n° 22308 | Fiche technique | 18736 caractères | 18736Temps de lecture estimé : 13 mn | 09/03/24 |
Résumé: Quatre petits textes avec seule prétention que d’essayer de coller au thème du concours. | ||||
Critères: nonéro exercice | ||||
Auteur : Someone Else Envoi mini-message |
Concours : Le refus |
Comme quasiment tous les jours de l’année, les nuages sont gris sur l’immense métropole poussiéreuse. Aïcha regarde le ciel au travers des barreaux de sa cellule, mais il y a belle lurette qu’elle a perdu tout espoir de sortir un jour de ce trou à rat… De toute façon, cela fait également des années qu’elle sasse et ressasse le fil des événements pour en arriver toujours à la même conclusion, à savoir qu’il n’y avait décidément pas de bonnes solutions à son problème. Pour autant peut-elle se dire qu’elle a choisi la moins mauvaise ? Elle ne le saura jamais… Et ça, elle en a parfaitement conscience.
Fille d’un riche marchand, sa vie avait pourtant bien commencé, l’on avait même été jusqu’à l’envoyer en cachette à l’école où elle avait appris à lire et à écrire, chose assez exceptionnelle dans ce petit pays du Moyen-Orient où la paix n’a jamais été autre chose que le court laps de temps qui s’écoule entre deux guerres.
Par chance, pendant ses quelques années d’études, les conflits avaient la bonne idée de se tenir loin de son école et l’institutrice, impressionnée par les résultats de la fillette, l’avait même poussée à aller plus loin, paradoxalement bien aidé en cela par un père qui ne se préoccupait absolument pas de l’avenir de sa fille et, finalement, c’était tant mieux… S’il avait appris qu’elle faisait des études, il serait entré dans une colère noire, lui pour qui une femme qui sait lire est une femme dangereuse !
En ce qui concerne sa mère qu’elle chérissait plus que tout, elle n’avait de toute façon pas son mot à dire : les femmes, là-bas et encore une fois, ça fait des gosses et pour parler vulgairement, cela ferme sa gueule… Mais Aïcha, elle, aurait bien aimé l’ouvrir, et c’est précisément pour cela qu’elle faisait des études. Un jour, elle parviendrait à décrocher son diplôme, elle partirait à l’étranger où son talent serait enfin reconnu et lorsqu’elle reviendrait dans son pays, elle en serait devenue le symbole.
Mais ça, c’était sans compter deux événements qui allaient changer le cours de sa vie : d’abord, il y avait le beau Farid dont elle était tombée amoureuse. Un beau parti, le Farid, puisque son père travaillait à l’ambassade de France et avait promis de tout faire pour qu’elle puisse y aller finir ses études. Tout s’annonçait sous les meilleurs auspices, d’autant que le prétendant de notre héroïne était du genre patient et qu’il ne la poursuivait pas de ses avances. C’est presque dommage, se disait-elle au fond de sa cellule, je lui aurais sans doute cédé et il me serait au moins resté le souvenir de sa peau contre la mienne, mais au lieu de cela…
Mais c’était sans compter avec le mari qui venait de lui être assigné et qu’elle devrait épouser, qu’elle le veuille ou non…
Il avait soixante ans bien sonnés et, bedonnant, le visage couvert de points noirs et le cheveu gras, l’œil porcin et le regard éteint, il n’avait pour lui que sa fortune, héritée de ceux qui n’avaient eu que la bonne idée de naître avant lui. Bien qu’il ne l’ait jamais vue autrement que voilée ou alors de très loin, cela ne l’empêchait pas d’avoir jeté son dévolu sur la jeune femme, menaçant ses parents des pires turpitudes si d’aventure elle se refusait à lui.
Cet homme est le diable, lui avait-on dit. Prise au piège, elle avait toutefois tenté des travaux d’approche en expliquant par exemple qu’elle accepterait de l’épouser pour autant qu’il la laisse terminer ses études telles qu’elle le désirait. Dans son esprit, c’était simple, aussitôt arrivée à l’étranger, elle brûlerait son voile, Farid viendrait la rejoindre et, bénéficiant des lois du pays dans lequel elle serait, elle divorcerait, laissant ce cher mari se débrouiller avec ses autres épouses…
Le plan se voyait-il de trop loin ? Ce n’est même pas certain tant il était évident qu’en plus de tout le reste, l’homme n’avait pas inventé la poudre… Par contre, ce qui était clair, c’est que lui, il la voulait pour lui tout seul et qu’il avait bien l’intention de la cloîtrer comme ses autres compagnes et qu’il aurait tôt fait de calmer toutes velléités de la part de cette femelle qui, en réalité et comme toutes les autres, ne méritait que son mépris. Il était donc hors de question qu’il accepte de la voir s’éloigner de lui.
Mais, quelle que soit sa volonté à elle et celle de ses parents, la date du mariage avait déjà été fixée et plus rien ne pourrait s’y opposer. Mais quand il a été question d’échanger les consentements, bien qu’elle sache pertinemment que cela ne servirait à rien, elle a refusé… Avec à la clé et pour toute réponse un formidable coup de crosse dans les côtes dont elle souffre encore aujourd’hui.
Puis, tout est allé très vite : malgré l’invraisemblable cordon de sécurité qui avait été déployé, Farid a surgi de derrière les tentures, Kalachnikov à la main, et a criblé de balles le cher époux… La réponse des gardes a bien évidemment été instantanée et lui-même s’est bien vite retrouvé transformé en passoire. L’affaire aurait-elle dû en rester là ? Sans doute, mais il apparaîtrait, mais cela, Aïcha ne l’apprendra que des années plus tard – que ces mêmes gardes avaient en fait pour consigne d’exécuter l’ensemble de la noce dès que les vœux auraient été prononcés… Il était hors de question de prendre des risques en laissant vivre cette famille de dangereux progressistes !
Comment Aïcha a-t-elle survécu ? Elle ne le saura jamais, mais elle a vu périr devant elle sa mère, son père, son frère, ses tantes et une bonne partie de sa famille… Tout cela pour qu’au final elle soit condamnée à trente ans de prison par un tribunal sorti d’on ne sait où pour une invraisemblable histoire de complicité de meurtre.
Aurait-elle dû accepter ce mariage ? Désormais, elle sait que cela n’aurait rien changé. Non, vraiment, dans cette affaire, il n’y avait que de mauvaises solutions.
Pour Chen-Li, c’est l’heure de la pause. Adossée à son tuk-tuk aux couleurs plus que bariolées, il est l’heure pour elle de s’en griller une. Mauvaise habitude ? Sans doute, mais même son médecin lui a dit que tant qu’elle en restait à moins d’un paquet par semaine, sa santé n’y trouverait pas trop à redire… De toute façon, entre les fumées des deux-temps pétaradants, celles des antédiluviens moteurs diesels des camions hors d’âge et celles des voitures plus ou moins trafiquées, ses poumons ne sont plus vraiment à cela près.
Et puis surtout, quand elle se remémore ce à quoi elle a survécu dans sa jeunesse, elle se dit quelque part qu’elle ne peut être qu’immortelle… Quoique les rides qui ont envahi son visage depuis longtemps et les diverses douleurs qui émaillent ses réveils lui confirment, si besoin était, qu’il n’y a pas de doute : elle a vieilli.
Parce que, ne vous fiez pas à sa taille de guêpe et sa fragilité apparente… Oui, certains vous diront que le Nón Tơi – ce que l’on appelle communément un chapeau chinois – qu’elle porte sur la tête est sans doute plus lourd qu’elle, il n’en demeure pas moins qu’elle a tout vécu, depuis les longues marches dans la jungle à la saison des pluies où les « pièges à con » disséminés un peu partout par ceux qui étaient censés être de son camp se retournaient vers elle, quand ce n’était pas des mines des forces spéciales du pouvoir en place. Le napalm ? Elle n’en oubliera jamais l’odeur et encore un peu moins celle des corps brûlés qu’elle découvrait en s’extirpant de ces fameux tunnels qui irritaient tant les Occidentaux.
Et tout cela pour ça… Pour finir par se retrouver avec un régime dont jamais personne n’a su quel projet de société pouvait bien justifier de massacrer dans des circonstances généralement assez horribles sa propre population, à commencer par ceux qui s’étaient fait trouer la peau pour défendre des idées que Chen-Li croyait être les siennes.
Comment a-t-elle survécu à cet enfer ? En tout cas, pas en accédant aux avances de cet obscur général qui dirigeait le camp dans lequel elle était officiellement internée… Plutôt crever ! Pourtant, la beauté de ses vingt ans lui aurait sans doute assuré une vie nettement plus confortable. Baiser avec ce porc ? Alors ça, par contre, elle n’en aurait rien eu à faire, tant de soldats des deux camps lui étaient passés dessus pour diverses raisons – certaines plus sordides que d’autres – en la laissant quelquefois pour morte qu’elle n’y attachait même plus d’importance.
Et, malgré les risques, l’après-midi même de ce jour où elle s’était refusée à lui, elle sautait dans un camion et, après avoir défoncé les clôtures et sous le feu des mitrailleuses, elle s’était évaporée dans la jungle. Même si, bien sûr, tous ces compagnons d’infortune n’eurent pas la même chance et qu’entre ceux qui moururent sous les balles lors de l’évasion, ceux qui furent blessés puis repris et ceux qui disparurent dans des circonstances généralement assez étranges…
Alors, quand celle qu’elle considérait quasiment comme sa sœur, Anh-Thu, avec qui elle avait traversé tant de mésaventures et de désillusions est allée rejoindre la couche de ce fameux général, elle en a ressenti la plus cruelle des trahisons. Cent fois elles avaient frôlé la mort, cent fois elles ne s’en étaient sorties que par miracle et cent fois l’une avait sauvé la vie de l’autre. Si elle l’avait pu, Chen-Li se serait emparée de quelques grenades pour aller se faire sauter à proximité de son ancienne amie même si l’ensemble des prisonniers auraient dû en payer le prix… D’autant que pour inventer de nouvelles atrocités, le général ne manquait pas d’imagination.
Et de l’imagination, il en aurait fallu pour deviner où Anh-Thu voulait en venir : le général était notoirement impuissant, officiellement parce qu’un éclat d’obus lui avait arraché les roubignoles – certains de ses anciens compagnons d’armes affirmaient tout au contraire qu’il l’avait toujours été et que c’était peut-être pour cela qu’il prenait son pied à torturer les gens – et son bonheur à lui était d’offrir Anh-Thu à ses meilleurs soldats qui non seulement se laissait faire docilement mais, en plus, semblait y prendre du plaisir. Encore une fois, son parcours avait été assez proche de celui de Chen-Li et, de cela comme du reste, elle n’en avait rien à cirer ! Mais de là à couiner sous les yeux de celui qui avait fait massacrer tant de gens innocents, il y avait un peu plus qu’un pas.
Cependant, alors que l’on ne trouvait plus de qualificatifs assez insultants pour qualifier celle que tout le monde considérait désormais comme une immonde traîtresse, ses véritables desseins virent subitement le jour où, profitant d’un moment d’inattention de son bourreau, elle lui plongea un couteau dans le cœur.
Bref, alors qu’elle écrase tranquillement ce qu’il reste de sa cigarette, c’est à tout cela que Chen-Li repense… Parce que le nom qui est inscrit là, sous la statue de bronze, c’est celui d’Anh-Thu et que, s’il n’y avait pas eu cette sombre histoire de refus, c’est peut-être le sien qui serait là, gravé dans le marbre. Aurait-elle eu droit aux mêmes honneurs ? En fait, de cela, elle s’en fout complètement. Par contre, cela aurait sans doute permis à son peuple de souffrir un peu moins longtemps.
Jocelyne a vingt ans… Et son amie Marielle aussi. Grandes, brunes, plutôt mignonnes, cela fait déjà quelques années qu’elles écument les différents bals du voisinage où leur tempérament volcanique a souvent fait parler d’elles. Avec elles, il faut s’attendre à tout et à son contraire : selon leur état d’esprit du moment, cela peut très bien se terminer avec une nuit torride dans les bras de l’une d’elles où tout au contraire te prendre une rouste dont tu n’as pas idée si quelque chose dans tes dires ou dans tes actes ne leur a pas plu… Avec éternelle perspective d’avoir droit à l’un de ces traitements de faveur un week-end et à l’autre quinze jours plus tard.
Bref, elles sont libres et indépendantes… Enfin, cela, c’est jusqu’à l’arrivée d’Ernest. Ah, il n’y a pas à dire, il a de l’allure, l’étudiant beau gosse qui nous arrive de la grande ville dans sa petite décapotable ! Subitement, jeune ou moins jeune, tout ce qui porte jupon se met à ne plus avoir d’yeux que pour lui… À commencer par les deux copines.
Seulement, elles, à la différence de l’immense majorité des autres filles du village, elles ont un argument de poids qui pourrait bien faire toute la différence : contrairement à la plupart des autres, elles n’ont pas peur de passer à l’horizontale !
Et c’est là que le bel Ernest montre un visage quelque peu différent… Charmant le jour et offrant régulièrement des fleurs, la nuit, il est plutôt du genre animal. Peu importe, cela n’effraie pas nos deux donzelles qui en ont vu d’autres et qui, pour être rigoureusement honnêtes, ne détestent pas qu’on leur tire les cheveux ou d’être traitées de tous les noms au moment de s’envoyer en l’air. Parce qu’en plus, brutal, il ne l’est pas toujours et que dans ces cas-là, il s’avère être un excellent amant plutôt bien équipé et dont l’endurance les laisse quelquefois rêveuses.
En attendant, elles ont un accord tacite qui ne tient qu’en quelques mots : chacun pour soi ! C’est d’ailleurs un détail qu’Ernest n’a pu que remarquer et dont il essaie d’user et d’abuser… Mais il a beau s’efforcer de les monter l’une contre l’autre, il n’y parvient pas et elles continuent de se fréquenter telles les amies d’enfance qu’elles ont toujours été.
Au bout d’un certain temps, cela finit par les agacer, l’on s’en doute… Mais les belles robes, les bons restaurants et surtout les nuits d’amour à n’en plus finir qu’il leur offre sont des arguments dont il faut savoir tenir compte. Alors, pour la guéguerre entre les deux ne risque pas de s’établir, c’est ensemble qu’elles décident de se pointer chez notre homme en ne lui demandant pas de choisir comme l’on pourrait s’y attendre mais, tout au contraire, s’il trouverait une objection à ce qu’il les accueille toutes les deux dans son lit et en même temps.
Qu’auriez-vous répondu à sa place, surtout en sachant qu’il est parfaitement apte à les satisfaire toutes les deux en même temps ? Il accepte, quelle question ! Et le petit ménage à trois dure quelques mois, jusqu’à, jusqu’à… Jusqu’au jour où il leur demande de choisir au hasard entre deux enveloppes. Elles ne s’alarment pas dans la mesure où, compte tenu qu’il n’y a que deux places dans sa petite voiture, c’est par cette méthode de tirage au sort qu’assez régulièrement, il décide d’emmener l’une ou l’autre dans la grande ville.
Seulement, cette fois, l’on est dans une autre dimension… Là, sur l’un des cartons, il y a « veux-tu m’épouser » et sur l’autre, et bien… Il n’y a rien.
L’heureuse élue – si l’on peut dire – c’est Jocelyne. C’est donc elle qui parle en premier.
L’on pourrait s’attendre dans une telle situation que l’autre soit au minimum gêné aux entournures. Dans la vie, il y a des moments où l’on se retrouve obligé d’imposer des choix qui ne vous plaisent pas et dans ces cas-là, en général… on rase les murs, mais ce n’est manifestement pas son cas. Au contraire, il est même à deux doigts de fanfaronner.
Les deux filles se regardent, visiblement agacées.
L’autre, qui s’attendait à ce que les deux filles s’écharpent pour être la future épousée, ne sait même plus quoi répondre. C’est Marielle qui reprend le flambeau.
Quelques mois plus tard, une affaire de meurtre dans des circonstances étranges a été relatée dans les journaux, un certain Ernest aurait assassiné sa toute jeune épouse dans un rituel qui se voulait sado-maso mais où, manifestement, elle n’était pas consentante. Peut-être qu’elle aussi aurait bien fait de refuser ce qui ressemblait pourtant à une trop belle union.
Comme la plupart des jeunes femmes de son âge, Annabelle n’en finit plus de surveiller sa ligne, ce qui explique la surprise de son compagnon Mathieu.
Elle se penche alors à son oreille.
En ce début d’été, la température est particulièrement douce sur la grand-place de cette petite ville du nord. C’est dans le cadre bucolique des petites rues de l’ancienne cité que nos amoureux aiment à se balader lorsque survient la fin d’après-midi. Et, assez régulièrement, ils concluent leur promenade par un repas qu’ils se prennent dans une petite friterie à l’ombre des arcades. Ils grignotent.
Elle réfléchit quelques instants avant de poursuivre.