- — Il me demande encore de changer mon mot de passe ! s’insurgea Violine. À chaque connexion ! C’est trop !
- — C’est normal vu que tu ne te connectes qu’une fois par mois, répliqua Brigitte.
- — J’en ai marre ! grogna Violine.
- — Ça prouve que le RSSI de ta banque fait son boulot.
- — RSSI ? répéta Violine les yeux écarquillés.
- — Responsable de la Sécurité des Systèmes Informatiques, énonça Brigitte.
- — D’où une vieille comme toi y connaît quelque chose en sécurité informatique ?
La jeune blonde fraîchement arrivée détailla son aînée de la tête aux pieds. Brigitte ricana intérieurement. La blondasse n’avait de cesse de se mouvoir avec sensualité dans les couloirs de l’entreprise, portant des tenues plus affriolantes les unes que les autres, là où Brigitte se contentait d’un tailleur strict et d’un chignon serré. Les lunettes carrées ajoutaient à son air sévère là où la blonde avait préféré des lentilles. Par coquetterie, sans aucun doute.
- — Apparemment plus que toi, ricana Brigitte. Il est nul ton nouveau mot de passe.
- — Comment ça ? Et pis, t’en sais quoi ?
- — Tu l’as tapé devant moi et tu l’as fait apparaître alors que je regardais ton écran.
- — Sérieux ? C’est perso un mot de passe ! T’avais pas à regarder !
- — Tu n’aurais pas dû faire ça devant moi, susurra Brigitte avant de soupirer.
- — Mot de passe refusé, s’énerva Violine.
- — Je te l’avais dit. Il est nul, ton mot de passe. Le nom de ton chat suivi de ta date de naissance ? Il ne faut jamais faire ça !
Brigitte se lança alors dans une diatribe sur la bonne façon de créer un mot de passe, fournissant mille astuces pour s’en souvenir aisément, laissant Violine sans voix. Finalement, Brigitte se tut et la jeune osa un :
- — Comment tu sais tout ça ?
- — Le RSSI de ma première boîte était excellent, expliqua Brigitte.
- — Il faisait des formations, supposa Violine.
- — Oui, mais je ne les ai jamais suivies, sourit Brigitte.
- — Alors quoi ? insista Violine en grimaçant.
Brigitte soupira. Elle alla fermer la porte du bureau puis tira une chaise afin de s’asseoir à côté de la jeune. Elle n’avait jamais raconté ça à personne et trouva le moyen idéal. Cette stagiaire partirait à la fin de l’année pour ne plus jamais revenir. Elle serait le réceptacle idéal à des confidences qu’elle crevait de faire depuis bien trop longtemps.
- — J’étais comme toi quand j’ai été engagée dans ma première boîte. La sécurité informatique, je m’en foutais. Je n’avais aucune envie de changer mon mot de passe. L’ordinateur me le réclamait mais je cliquais sur « Plus tard ».
Violine acquiesça. Elle connaissait très bien le principe, l’appliquant elle-même.
- — Un jour, j’ai entré mon mot de passe, le même depuis deux mois, et ma session n’a fait apparaître que la « Pat Patrouille » en image et son au maximum. Prise de panique à l’idée de ce que les autres pourraient penser, j’ai essayé de couper le son mais les touches du clavier ne répondaient plus. J’ai débranché l’ordinateur mais la batterie chargée du portable lui permettrait de belles heures de générique de ce dessin animé débile. J’ai essayé d’éteindre l’ordinateur mais quand j’ai appuyé sur le bouton d’arrêt, un message est apparu.
« Nouveau mot de passe requis »
Violine ricana.
- — J’ai tapé en vitesse mon mot de passe.
- — Le même ?
- — Oui. J’étais en panique ! Mes enceintes hurlaient à tout rompre.
Violine explosa de rire.
« Le nouveau mot de passe doit être différent du précédent »
- — Je me retenais de ne pas l’envoyer contre le mur.
- — Comme je te comprends, assura Violine.
- — J’ai tapé mon mot de passe en rajoutant simplement un 0 derrière.
Violine gloussa. Nul doute qu’elle aurait agi de même.
« Le nouveau mot de passe est trop proche du précédent »
- — Je paniquais à fond. Je voyais de plus en plus de collègues tourner leurs regards vers moi, le front plissé. Je venais à peine d’arriver. Je tenais à prouver ma valeur et cet ordinateur débile me décrédibilisait.
Violine rit.
- — J’ai tapé une suite de lettres et de chiffres et enfin, mon bureau normal est apparu. J’ai vite pris un bout de papier pour noter le mot de passe que je venais de créer – j’ai une très mauvaise mémoire – et je me suis mise au boulot, satisfaite. Le mois suivant, quand j’ai dû changer de mot de passe, j’ai remis le précédent.
Violine pencha la tête tout en haussant légèrement les épaules.
« Le nouveau mot de passe ne peut pas être un vieux réutilisé »
Violine explosa de rire.
« Le mot de passe ne doit pas non plus être écrit sur un post-it collé sur l’écran »
- — Trop fort ce RSSI ! pouffa Violine.
- — Ouais, un peu trop. C’est là que j’ai commencé à flipper.
- — Pourquoi ? s’étonna Violine en retrouvant son calme d’un coup.
- — Ça voulait dire qu’il m’observait. J’ai commencé à regarder autour de moi à la recherche de caméras.
- — Il venait peut-être simplement de temps en temps faire des mises à jour et il sera tombé sur le post-it, répliqua Violine.
- — Après coup, je pense que c’était plutôt ça mais à ce moment-là, j’ai commencé à me faire un film. Il y avait une caméra dans mon bureau, c’était obligé ! J’ai fait attention à tout, en commençant bien sûr par mon mot de passe, pestant toute seule à voix haute que je risquais de l’oublier.
- — Comme tout le monde, fit remarquer Violine.
- — L’après-midi même, je recevais dans ma boîte professionnelle un message du RSSI proposant une vidéo super bien faite d’une trentaine de secondes sur les astuces pour créer des mots de passe très sécurisés mais faciles à retenir.
- — Ce que tu m’as expliqué tout à l’heure, comprit Violine et Brigitte confirma d’un geste. C’est top !
- — Sauf que ça confirmait la présence d’une caméra.
- — Ou simplement que le mec faisait son travail, répliqua Violine. Il avait trouvé cette vidéo et l’avait partagée à tout le monde.
- — J’ai vérifié le mail et j’étais la seule destinataire. J’étais tellement nulle que je ne savais même pas qu’on pouvait cacher la présence d’autres destinataires à un mail. En réalité, tous les employés l’avaient reçu mais je l’ignorais.
- — Tu t’es monté un film toute seule ! s’exclama Violine.
- — Grave, répondit Brigitte et la manière moderne de parler fit sourire la jeune. J’ai commencé à flipper, à le sentir dans mon dos tout le temps. J’avais la sensation d’être suivie.
- — T’as tourné parano !
- — Totalement ! approuva Brigitte. J’ai écrit une lettre de démission.
- — Carrément ! s’étrangla Violine.
- — Je ne me voyais pas restée dans cette boîte. Je n’en dormais plus ! J’hésitais beaucoup à la transmettre à la RH. Et puis il y a eu cette soirée à la boîte, un truc de cohésion. Je n’y suis évidemment pas allée pour me rapprocher des collègues dont j’allais bientôt m’éloigner mais pour pécho.
Violine gloussa.
- — J’ai toujours été un peu… comment dire ? Libérée ? Je n’avais aucune envie, à l’époque, de garder un mec. Je papillonnais. Bah… la jeunesse, c’est fait pour ça, non ?
Violine sourit tandis que ses yeux brillaient. Au doigt de Brigitte, un anneau l’annonçait mariée. Elle avait vieilli et s’était assagie. Jeunesse se passe.
- — Évidemment, poursuivit Brigitte, je connaissais à peine dix pour cent des personnes présentes. Pas idiote : j’étais allée voir la tête du PDG histoire de ne pas commettre d’impair mais il n’empêchait que vu la taille de la boîte, la plupart des visages m’échappaient. Peu m’importait. Je suis partie en chasse. Sur la centaine de mecs présents, quatre m’intéressaient. J’ai direct éliminé le PDG.
- — T’avais flashé sur le patron ?
- — La quarantaine, jean, polo, coupe impeccable, sourire charmeur…
- — Steve Jobs, comprit Violine.
- — Ce genre-là, en effet.
- — Je comprends, admit Violine.
- — Aucune chance que j’aille vers lui. Je sais rester à ma place.
Violine fit une moue mi-figue, mi-raisin.
- — Le deuxième, un roux immense engoncé dans son costard, faisait apparaître sa carrure impressionnante. Sa logorrhée interminable ne tournait qu’autour de son fils, né quelques mois plus tôt, et de tout l’amour qu’il ressentait pour sa femme lui ayant offert ce trésor. J’ai lâché l’affaire.
Violine acquiesça.
- — Le troisième roulait les « r » à l’italienne et draguait ouvertement plusieurs de mes collègues. Il disparaissait régulièrement avec une femme avant de revenir quelques instants plus tard, sa compagne un peu moins bien coiffée et le maquillage filant.
- — Exactement ce que tu recherchais, en conclut Violine.
- — Pas du tout ! s’exclama Brigitte. J’aime le travail bien fait. Quelques minutes dans les toilettes de la boîte ? Et puis quoi encore ? Certes, je papillonnais mais toujours dans le respect de tous et en prenant mon temps, tant pour lui que pour moi. Un coup de bite, très peu pour moi.
Violine rougit devant ces mots crus et se pinça les lèvres en resserrant ses cuisses.
- — Le quatrième ? s’enquit Violine, les yeux brillants.
- — Un black aux dreadlocks tombant jusqu’aux hanches.
- — Steve Jobs, un roux, un italien et un black ? C’est quoi ton type exactement ? s’énerva Violine.
- — Je ne crois pas avoir de critères physiques, précisa Brigitte. C’est plutôt le charisme, un truc que la personne dégage. Ce n’est pas définissable. L’âme ?
Violine fronça les sourcils. Visiblement, cela la dépassait. Elle haussa les épaules.
- — Un black, donc. Et alors ? Ça a donné quoi ? interrogea Violine.
- — Il restait un peu à part, observant la pièce dans ses moindres détails, scrutant chaque recoin mais se désintéressant des gens, comme s’il s’ennuyait à mourir. Il mangeait et buvait mais uniquement des cocktails sans alcool et avec modération. Il semblait sur le point de partir. Je l’aurais volontiers imaginé vigile. Son corps musclé mais pas trop, dans le genre ninja, il devait s’y connaître en art martial et en combat. Cela m’a intriguée. Je n’avais jamais prêté attention aux gardiens à l’entrée de la boîte. J’étais certaine qu’il était l’un d’eux, incapable de cesser sa surveillance malgré la fête. Intimidée par cette tranquillité calculée – et aussi par le fait qu’un black, c’était nouveau pour moi. Je sais, c’est débile. La couleur de peau ne change rien. C’est juste un mec mais voilà – ça m’a perturbée.
Violine ne se permit aucune remarque.
- — Ne sachant pas trop comment l’aborder, j’ai choisi le sujet le plus bateau possible : la boîte. Seul sujet que nous avions de manière certaine en commun. C’était évidemment une très mauvaise idée avec une lettre de démission dans la poche mais bon, je te l’ai dit : il m’intimidait.
Violine ne dit rien.
- — Il a su lever mon inhibition en deux minutes. Pourtant, je n’avais pas avalé une goutte d’alcool, je te le promets ! C’était comme si je le connaissais depuis toujours. J’avais la sensation que je pouvais tout lui dire, qu’il ne me ferait jamais de mal, qu’il me protégerait. Je n’avais jamais ressenti ça avec personne. Tant et si bien qu’à peine cinq minutes après nos premiers mots, je me déversais quant à mes insomnies et mes angoisses dues au RSSI harceleur et je lui révélais mon désir de démissionner pour m’éloigner de ce type flippant qui me surveillait tout le temps et dont je lui ai conseillé de se méfier.
Violine grimaça.
- — Ouais, je sais, confirma Brigitte. Pire drague au monde. La fille qui pleure. La princesse à sauver. L’espoir de tomber sur un prince charmant qui irait casser la gueule au méchant geek. Même à l’époque, c’était has been.
- — Il a réagi comment ?
- — Il m’a écoutée avec beaucoup de sérieux. Il ne s’est pas moqué. Il n’a pas ri. Il n’a pas dit un mot non plus. Quand j’ai eu fini, il a posé son verre et il s’est barré.
- — Oh la vache ! Pire râteau au monde !
- — Je le méritais. Franchement, qu’est-ce qui m’avait pris de m’étendre ainsi devant un inconnu ? Mes problèmes ne regardent que moi et puis, il y a mieux comme sujet de conversation pour séduire. Mes larmes avaient fait couler mon maquillage et je reniflais. Pitoyable. Le fait que je me sentais bien avec lui n’indiquait rien en retour. J’avais détruit toute chance avec lui. Bien fait pour moi.
Violine n’en rajouta pas.
- — Je suis rentrée dans mon petit appartement, seule, déçue et très en colère contre moi-même. Lundi matin, j’étais déterminée à trouver le courage de poser ma démission avant la fin de journée. Je suis entrée dans mon bureau et j’ai allumé mon ordinateur par habitude. Je me suis contentée de mettre mon mot de passe de session mais je n’ai touché à rien, restant figée devant le bureau et ses icônes, perdue dans mes pensées, le ventre noué à l’idée de partir, la gorge serrée en me sentant observée par ce hacker pervers.
- — Hacker pervers ? répéta Violine en souriant.
- — C’est comme ça que je l’imaginais. Un petit bonhomme rond, des yeux porcins, une barbichette ridicule, les doigts gras, se gavant de chips tout en buvant des sodas devant des pornos tous plus vulgaires les uns que les autres.
- — Tu sais que les informaticiens sont de plus en plus souvent des femmes ? s’amusa Violine.
- — Je sais, dit Brigitte, mais les préjugés ont la vie dure, que veux-tu.
Violine l’admit d’un geste.
- — Bref. J’étais là, à ne rien faire, quand un message est apparu sur mon écran.
« Je peux vous assurer que votre bureau ne contient aucune caméra. »
Violine s’en retrouva bouche bée. Brigitte poursuivit :
- — Je ne savais pas qu’il y avait une application pour chatter entre collègues de la boîte, un logiciel interne. Une autre phrase a suivi. « Je suis navré d’être responsable de telles angoisses. » J’étais pétrifiée de terreur et puis mes jambes se sont mises à trembler tandis que je pleurais sans pouvoir m’arrêter. Il m’avait espionnée, j’en étais certaine et mon sang s’en glaçait. À la soirée, nous étions à part, mon beau black et moi. Pas de regard porcin à l’horizon. Seule solution : il utilisait mon téléphone portable pour me traquer. Je savais qu’on pouvait activer le micro à distance et ainsi, entendre tout ce qui se passait à proximité.
- — Vraiment parano, en conclut Violine.
- — Je crois que j’avais trop regardé de vidéos complotistes sur les réseaux sociaux. Je me suis retrouvée comme une conne, immobile, devant mon écran. Je voulais m’enfuir mais mes jambes refusaient de répondre et puis, je ne voulais pas que mes collègues me voient dans cet état. Ils m’auraient demandé de m’expliquer. Je ne pouvais pas dire : « Le RSSI vient de me contacter pour s’excuser ». Personne n’aurait compris pourquoi je réagissais de cette façon. Je crois que je ne le savais pas moi-même. C’était incontrôlable.
Violine fronça les paupières en baissant la tête.
- — C’est alors que j’ai entendu des coups sur ma porte. Ça m’a fait paniquer. Je ne voulais surtout pas que quiconque entre. Mon maquillage devait avoir coulé. J’imaginais très bien l’horreur à laquelle je devais ressembler. La porte s’est ouverte sans que je n’aie prononcé un mot. Il est apparu. Le black de la soirée – ouais, je ne connaissais même pas son nom. Je n’en revenais pas. Il était la seule personne dont la présence ne me dérangeait pas. Il m’avait déjà vue ainsi et j’avais confiance en lui, aveuglément, sans la moindre raison d’ailleurs.
- — Il y a des choses, comme ça, dans la vie, qui ne s’expliquent pas, philosopha Violine.
- — Il est entré en se faufilant, a vite refermé la porte derrière lui puis il a fermé les stores, idée qui ne m’avait même pas effleuré l’esprit. Nous nous sommes retrouvés seuls. Il s’est approché et je me suis effondrée en sanglots dans ses bras. J’ai essayé d’expliquer. Mes mots sortaient difficilement entre deux hochets mouillés mais il est parvenu à comprendre. « Il me traque. Il a mis mon téléphone sur écoute. J’ai peur. Je vais devoir aller porter plainte à la police ».
Violine en restait muette, tant de stupéfaction que de curiosité. Elle ne coupa surtout pas la parole à Brigitte, trop impatiente de connaître la suite.
- — « Mais qu’est-ce qui te fait croire que le RSSI espionne ton téléphone ? » s’est exclamé mon beau black. Pour toute réponse, je lui ai désigné mon écran où trônaient encore les deux messages que je venais de recevoir. Il était resté muet, les yeux écarquillés. « Il nous a espionnés ! » me suis-je écriée. « Mais non », assura-t-il. Alors quoi ? ai-je pensé. Je ne pouvais pas imaginer qu’il avait été lui répéter mes mots. Il s’agissait d’une confidence. D’accord, je ne lui avais jamais précisé de garder ça pour lui mais ça se comprenait sans mot, non ?
Violine haussa les épaules. Elle n’en était pas certaine.
- — Sauf s’ils étaient amis. Le vigile et le responsable de la sécurité informatique, ils devaient bien avoir quelques réunions ensemble de temps en temps. Ça se tenait. Je me suis sentie trahie. C’était con, parce qu’il ne me devait rien mais c’était comme ça. La boule dans mon estomac a grandi et je crois que j’ai fait une crise de panique. Je me sentais tellement mal. Mon cerveau avait disjoncté, je crois. Trop d’émotions.
Violine ouvrit de grands yeux ahuris.
- — Il m’a assise par terre et il m’a aidée à respirer, pour que je me calme, puis il m’a ordonné de l’écouter. C’était dur mais je me suis concentrée et il a articulé lentement : « Le RSSI ne nous a pas espionnés. Je suis le RSSI. »
Violine rit nerveusement puis se tut en constatant que son interlocutrice ne rigolait pas.
- — J’avais entendu ses mots mais je refusais de leur donner du sens. Je ne voulais pas. Je ne pouvais pas. M’étais-je vraiment ridiculisée au point de me plaindre du RSSI au RSSI ? Mon esprit a cherché par tous les moyens à trouver une porte de sortie, un autre chemin que cette honte intersidérale qui s’est emparée de moi. J’ai bafouillé qu’il ne pouvait pas être… qu’un informaticien ne pouvait pas être… Puis, je l’ai désigné de la main. « Noir ? » a-t-il proposé la bouche tordue dans un rictus, clairement dégoûté de la remarque raciste non sortie de ma bouche. « Beau », ai-je répliqué. Il s’en est figé de stupeur tandis que je suis devenue plus rouge qu’une tomate. Nous sommes restés comme ça, à quelques doigts l’un de l’autre, immobiles, statufiés puis il s’est jeté sur moi et nos bouches se sont embrasées.
Violine en cria de joie, un petit « hi » joyeux ultra mignon.
- — Ça a été la meilleure baise de ma vie, assura Brigitte.
- — Dans ce bureau ? Au boulot ?
Les lèvres de Brigitte se sont étirées à ce doux souvenir.
- — Au départ, ça a été sauvage, bestial, une manière de nous venger de l’autre.
Violine haussa un sourcil interrogateur.
- — Moi, de mes nuits d’insomnies, d’angoisses, de terreurs infondées. Lui de cette connasse qui s’apprêtait à aller porter plainte contre lui pour harcèlement, risquant ainsi de détruire sa vie.
Violine hocha la tête.
- — Nous avons évacué notre colère, notre ressentiment, notre tristesse, nos angoisses. Mon bureau aurait été réduit en cendres si notre feu intérieur s’était matérialisé. Une fois l’incendie éteint par nos sécrétions, la tendresse a remplacé la fougue. Nos mains ont effleuré le corps de l’autre, le découvrant timidement. Nous nous sommes sentis, goûtés, caressés, dans des gestes d’adolescents timides, nos épaules détendues, lisant dans le regard de l’autre le pardon et la honte d’un quiproquo qui aurait pu tourner très mal. Finalement, on a baisé une dernière fois, un quatre mains composé avec brio, chacun osant exposer sans crainte ses envies, ses besoins, écoutant ceux de l’autre sans juger, s’accordant un peu plus à chaque mesure, rebondissant sur les variations et changements de tonalité de l’autre.
Violine souriait pleinement.
- — « Toujours désireuse de poser ta démission ? », m’a-t-il demandé tandis qu’il caressait mes cheveux, allongé nu près de moi dans le même état sur le parquet maintenant chaud. « Ça dépend, monsieur le RSSI » ai-je répondu – ben oui, je ne connaissais toujours pas son nom.
Violine explosa de rire.
- — Quoi ? s’énerva Brigitte. J’aurais dû le lui demander entre deux coups de bite ? Au fait, machin qui me défonce aussi merveilleusement, tu t’appelles comment ?
Violine en rit de plus belle.
- — Bref, je lui ai demandé s’il comptait qu’on se revoie ou si cette baise n’était qu’une manigance pour m’obliger à oublier mon désir de porter plainte. Il m’a assuré n’avoir rien prémédité. Quand je lui avais révélé mon ressenti ce soir-là, à la soirée, il n’en avait pas dormi du week-end. Il trouvait toujours exagérés les procès pour harcèlement mais il avait été touché par mes mots dont il n’avait jamais douté de la sincérité. Sauf que lui ne cherchait qu’à faire son travail, sans se douter des répercussions. Après tout, il m’avait simplement demandé de changer de mot de passe et envoyé une vidéo à l’ensemble du personnel. Il avait fait son travail sans penser une seule seconde que quiconque puisse s’en trouver mal. Ça l’avait beaucoup fait réfléchir. Il m’avoua avoir été blessé par mes propos, surtout parce qu’il avait vu en moi quelqu’un de spécial au premier regard. Mes accusations l’avaient anéanti.
La mâchoire de Violine se serra.
- — Il a poursuivi plus légèrement : « Aucun quiproquo ne fut résolu de manière plus agréable ». J’ai ricané. J’ai insisté. Je voulais savoir si cette baise n’avait été que cela, une manière agréable de régler un malentendu ou s’il comptait renouveler des interactions avec moi. Il m’a invitée à dîner le soir même. J’ai posé ma démission.
- — Pourquoi ? demanda Violine.
- — Je ne pense pas qu’il soit bon de mélanger sexe et travail.
- — No zob in job ? proposa Violine.
- — C’est ça, confirma Brigitte. Il était dans cette entreprise depuis trois ans. Je venais d’y entrer. La quitter ne me dérangeait pas. J’ai retrouvé facilement.
- — Ici ? supposa Violine.
- — Non, j’ai fait plusieurs boîtes depuis. La première, j’ai dû la quitter prématurément parce que l’ordinateur du PDG a été hacké. Le boss changeait de mot de passe mais ils étaient tous formés sur le même modèle. L’agresseur n’a pas eu de difficulté à comprendre le schéma. Mon mari n’a pas arrêté de chambrer le RSSI. C’est son travail de s’assurer que les consignes sont respectées, quitte à devoir faire défiler la Pat Patrouille jusqu’à ce que le récalcitrant s’exécute.
- — Vous êtes toujours ensemble ? interrogea Violine.
Pour toute réponse, Brigitte montra la bague à son doigt. Violine sourit. Brigitte était heureuse d’avoir enfin pu en parler avec quelqu’un. D’habitude, Brigitte se contentait d’un « On s’est rencontrés au travail, à une soirée cohésion » ce qui, certes, n’était pas faux mais ne reflétait pas non plus l’intégralité de la situation. Brigitte sortit du bureau, laissant la jeune changer son mot de passe en toute intimité. En parler lui avait fait du bien. Elle retourna travailler, un doux sourire aux lèvres.