n° 22329 | Fiche technique | 11649 caractères | 11649 1941 Temps de lecture estimé : 8 mn |
18/03/24 |
Résumé: Il y a des secondes fois inattendues | ||||
Critères: inconnu campagne nonéro | ||||
Auteur : lelivredejeremie Envoi mini-message |
Il avait hésité, ne tenant plus vraiment à passer cette semaine seul en gîte à Caylus, il avait même proposé à Thomas de l’occuper, lui, avec qui il voulait. Fut-ce même avec ce garçon, qu’il avait découvert dans leur lit, gémissant, accroché au corps de son mec. Son ex-mec…
Lit sur lequel il composait à présent le contenu de son sac de voyage, Tom ayant refusé sa proposition, Paris serait clairement un terrain de chasse bien plus giboyeux qu’un bled paumé du Tarn et Garonne.
Autant que j’en profite, finalement, pensa-t-il. À défaut de nous rapprocher, le séjour me permettra peut-être de passer à autre chose !
Ce qui l’avait pourtant fait légèrement hésiter, c’était aussi ce rêve qu’il avait fait la nuit précédente.
Joachim ne leur accordait généralement aucune importance, les attribuant simplement au traitement par le cerveau, avant leur classement définitif, des souvenirs, des émotions, ou plutôt, dans ce cas-ci, de sa frustration.
Pourtant, celui de la nuit dernière avait été si prégnant ! Le gîte avait laissé la place à un petit château de province qu’il n’avait pourtant pas vu sur les photos du village qu’il avait googlées, et où un jeune homme prénommé Guillaume lui avait sauté dans les bras à son arrivée, un garçon aussi blond que Tom était brun de poil, et que, surtout, il était absolument certain de n’avoir jamais rencontré.
Sauf à ne pas l’avoir remarqué, je ne voyais que Thomas… ajouta-t-il in petto, au final, c’était bien plus le fait de son désormais ex de traquer du regard tous les jolis mecs qu’il croisait, et qui, potentiellement…
Peut-être m’en doutais-je sans me l’avouer, mais alors, mon inconscient aurait déjà remplacé Tom par ce blond que je ne connais pas ?
Absurde ! s’était-il raisonné, les scenarios romantico-psychologiques, c’est juste bon pour les mauvais téléfilms de l’après-midi, je les esquive consciencieusement, ce n’est pas pour m’en construire un en tête !
‘Cher journal’, traça-t-il de son écriture fine, ‘Sous peu, je n’aurai plus besoin de toi, je vais le retrouver ! Ce que je te confie, je pourrai bientôt à nouveau le lui murmurer à l’oreille, en étreignant son corps. Il revient, je le sens, et même, je le sais.’
Guillaume avait remarqué l’agitation autour de la maison des parents de Joachim, et seul le soupçon qu’il n’y serait pas exactement le bienvenu l’avait empêché d’en approcher. Son intuition avait été renforcée après qu’il s’était réveillé en sueur, avant l’aurore…
Quel songe étrange, et perturbant, se dit-il, avant de le coucher sur le papier.
L’air était chargé d’orage, sous un ciel plombé de nuages menaçants. Depuis le perron du château, il épiait l’arrivée de l’objet de son affection, comme l’avait nommé Clémence, leur cuisinière, lorsqu’il lui avait raconté son rêve ce matin, au petit déjeuner.
Lorsqu’il avait vu sa silhouette en franchir les grilles, il avait remonté la drève en courant à sa rencontre et s’était jeté à son cou, pour couvrir son visage de bisous légers, avant d’écraser les lèvres sur sa bouche.
Le jeune homme n’ayant pas répondu à son baiser, Guillaume s’était légèrement écarté pour l’observer, inquiet. Il semblait ne pas le reconnaître, et au lieu de l’habituel sourire lumineux, son masque presque impassible ne trahissait que l’égarement, alors que son regard balayait le parc et la demeure, comme s’il les découvrait, ainsi que Guillaume lui-même…
Bah ! Songe, mensonge ! L’essentiel, c’est que j’ai rêvé de lui… conclut-il, interrompant sa rédaction, pour porter le regard à travers la fenêtre, sur le parc illuminé par le soleil d’été.
Il gara sa voiture devant le bâtiment principal et en sortit, pour découvrir, à l’écart, un chalet de rondins, incongru dans cette région où les habitations en pierre sèche se fondent dans le relief naturel.
Pourquoi Maman me ment-elle ? se demanda Guillaume, après qu’il avait surpris sa fin de la conversation à voix basse avec le facteur, et la mention du prénom de Joachim, ce qu’elle avait farouchement nié.
Cher journal, traça Guillaume sur le papier, «je vais te refermer définitivement. Qu’aurais-je encore à te raconter ?»
Il regarda, par la fenêtre, le chêne rouvre du parc, derrière lequel ils avaient échangé leur premier baiser, maladroit mais si sincère, puis écrivit quelques vers de son poème préféré.
Cher arbre, je t’ai vu par le vent bousculé,
Et si toi, tu m’as vu quand j’étais allongé,
Tu m’as vu pris et par le plaisir balayé,
À mon amour éperdument abandonné. (*)
Il referma le carnet et l’inséra sous la languette mobile du parquet de sa chambre, puis porta son regard sur l’arbre centenaire.
(*) R. Frost – Tree at my Window
Clémence lui demanda d’une voix émue de s’arrêter devant des grilles ouvragées, entrouvertes sur une drève, au bout de laquelle, il reconnut le bâtiment.
…
Sur la première, il lut ‘Joachim Blazac 13.3.1940 – 1.7.1962’, et sur la seconde, surmonté de la photo d’un jeune homme blond ‘Guillaume d’Ombre de Segonzac 21.5.1942 – 4.7.1962’
Chaque jour de sa semaine à Caylus, Joachim avait rejoint le parc du château, pour s’asseoir au pied du rouvre, et finir par imaginer qu’il voyait les deux garçons courir et se rouler sur l’herbe, puis parfois, qu’il entendait leurs rires et des mots chuchotés.
Le dimanche de son départ, alors qu’il se redressait, il vit une voiture s’arrêter devant les grilles. Un jeune homme blond en descendit pour y apposer une affiche ‘À VENDRE’, avant de reculer de quelques pas et, l’air satisfait, d’accueillir Joachim d’une voix joyeuse «La propriétaire était à l’EHPAS de Saint-Projet, une baronne ou un truc du genre, elle vient de mourir, à cent-onze ans, c’est fou, non ? Seriez-vous intéressé ? Ce serait ma première vente, et la plus rapide de ma future carrière ! Notez, j’adore ce domaine, et vu sa localisation, il partira pour une bouchée de pain, mais seul, je ne pourrais pas me le permettre».
Plus tard dans l’après-midi, d’un clin d’œil, Clémence prit Joachim à part. ‘’Vous avez perdu de vue l’heure de votre retour à Paris, mon garçon’’.