa étaient bien différents de ceux que j’ai eus avec eux deux. Je peux comprendre la douleur de ma mère.


À mi-chemin, je dois de nouveau m’écarter du chemin qui serpente à la lisière de la forêt pour soulager mon estomac dans un vomissement qui m’arrache les tripes. Les yeux embués par cette évacuation par le haut de ce qui navigue dans mon corps surprend maman qui cette fois, se pose pour de bon des tas de questions. Et évidemment elle ne se prive pas de me les ramener sur le tapis.



Je ne tiens pas du tout à continuer à parler de cela. Ne pas non plus lui raconter que j’ai déjà rencontré notre médecin de famille et que ce vieux fou m’a dit quasiment la même chose qu’elle. Qu’est-ce qu’ils ont donc tous à vouloir absolument que je sois en pelote ? Bon sang ! Il faut au minimum avoir couché avec un type pour ce genre de désagrément. Ce n’est pas mon cas que je sache. Le seul mec que j’ai approché de près ou de loin depuis Jérémie, c’est Alain, le compagnon de mon amie… Alexandra et je suis allée me pieuter toute seule. Alors… merde, c’est quoi cette connerie ? Je ne peux pas comprendre comment je pourrais assurément avoir un polichinelle dans le tiroir. Elle est bien bonne celle-là !



— xXx —



Un rien désormais me prend la tête, tout m’énerve. Ne pas savoir comprendre ce qui croît en moi me fiche un bourdon du diable. Oh ! Bien entendu que je peux assumer toutes les bêtises du monde, à condition de les avoir faites. Et là… j’ai l’impression de nager dans le flou, dans un brouillard qui me rend complètement dingue. Comment en suis-je arrivée là ? C’est à se taper la caboche contre les murs. Je refuse totalement d’imaginer que j’ai pu coucher avec un mec et ne plus m’en souvenir. Bon sang ! Ce genre de moment agréable ou pas laisse des traces pourtant ! Alors ? Pas la moindre souvenance d’un acte de cette nature dans mon cerveau ? Inimaginable pour une suite favorable à cette histoire.


Je dois refaire le chemin en arrière. Oui ! Mais par quel bout commencer ? Puisque je ne suis pas sortie en boîte, ne suis pas allée dans un restaurant quelconque ou dans un lieu peu fréquentable depuis des mois. Reste mon passage chez Alexandra et son copain Alain. Mais… même si j’avais trop bu pour rentrer au volant de ma voiture, je me suis couchée seule et réveillée de la même manière. Aucunement le sentiment d’avoir fait l’amour durant cette nuit-là, mais c’est mon unique piste pour comprendre ce qui depuis se niche en moi. Alors, je téléphone à Alex pour en discuter avec elle.



Bizarre les trémolos dans la voix de cette amie qui d’ordinaire est très guillerette, joyeuse. Je finis donc de boucler le dossier sur lequel je bosse depuis le début de l’après-midi et je quitte mon bureau. Il ne faut guère plus de dix minutes en voiture pour me rendre chez mes amis. À mon arrivée, un pâle sourire s’allume sur ses lèvres. Traits tirés, elle semble marcher au radar, signe que contrairement à ce qu’elle m’a soutenu précédemment, elle ne va pas si bien qu’elle le prétend.



Alexandra quitte la cuisine où nous nous trouvons pour sa salle de bain et je l’entends farfouiller dans un meuble. Lorsqu’elle réapparaît, elle tient dans ses mains une minuscule fiole contenant un liquide incolore. Elle pose devant moi le flacon sans que je devine de quoi il retourne.




— xXx —



Le planton en uniforme qui nous reçoit se gratte la tête. Deux nanas qui débarquent au poste de police pour déposer une plainte pour viol, c’est peu courant. Il ne discute pas trop et nous fait patienter sur un banc proche d’un bureau. Une femme en civil se manifeste, discute quelques secondes avec le réceptionniste et nous apostrophe.



Alexandra vient de lui répondre d’une voix blanche. L’autre me regarde et me fait un signe du menton qui semble vouloir dire « et vous ? »



Et nous voici dans un bureau gros comme un cagibi. La femme auditionne dans un premier temps Alex qui lui rapporte son histoire, puis sa découverte du flacon qu’elle remet à la fliquette pour étayer ses dires. La policière tape sur son clavier d’ordinateur. Puis lorsqu’elle en a terminé avec mon amie, c’est à mon tour de lui débiter ce qui m’arrive. Là elle marque un long temps d’arrêt, comme estomaquée par mes propos. Je lui narre par le détail mes vomissements incompréhensibles, ma visite chez le médecin, ma dégringolade en apprenant qu’apparemment je suis enceinte. La nana tape tout ce que je lui récite. Elle fait une nouvelle pause avant de poser une question.



Mince ! Voilà qu’elle jette un sacré pavé dans la mare. Je n’ai absolument pas réfléchi à une telle éventualité. Enceinte d’un violeur ? Que faire ? Ce que je porte en moi est-il franchement responsable des actes de celui qui l’a conçu ? Et pour le moment, comme nous le précise encore la fliquette, l’ex-petit ami d’Alex est présumé innocent des faits que nous dénonçons. De plus… je dois subir des examens complémentaires pour déterminer s’il est bien l’auteur de ce qui se niche en moi. Je n’ai pas envie que ce saligaud continue ou recommence, mais je me promets de beaux jours à venir. J’ai une envie toute bête, celle de pleurer comme une gamine.


Il y a déjà trois mois que nous sommes Alex et moi allées au commissariat. Je me refuse toujours à envisager un avortement. Ce serait tuer ce qui vit en mon sein. Oh ! Je hais le bonhomme et ce qu’il m’a fait… mais ce morceau de moi qui grandit même involontairement dans mon ventre mérite-t-il que je l’arrache sans aucune considération ? Bien sûr que non… l’enquête est en cours, Alain va subir certainement les conséquences de ses actes, mais je m’interdis d’ôter la vie à cet embryon qui ne demande rien à personne. Les prélèvements faits sur moi, sur le fœtus, indiquent une paternité certaine de l’ex-copain de mon amie Alexandra. Elle aussi a bien du mal de se relever de cette foutue affaire.


Elle vient souvent me voir, m’exhortant à avorter. Mais… ma mère se range de mon avis et je m’y refuse totalement. Ai-je tort ou raison ? Je n’en sais rien, mais je veux vivre sans remords ni regret. Et la vie continue. Mon ventre s’arrondit de plus en plus, la date d’un éventuel avortement va être dépassée dans quelques jours, mais je reste inflexible. Non ! Non et non ! Il est là, je vis avec lui, nous sommes en symbiose et si son père est la pire des ordures, lui est mon bébé à moi… Sur la platine de ma chaîne stéréo… une chanson qui m’accompagne…


* « Elle a fait un bébé toute seule »… de Goldmann !