n° 22553 | Fiche technique | 7216 caractères | 7216 1239 Temps de lecture estimé : 5 mn |
31/07/24 |
Résumé: rhoooo ce cerveau qui nous joue des tours | ||||
Critères: #humour #délire #nonérotique #sciencefiction | ||||
Auteur : Pitziputz Envoi mini-message |
Collection : Absurdités du futur |
J’aime beaucoup le dimanche.
C’est un bon jour pour les insomniaques et les retraités ; un bon jour sans impératif de sommeil à rattraper. Les premiers se promettent une sieste, tandis que les seconds peuvent ne rien en faire sans arrière-pensée.
Je suis un pur produit des deux catégories ; disons que je suis un jeune sexagénaire en pleine force de l’âge, ancien coureur de semi-marathon, ancien vendeur de véhicules utilitaires, ancien agent d’assurances-vie, ancien représentant de café et, en dernier lieu, ancien employé de banque gentiment invité à prendre un repos bien mérité.
Je me suis mis à la voile et au golf, je ne suis plus marié.
Le dimanche donc, je me promène le matin de bonne heure et je m’arrête chez Sylvie. Elle tient une gargote au bord du lac et régale ses clients de cake et de presse dominicale qu’elle commente avec force de lieux communs.
Je m’y rends toujours avant l’ouverture, pour fuir l’endroit dès l’arrivée de la horde des familles venues jouer au minigolf sur le parcours improbable, dont Sylvie a fait l’emblème de son établissement.
J’entre par la porte de derrière, celle qui donne sur son appartement. Elle m’ouvre dans son peignoir rose bonbon, celui qui ne cache rien de son embonpoint. Ses cheveux me rappellent la gerbe de blé qui trônait au centre de la table de la salle à manger de ma marraine Carole ; même les frisettes ne parviennent pas à les animer. Le ruban de satin vert lui aussi semble emprunté au bouquet. Tandis qu’elle s’écarte pour me laisser passer, je me fais la réflexion que ses gros seins lourds eux, en revanche, sont très mobiles.
Tandis qu’elle disparaît dans sa salle de bain de poche, je me déshabille en prenant soin de rabattre mon pantalon sur le pli, et me couche dans son lit. Les draps sentent toujours la lessive. Tiens, aujourd’hui l’édredon est orange.
Le coït est sans histoire, sans fioritures. Elle se lève toujours avant moi.
Tandis qu’elle disparaît, je me rhabille et reprends le même chemin. Je contourne la bâtisse et m’installe sur la terrasse. Le café m’attend.
Or donc, comme chaque semaine, je m’apprêtais à prendre congé quand un petit article de la rubrique « étranger » attira mon regard. Kim Jong-Un, le dirigeant nord-coréen annonçait urbi et orbi qu’il avait baissé son handicap et invitait les golfeurs du PGA, l’association regroupant les meilleurs professionnels, à un tournoi richement doté à Pyongyang. Le bougre n’était plus à une absurdité près, mais je continuais à m’étonner de l’écho donné à ses délires par une presse avide de ses extravagances. J’en étais là de mes réflexions quand un gamin me tapota l’épaule.
Je bougonnais, mais finis par me lever. Aller chercher Sylvie n’allait quand même pas ruiner ma journée.
Elle n’était nulle part et j’allais tout simplement m’en aller quand j’entendis un son étouffé sous mes pieds. Nous étions sur le parcours, et la terre près du trou numéro trois semblait fraîchement retournée. Surpris et un peu curieux, je me rapprochai et ressentis dans mes os, plutôt que je ne l’entendis, un cri bien perçant qui me remonta le long de la moelle épinière, et avant que je ne puisse réagir, je fus aspiré dans ce qui me parut être sur le moment un énorme trou de ver.
Je repris conscience, étendu sur une pente sablonneuse. Sylvie était accroupie à mes côtés, sa robe en viscose était tachée et en partie déchirée, dévoilant de manière fugace une culotte couleur framboise écrasée. Avais-je déjà vu ses sous-vêtements ? Quoi qu’il en soit, elle était livide et au bord de la crise cardiaque.
Où, quoi, furent les seuls mots intelligibles que je parvins à articuler. Elle poussa de nouveau un cri strident pour seule réponse à ma question et au missile qui venait d’exploser à moins d’une centaine de mètres de notre position. Pas le temps d’essayer de comprendre. Je lui touchai l’épaule et lui montrai une sorte de charrette derrière laquelle nous rampâmes tant bien que mal. Sylvie – ou était-ce un nouvel engin explosif, je ne saurais le dire – me vrillait le tympan gauche, lorsqu’une sorte de gros hélicoptère sans hélice que je n’avais jamais vu se posa non loin de nous. Son sigle attira tout de suite mon attention. Était-ce du chinois, du japonais, du vietnamien, c’était asiatique en tous cas sans pouvoir en dire plus.
Que diable ! Où avions-nous échoué et par quelle supercherie diabolique ? Qui était cet enfant que j’avais suivi si imprudemment.
En haussant le regard je vis au loin, mais ne l’identifierai que plus tard, le Palais Gyeongbokgung, tout un symbole en train de s’envoler en fumée.
Personne ne sortait de l’aéronef. Sur le champ de bataille, aucun homme, aucune femme. Que des explosions encore des explosions. Notre charrette ne nous protégeait pas et je me mis debout, dans un vain espoir de retrouver la normale. Tout cela n’avait aucun sens.
Aussitôt, le bruit se tut dans un cessez-le-feu improbable, et une trappe s’entrouvrit dans l’hélicoptère amputé pour laisser le passage à une escouade qui nous ceintura et nous emmena avant même que Sylvie n’ait repris sa respiration entre deux cris.
Nos interrogateurs étaient nord-coréens. Quand ils saisirent que nous ne les comprenions pas, ils se munirent d’un appareil de traduction simultanée et après avoir essayé diverses langues, parvinrent à articuler la question : « Que faites-vous à Séoul ».
À Séoul ? je n’essayai plus de cacher ma stupeur. Sylvie elle, s’était évanouie, ce qui laissait du répit pour penser.
Au fil des questions et des réponses, j’eus la sensation, sans trop y croire, que nous avions fait un bond de cinquante ans dans le futur et étions tombés en plein déploiement de troupes nord-coréennes lassées d’attendre de la Corée du Sud qu’elle obtempère.
J’étais stupéfait, pas tant en raison de ma présence incongrue dans cet endroit et des risques certains que j’y courais, mais parce que nous faisions un remake de la guerre de Corée cent dix ans plus tard, me laissant découragé et anéanti.
Dans les films de mon époque, les héros prennent sur eux et cherchent à s’en sortir par tous les moyens, mais moi, non. J’étais fatigué, retraité et résigné à mon sort, quel qu’il fût.
Je regardais hagard le visage masqué de mon interlocuteur. Il avait les yeux bridés. Je lui posai alors la seule question qui me tarabustait :