n° 22390 | Fiche technique | 43490 caractères | 43490 7382 Temps de lecture estimé : 30 mn |
19/04/24 |
Résumé: Ma maman m’a toujours dit de ne pas suivre des inconnus. Faute de tout comprendre, j’ai toujours essayé d’être gentil et obéissant. Jusqu’au jour où… | ||||
Critères: #policier fffh freresoeur prost neuneu laid(e)s jardin vengeance odeurs fmast pénétratio attache | ||||
Auteur : calpurnia Envoi mini-message |
Lorsque j’étais vivant, j’étais un innocent, un simple d’esprit. Non pas un idiot que la société enferme pour s’en protéger, mais un garçon « un peu juste », capable néanmoins de se débrouiller dans sa vie quotidienne. Un individu pas très malin. La psychologue n’a pas présenté les choses ainsi, mais je les ai comprises de cette manière.
La nature ne m’a vraiment pas gâté. Outre un faible intellect, mon visage n’avait rien d’avenant pour séduire les filles, avec un long nez, de grandes oreilles, des cheveux filasse et des cernes persistants sous les yeux. Plutôt fluet en outre : un mètre soixante-cinq, cinquante kilos à peine. Au lycée, la plupart des garçons de ma classe multipliaient les conquêtes pendant que je restais désespérément puceau et me masturbais frénétiquement dans ma petite chambre, solitaire, explorant dans ma tête en ébullition tous les fantasmes imaginables à mon niveau, énumérant les autres dans les romans érotiques que je lisais avec avidité. J’étais devenu un véritable obsédé sexuel qui regardait les femmes avec des pensées obscènes, à plein temps. Sur un plan au moins, le hasard biologique s’était un peu rattrapé : je possédais les génitoires d’un faune, imposants et capables d’éjaculer encore et encore.
À l’âge de dix-huit ans, j’ai obtenu mon bac littéraire, malgré mon handicap, parce que j’avais une belle écriture, que j’aimais la poésie et que je travaillais beaucoup. Mais je ne me voyais pas entreprendre des études supérieures. L’université m’effrayait. Aucun métier ne correspondant à mes aspirations. J’ai proposé mes services d’acteur à Nadine, une réalisatrice de films X qu’un copain m’avait présentée, mais elle a refusé, sûrement à cause de mon physique ingrat, avant même de voir de quoi j’étais capable. Elle s’est même moquée de moi. Désœuvré, désespéré, j’ai devancé l’appel et me suis présenté au centre de sélection du service militaire, c’est-à-dire pour « les trois jours ».
Les tests psychologiques n’étaient pas bons, je le savais. Je les espérais suffisamment mauvais pour être exempté. Mais d’autres faisaient exprès de se tromper dans le même but, de sorte que personne ne s’en sortait de cette manière. Finalement, j’ai été convoqué devant le médecin-chef, dans son bureau. C’était une femme obèse avec les cinq galons en deux couleurs de lieutenant-colonel sur ses épaulettes de sa chemise. Il fallait être complètement nu. J’ai retiré mon slip sous ses yeux. Elle a dit : en voilà un qui est bien membré, prêt à sabrer les belles ennemies. Je n’avais pas compris ce qu’elle voulait dire dans ce contexte par « sabrer », ne connaissant pas la chanson de Brassens (1), mais j’avais perçu que sous l’ironie, elle appréciait mes bijoux de famille.
Le fait d’être dévêtu devant une femme habillée qui, de surcroît, possédait une autorité dont elle ne craignait pas d’abuser, tout cela m’a provoqué une énorme érection. La scène correspondait, en quelque sorte, à l’audition d’acteur porno qui m’avait été refusée, mais pour un tout autre emploi – quoique la guerre ne serait-elle pas un énorme et odieux bordel où les instincts de mort côtoient les pulsions érotiques les plus sombres ?
La doctoresse, après un temps d’étonnement, m’a dit que j’allais faire progresser la science. Elle m’a pris en photo et a mesuré mes organes virils dans toutes leurs dimensions, afin de noter ces chiffres sur mon dossier. J’étais sur le point d’implorer : Madame, je vous en supplie, laissez-moi vous pénétrer. Mais comme je n’osais pas, à la place, j’ai prononcé ces mots : Madame, s’il vous plaît, réformez-moi ! Le coup de tampon est tombé sur le papier, aussi rouge que le sang que j’imaginais devoir verser pour la patrie : APTE. Un mois plus tard, ils m’ont rasé le crâne et m’ont donné un uniforme kaki, avec un drôle de béret et une paire de chaussures en cuir si lourdes que j’avais du mal à marcher avec.
On nous a fait monter à l’arrière d’un camion bâché. Direction : l’armée de terre, dans un régiment d’infanterie. Ce passage sous les drapeaux a été un enfer, du moins au début. J’étais le souffre-douleur de la compagnie à cause de mes performances sportives médiocres et de mon émotivité, car je pleurais beaucoup, ce qui, dans ce milieu, ne pardonnait pas. Plus souvent qu’à mon tour, je balayais l’ordinaire après les repas et brossais la cuvette des toilettes pendant que les autres jouaient aux cartes dans la fumée de la chambrée tout en se racontant des histoires drôles salaces. Le sergent, avec sa longue balafre sur la joue – récoltée à la guerre du Golfe, prétendait-il – me voyait comme efféminé et croyait à tort que j’étais homosexuel, une tare à corriger d’urgence. Il hurlait à tout le monde que pour faire un bon soldat, il faut tuer la femme qui est en lui. De préférence à grands coups de rangers dans la gueule. J’ai dû faire des milliers de pompes. Il m’appelait Simplet, mais je le soupçonnais de ne pas être plus intelligent que moi.
La seule discipline dans laquelle je me débrouillais était le tir. J’y voyais bien et visais juste. Même le nettoyage du Famas (2) jusqu’à des heures avancées de la nuit ne me dérangeait pas. Les gradés voulaient ainsi nous habituer à tuer des hommes, afin de nous préparer à la troisième guerre mondiale qui n’allait pas tarder à éclater, du moins l’espéraient-ils. Il fallait s’imaginer qu’en face se trouvaient des pères et des fils d’un pays ennemi.
Ce n’était pas difficile, voire amusant de viser des cibles en carton, avant de recevoir une récompense sous la forme, le plus souvent, d’une barre chocolatée. Ils m’ont même prêté des journaux de cul, discrètement, avec un clin d’œil complice, comme des grands frères qui me montraient le chemin du bon petit soldat dévoué au service de la nation.
J’approuvais ces présents avec reconnaissance. Les claquements de mes garde-à-vous sont devenus irréprochables. Devant mon obéissance servile, ils ont fini par me laisser tranquille et se sont choisi un autre bouc émissaire afin d’asseoir leur autorité hiérarchique. Ils auraient pu m’ordonner n’importe quoi et j’aurais obtempéré sans réfléchir. Dans un milieu fermé, il est facile de bourrer le crâne d’un pauvre type un peu limité comme moi.
Mes camarades de chambrée m’ont convaincu de les accompagner lors d’une virée en ville, un soir de quartier libre. Le printemps déjà chaud nous bouillonnait dans les veines, parce que nous étions des jeunes gens en pleine santé. Les tapineuses des bas quartiers nous attendaient sur le trottoir en petite tenue. Celui qui menait le bal, un prénommé Raoul alias « ça roule », une grande gueule, m’a dit : « toi, Simplet, tu prends celle-là », parce qu’il était persuadé que je n’étais pas en mesure de choisir, et aussi qu’il ne voulait pas que la moins désirable fût attribuée à l’un de ses meilleurs copains, afin de préserver sa réputation de meneur efficace. Il a durement négocié un tarif de groupe, dans nos moyens de seconde classe. Les billets de banque sont sortis des poches. Pas de quoi s’offrir les belles de jour, mais cela n’entrait pas dans nos objectifs. Tout ce que nous voulions, c’était des trous bien humides pour nos phallus. Capote obligatoire : l’armée y avait pourvu dans nos paquetages, chacun avait sa boîte. Le libertinage était toléré, mais la santé des hommes passait d’abord.
Un hôtel sordide a servi de cadre aux ébats. Nous n’avions qu’un quart d’heure, il fallait se dépêcher ou bien payer un supplément. Ce soir-là, je n’ai même pas réussi à bander, malgré tous mes efforts. Une personne qui ne me désirait pas ne pouvait pas m’exciter. Tant pis. La fille était gentille et a fait du bruit en faisant semblant de prendre du plaisir, toujours pour défendre ma sacro-sainte réputation, car les murs étaient aussi fins que du papier à cigarettes pour la troupe, et il fallait participer au concert vocal. Nous avons bien ri tous les deux, à défaut de jouir. Cette sortie nous a permis d’échapper au don du sang, autrement quasi obligatoire.
Mais par là même, nous avions perdu un jour de bon soldat, la permission en plus qui servait de récompense – pas grave, j’avais horreur des aiguilles. De plus, le sergent a fini par se convaincre que mon hétérosexualité, ou alors, il me soupçonnait une tout aussi scandaleuse bisexualité. Raoul, dont l’état d’esprit positif plaisait aux officiers, a fini son service comme caporal-chef, avant de s’engager comme conducteur de char. Pour lui, encore aujourd’hui, ça roule tout droit, sans états d’âme.
Un matin de juin, on m’a demandé de restituer mon uniforme, la navette militaire m’a déposé à la gare et j’ai été libéré. Le sac civil sur l’épaule, ne sachant où aller, j’ai pris un billet pour une destination au hasard, ivre de liberté, mais sans aucun projet en tête. Dans ce train de nuit, j’étais assis en face d’une fille de mon âge, une très jolie brune à la fois grande et élégante, avec des yeux noirs qui reflétaient les néons et les réverbères des quais déserts que nous longions à toute vitesse et aussi la pleine lune par la fenêtre entrouverte. Tous les parfums de l’été commençant se mêlaient à ses fragrances féminines que je ressentais intensément par mon long nez tellement moche que j’en avais honte, et pourtant, la belle s’intéressait à moi, me posait des milliers de questions. Je lui ai raconté mon service militaire avec toutes les brimades que j’avais subies. Elle compatissait et moi j’étais si content, parce qu’elle me souriait sans cesse !
Elle s’appelait Tiffany. Je me suis senti à l’aise, alors je me suis vanté de mes inégalables performances au tir. Ce sujet semblait la passionner. Je ne comprenais pas pourquoi une demoiselle aussi mignonne pouvait prêter attention à ces exploits si tristement masculins qu’en y repensant, je regrette mon comportement stupide. Mais enfin, il faut me pardonner, parce que j’étais un pauvre d’esprit que dépassaient des enjeux du moment.
Je n’en ai pas cru mes (grandes) oreilles quand elle m’a proposé de rester quelques jours avec elle, dans sa famille ! Nous avons échangé nos numéros de téléphone. Je suis passé en coup de vent chez mes parents pour récupérer quelques habits plus présentables, puis je suis reparti après avoir dépensé ce qui subsistait de ma solde en lotions diverses afin de paraître un peu plus à mon avantage. La coiffeuse à qui j’ai tout raconté de cette belle rencontre m’a mis en garde, mais je ne l’ai pas écoutée. Elle était pourtant une maman de grande sagesse qui me connaissait bien depuis que j’étais petit. Comme je manquais d’argent et que je débordais d’enthousiasme, elle ne m’a même pas fait payer et m’a souhaité bonne chance. Elle m’a regardé m’éloigner à travers la vitrine de son commerce. Je crois qu’elle avait le cœur serré, tandis que le mien était en fête.
La maison de Tiffany était un peu délabrée, avec sur sa façade aveugle un grand panneau publicitaire pour une marque d’alcool fort, mais ce détail ne m’a pas du tout empêché de sonner, tout frétillant de désir. C’est Béatrice, la maman, qui est venue m’ouvrir et comme il se faisait tard, elle m’a invité à dîner en compagnie de ses feux filles, Tiffany et Myriam, sa sœur jumelle.
Puis, Tiffany et moi sommes montés dans sa chambre et elle m’a permis de la déshabiller. Elle était encore plus belle que les femmes des photos glacées des journaux que le sergent me confiait, parce que ces dernières sentaient surtout le foutre âcre des conscrits tandis que le corps dévêtu, Tiffany exhalait tout un Eden magnifique dont j’avais été privé jusque-là. En retirant la culotte pour découvrir une petite chatte à peine herbue sur l’os du pubis et non pas autour des lèvres, mon petit cœur de puceau battait si fort que j’ai cru mourir d’émotion. J’étais un affamé tout à coup invité au festin. J’étais un avorton, elle était la perfection même. Elle m’a laissé l’explorer avec mes doigts très longtemps, sans s’impatienter.
Le soutien-gorge ôté, j’ai cueilli les seins tout ronds entre mes mains, ils étaient les fruits magnifiques d’un jardin exubérant. Je les ai portés à ma bouche, succulents. Elle m’a laissé explorer tout son corps à ma guise, nullement impatiente. Alors j’ai pris mon temps. J’ai vu qu’elle était vierge en caressant tout doucement sa vulve avec mon index. Cela ne m’a pas effrayé. Elle m’a dit « oui » de la tête pour me confirmer qu’elle m’offrait son pucelage et tous les trésors de chair qui l’accompagnaient. M’eût-elle donné tout l’or du monde que ce cadeau aurait été moins beau. À bien y réfléchir, je ne regrette plus rien. Cette heure a été l’apogée de ma vie.
À ce moment, Myriam a toqué à la porte. Elle est entrée dans la chambre. Elle aussi était toute nue. Elle ressemblait exactement à Tiffany, à l’exception de ses cheveux étaient plus longs. Ruisselante de transpiration, elle revenait d’une heure de footing nocturne et m’a demandé si cela ne me gênait pas qu’elle nous regarde en train de faire l’amour. Elle semblait considérer que, concernant sa sœur, l’accord était de toute façon acquis, ce que j’ai trouvé bizarre, parce que si j’avais un frère – alors que je suis fils unique – je n’aurais pas facilement accepté qu’il assistât à cet événement. Cependant, cet incident correspondait à l’un des nombreux fantasmes que j’avais racontés à Tiffany dans le train. J’ai dit oui.
Myriam s’est assise sur une chaise, près du lit, et a commencé à se masturber avec un engin érotique vibrant étrange que je ne connaissais pas, car à cette époque, ils étaient encore peu répandus. Elle a posé ses deux pieds sur la couette afin que je puisse bien voir sa petite touffe s’humidifier de joie tandis que le clitoris disparaissait sous le vibromasseur. Tiffany regardait aussi et cela lui plaisait. Je lui ai demandé si elles avaient parfois des rapports incestueux. Elle a répondu que non.
Tiffany s’est couchée sur le dos, appuyée sur ses avant-bras, les cuisses largement écartées. Je l’ai pénétrée dans un grand coup de reins, comme je l’avais vu dans les journaux porno, tout en pensant à l’expression « sabrer les belles ennemies », alors que je ne connaissais toujours pas cette chanson. Il m’a semblé qu’elle a beaucoup saigné. Pas tant que cela en fait, mais j’étais un garçon impressionnable. Comme je devais avoir l’air choqué, elle m’a dit qu’il fallait que je m’habitue à la vue du sang, mais je n’ai pas compris son message. Myriam a joui devant ce spectacle, puis elle a lâché son appareil afin d’applaudir, pendant que je pilonnais sa sœur dans la position du missionnaire, de plus en plus rapidement. Tiffany me regardait droit dans les yeux, ce que je trouvais gênant. Elle n’a pas éprouvé beaucoup de plaisir ; par contre, Myriam en a eu pour deux. Le vagin était étroit. Tiffany savait utiliser ses muscles du sphincter pour aspirer mon pénis. J’ai éjaculé à l’intérieur, en plusieurs traits. C’était comme si tout mon être se glissait en elle par le petit trou du sexe, tellement bon que j’en devenais fou.
Puis j’ai eu l’impression qu’une force étrange m’arrachait à la terre. L’espace d’un instant, je me suis senti flotter dans les airs d’où je nous ai vus, tous les trois. Un homme que je ne connaissais pas était là aussi, vêtu d’un costume sombre avec une cravate rouge. Il me souriait. Il a voulu me mettre en garde contre un danger, comme la coiffeuse. Cette vision a été très fugace. Tout de suite après, j’ai réintégré mon corps. Plus tard, les deux filles m’ont révélé qu’elles m’avaient cru mort de plaisir à ce moment-là. J’aurais mieux fait de crever réellement. Cela aurait rendu les choses moins compliquées.
Myriam a souhaité que je la déflore également. Cela a été un peu difficile de bander de nouveau, mais ensemble, elles m’ont chatouillé les testicules, puis prodigué une fellation profonde, de sorte que j’ai facilement déchiré le second hymen, mais cette fois en levrette, pendant que Tiffany se caressait, assise sur la chaise. Nous transpirions beaucoup et de la buée se formait à la fenêtre. L’odeur du stupre emplissait la chambre. Le sang virginal des deux filles maculait la couette en petites étoiles rubis qui dessinaient de jolies constellations. Puis nous nous sommes assoupis dans le même lit, serrés les uns sur les autres.
Mes rêves étaient doux et fantastiques, mais ils se sont mués en cauchemars dont le plus violent m’a brutalement réveillé aux alentours de trois heures du matin. Tiffany et Myriam ne dormaient pas. Je leur ai demandé, par curiosité, où était leur père. Elles m’ont alors expliqué que celui-ci était mort trois ans auparavant, qu’il s’était suicidé à cause d’un escroc qui avait ruiné leur famille, au point de les obliger à hypothéquer leur maison et de les empêcher d’entreprendre des études supérieures. Cet homme, nommé Pierre Vidal, lui avait fait miroiter un investissement très intéressant dans une boulangerie, mais tout cela n’était qu’un leurre et Vidal a disparu avec tout leur argent, leur laissant de grosses dettes. Les filles m’ont proposé de visiter la chambre paternelle inoccupée depuis la tragédie. Toutes les affaires étaient restées en place, y compris le pistolet qui avait servi à l’autolyse d’une balle dans la bouche. Je frissonnais, sidéré par l’horreur du drame, imaginant le père en finir avec son arme… j’ai fondu en larmes. Les deux sœurs m’ont consolé, charnellement. Dans l’armoire, j’ai aperçu le même costume que celui que portait l’apparition de la veille. Mais de cela, je ne leur ai pas dit un mot, pour ne pas passer pour un fou.
Nous sommes ensuite retournés nous coucher, mais sans nous endormir. Les filles voulaient encore du sexe ; je n’étais pas contre cette idée. Une grosse araignée trottait sur le mur, face au lit. Enfin, elle paraissait imposante surtout parce que la lampe de chevet projetait une ombre qui lui donnait un aspect bizarre. Les deux sœurs étaient effrayées et m’ont demandé de l’écraser, mais j’ai refusé. Pourquoi aurais-je dû interrompre la vie d’un pauvre animal qui ne nous avait causé aucun mal ? Je n’avais jamais agi ainsi. Dans ma tête, je l’ai appelée Marguerite. C’est joli, Marguerite : une belle fleur à huit pétales noirs. Je nommais toujours les êtres que je rencontrais, aussi insignifiants fussent-ils, même si je ne l’ai avoué à personne, par crainte du ridicule. Tiffany m’a dit que toutes les femmes ont peur des araignées et que c’était mon rôle de tuer cette horrible bestiole, puisque j’étais un homme et que je les avais étreintes avec beaucoup de vigueur. Il m’a semblé entendre encore les discours virilistes du sergent, ce que j’ai trouvé pénible. Ces négociations ont duré quelques minutes et j’étais sur le point de céder, lorsque, devinant le danger qui pesait sur elle, Marguerite s’est enfuie, hors d’atteinte. Myriam et Tiffany ne m’en ont pas voulu pour autant, et nous avons quand même fait l’amour à trois.
Au matin – il était déjà dix heures – j’ai cherché en vain mes vêtements. Tiffany m’a dit qu’elle les avait mis au lave-linge. Mais je n’en avais pas d’autres. Elle m’a proposé d’enfiler ceux du père, mais je n’ai pas accepté les habits d’un mort. Elle a haussé les épaules. Je pouvais descendre nu pour le petit déjeuner. Béatrice, leur mère, en avait vu d’autres.
Cette dame ressemblait à la lieutenante-colonelle du centre de sélection, en moins grosse toutefois. Même âge, même forme du visage. L’excitation m’est revenue en mémoire. Tiffany et Myriam avaient mis leurs robes d’été. J’étais nu devant trois femmes habillées. Béatrice a pris ma verge érigée dans la main, doucement, et m’a félicité pour ma forme sexuelle éblouissante dont elle avait perçu les bruits la veille.
Le petit jardin était entouré d’une haie de lauriers-cerises dont l’épaisseur nous protégeait des regards du voisinage, ce qui permettait tous les ébats que l’été insufflait à nos sens surchauffés. Un mois a passé ainsi. Elles ne m’ont pas restitué mes vêtements, de sorte que je ne pouvais pas quitter la maison. Je ne dormais que très peu : elles m’en empêchaient. Je faisais l’amour comme un zombie, encore et encore. Mes testicules et ma prostate me faisaient mal, à force de les solliciter. Je ne sais pas quelles substances elles ajoutaient dans ma nourriture, mais cela rendait infatigable, en érection permanente, toujours prêt pour l’action érotique. Nous copulions comme des bêtes sauvages, dans toutes les pièces de la maison, mais surtout dehors, sous le soleil comme sous l’orage, dans le carré herbu où mes hôtesses cultivaient des fleurs exotiques dont les parfums bizarres amplifiaient mon désir pour elles.
Myriam possédait un godemiché qui se fixait autour de la hanche par des sangles de cuir, ce qui lui pourvoyait un organe imposant de mâle. Souvent, elle me sodomisait pendant que je pénétrais Tiffany par-devant. J’en avais la rosette anale tout écartelée. Parfois, elles échangeaient les rôles. Lorsque l’une disait « je t’aime » ou bien « je voudrais m’envoler avec toi comme tous ces avions » – nous étions sous un couloir aérien – je ne savais pas si elle s’adressait à moi ou si elles communiquaient entre elles par-dessus mon épaule, alors je préférais ne rien dire, de peur d’être déçu. J’avais l’impression d’être l’intermédiaire qui leur permettait de s’aimer sans avoir à se toucher directement.
Un soir, les trois femmes m’ont invité à les rejoindre autour de la table familiale. Elles voulaient me parler sérieusement, alors que jusque-là, nos relations n’avaient été que rires, débauche et légèreté. J’étais inquiet. Aurais-je déplu, commis une bêtise ?
Je n’aurais pas supporté d’être jeté brutalement dehors.
***
Béatrice m’a donné une clé universelle pour ouvrir la porte d’entrée de l’immeuble.
J’ai franchi tous les obstacles, tiré sur la poupée de plastique. C’était facile. Je l’ai fait plusieurs fois, en améliorant ma performance à chaque tentative, pour aboutir à moins d’une minute. Entre deux essais, elles réparaient la porte avec des serrures de rechange. J’apprenais chaque geste par cœur. Elles ne voulaient rien laisser au hasard. À la fin, j’ai répété l’action les yeux bandés, afin qu’elles soient sûres que je maîtrisais chaque détail de l’opération à la perfection. Elles avaient bien compris que je n’étais pas très malin et avaient peur que je fasse des bêtises en n’appliquant pas bien le plan.
***
Vingt-deux heures quinze. La nuit s’était faite complètement noire. Elles m’avaient donné un sweat-shirt avec une capuche très ample afin de dissimuler mon visage, et déposé en voiture à deux kilomètres du domicile de Pierre Vidal : ma cible, entourée de rouge sur le plan. Puis elles sont allées au bowling dans le but d’être vues par un maximum de gens. Je connaissais le trajet pour l’avoir déjà parcouru plusieurs fois les jours précédents. Il fallait raser les murs, marcher sans bruit, être transparent. Quelques rares passants promenaient leur chien. Toutes les consignes s’alignaient dans mon esprit au fur et à mesure. Dernière rue avant d’entrer dans l’immeuble. Je tremblais, mon cœur battait la chamade. Sous mes vêtements, je tenais mon arme cachée. Grâce à celle-ci, je me suis senti tout-puissant. Un sentiment d’euphorie me gagnait. J’ai pris l’escalier, l’ascenseur m’étant interdit, trop risqué. Second étage. À droite, au fond du couloir, sans appuyer sur le minuteur : j’ai marché à la lueur verdâtre du bloc incendie. Mes yeux se sont habitués à la pénombre. J’étais essoufflé et transpirais beaucoup. Sur le palier, j’ai pris le temps de respirer une grande bouffée d’air. J’ai préparé mon pistolet. Les réflexes de soldat me sont revenus. J’ai pensé à la guerre mondiale qu’espérait le capitaine. Ici, un seul ennemi. Les mots que le sergent hurlait dans mes oreilles se sont ravivés comme si je les entendais vraiment : « je suis une machine à tuer ».
J’ai sonné, arme cachée derrière mon dos, à cause de l’œilleton. Des pas se sont approchés de la porte, de l’autre côté. Au bruit de la serrure déverrouillée, tour après tour, je sentais mes cheveux se hérisser sur ma tête. J’ai failli m’évanouir.
Une femme a ouvert. Ce n’était pas du tout prévu. J’aurais pu m’enfuir en courant, mais je ne voulais pas que celles qui m’avaient offert leur pucelage me regardent comme un lâche. J’ai demandé à parler à Pierre Vidal, très calmement. L’homme alors s’est approché. Il m’a confirmé qu’il était bien Pierre Vidal. Évitons toute méprise. Feu. La femme a crié. Je l’ai bâillonnée avec ma main, ne sachant que faire. Les idées ont tourné dans ma tête, très vite. Surtout, ne pas s’affoler. Prendre la bonne décision.
Elle a d’abord cru que j’étais un cambrioleur. Elle m’a donné en tremblant les quelques bijoux qu’elle portait, son portefeuille aussi. Puis, paniquée, elle a pensé que je voulais peut-être la violer. Elle a essayé de se déshabiller, mais je l’en ai empêchée. Ridicule. Je n’étais pas venu pour baiser, mais pour tuer. Les gens sont prêts à toutes les obscénités pour ne pas mourir. Nous nous sommes regardés dans les yeux pendant un moment qui m’a semblé durer des heures. Nous étions presque collés l’un à l’autre. J’ai pensé que dans une vie alternative, nous nous serions rencontrés dans des circonstances différentes, nous serions tombés amoureux et nous aurions vieilli ensemble en nous tenant par la main. Elle avait de longs cheveux châtain. Elle n’était ni jeune ni belle, ce qui m’aurait convenu parfaitement. J’avais envie de l’embrasser tendrement. Souvent je basculais dans ce genre de rêverie, surtout quand ce n’était pas le moment. Je n’aimais pas l’odeur de tabac froid qui régnait dans cet appartement, mais celle de sa peau, au contraire, me rappelait des souvenirs heureux d’étés de mon enfance.
Le râle d’agonie de Vidal, dont j’avais raté le cœur, m’a sorti du songe. Il nous regardait en se tenant le ventre à deux mains, pour empêcher ses tripes de s’échapper. Il a essayé de me dire quelque chose, mais seul un horrible gargouillis sortait des lèvres de l’escroc. Finir le travail. Vite. Les deux minutes étaient déjà largement dépassées. Quelqu’un risquait d’appeler la police qui pouvait surgir à tout moment. D’abord, la femme. Elle avait vu mon visage. Mes trois hôtesses auraient été furieuses d’apprendre que j’ai laissé un témoin en vie derrière moi. J’ai eu peur de leur colère. J’ai abattu celle qui se tenait debout devant moi, d’une seule balle dans la tête, tout en essayant de fuir son regard, sans qu’elle cherchât à résister, sans un cri. Elle s’est écroulée sur le dos, poupée cassée, le corps flasque.
Puis j’ai mis fin aux souffrances de Vidal, en vidant cette fois tout le restant mon chargeur dans sa poitrine. Juste avant, il a tenté de me supplier avec ses yeux, pour que je l’épargne. Il a mendié un peu plus de vie. Mais qu’ont-ils tous à tenir à l’existence à ce point, quitte à perdre leur dignité humaine au moment de quitter le monde ? J’ai ressenti de la colère contre lui. Je lui ai reproché son manque de courage. Je lui ai dit, même s’il ne pouvait plus m’entendre, que la femme a été tuée à cause de lui, qu’il aurait pu au moins coopérer en restant seul dans son appartement, pour me faciliter le travail. Et puis, avait-il tant besoin d’escroquer les gens ? À la fin, j’aurais pu passer mon poing à travers sa cage thoracique. Je pataugeais dans une mare de sang. J’avais fait un boucan infernal, de quoi ameuter tout le voisinage.
Je suis parti en courant, descendu l’escalier quatre à quatre. J’ai galopé à travers les rues sans éprouver de fatigue, les veines gorgées d’adrénaline. La mèche de la perceuse me blessait à travers le sac à dos, mais je ne ressentais pas la douleur. Le sweat-shirt me tenait trop chaud. Je l’ai retiré et noué autour de ma taille. Je me suis perdu dans des ruelles sombres. Retrouvé. À nouveau égaré. Failli repasser devant l’immeuble de la rue du Désir. Manqué de me faire écraser par une voiture dont le conducteur m’a insulté. J’ai entendu au loin des sirènes de police, me suis inquiété, couru me cacher dans un jardin public en escaladant la grille. Je me suis couché sous un buisson. Les gyrophares se sont approchés, sans s’arrêter. Le souffle court. Transpiration extrême. Repartir. Regagner à pied la maison où Béatrice, Tiffany et Myriam, mes trois Parques adorées, me retrouveront en rentrant du bowling. Marcher très vite. En pleurs. Mais mission accomplie. Éviter de croiser le regard des rares passants. Ils auraient pu me juger pour ce que je venais de perpétrer. Accélérer la cadence pour ne plus penser. Le monstre que j’étais devenu avait délibérément mis fin à vie de deux êtres humains, deux personnes qui auparavant respiraient l’air de l’été, dont une probablement étrangère à l’affaire de vengeance qui m’occupait. Comment font James Bond, ou la Mariée dans Kill Bill, ou encore l’Equalizer dans la série éponyme, pour tuer si facilement, persuadés que c’est pour le bien commun ? Je croyais pouvoir m’amuser comme eux ! En y pensant, parce que je ne pouvais pas m’empêcher de penser quand même, je me suis aperçu que je n’avais pas donné dans ma tête de prénom à la femme, ce qui ne correspondait pas à mes habitudes. Sans parce que je l’avais assassinée. Je me suis dit, scandant une syllabe à chaque pas : « je suis un misérable ! »
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Dès que nous nous sommes retrouvés tous les quatre, nous avons ensemble sablé le champagne, trinqué à cette éclatante réussite dont j’ai raconté chaque détail. Pour elles, l’inconnue occise en même temps que ma cible principale ne constituait pas un problème, tout juste un dommage collatéral, comme il y en a dans toutes les guerres. J’avais pris la bonne initiative et agi en guerrier véritable, comme il le fallait. Enfin vengées de ce maudit Vidal ! Vite, se débarrasser des vêtements qui auraient pu me dénoncer. Prendre une douche pour laver sur ma peau toute trace de sang. Les deux sœurs m’ont frotté sous l’eau tiède pendant de longues minutes, quatre mains coquines qui ne se contentaient pas de me savonner, mais aussi ambitionnaient de me récompenser pour mon courage, même si je tenais à peine sur mes jambes après ce moment de stress intense.
Dans la maison protégée par de grandes haies, l’orgie permanente a repris de plus belle. Elles m’ont attaché sur le lit. Au début, j’ai cru qu’il s’agissait un jeu sexuel de bondage, alors je me suis montré complaisant et même enthousiaste à tenter cette nouvelle expérience. Mais quand j’ai vu le pistolet qui m’avait servi à commettre le crime, j’ai deviné qu’elles ne plaisantaient pas. Elles craignaient que je bavarde, que je me fasse identifier par la police comme l’auteur de l’assassinat de Pierre Vidal et sa compagne, et qu’une fois interrogé, que je ne sache pas tenir ma langue. Il fallait donc que je meure. Elles m’ont expliqué cela très doucement une fois que j’étais complètement immobilisé, avec des mots simples et rassurants. J’ai pensé que c’était juste. Comment aurais-je pu considérer ma vie comme sacrée après ce que j’avais commis ? Quel hypocrite aurais-je été ? J’ai pensé au dernier regard de Vidal, et me suis promis de ne pas crever comme lui, en suppliant mes bourreaux. Peut-être est-il plus facile de mourir pour les simples d’esprit.
D’ailleurs, je n’ai pas eu peur de la mort. Tiffany surtout était sincèrement désolée de devoir trahir sa promesse d’années entières de tendresse sensuelle dans leur Éden bien protégé. Leur plan était ficelé avant même de faire ma connaissance, alors qu’il ne manquait plus qu’un seul pion sur leur échiquier diabolique : moi. Puisque c’était elle qui m’avait rencontré dans le train, elle s’est portée volontaire pour tenir l’arme, alors qu’à l’origine, elles avaient convenu de tirer au sort pour savoir laquelle me tuerait. Béatrice et Myriam ont semblé soulagées.
J’étais allongé sur le dos, les poignets attachés aux montants du lit. Tiffany s’est rapidement déshabillée, puis s’est assise sur moi. Comme j’étais bien bandé, elle a glissé mon pénis dans son vagin qui m’a avalé d’un coup, englouti comme dans la gueule d’une sirène affamée. Elle a dit qu’elle allait faire feu dès qu’elle sentirait mon éjaculation. Comme elle tortillait son bassin d’une manière extrêmement stimulante, cela risquait d’être rapide, mais je tentais de retarder l’échéance, par instinct de conservation.
Les deux autres me regardaient avec un air de pitié, caressaient mon front, ma poitrine. Myriam a précisé qu’une fois ma mission accomplie, elles auraient pu me garder captif plus longtemps, comme jouet sexuel, mais qu’en dépit de mes ardeurs aussi insatiables que les leurs, elles s’étaient lassées de moi à cause de mon physique ingrat, révélation que j’ai ressentie comme un coup de poignard dans le cœur. Même si je m’en doutais déjà. Ensuite, elle a baissé son pantalon et sa culotte. Elle a ouvert le tiroir de la table de nuit et a saisi son vibromasseur avec lequel elle s’est adonnée aux voluptés auto-érotiques, accroupie sur le bord du lit, les cuisses écartées, la vulve et ses pieds nus tout près de ma tête afin que je puisse bien sentir ses exhalaisons charnelles. Elle m’a donné ses orteils à sucer. J’y ai goûté un à un, dernier repas du condamné, tandis qu’à cause des ondes de plaisir que me causaient les ondulations du bassin de Tiffany, il devenait de plus en plus difficile de me retenir. Lorsqu’elle a joui, j’ai cru voir dans son regard qui ne fuyait pas le mien la flamme d’un orgasme sadique accompagné d’un jet de mouille qui a aspergé mon visage. Je crois qu’elle voulait que je la haïsse. Cette idée l’excitait tant qu’elle a continué à se faire plaisir avec son engin vibrant plaqué sur le clitoris. En même temps, elle a perversement chatouillé mes testicules, du bout des doigts, très vite, ce qui a rendu vains mes efforts pour ne pas me répandre dans un râle qui venait du fond de ma gorge. Tiffany a braqué l’arme vers moi, mais elle n’a pas tiré tout de suite. Prenaient-elles de la joie à me torturer ? Myriam lui a prêté son vibromasseur. Béatrice, qui se tenait à distance, s’est impatientée. Elle leur a ordonné d’en finir rapidement.
J’étais l’agneau sacrifié sur l’autel de leur projet criminel. Elles s’attendaient sans doute à ce que je crie et proteste, mais leur ai souri. Je leur ai dit que je ne leur en voulais absolument pas, que je leur pardonnais tout – comment ne pas innocenter une personne dont le vagin enrobait ma verge ? – comme j’espérais être pardonné par ceux que j’avais tués. Ces paroles les ont fait rire, toutes ensemble. Telle est sans doute la cruauté humaine. Pourtant, j’étais sincère et ne cherchais pas à les émouvoir afin de me sortir de cette situation. Tiffany a appuyé sur la détente, mais le coup n’est pas parti, parce qu’elle avait oublié de retirer la sécurité qui bloquait la culasse, alors je lui ai expliqué comment faire et ensuite, elle m’a tiré une balle dans la tête, ou peut-être plusieurs, je ne sais pas, parce que je suis mort tout de suite.
Comme la première nuit, j’ai quitté mon corps que j’ai vu inanimé. Juste au-dessus de mon cadavre, j’ai observé pour la première fois les deux sœurs s’embrasser sur la bouche, langues sorties, passionnées, comme pour fêter des retrouvailles après une parenthèse masculine, alors que mon phallus inerte, mais toujours chaud et dur, occupait encore le ventre de Tiffany et que le vibromasseur bourdonnait sur son clitoris et que mon sang giclait sur l’oreiller, mes yeux encore ouverts sur elles. J’ai été témoin, aussi, de la mesquinerie de Béatrice, quand celle-ci a compté les quelques sous qui me restaient de l’armée, puis les a glissés dans son porte-monnaie.
Paul, le père des deux filles, est venu me rejoindre, toujours dans son costume impeccable. Il s’est présenté et m’a souhaité la bienvenue au royaume des morts. Il a regretté ce trépas si précoce, même pas vingt ans. Pierre Vidal était là lui aussi, ainsi que la femme aux longs cheveux châtain qui a cru que je voulais la violer. Ils ne m’en voulaient pas. Il y avait aussi le sergent qui me croyait homosexuel : il a perdu la vie en Bosnie,en passant devant la ligne de tir d’un sniper serbe, car un casque en kevlar, même peint en bleu avec une colombe blanche, ne protège pas contre les balles. Il m’appelait toujours Simplet, mais cela ne me dérangeait plus, parce que je pouvais lire dans son cœur à livre ouvert et savais par quels chemins tortueux il était devenu méchant sur la Terre. D’ailleurs, j’ai appris que Béatrice et ses filles me nommaient aussi Simplet, entre elles, quand je ne pouvais pas entendre leur conversation, tout simplement parce que j’avais dit à Tiffany, dans le train de nuit, que le sous-officier m’avait donné ce sobriquet.
Non seulement la femme que j’avais exécutée m’a tout pardonné, mais elle m’a ouvert ses bras, et nous avons eu une étreinte d’autant plus merveilleuse que la pesanteur terrestre ne nous opprimait plus. Dans le ciel, j’ai découvert qu’on pouvait se permettre cela, aussi. Pour l’éternité. Nous avions tous les deux compris que notre rencontre dans le monde des vivants aurait pu se transformer en coup de foudre, dans d’autres circonstances. Elle m’a dit son prénom : Marguerite, comme l’araignée que je n’avais pas voulu tuer et qui se tenait sur son épaule, après avoir fini sa vie sous la pantoufle de Béatrice. Ce qui m’a le plus peiné restait le chagrin de mes parents, à cause de ma disparition sans laisser la moindre trace, malgré leurs efforts pour me retrouver.
Pendant ce temps, en bas, les trois Parques, celles qui avaient rompu le fil de plusieurs existences, ont enterré mon corps au crâne transpercé dans leur jardin, assez profondément pour que jamais il ne remonte, avec les habits que je portais le jour du crime, ceux que j’avais en arrivant chez elles, sans oublier l’arme. Puis elles se sont dépêchées de reboucher le trou, semé du gazon par-dessus la terre remuée, et déposé un petit caillou noir pour marquer l’emplacement, une sorte de pierre tombale discrète, pour se souvenir. Leur vengeance avait réussi, mais en les laissant inquiètes. Béatrice s’est mise à boire de plus en plus d’alcool. Au moindre coup de sonnette ou claquement de portière dans la rue, elles sursautaient, redoutant une visite des enquêteurs de police. Elles ont pris l’habitude de se lever avant six heures, afin de ne pas être surprises dans leur sommeil.
Dix-neuf années se sont écoulées sans qu’elles soient inquiétées. Elles n’ont même pas eu besoin de faire valoir l’alibi qu’elles s’étaient fabriqué. Le double meurtre de la rue du Désir est devenu un cold case. Un jour, l’automobiliste qui avait failli m’écraser à proximité du lieu du crime a fait le rapprochement, suite à un reportage télé. Il est allé témoigner. Mon visage est mystérieusement resté imprimé dans sa mémoire. Ils ont découvert mon nom, rendu visite à mes parents. Une enquête de voisinage, photo en mains, a fait le reste. Quand les policiers ont fait irruption dans la maison de Béatrice, celle-ci était déjà venue me rejoindre à cause du cancer du foie. Les sœurs jumelles habitaient toujours ensemble, s’offrant de temps en temps les charmes d’un garçon ravi d’accéder aux charmes de deux femmes en même temps. Elles gagnaient leur vie en séduisant, puis en faisant chanter des hommes mariés, photos explicites à l’appui. Mais cette fois, leurs charmes vénéneux n’ont pas pu corrompre les fonctionnaires de police ni les jurés, devant la cour d’assises, où leur attitude désinvolte, en plus de causer les larmes de mes parents et celles de la sœur de Marguerite, n’a fait qu’aggraver le verdict. Tiffany, qui avait pressé la détente, a écopé de vingt-cinq ans de réclusion. Myriam en a pris quinze pour complicité, dissimulation de cadavre, etc. Dommage pour elles, car il ne restait plus qu’un an avant la prescription. Elles n’ont pas fait appel.
À l’heure qu’il est, elles purgent leur peine dans une prison centrale pour femmes, où elles souffrent beaucoup de la détention. Chaque jour, je les observe depuis le ciel. J’ai pitié d’elles. Je voudrais adoucir leurs tourments. Et aussi envoyer des messages à toutes les autres jolies personnes encore en liberté pour qu’elles ne commettent pas les mêmes erreurs. J’ai écrit ce témoignage pour cette raison.
Après une journée passée à l’atelier, elles prennent leur douche. Que les femmes sont belles ! Oui, leur corps est pour moi, puisqu’elles me l’ont donné !
(1) Les patriotes (1976), chanson écrite et composée par Georges Brassens
C’qui manque aux amputés de leurs bijoux d’famille,
C’est pas d’être hors d’état d’aimer leur femm’, cré nom de nom,
Mais de ne plus pouvoir sabrer les belles ennemies.
La colomb’ de la paix, on l’apprête aux petits oignons.
(2) Le FAMAS est le Fusil d’Assaut de la Manufacture de Saint-Étienne, où cette arme a été initialement fabriquée. Ce fusil automatique, capable de tirer en rafales jusqu’à 1000 munitions par minute, a longtemps été celui de l’armée française. Source : https : //fr.wikipedia.org/wiki/FAMAS