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n° 22323Fiche technique19295 caractères19295
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Temps de lecture estimé : 14 mn
16/03/24
Résumé:  Bon, après tout, les histoires d’humains entre eux, ça ne manque pas. Eh bien, pour une fois, c’est un ours !
Critères:  forêt conte -contes
Auteur : Amateur de Blues            Envoi mini-message
Une histoire d'ours

Raconter des histoires d’ours, est-ce un passe-temps si enfantin ? L’ours est parfois si proche de nous, une sorte d’humain simplifié, fort et puissant, guidé par ses instincts et surtout totalement libre. Alors, permettez-moi d’inventer en toute liberté une histoire d’ours moins conventionnelle que celles qu’on raconte habituellement.


Il était donc une fois un ours, un vrai, sale et poilu, si puant qu’il reconnaissait à l’odeur les chemins qu’il avait empruntés des semaines auparavant. Notre ours n’avait pas de nom, évidemment, car qui donne un nom aux ours ? Il vivait heureux, aussi heureux qu’un ours puisse vivre, avec ses joies d’ours, par exemple quand il tombait sur un bel essaim débordant de miel dans un arbre mort et ses déceptions d’ours, lorsque le saumon qu’il a choisi pour le déjeuner s’échappait en se glissant sous une pierre. Cet ours-là était grand, bien plus grand qu’un homme lorsqu’il se dressait sur ses pattes arrière et il était fort, d’une force dont il avait conscience et qui le ravissait. Il aimait sa force, il aimait en jouer et la montrer. Il rêvait parfois qu’il était si fort que la terre en tremblait.


Il se tenait ordinairement loin des hommes, car il y avait quelque chose de mauvais chez cet animal. Les humains étaient des bêtes faibles et fragiles, des proies plutôt faciles qui ne couraient pas bien vite et sans intérêt gustatif. Et il y avait quelque chose de tordu chez ces animaux. Souvent, la mort frappait lorsqu’on s’approchait d’eux un peu trop près. L’homme était là, coincé contre un tronc, apeuré et malingre, on entendait une détonation et l’ours s’écroulait, mort sans qu’on puisse comprendre ce qui l’avait frappé. Notre ours n’était pas croyant, peu de ses congénères le sont, mais il devait reconnaître que l’homme avait certainement des pouvoirs qui dépassaient sa compréhension.


Il se tenait donc à l’écart des routes et des villages, chassant dans les vastes forêts où il était né et qu’il connaissait bien. Malheureusement, la forêt rétrécissait. Les hommes se rapprochaient, année après année. Ou c’était lui qui vieillissait, et qui se rappelait moins bien. Il se disait cela, parfois, qu’il vieillissait et qu’il se rappelait moins bien. Combien d’automnes déjà et combien de printemps ? Quel ours connaît son âge ? Toujours est-il que les hommes étaient de plus en plus près, qu’il pouvait souvent sentir leur after-shave sur des chemins qu’il empruntait depuis toujours et où il n’en avait jamais rencontré auparavant, qu’un nouveau village était né pendant l’hiver dans une clairière où il avait coutume de ramasser des champignons. D’habitude, il se tenait à l’écart des hommes. Mais ici, c’était sa clairière et il ne voyait pas bien comment il allait cesser d’y passer. Il n’y avait que quelques maisons de bois, aucun monstre mécanique n’était visible. Alors, silencieusement, il se glissa entre les murs, s’approcha d’une fenêtre d’où une odeur de nourriture lui parvenait, et c’est alors qu’il la vit.


Elle chantonnait, ce qui n’était pas désagréable pour un bruit humain. Ceux qu’on entend dans les bois hurlent, grognent, un peu comme lui, ou glapissent quand il se montre. Là, il avait sous les yeux une petite femelle qui chantonnait et ce bruit ne ressemblait à rien de ce qu’il pouvait connaître. Elle fredonnait un air de Patty Smith et cela lui plut.



L’humaine ne faisait pas attention à lui et il se mit à l’observer, oubliant un peu où il était, la tête penchée de côté, silencieux et attentif, ses petits yeux noir brillant comme des billes, ne perdant pas de vue un seul des gestes de cette petite femelle. Elle était dans sa cuisine, pétrissant une pâte avec application, chantonnant comme elle le faisait toujours quand elle prenait du plaisir à une activité manuelle. Elle chantonnait aussi quand elle jardinait et quand elle modelait de petits ours en terre, mais cela, notre ours ne le savait pas. Il savait juste ses gestes de maintenant, ses mains pétrissant sans relâche, son dos bien droit, la farine sur ses avant-bras, son corps tout en rondeurs recouvert d’une simple blouse bleue arrivant à mi-cuisse et boutonnée sur le devant.


Il était là, à la fenêtre, comme il n’avait jamais été. Pour la première fois de son existence, et quel âge avait-il, nous l’ignorons, il n’agissait pas. Il aurait pu, il aurait dû se jeter à l’intérieur de cette maison et dévorer ce beau morceau de viande fraîche, ou bien s’enfuir au plus vite, loin dans la forêt, mais il restait là, à l’épier, prenant le risque que quelqu’un le découvre ainsi à découvert entre les murs infranchissables des maisons. Il se sentait différent, comme il n’avait jamais été, et il ne savait pas pourquoi. Il savait juste que c’était elle et il était troublé. Il ne savait pas qu’un ours pouvait être troublé. Tout ce qu’il avait vu de la vie sauvage jusqu’à cet instant ne lui avait pas appris qu’on pouvait être troublé. Mais il l’était. C’était peut-être sa voix, ces notes claires qui se succédaient dans l’air calme d’un matin ensoleillé, mais il n’y avait pas que cela. Peut-être avait-il faim et elle était certainement appétissante malgré tout ce qu’on avait pu lui dire sur la qualité de la viande humaine, mais il n’y avait pas que cela.


Ce pouvait aussi être ses mains qui pétrissaient avec fermeté et application la pâte qui le troublait. Il aurait voulu qu’on le pétrisse ainsi, il aurait voulu s’allonger sur cette table de cuisine et être pétri pendant des heures par ces mains-là, mais il n’y avait pas que cela. Peut-être était-ce sa croupe, ample, ronde et ferme qui l’attirait et il avait effectivement envie de soulever cette blouse et de fourrer sa grosse bite d’ours entre ces fesses somptueuses, mais ce n’était pas que cela. Peut-être était-ce aussi cette tourte à la viande qu’elle était en train de préparer et qui promettait d’être un délice, mais il y avait encore autre chose. C’était plutôt comme si la contempler ainsi, sans rien faire d’autre que de la regarder vaquer à ses occupations, était la plus délicieuse des activités.


Et puis il y eut un bruit de moteur. C’était un bruit que notre ours connaissait, un bruit qui dit que tu dois agir très vite parce que tu n’auras pas une seconde chance. Notre ours était plus rapide que tout ce que vous pouvez imaginer. Le vrombissement du moteur l’avait sorti de sa transe et il se mit en action avant même d’avoir décidé de ce qu’il voulait faire. Quelque part, il savait depuis le premier instant ce qu’il voulait.


En un bond, il fut dans la cuisine et l’instant d’après, il quittait le village, debout, avec la petite dame calée sur son épaule. Il l’avait hissé là-haut sans effort, en s’appliquant pour ne pas la blesser et maintenant, il courait sur ses énormes pattes arrière. La plupart des ours ne peuvent pas faire plus de quelques pas, dressés ainsi, mais lui pouvait galoper pendant des heures. C’est un ours de conte, le plus bel ours qui ait jamais été.


Sa victime ne se débattait pas. L’irruption de l’ours avait annihilé tous ses repères et toutes ses capacités de résistance. Il arrivait quelque chose qui ne pouvait pas arriver. Plus tard, quand elle revivrait la scène, et elle allait la revivre toute sa vie, chaque jour de sa vie, elle se rappellerait de cette facilité avec laquelle il l’avait soulevée. C’était ce dont elle rêvait quand elle était adolescente, qu’un type vienne, la soulève dans ses bras comme un fétu de paille et l’emmène vers une autre vie sans même lui demander son avis. Elle avait imaginé ça si souvent et si fort. Même si sa jeunesse était loin et même si ce n’était pas un prince charmant, mais une bête monstrueuse qui sentait plus mauvais que tout ce qu’elle avait pu sentir jusque-là, l’enlèvement avait été un instant terrifiant et délicieux. Parce qu’elle se sentait parfois si grosse, trop grosse pour que jamais personne ne la soulève.


Et voilà qu’en un instant elle était dans les airs !


La deuxième sensation avait aussi été étrange, à mi-chemin entre le plaisir et la honte. Quand l’ours l’avait calée sur son épaule, elle s’était retrouvée la tête en bas, avec le visage enfoui dans l’épaisse fourrure douce et malodorante de son dos, tandis qu’il la tenait par les jambes. Dans cette position, sa courte blouse était remontée jusqu’à la taille, laissant ses grosses fesses blanches pointer nues vers le ciel.


Elle ne portait pas de culotte…


C’était depuis toujours un des plaisirs de l’été que de se promener dans sa maison en blouse sans rien dessous. Mais maintenant, l’ours traversait le village et la montrait à qui voulait la voir. Elle avait fermé les yeux et elle ne sut jamais si ses voisins avaient pu en profiter, mais elle en fut troublée. Alors qu’elle aurait dû être terrifiée, elle avait ces autres pensées qui vagabondaient dans son esprit, tandis que l’ours vagabondait dans les bois avec son chargement, et toute sa vie, elle s’étonnerait de cette absence de terreur qui avait caractérisé son enlèvement.


Sans réfléchir, l’ours avait tout de même un plan. Il amena son otage au plus profond de la forêt, franchissant une rivière à la nage, sans la lâcher, passant deux cols, longeant une crête d’où elle vit, à l’envers, son village tout petit en contrebas, avant de plonger au fond d’un vallon secret, où nul humain n’avait mis le pied depuis que l’ours était né. Il était formel, malgré ses pertes de mémoire.


Là, il déposa doucement la petite femelle humaine dans une tanière qu’il avait occupée quelques années auparavant. Alors, un peu essoufflé tout de même, il s’allongea à l’entrée et reprit son observation, tête penchée sur le côté, regard d’adoration, immobilité. Les premières heures furent silencieuses. Notre héroïne ne bougeait pas pour ne pas énerver l’ours. Elle restait lucide, malgré les battements affolés de son cœur. Cela avait toujours été ainsi : elle avait peur de tout, ayant beaucoup trop d’imagination, mais quand le pire était arrivé, elle était lucide et efficace et prenait les bonnes décisions.


Peu à peu, elle s’habitua à l’obscurité de la tanière, à l’odeur aussi. Son premier geste fut de rabattre doucement sa blouse sur ses cuisses parce qu’elle trouvait que l’ours lorgnait curieusement son entrejambe. Ensuite, elle s’assit un peu plus confortablement. Elle reposait sur un matelas de feuillages séchés assez moelleux. L’ours aurait voulu qu’elle chantonne, mais elle ne le savait pas. De toute façon, il était patient, déjà assez content qu’elle ne hurle pas comme le chasseur sans cervelle qu’il avait coincé une fois contre un tronc et qu’il avait dû assommer pour le faire taire.


Finalement, ayant fait le tour des possibilités, elle en conclut qu’il n’y avait aucune issue et qu’il fallait attendre que l’ours s’éloigne pour tenter de s’échapper. Elle attendit donc et ils restèrent longtemps comme deux idiots à se regarder sans se comprendre. Puis elle s’endormit, ce qui étonna l’ours. Ainsi, ces bêtes dormaient, tout comme lui. Il en profita pour s’approcher, suivant des yeux le dessin de ses lèvres tendres, admirant ses incisives bien blanches dans sa bouche entrouverte, humant le délicieux fumet de sa vulve à nouveau découverte.


Quand elle se réveilla, il faisait jour, mais elle ne sut pas si c’était le même jour que celui de l’enlèvement. L’ours était toujours là, dans la même position, en travers de l’entrée, mais il avait dû quitter un moment la tanière, car un lapin mort était posé devant lui. Un beau lapin bien dodu. Quand il vit qu’elle ouvrait les yeux, il poussa le lapin dans sa direction avec sa grosse truffe noire. Comme il soufflait en même temps, l’odeur dégagée était épouvantable et elle fit la grimace si bien qu’il crut un moment qu’elle n’aimait pas le lapin. Simplement, elle mit du temps à comprendre ses mimiques. L’idée qu’il lui offrait un lapin ne lui venait pas. Mais il était patient. Il avait bien vu qu’elle avait cuit un râble pour faire sa tourte à la viande et il voulait simplement retrouver ce moment magique, qu’elle chantonne et qu’elle pétrisse, ici, à l’abri de sa tanière. Au bout d’un moment, elle finit par comprendre que le lapin était pour elle. « Merci », dit-elle, et si elle n’avait pas chanté, sa voix était mélodieuse tout de même et l’entendre ici dans sa tanière ravit notre ours qui grogna de plaisir. Ce qui terrifia sa prisonnière. Mais comme le grognement n’était suivi d’aucun geste malveillant, elle reprit le cours de ses pensées, c’est-à-dire : qu’est-ce que je vais bien pouvoir faire de ce lapin ?


Heureusement, elle avait sa vieille blouse et dans sa grande poche, elle avait toujours un couteau pliant, une boîte d’allumettes et une petite pelote de ficelle. Elle écorcha donc le lapin, suivant les gestes que sa grand-mère lui avait appris il y avait longtemps déjà, quand elle était une petite fille curieuse de tout. Comme elle s’appliquait, elle se mit à chantonner doucement un air de cette époque-là, une chanson de Léonard Cohen, qui plut beaucoup à l’ours. Ensuite, elle regarda autour d’elle et elle comprit qu’elle ne pourrait pas faire du feu dans un aussi petit espace. Elle s’arma donc de courage et s’approcha de l’ours pour qu’il la laisse sortir.



Il ne comprit bien sûr pas un mot de ce qu’elle disait, mais il vit bien qu’elle s’adressait à lui avec sa jolie voix, avec sa jolie bouche, et il fut au comble du bonheur. Il avait besoin d’extérioriser un tel délice.


Il sortit donc avec la minuscule petite bonne femme derrière lui et il se mit à gambader autour de la tanière en grognant de toutes les manières possibles et imaginables. Il était tour à tour impressionnant et ridicule, et sa joie était visible, même pour une femme non ourse. À ce moment, elle comprit un peu la raison incroyable de son enlèvement. Elle rougit. Depuis que son salaud de mari l’avait quittée pour une femme jeune et stupide, elle n’avait pas eu souvent un mâle à ses pieds comme celui-là. Bon, c’était un ours, mais il était drôlement plus costaud que le gringalet avec qui elle avait passé la première partie de sa vie.


Elle se mit donc à rassembler du bois pour faire un feu ; elle fixa une branche fine et solide à travers le corps du lapin qu’elle ficela du mieux qu’elle put, tout cela sous le regard énamouré du monstre. Puis elle alluma le feu. Cela ne plut pas trop à l’ours. Le feu était un truc dangereux, voire mortel, et il convenait de ne pas jouer avec. Il commença à grogner d’une nouvelle manière, agitant sa patte vers les flammes qui léchaient déjà le lapin, mais elle le regarda avec tendresse, murmurant qu’elle s’occupait de tout et qu’il n’avait pas à avoir peur, comme si c’était un gamin. C’était si doux qu’il se sentit fondre et il décida qu’après tout, il pouvait lui faire confiance, sinon à quoi bon l’amener ici. Le lapin fut délicieux et ils se régalèrent même si l’ours trouva sa part bien petite.


Ainsi commença une cohabitation qui leur fut agréable à tous les deux. Rapidement, notre cuisinière eut toutes les occasions de s’enfuir. L’ours ne la surveillait pas. Il partait chasser régulièrement, mais elle se sentait bien dans la forêt. C’était le début de l’été et le soleil chauffait la résine des pins. Il y avait des fleurs et des oiseaux partout, des fraises des bois et tous les lapins, saumons et marcassins qu’elle pouvait désirer. Le meilleur moment pour l’ours fut le jour où elle alla se baigner nue dans la rivière, chantant et nageant, lui montrant pour la première fois ses superbes seins qui lui firent regretter de ne plus être un ourson. Ce fut un très bon moment pour elle aussi. Elle se dit qu’elle devait être devenue folle, mais elle aimait comme il regardait son corps. Parfois, tout de même, elle avait peur qu’il veuille la prendre ou je ne sais quoi. Il n’avait pas de mains pour caresser et sa bite sombre qui se dressait parfois était beaucoup trop grosse pour qu’elle puisse en faire quoi que ce soit. Un jour, alors qu’elle était à quatre pattes pour allumer le feu, elle sentit la grosse langue râpeuse de la bête qui lui léchait le derrière. Un instant, elle se laissa faire, parce que c’était curieusement agréable, mais elle se reprit vite, comprenant qu’on était près du dérapage. Elle lui donna une tape sur le museau en lui disant de s’écarter, ce qu’il fit. Elle vit bien le pouvoir qu’elle avait sur lui. Il s’installa tout penaud un peu plus loin, n’osant pas la regarder et c’est elle qui dut aller le chercher lorsque le cuissot de marcassin fut cuit.


Mais toutes les choses ont une fin et évidemment, une aventure aussi déroutante ne pouvait pas durer toujours. À la fin de l’été, alors qu’ils se promenaient ensemble au bord de la rivière, presque main dans la main, elle chantonnant et lui grognant avec légèreté, ils rencontrèrent un ourson qui poursuivait des papillons. C’était une merveille de petit ourson, avec de grands yeux étonnés, de petites oreilles rondes et des gestes maladroits. L’ours comprit tout de suite que cette rencontre était un problème. Mais son amie se méprit sur son attitude hostile. Elle crut qu’il était jaloux et ne fit pas attention à lui. Elle s’approcha du petit ours qui la regarda s’avancer avec intérêt. Elle le gratta dessus la tête et il apprécia la caresse.


Mais cela n’alla pas plus loin, car la mère de la peluche fit soudain son apparition et se trouva aussitôt dressée devant elle, furieuse, avec des crocs de dix centimètres de long et de la bave qui coulait sur sa fourrure. Tout le monde sait qu’il ne faut pas s’approcher des oursons, car les mères deviennent des fauves impossibles à calmer, mais notre héroïne vivait depuis des semaines avec un ours de trois mètres de haut, alors elle avait oublié. Toujours est-il qu’elle courait un danger mortel et qu’elle était paralysée par la peur.


C’est dans cet état qu’elle vit son ami se jeter sur la mère en furie. Les deux monstres roulèrent à terre et commencèrent à se déchiqueter à coup de pattes et de crocs. Ce fut une bataille terrible. L’ourson effrayé se blottit contre cette drôle de dame ourse sans poil et elle tenta de le réconforter, fermant elle-même les yeux pour ne rien voir du terrible combat. Quand elle les rouvrit, parce que le silence était revenu dans la clairière, ce fut pour constater que les deux bêtes gisaient immobiles et sans vie l’une à côté de l’autre. Elle s’approcha, l’ourson posé sur sa hanche généreuse. Son ours était bel et bien mort et la mère du petit ne valait pas mieux. Elle regarda l’ourson qui lui lécha le bout du nez. Résignée à redevenir mère à cinquante ans, elle reprit lentement le chemin de son village, si tant est qu’elle fût capable de le retrouver. En chemin, elle profitait du soleil et du vent, des fleurs et des oiseaux. Après tout, la vie était belle et le monde toujours plus étonnant. Sur le moment, elle ne regrettait pas vraiment son ours et était assez contente de retrouver le confort de sa petite maison. Cela ne vint que plus tard, quand elle se rendit compte que les hommes ne s’étaient pas améliorés pendant son absence. Alors elle soupira, regarda le petit ours qui jouait dans sa cuisine avec une pelote de ficelle et se dit qu’il suffisait d’attendre que celui-ci grandisse.