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Temps de lecture estimé : 16 mn
24/05/24
Présentation:  Quand on est pro, il n’y a jamais de problèmes, tout baigne.
Résumé:  Raphaëlle rencontre Françoise.
Critères:  hotel douche pastiche humour
Auteur : Charlie67            Envoi mini-message

Projet de groupe : Sept auteurs pour le septième art.
Tout baigne.

Ce soir, dernière projection officielle, dernier film à tenter sa chance pour décrocher une palme.


Demain au cours de la soirée de clôture, après Meryl Streep, c’est au tour de George Lucas de recevoir une Palme d’or d’honneur pour l’ensemble de son œuvre.


Tout le monde attend la reine de la soirée, selon son habitude, elle se fait désirer. Enfin une grande limousine blanche arrive au bas du tapis rouge, elle en descend élégamment au bras de l’acteur principal pressenti pour le prix d’interprétation masculine.


Cette soirée attire de nombreuses célébrités venues bronzer sur la croisette, ou faire la fête sur l’un des yacht qui encombre la baie de Cannes. S’attardant plus qu’il ne faut, mitraillées par une nuée de photographes, toutes espèrent faire la une des journaux de mode. Au bras de leur chevalier servant, les dames portent des robes immettables, prêtées pour l’occasion par les grands couturiers, robes au décolleté profond laissant entrevoir leur nombril.


Dans la salle, chacun a trouvé sa place, les conversations vont bon train. Un observateur indiscret aurait remarqué que la réalisatrice tient la main de son voisin… Mais chut ! La projection va bientôt commencer.


De notre envoyé spécial Patrick Paris en direct de Cannes pour BaiseFM TV



Tout baigne !



Raphaëlle Turin souleva légèrement le rideau et regarda la rue en enfilade, c’était parfait ! À six cents mètres, elle voyait le parvis du palais de justice. Le procès allait durer huit jours et à raison d’une entrée et d’une sortie par jour, il y avait toujours des possibilités. Le témoin gênant n’allait pas le rester longtemps, gênant ! Son fusil PGM Hécate II, était sagement démonté dans sa valise et n’attendait qu’à entrer en action.


C’était un contrat facile et grassement rémunéré. Normal, car avec elle, aucun problème, aucune anicroche. Tout se déroulait toujours comme sur un tapis de velours. Une affaire comme celle-là ne dérogerait pas à la règle. Toutefois, en bonne professionnelle du crime, Raphaëlle prit toutes les dispositions pour que tout soit parfait. Elle avait changé sa coupe de cheveux et adopté un sage carré auburn très soft et conforme à la femme d’affaires qu’elle voulait paraître. Elle avait juste mis des lentilles qui lui donnaient un regard d’un vert éclatant, sachant que ce sera la seule chose que ses interlocuteurs retiendront d’elle. Les balisticiens mettront plusieurs jours, voire plusieurs semaines avant de trouver le point de tir, largement le temps pour que d’autres clients viennent brouiller les pistes ADN, ADN qui de toute façon était pour le moment inconnu…


Tout baigne !


La chambre de cet hôtel n’était certes pas d’un confort mémorable, mais là n’était pas la question. Il fallait avoir le meilleur angle de tir et le reste importait peu. Cette literie grinçante et cette propreté douteuse n’étaient pas pour la rebuter. Tout était dans la ligne de visée, tout était dans l’accomplissement du contrat et l’encaissement de la deuxième moitié du montant convenu.


Rassérénée et sûre d’elle, Raphaëlle s’étendit sur le lit pour goûter un repos bien mérité et de calmer ses paramètres internes pour être au top avant une intervention de précision et tout de même toujours à haut risque.


Les premiers grincements provenant de la chambre voisine l’alertèrent tout de même. Que se passait-il à côté ? Peu lui importait, car le maître mot, dans son métier, était : pas de vagues. Il semblait tout de même que quelqu’un souffrait ou ahanait, elle n’arrivait pas à distinguer. Quand un gros bruit de chute survint, elle comprit qu’il y avait un sacré problème.


Se cacher n’aurait servi à rien, il fallait aller aux renseignements et éventuellement prendre les mesures palliatives. Dans le couloir elle rencontra le concierge, tout aussi alerté par le bruit. Son anxiété était d’ailleurs exacerbée par une coulée d’eau provenant de la chambre suspecte.



L’ouverture de la porte fit sourire la tueuse, car on voyait dans cette chambre une jeune femme en bien piètre position. Si en règle générale cette personne devait probablement avoir fière allure, là, ce n’était plus le cas. Assise au sol, devant la douche, elle recevait de celle-ci un jet continu qui la faisait dégouliner piteusement. C’est bien plus le collant noué autour du cou et le fatras de la tuyauterie et du rideau de douche qui la revêtait qui étaient comiques. Manifestement les deux intervenants étaient face à une tentative de suicide avortée.


Là aussi : Tout baigne !


L’hôtelier se précipita pour minimiser les dégâts et arrêter l’écoulement d’eau. Une fois cela fait, il laissa libre cours à sa colère :



Cette dernière répartie fit sortir Raphaëlle de sa béatitude bienheureuse et son sourire s’effaça immédiatement. Évoquer la présence de la maréchaussée n’était pas la chose la plus agréable à ses oreilles. Elle prit donc les choses en main :



Le ton de Raphaëlle était sans appel. Elle revint rapidement avec son sac en bandoulière. Elle en extirpa un billet de cinquante €uros, qu’elle tendit à l’employé.



Une fois le loufiat disparu, Raphaëlle demanda :



Elle se rendit vite compte que ce n’était vraiment pas la question à poser, car l’ex-suicidaire partit dans une narration de sa vie, enfin surtout de son dernier amour. Il en ressortait surtout que la naïve Françoise avait donné sa virginité et sa candeur à un connard. Rien qui ne justifie de se suicider aux yeux de la tueuse. Elle reprit donc d’une voix assurée :



« Ce n’est pas gagné, se disait Raphaëlle », mais au moins, elle s’était calmée. Elle s’apprêta donc à quitter cette chambre pour rejoindre la sienne, quand Françoise courut après elle et l’interpella :



Elle la regarda et les larmes lui montèrent aux yeux, dans un sanglot, elle reprit :



Raphaëlle commençait à en avoir ras le bol de cette histoire, mais ne pouvait pas laisser déraper la situation. Une défenestration ne manquerait pas d’attirer l’attention et son maître-mot était :


Pas de vagues, tout baigne.



Raphaëlle réfléchit cinq secondes et se dit que de toute façon son téléphone à la carte prépayée était intraçable, donc pas de problème.


Tout baigne.


Après avoir composé le numéro du Roméo et avoir attendu quelques sonneries, elle entendit un suave et gouleyant :



Légèrement excédée, Raphaëlle raccrocha et dans la foulée rassura Françoise sur le devenir de son amour. Ceci fait, elle retourna prestement dans sa chambre pour observer l’évolution de la situation devant le tribunal. Des forces de police se déployaient et faisaient maintenant un rideau de sécurité. L’arrivée du témoin sensible n’allait probablement pas tarder. C’est sur cette constatation que le téléphone fixe de sa chambre tinta.



Le concierge n’avait pas raccroché et le temps commençait à sembler long, quand il reprit :



Elle raccrocha le téléphone et se concentra à nouveau sur la rue. Il n’y avait pas d’agitation particulière, le public ne s’était pas intéressé plus que cela à l’évènement. Ce ne seront pas les quelques badauds qui poseront problème. C’est ainsi, concentrée sur son objectif, qu’elle ne remarqua pas que sa porte s’entrebâillait et qu’une tête apparaissait. Elle se reprocha immédiatement cette carence de vigilance qui n’était pas dans ses habitudes.



Ladite Françoise se tordait les mains, à se demander si elle n’allait pas se démettre une phalange. L’incertitude se lisait sur son visage.



Raphaëlle réfléchit avant de répondre. Elle s’avança vers son interlocutrice, concentrée, axée sur une réponse cohérente et compréhensible.



La jeune désespérée commença à avoir des hoquets et bientôt les grandes eaux inondèrent ses jolis yeux. Malgré des spasmes vocaux, elle réussit à articuler :



Raphaëlle réfléchissait à la meilleure façon de se débarrasser de la gêneuse et ne trouva pas. La situation était loin d’être critique, le timing laissait encore une bonne marge.


Tout baigne.


Il fallait donc s’occuper de cette emmerdeuse et faire en sorte qu’elle ne la gêne plus. C’est sur ces entrefaites que le téléphone fixe tinta à nouveau. Le concierge l’interpella.



Mais le concierge avait déjà raccroché.


Cette situation commençait à porter sur les nerfs de la malfrate. Et c’est bien sûr un Albert plus vrai que nature qui se présenta à sa porte.



Se rendant compte qu’il fallait faire des concessions, elle lui laissa miroiter des ouvertures.



Raphaëlle se demandait tout de même où elle était tombée, mais improvisa une réponse :



Ledit Albert se précipita dans la chambre contiguë et entreprit une cour assidue de Françoise. La tueuse retourna à son poste d’observation, mais en fut rapidement distraite par un nouvel appel téléphonique.



L’attente ne fut pas longue, un homme entre deux âges et en uniforme se présenta à la porte de la chambre.



Elle se dit que ce problème ne serait pas simple à résoudre, mais elle y arrivera, il suffisait de réfléchir. C’est à ce moment que l’on entendit des bruits curieux provenant de la chambre voisine. Il y avait des « Oh » et des « Ah » assez évocateurs.



Les bruits se firent récurrents et étaient de plus en plus explicites… Certaines paroles traversaient les murs.



Cette situation donna une idée à Raphaëlle pour régler son problème avec le policier. Elle l’interpella :



Le mariage n’avait pas l’air de déranger le policier plus que cela et l’invite de Raphaëlle semblait l’agréer. Elle le tira donc par le bras pour le positionner près du lit. Une fois qu’elle jugea l’angle satisfaisant, elle se fit chatte et câline, les yeux dans les yeux. Elle l’hypnotisait de son regard et tel Kââ, le serpent du livre de la jungle, elle lui susurrait implicitement « aie confiance, aie confiance ». Elle passa un bras autour de son cou et de son autre main, elle flatta sa gorge à la recherche d’un point précis. Une fois cet endroit trouvé, elle appuya fortement provoquant la syncope instantanée de l’homme. La chute ayant été parfaitement calculée, il s’affala, inanimé sur le lit. « Une bonne chose de faite, se dit-elle ».


Tout baigne.


Comme, côté palais de justice, les choses commençaient à s’agiter, elle sortit sa valise de sous son lit, l’ouvrit et commença à monter son fusil. Elle fut interrompue par la sonnerie du téléphone.



Calmement elle reprit son travail de montage de l’arme. De toute façon il fallait être calme, on ne loge pas une balle entre les deux yeux d’une cible à six cents mètres sans être du plus grand calme. Sur sa montre connectée, elle vérifia ses paramètres, tension, rythme cardiaque. C’était un peu élevé, mais elle allait se calmer, zen, cool.


Tout baigne.


Un grattement à la porte de sa chambre réenclencha sa vigilance. Elle demanda :



Raphaëlle soupira fortement se disant : « Mais qu’il est con… », puis se dirigea vers la porte et ouvrit.



Quel con ! réitéra-t-elle en pensée.



Entrant dans la chambre, Albert fut interloqué par la présence d’un policier inconscient sur le lit.



Elle l’aligna avec le policier, puis lui appliqua les mêmes méthodes qui, bien sûr, eurent les mêmes effets. Il y avait maintenant deux gugusses alignés sur son lit. Elle inspira fortement et se calma, zen, cool.


Tout baigne.


Elle entrouvrit le vantail de la fenêtre pour y glisser son fusil, à travers sa lunette de visée, elle détaillait parfaitement la scène. Le fourgon de police arrivait au bout de la rue, il allait bientôt s’arrêter devant le parvis du palais de justice et elle allait tuer la cible. Elle ne connaissait pas son nom ni les motivations de ses commanditaires. Elle avait un contrat à exécuter, c’est tout. Elle contrôla sa respiration, épaula l’arme, se concentra, se vida la tête de tous ses soucis, ne pensa qu’à son objectif, zen, cool.


Tout baigne.


La porte de sa chambre fut ébranlée par un tambourinement continu. Des vociférations vinrent en rajouter à cette excitation soudaine.



Elle ouvrit la porte à une Françoise au bord de l’hystérie.



Françoise regardait la situation, somme toute assez insolite. Elle détailla le fusil sagement posé près de la fenêtre, puis les deux corps avachis sur le lit. Elle partit d’un grand et très sonore :



Ce faisant, Françoise saisit une poterie, décoration ringarde de la chambre, et la projeta sur Raphaëlle. Celle-ci esquiva facilement, mais l’objet finit sa trajectoire en fracassant une des vitres. L’effet sur le service de sécurité fut immédiat. Le témoin fut cloîtré dans le fourgon blindé et une double colonne de CRS s’avançait en direction de l’hôtel. Échapper à plus d’une cinquantaine de policiers était plus qu’aléatoire. La seule réflexion qui vint en tête de Raphaëlle fut :




***



Dans sa prison, la tueuse prenait sa douche. Elle ne désirait pas faire de vague et prêcherait le quiproquo. Bon, l’avocat devrait être bon, même excellentissime pour faire avaler ce genre de fadaise. Se savonnant copieusement, elle réfléchissait au meilleur moyen de se sortir de cette mauvaise passe, quand une voix l’interpella.



Joignant le geste à la parole, Françoise entreprit cette ascension en s’agrippant à tous points d’appui et notamment à cette canalisation. Cette dernière, bien entendu pas conçue pour la varappe, se brisa et émit un jet puissant.

Raphaëlle le reçut en pleine poitrine et se retrouva, hébétée, assise au sol. Regardant l’eau monter inexorablement le long de ses cuisses, elle ne put que se dire :


Tout baigne !



***



Comme il faut rendre à César ce qui lui appartient, ce petit texte sans prétention a été très, très, très librement inspiré d’un film réalisé par Edouard Molinaro d’après un scénario de Francis Veber.

Ce film avait notamment été magistralement interprété par Lino Ventura et Jacques Brel.