n° 22394 | Fiche technique | 8216 caractères | 8216 1390 Temps de lecture estimé : 6 mn |
27/04/24 |
Résumé: Autopsie d’un amour exclusif. | ||||
Critères: confession cérébral nonéro | ||||
Auteur : Briard Envoi mini-message |
À G… qui, où qu’il soit, j’ose le croire, se reconnaîtra…
Le grand saut… vers l’inconnu.
J’ai toujours été fou d’Angèle. La première fois où je l’ai vue, je fus subjugué.
Il est inutile et vain, ici, de la décrire. J’en suis tombé immédiatement amoureux.
Pour elle, cela prit plus de temps.
Certes, j’ai insisté. Certes, j’ai cherché son amitié. C’est vrai, mais je ne l’ai pas draguée. Elle est venue à moi doucement, avec prudence, et cela n’a fait que renforcer mon amour et mon attachement.
Elle m’a dit un jour où nous nous promenions dans la forêt :
Je fus bouleversé, stupéfait, qu’elle se livre ainsi. Nous avons terminé notre promenade et, au moment de nous quitter, je lui fis deux bises sur les joues.
Elle sembla s’en offusquer et me dit :
Ce baiser scella de façon éternelle, mon amour pour elle.
Rapidement, nous nous sommes installés ensemble. Le mariage, elle n’y pensait pas.
C’est moi, un soir, qui lui préparai le chemin de la décision.
J’avais étalé des centaines de pétales de roses le long du couloir de notre appartement, de façon à tracer une dizaine de flèches indiquant la direction à suivre. Au bout de ce petit trajet, j’avais recouvert notre table du séjour d’une nappe blanche, y avais disposé une vingtaine de bougies et un tableau « melting-pot » de toutes nos photos en amoureux.
Je me mis à genou et lui fis ma demande. Elle tomba en larme et accepta dans un cri.
Ce fut le moment le plus chargé d’émotion de ma vie.
Nous nagions dans le bonheur et, naturellement, l’idée de sceller notre amour avec la naissance d’un bébé prit rapidement une place dans nos esprits.
Les semaines passèrent et nos rapports restaient infructueux.
Nous consultâmes une gynéco qui me fit réaliser un spermogramme. Celui-ci révéla que mes spermatozoïdes étaient en pleine forme. En revanche, la durée d’ovulation d’Angèle était très courte et nous dûmes adopter une stratégie médicale à base de citrate de clomiphène et de rapports programmés à l’heure près.
Comme stimuli amoureux, il y a franchement mieux !
Je me souviens avoir redoublé d’attention envers ma chérie pendant cette douloureuse période.
Le grand saut… dans le vide.
Je voulais que cette union vive sous le plus éclatant Soleil. Aussi, je multipliais les formations et les stages pour acquérir au plus vite un poste de direction au sein de mon entreprise.
Bien entendu, je compensais chaque absence par un cadeau, une sortie ou un voyage, pensant ainsi contrebalancer ces éloignements par des marques d’allégeance amoureuse.
Mes retours étaient ponctués de rapports enflammés et notre vie sexuelle pointait à son zénith.
Nous prospectâmes dans le milieu immobilier afin de trouver un terrain où bâtir notre future maison et y établir notre foyer.
Nous trouvâmes notre bonheur dans une bourgade à deux pas de nos proches.
Nous choisîmes un constructeur régional et un copain architecte réalisa les plans de notre nid d’amour.
Six mois plus tard, nous emménagions.
Nous prîmes assez vite nos marques et meublâmes l’une des deux chambres, en plus de la nôtre, de tout le nécessaire pour accueillir un bébé.
Mon patron m’encouragea à m’inscrire aux cours du soir dans une université afin d’obtenir mon diplôme d’ingénieur, trophée indispensable, selon lui, pour prendre les rênes de la direction régionale de ma boîte.
Mon emploi du temps se chargea donc de cours et de devoirs, ce qui entraîna une baisse de forme prévisible, mais également de ma libido.
Faire l’amour à minuit tous les soirs, après une journée de travail et une soirée à étudier, est éreintant et la fréquence de nos rapports baissa sensiblement.
Pourtant, nous ne perdions rien de notre enthousiasme, de notre passion charnelle, et de notre intention de procréer.
Je restais profondément passionné par son corps, la sensualité de ses courbes, le bonheur de la voir s’abandonner à son plaisir et l’érotisme de ses pauses lascives après l’amour.
À la fin du printemps suivant, mes efforts furent récompensés et j’obtins mon diplôme. Nous fêtâmes l’événement, et une nuit d’amour conclut cette merveilleuse journée.
Pour parachever mon accession au sommet de l’entreprise, on me proposa un stage de six mois en doublure avec un directeur, d’une région éloignée, en exercice depuis de nombreuses années.
Cette dernière étape devant couronner mon ascension et provoquer mon adoubement en tant que dirigeant d’entreprise, nous décidâmes, après plusieurs soirées d’échanges parfois houleux entre nous, d’accepter cette dernière épreuve.
L’été passa trop rapidement à notre goût et je partis en noviciat au premier septembre.
Chaque soir, nous faisions un appel vidéo d’au moins une heure et je rentrais chaque vendredi soir.
Une semaine avant Noël, mon patron me convoqua dans son bureau et m’annonça que ma période probatoire était terminée et que je prendrai mon nouveau poste au premier janvier.
Le grand saut… dans la lumière.
Ce fut un des moments les plus euphoriques de ma vie. Je posai quelques jours de congés et me précipitai à la maison pour annoncer la bonne nouvelle à Angèle.
Elle fut si contente qu’elle proposa que nous organisions le Noël chez nous en invitant nos parents, frères et sœurs respectifs.
Il nous restait quatre jours pour tout préparer et nous nous lançâmes dans des préparatifs avec alacrité.
J’étais dans une exaltation extrême et je sollicitai Angèle, chaque soir, dans notre lit, désireux de rattraper le temps perdu.
Ce fut une grande fête en famille, et tous nous louèrent d’être enfin établis dans notre vie, tant professionnelle qu’amoureuse.
Le lendemain de Noël, je fus, une fois n’est pas coutume, le dernier à me lever.
Angèle était sous la douche et j’en profitai pour me laver les dents afin d’effacer de mon haleine les relents nauséeux d’une soirée et d’une nuit agitées.
Son mobile émit des vibrations et un texto apparut.
Je pris l’appareil négligemment et lus le contenu du message.
Pas de nouvelle de toi, tu me manques.
Je fus saisi d’effroi. Mon sang se glaça et je me mis à trembler.
Dans le même instant, l’eau s’arrêta de couler et le téléphone m’échappa, tombant lourdement sur le carrelage.
Angèle sortit de la douche et, devant mon air pétrifié, se baissa et ramassa son portable.
Elle lut et son visage changea de couleur.
Nous étions face à face, muets et immobiles.
Elle bégaya un début d’explication, alors que je me ressaisis et fonçai dans notre chambre.
Comme dans un brouillard, j’entendis ses plaintes et ses jérémiades.
Ça n’était rien. Ça n’avait duré que quelques jours. C’était déjà terminé. C’était sa seule faute. Elle avait fait ça pour conjurer son isolement, son ennui, son infertilité. Elle n’aimait que moi. Elle m’aimait par-dessus tout. Il fallait oublier comme elle avait déjà oublié. Ça ne se reproduirait plus. Il fallait que je lui pardonne. Que notre amour était plus fort que tout, qu’on surmonterait toute cette crasse et qu’on en sortirait encore plus forts…
Le grand saut… dans le néant.
Angèle ne dort pas. La nuit a été longue. Elle n’a pu fermer l’œil ; sa tête, son cou, ses bras et ses jambes lui font mal.
Elle ne cesse de se maudire et de penser à lui. Il doit être mal.
C’est leur première nuit, séparés, dans leur maison. Elle l’a vu brisé, détruit.
Elle s’en veut de l’avoir trompé. Et pour quoi ? Qu’est-ce que ces deux-trois nuits lui ont apportée ?
Rien.
Rien qui valait la peine de tout foutre en l’air.
Rien qui ne remplacera jamais l’immense amour qu’elle a pour lui.
Rien qui n’excuse sa faiblesse, sa lâcheté.
Elle s’est trompée. En le trompant, elle s’est trompée elle-même.
Elle l’aime tant.
Elle doit réagir. Elle doit se faire pardonner. Lui faire oublier.
Rien n’est perdu, tout peut reprendre.
Elle va lui donner cet enfant. Et il oubliera.
Le réveiller en douceur, avec amour. Lui dire, lui répéter qu’elle l’aime, qu’elle n’aime que lui.
Tout faire pour lui, pour qu’il oublie, qu’il finisse par oublier.
Il ne s’est rien passé ; une errance, un fourvoiement, une confusion.
Le lit n’est pas défait. Un mot sur l’oreiller.
Je ne peux pas l’accepter.
Angèle se précipite au garage. Elle ouvre la porte, pousse un cri d’effroi et tombe inanimée.
Suspendu à une corde, solidement arrimée à la poutre faîtière, pend, inerte et sans vie, le corps de son mari.