n° 22572 | Fiche technique | 61535 caractères | 61535 10219 Temps de lecture estimé : 41 mn |
11/08/24 |
Résumé: Au début du XXIIe siècle, l’humanité a annihilé les principaux fléaux qui ont ravagé et faillit détruire la planète au cours des deux derniers siècles, la pollution, la surpopulation, les guerres et la criminalité, grâce au programme Wargame. | ||||
Critères: #sciencefiction fh | ||||
Auteur : Laetitia Envoi mini-message |
Projet de groupe : Fantasme olympique |
Au début du XXIIe siècle, l’humanité a annihilé les principaux fléaux qui ont ravagé et faillit détruire la planète au cours des deux derniers siècles.
La pollution d’abord, grâce aux avancées technologiques. Toutes les productions humaines sont devenues propres et écologiques. Les quelques déchets résiduels et incontournables sont recyclés ou stockés sur la Lune. La dégradation climatique s’est vite inversée.
Les autres maux qui infestaient la planète et menaçaient l’humanité, les famines, la surpopulation, les guerres, la violence et la criminalité ont été stoppées, grâce au programme Wargame.
Depuis 2096, tous les quatre ans, les principaux pays, rassemblés en cinq blocs s’affrontent dans une série d’épreuves sportives, le Wargame. Les deux blocs finalistes se retrouvent pendant l’été dans l’épreuve finale, la « Course des Héros ».
Proportionnellement aux résultats obtenus pendant les éliminatoires, les deux blocs finalistes envoient un nombre de participants en finale.
Les « Héros » sont des champions, surentraînés, dopés, auxquels on a implanté des « extensions » autorisées par le Comité du Wargame, comme un émetteur-récepteur leur permettant de dialoguer avec leurs entraîneurs, ou des injecteurs de produits calmants ou excitants à distance. Ils vont s’affronter lors des éliminatoires et lors de la Course finale, devant des foules immenses, au cours d’épreuves mortellement piégées où à peu près tous les coups sont permis.
La pénalité pour les blocs non qualifiés et pour celui qui perdra la finale ? Dix millions de morts à partager entre les perdants. Comment sont choisis ces sacrifiés ? Parmi les délinquants, les subversifs, les déviants auxquels on aura implanté dans le cerveau un mini-bombe réglée pour exploser dès les résultats connus.
La plupart des pays de la planète ont rejoint un des cinq blocs. Du moins, les plus importants ou les plus influents. Les pays restants, dits neutres, ne participent pas. Mais ils sont sous surveillance étroite des blocs.
Les cinq blocs se décomposent ainsi :
Dallas, Texas, avril 2124
Près de cent mille spectateurs pouvaient prendre place dans le grand amphithéâtre de Dallas. Mais il était possible d’en entasser trente mille de plus en n’étant pas trop regardant sur la sécurité. C’étaient donc près de cent trente mille personnes qui s’y trouvaient rassemblées. D’ailleurs, un mouvement de foule avant l’ouverture du stade avait provoqué plusieurs centaines de morts et quelques milliers de blessés. Cela n’avait pas empêché les gens de s’entasser dans les gradins pour assister à la finale de Pancrace Moderne des éliminatoires du Wargame.
Ce sport avait été introduit au Wargame en 2114. Il s’inspirait du sport de combat pratiqué par les Grecs, lors des Jeux Olympiques Antiques. La version moderne était un mix entre le Pancrace originel qui permettait d’utiliser les pieds et les poings et de pratiquer toutes les techniques et le Pugilat, plus violent, où tous les coups étaient permis (yeux, parties génitales par exemple). Un sport complet, qui permettait d’échanger des coups debout, mais aussi au sol.
L’énorme foule était constituée aux trois-quarts des supporters du camp américain, reconnaissables aux t-shirts ou chapeaux publicitaires de couleurs blanches. La colonie bleue, représentant le Bloc Euro-Libéral s’était regroupée sur les gradins supérieurs à gauche de l’arène. Les bleus minoritaires menaient tout de même un sacré tapage, et manifestaient bruyamment leur dépit après la défaite de leur pancratiaste, Rocket Domino, au tour précédent qui s’était fait massacrer, le terme n’était pas trop fort. Tous les espoirs du camp bleu résidaient maintenant entre les mains (et les poings) de Vic Paradox, leur champion, qui allait affronter Sly Quil, le champion américain. Quelques échauffourées avaient d’ailleurs éclaté entre les supporters des deux camps, à la périphérie du groupe des bleus. Les robots de maintien de l’ordre et les commissaires du Wargame avaient sorti leurs matraques létales et tout était rentré dans l’ordre. On ne dénombrait qu’une cinquantaine de morts seulement dans les gradins.
Le Bloc Euro-Libéral était donc au pied du mur. Une victoire étant obligatoire pour eux, afin de se qualifier pour la grande finale du Wargame, « la Course des Héros », qui aurait lieu au mois de juillet. Une défaite et c’est le camp américain qui affronterait le Bloc Slave, déjà qualifié.
Le vacarme, déjà assourdissant, atteignit son paroxysme quand le speaker annonça l’entrée des combattants, Vic Paradox et Sly Quil. L’un par la porte ouest, l’autre pas la porte est. Suivis de leurs entraîneurs et de leurs soigneurs, les deux combattants se dirigèrent vers la cage, un cube de plexiglass hermétiquement fermé quand le combat débutait et qui ne se rouvrirait que lorsqu’un des deux protagonistes abandonnerait le combat, ou serait inconscient. Même si certains belligérants décédaient à posteriori de leurs blessures, les cas de mort dans l’arène étaient relativement rares.
Les spectateurs hurlaient, trépignaient, vociféraient. Visages grimaçants, que l’excitation déformait, braillements, cris, injures, encouragements se multipliaient dans les gradins. Des spasmes secouaient les corps, les pupilles se dilataient sous l’effet de l’absorption d’alcools ou de drogues légales ou illégales. Les projecteurs balayaient la foule, l’inondant de lumières crues qui se mirent à tournoyer, comme si la folie avait gagné elle aussi les machines. Les clameurs des gradins se mêlèrent à la voix du speaker crachée à pleine puissance par les haut-parleurs.
De nouveaux heurts se déclenchèrent dans les tribunes, vite arrêtés par l’annonce de l’imminence du début du combat.
Le vacarme ambiant se calma un peu, lorsque la voix du speaker annonça que les éliminatoires avaient coûté deux cent cinquante mille vies au camp bleu, au tour précédent et huit cent mille vies pour le bloc Sino-Communiste éliminé par le Bloc Slave dans l’autre demi-finale.
Vic Paradox se tenait droit face à son adversaire. Derrière lui, Nix Paragon, son entraîneur, avec qui il était relié par un système-radio implanté dans son cerveau, avait pris place au bord du cube. Il était accompagné de Desirae Mirage la psycho-coach, qui analysait en direct les réactions du champion et de son adversaire, ainsi que des soigneurs et du dopeur. Ce dernier avait fait à Vic une série de piqûres une heure avant le combat. La voix tranquille, posée de Nix lui emplit la tête :
Vic fit un geste de la main vers son entraîneur, lui confirmant qu’il avait reçu le message et que le récepteur dans son crâne fonctionnait correctement.
Il poussa ensuite un grognement rageur pour se libérer un peu de la tension. Même s’il savait que son staff était là et ne l’abandonnerait pas, il allait se retrouver seul face à la brute épaisse qu’était Sly Quil. Il le dominait d’une tête et de quelques dizaines de kilos. Un monstre… Match inégal ? Oui, mais c’était la règle du jeu. Le fait qu’il n’y ait pas de règles justement. Et ce que Vic rendait en force brute et en puissance, il le gagnait en rapidité et en explosivité. Tout de même, cent-quarante kilos de chair et de muscles hyper développés aux anabolisants, il y avait de quoi être impressionné. Vic, malgré son mètre quatre-vingt-dix et ses cent kilos paraissait fluet à côté de Sly. Les mots d’apaisement de Nix Paragon firent mouche. Il se remobilisa. Il se dit que finalement, il n’était pas seul, que son coach était là, qu’il saurait trouver les mots au bon moment, les mots dont il avait besoin. Toujours… Comment avait-il pu deviner qu’il commençait à s’énerver ? Parfois, Vic se disait que Nix était capable de lire dans ses pensées.
Il se mit à danser et à sauter sur place pour se calmer, mimant des coups de poing vers son adversaire. Sly Quil lui lança un sourire narquois.
L’arbitre annonça le début du combat. À peine, les combattants eurent enlevé leurs tenues à capuche que Sly Quil se précipita vers lui, cherchant dès le début du combat à l’entraîner au sol. Vic évita la charge et put donner un coup au menton de son adversaire au passage.
Oui, songea Vic, c’est ce que je vais faire, le laisser venir.
Au fur et à mesure du combat, Vic perdit toute notion du temps. Dans l’enceinte, il était incapable de penser au temps qui passe. Quarante-cinq minutes, cela pouvait paraître une éternité, mais en combat le temps passait comme un souffle. Cette distorsion temporelle était certainement due à l’absorption de dopes et de drogues.
Cinq minutes ? S’il restait cinq minutes, cela voulait dire qu’ils s’affrontaient depuis près de quarante minutes. L’ultime combat de finale de Pancrace se disputait en deux rounds de quarante-cinq minutes. Sauf, si le combat s’achevait par le KO ou l’abandon d’un des combattants. Si les deux protagonistes étaient encore debout à l’issue des deux rounds, on utilisait une procédure particulière, appelée le Climax, pour départager les adversaires. À tour de rôle, chacun des deux combattants assénait un coup à son adversaire, qui n’avait pas le droit de parer, ni même de bouger.
Vic sentit venir le gros Américain sur sa droite, plus qu’il ne le vit. Il sauta de côté en un quart de seconde. Le coup de pied de l’Américain glissa le long de sa cuisse et la semelle d’acier renforcé cogna sur son fémur et entailla la peau sur trente centimètres. Hormis ces chaussures, les belligérants combattaient nus, comme à l’époque de l’antiquité, le corps enduit de vaseline pour empêcher de donner prise à l’adversaire.
Vic plongea aussitôt pour utiliser le léger déséquilibre de son adversaire dû au coup qu’il venait de porter. Son poing toucha Sly Quil à la pommette. L’Américain hurla et cogna à son tour, touchant Vic à l’abdomen. Même s’il eut le souffle coupé, il eut le temps de sauter en arrière, ce qui atténua la puissance du coup qui lui aurait défoncé le sternum s’il avait porté complètement. Les muscles de son torse luisaient de sueur coulant sur la vaseline. Les deux adversaires reprenaient leurs souffles.
Vic se lança poing en avant.
Le coup porta et l’Américain recula en grognant, ruisselant de sueur et de sang, marqué à plusieurs endroits, le faciès déformé par la rage et les coups. La dernière blessure à la joue pissait abondamment, le sang tachait le sol du ring.
Le gong de la fin du round retentit, arrêtant Vic dans son élan pour porter un nouveau coup. Les yeux de Sly Quil devinrent vitreux, se fermèrent et il tomba en arrière les bras en croix. KO. Malgré le fait que le gong eut sonné, le combat était gagné et terminé.
Paris, avril 2124
À une époque, Ronin Aesis était ce que l’on pouvait appeler « un jeune homme bien », dans le moule du moins. Il en avait l’allure, svelte, une élégance raffinée et de bon ton. Il osait parfois des couleurs de cheveux audacieuses ou des vêtements pour suivre la mode, sans avoir l’air de s’en préoccuper. Ronin avait par exemple adopté la cravate lors de son retour en force à la fin des années 10 et l’avait abandonné dès le début des années 20, lorsque tout le monde la portait. Il était de ceux qui pouvaient passer à travers une bourrasque de vent, sans se préoccuper de se recoiffer ensuite, tant il arborait un détachement à toute épreuve. C’était un garçon affable, discret et courtois, toujours d’humeur égale, gardant ses soucis pour lui et privilégiant son efficacité dans son travail de courtier à la Bourse de Paris. C’était un homme de magazine en chair et en os, tels qu’on les voyait en regardant les spots publicitaires où les revues dématérialisées, destinées aux cadres d’entreprises. Un modèle de l’homme moderne du XXIIe siècle, en quelque sorte.
Il s’exprimait toujours de manière claire et accessible à tous, que ce soit à l’occasion de conversations privées, professionnelles, ou en public. Il ne ponctuait jamais ses propos de tics verbaux, comme « nonobstant », « superfétatoire » ou « du moins », même (et surtout) lorsqu’ils étaient à la mode, ce qui était le cas ces derniers temps. Il ne ponctuait jamais non plus ses phrases de « euh » à n’en plus finir.
Ronin Aesis était une image parfaite. Une caricature diraient certains. Mais Ronin avait un défaut, un seul. Il était loin d’être un idiot. Derrière son sourire « dents-blanches », il avait un cerveau et le faisait fonctionner. C’est ce qui le perdit. Parce qu’il avait fait fonctionner ses méninges, il était devenu un paria. Il était hors-jeu.
Le temps de l’arrêt du port de la cravate avant l’arrivée de la nouvelle mode, de l’élégance, des conversations cools avait pris fin six mois plus tôt.
Le meilleur des mondes comporte toujours deux faces, même si « ils » font tout pour que les gens n’en voient qu’une. La face « paradis » et la face « enfer ». Quand on se met à croire ou à penser autrement, la pièce se retourne et on se retrouve sur l’autre face du meilleur des mondes, à expérimenter le côté sombre, le côté enfer.
C’était donc l’enfer pour Ronin Aesis depuis six mois. Non seulement, il s’était mis à penser vers une direction « hors programme », hors des sentiers battus ou des voies asphaltées toutes tracées, mais et surtout, il avait voulu agir en accord avec ce nouveau mode de réflexion. Il avait joué, il avait perdu.
Le jeune homme bien sous toutes les coutures était mort six mois plus tôt, en recevant sa convocation de condamné pour le CJR, le Centre Judiciaire de Réadaptation de Lille VI. Il en était sorti deux semaines plus tard, hébété, portant la tenue jaune des condamnés et un implant dans le crâne.
Depuis, il subsistait temporairement dans les affres d’un enfer mou. En tant que condamné, il avait huit chances sur dix de mourir lors du Wargame en cours.
Il était avec les autres condamnés en résidence administrative, survivants entre deux vagues de peur, lorsque les résultats du Pancrace et la victoire de Vic Paradox, le champion du Bloc Euro-libéral furent annoncés. Il s’était levé avec des gestes de zombie pour se rapprocher de l’écran en même temps que d’autres condamnés pour écouter les hurlements du présentateur :
« Vainqueur, Vic Paradox, France, représentant le Bloc Euro-libéral. Un point de plus pour les bleus et une qualification pour la Course des Héros ! Fantastique ! Vic Paradox, notre héros a terrassé son adversaire… ».
Le présentateur, au bord de l’apoplexie, adressait encore ses félicitations au Champion, aux autres membres de l’équipe Euro-Libérale, aux dirigeants européens, principalement à la Haute Dignitaire Principale Merkel Layen, aux populations, aux spectateurs, aux condamnés-coupables, aux condamnés-innocents, le tout mêlé, lorsqu’il fut interrompu par une série de spots publicitaires. Puis ce fut la rediffusion des meilleurs moments du combat.
Les clameurs à l’extérieur de la résidence, dans la rue, tranchaient avec le silence pesant des condamnés, qui se voyaient accorder un sursis de quelques mois jusqu’aux prochaines épreuves. Il y eut bien quelques exclamations de joie, surtout de soulagement, mais c’était surtout le silence disant « pas encore cette fois » qui prédominait. Qui disait aussi « la compétition n’est pas terminée, il reste encore le verdict de la Course en juillet, ce qui signifie quelques centaines de milliers de morts dans un camp ou dans l’autre.
Munich, centre d’entraînement des champions, juin 2124
Vic Paradox se trouvait dans la salle de conférence du centre d’entraînement du Bloc Euro-Libéral, dans un château proche de Munich.
Les bleus avaient commencé leur préparation aussitôt leur qualification à la Course des Héros assurée.
Le Bloc Euro présentait six concurrents pour la finale. Le Bloc Slave quant à lui onze, un désavantage important. Le nombre de héros est proportionnel au nombre de points marqués lors des qualifications.
Hormis Vic Paradox, les autres héros étaient Ratio Copycat le Danois et Sabre Sparkle l’Egyptien. De l’autre côté de la table, se tenaient Abella Danger la Grecque, Moon Tragedy la Japonaise et Shadow Fox, la Finlandaise. Trois femmes et trois hommes donc.
Le parcours des héros comportait cinq épreuves qui s’enchaînaient sans temps de repos. Les concurrents participaient collectivement à toutes ces épreuves, le cinq kilomètres-embûches, la mêlée, le moto-combat, le lancer de javelot et la course à pied d’endurance (cent kilomètres).
La préparation de fond avait débuté, ainsi que le programme de dopage de base.
La cheffe du Comité Sportif du Bloc Euro-Libéral, Serenity Nébula entra dans la pièce, suivie du Manager Général Hex Locus, de Nix Paragon et des préparateurs psychologiques et physiques. Son intervention fut brève. Hormis les félicitations, les encouragements d’usage, il annonça aux Héros que prochainement, il serait en mesure de leur donner la composition exacte de l’équipe du Bloc Slave, alors que cela devait être tenu secret jusqu’à la veille du début de la compétition. La mise au point d’une tactique précise pour les cinq épreuves serait définie par les managers, ainsi qu’un entraînement spécifique pour chaque athlète et un programme de dopage et une prise d’anabolisants personnalisés. En l’attente, il leur demanda de continuer à se préparer au mieux. Il conclut son discours en annonçant qu’après un cocktail, une surprise attendait les six champions.
Il reprit la parole après quelques verres. Un divertissement sexuel avait été programmé pour les Héros. En fonction des préférences de chacune et chacun, des partenaires avaient été prévus pour la soirée. Ratio Copycat se vit attribuer une plantureuse femme brune aux seins et aux fesses spectaculaires, Sabre Sparkle, un jeune éphèbe. Vic Paradox, quant à lui, eut la joie de voir arriver deux jeunes filles, une rousse et une blonde, collées l’une à l’autre. Shadow Fox se vit offrir un homme bodybuildé, entièrement nu, le corps huilé, les muscles saillants et brillants. Il était doté d’un sexe de taille plus que supérieure à la moyenne. Abella Danger, la grecque, découvrit, à sa plus grande joie, deux hommes vêtus de pagnes. Enfin Moon Tragedy se passa la langue sur les lèvres en découvrant la jeune fille nue qui s’avança vers elle. Les héros se tapèrent les poings les uns contre les autres, ce que l’on appelait un check au XXIe siècle, avant de disparaître avec leur « cadeaux-surprise » dans leurs appartements privés.
Paris, juin 2124
La journée avait été chaude. Ronin Aesis était sorti en ce début de soirée pour prendre l’air. Alors qu’il déambulait à moitié dans ses pensées, un couple enlacé le croisa. L’homme était grand, sûr de lui. Le clone parfait de ce qu’il était, six mois avant. La femme était très maquillée. L’homme murmura quelque chose à la femme qui gloussa en le regardant.
Il fit mine de s’arrêter et de faire demi-tour vers eux.
Malgré son sourire en coin, il dut avoir réellement peur en croisant le regard de Ronin. Il s’en alla vivement, la femme le suivant à pas pressés. Ils se retournèrent plusieurs fois avant de s’engouffrer dans leur véhicule, comme s’ils craignaient que Ronin se lance à leur poursuite et les agresse. Au moment où le véhicule décollant à l’horizontal s’est élevé du sol, l’homme lui fit des signes en passant le bas par la vitre. Il lui cria des choses qu’il ne comprit pas.
La colère montée subitement en lui, était retombée aussitôt. Une sensation de lourd épuisement suivit. L’effet de son implant explosif qui réagissait quand il s’énervait. Une douleur sourde lui vrilla le crâne avant de disparaître. Ses yeux se brouillèrent de larmes. Il serra les dents, ne hurla pas comme dans les premiers temps où on lui avait implanté l’appareil. La douleur disparue en même temps que le calme le gagnait à nouveau.
Malgré ses efforts, il ne parvenait pas à ignorer les remarques et moqueries des citoyens libres, comme certains autres condamnés savaient le faire. Ceux qui avaient eu le temps de s’habituer et de vivre avec ça, ceux qui traînaient leur pénitence depuis un an ou plus. Six mois, c’était encore un peu juste pour l’indifférence.
La voix était douce et posée, le ton compatissant.
Ronin Aesis ferma les yeux. Il n’avait pas envie de discuter avec une autre condamnée, ni à perdre son temps en larmoiements. L’onde douloureuse était maintenant complètement estompée, laissant comme d’habitude une impression de vide dans son cerveau.
Ronin rouvrit ses yeux clos depuis que la vague de douleur lui avait vrillé le cerveau. Il fut surpris de voir la jeune fille devant lui. Une citoyenne libre ! Pas une condamnée comme il l’avait cru. Elle était grande et bien proportionnée, mince, mais pas trop, un visage ovale, une crinière de cheveux blonds et des yeux verts. Des yeux naturels, ou avait-elle changé leur couleur par un traitement ? Naturels à coup sûr.
La réaction de Ronin ne désarçonna pas la fille. Elle continua.
Elle semblait véritablement sincère, passionnée. Ronin la regarda un instant. À quoi rimait cette conversation stupide ?
Ronin était dégoûté, il avait envie de vomir.
Ronin leva la tête et vit que les yeux de Lumen étaient baignés de larmes. Elle ajouta :
Il planta là la fille et s’éloigna sans se retourner. Pas de picotements dans son crâne. Il commençait à bien maîtriser la puce qui l’habitait et surtout à juguler sa colère. Il traversa l’esplanade. Où aller ? Il n’avait aucune envie de retourner au dortoir des condamnés. Depuis six mois, il errait, tournait en rond, cherchant quelques visages et redoutant de les croiser, tout à la fois. Il s’arrêta devant une vitrine et y regarda son reflet. Puis il fit demi-tour et retourna vers le banc où la fille était toujours assise. Elle le regarda approcher, sans bouger, hormis un geste pour essuyer à nouveau ses yeux.
« Au moins, ça passera le temps », se dit-il.
Munich, centre d’entraînement des champions, juin 2124
Les six héros étaient à nouveau réunis dans la salle de conférence du château. Ditch Flux, le manager général entra accompagné d’une jeune femme.
Paris, juin 2124
Ronin Aesis était assis sur le canapé de Lumen Fortune. Il la regardait préparer son matériel, et notamment la caméra extra-miniaturisée, qu’elle posa face à l’iris sur sa cornée après avoir soulevé sa paupière inférieure.
Ronin se dit qu’elle était plutôt jolie. Non jolie tout court, pas plutôt. Cette évidence lui procura une sensation étrange. Depuis six mois, il avait oublié ces impressions de beauté. Il vivotait, survivait, en l’attente du dénouement. Cette émotion lui donna l’impression de vivre à nouveau, un mélange de peur, de bonheur et d’envie.
Lumen sourit pour dire qu’elle comprenait et que tout irait bien. Elle continua.
Lumen alluma une cigarette King Pharaon, contenant des hallucinogènes légers, produits interdits, mais tolérés par la justice.
Ronin tira une longue bouffée sur la cigarette. Il attendit, mais ne ressentit pas de douleur malgré le fait qu’il se livrait à une activité illégale. Son ange gardien somnolait. Il ressentit juste une sorte de lourdeur diffuse au niveau de la nuque.
Son ange gardien lui lança quelques picotements derrière le crâne. Il se tut quelques instants en essayant de penser à autre chose. Puis il tira une nouvelle bouffée de cigarette. L’ange gardien se rendormit aussitôt. Il reprit :
Il inhala encore une fois la cigarette, jusqu’au mégot. Lumen en alluma une autre et lui tendit.
Il y eut un moment de silence. Ronin reprit la parole :
Un nouveau silence envahit la pièce.
Lumen ôta la caméra de son œil. Elle enleva ensuite sa tunique et découvrit sa petite poitrine à Ronin. Elle s’approcha de lui et tendit ses lèvres vers les siennes. Ronin s’abandonna complètement, humant son odeur et embrassant son cou. Les mains de Lumen ouvraient le pantalon de Ronin. Six mois, sans ce genre d’envies disparaissaient, certainement un effet de l’ange-gardien.
Elle l’attira sur le lit se coucha dessus sur le dos et l’attira sur elle…
Pékin, juillet 2124
Les chiffres officiels pour le Wargame 2124, sont tombés. Lors des éliminatoires, quatre million neuf cent quatre-vingt-dix-huit mille cent vingt-sept condamnés ont été exécutés. Les Ordinateurs de l’Organisation Démographique des Nations Unies a prévu et recommandé un chiffre idéal de victimes d’environ sept millions. Pour la Course des Héros, le camp perdant donnera la vie d’environ deux millions de condamnés.
Les médias devenaient cinglés. C’était un déferlement de commentaires délirants, d’informations vraies ou fausses, de pronostics, d’analyses, d’indiscrétions, de débats, de rétrospectives sur les Wargames du passé. L’objectivité et la demi-teinte avaient été jetées aux orties. La simple raison agonisait depuis belle lurette face aux superlatifs les plus osés. La même tempête balayait les deux camps, ainsi que le reste du monde.
Les six héros, en file indienne, pénétrèrent sur le terrain au départ de la première épreuve de la « Course ». Les onze héros Slaves marchaient à leurs côtés. Les femmes, comme les hommes avaient le torse nu. Ils ne portaient qu’un pagne court.
Les bleus se rassemblèrent une dernière fois en cercle pour s’encourager. Puis ils ôtèrent leurs pagnes, pour se retrouver cette fois entièrement nus.
Vic Paradox, comme ses coéquipiers lançaient des regards de défis au héros du camp adverse.
Les deux groupes se placèrent sur la ligne de départ des cinq kilomètres-embûches, la première épreuve de la Course des Héros.
Paris, juillet 2124
Ronin Aesis était couché. Lumen était dans la salle de bain, sous la douche. Plus de six mois qu’il n’avait pas touché le corps d’une fille. Grâce à elle, à son soutien, il recommençait à y croire. C’était un espoir un peu fou. Mais Vic Paradox, leur champion avait inversé les choses lors des éliminatoires. Tout semblait perdu et il avait hissé le Bloc Euro en finale. Ce fragile espoir n’avait cessé de grandir, d’enfler. Il avait une chance de sortir vivant du cauchemar. Vic Paradox n’était pas son seul espoir. Il y avait plus. Bien plus. La présence de Lumen à ses côtés. Elle l’avait choisi, parmi des dizaines de milliers de condamnés. Ils ne pouvaient pas tomber à la finale. Bien sûr, ils gagneraient, avec Vic Paradox et les autres champions bleus. On en était à la fin du Wargame, et jamais il n’avait pensé arriver si loin vivant.
Sa vie qui se scindait en deux parties, « avant » et « maintenant », voyait cette troisième partie émerger lentement des brumes, « demain ». « Avant », c’est quand il vivait sans problème, un cadre bien intégré, mais il vivait endormi. L’éveil avait claqué comme un coup de tonnerre. « Maintenant », c’est une période qui semblait mince comme un fil, mais longue et étirée. La période l’attente de la mort, prête à mordre à plein crocs. Tout ce que Ronin avait pu vivre comme bon moments « avant », prenaient une coloration ternie « maintenant ». Un univers entier s’était estompé, autour de lui, lui l’exclu, le condamné. Et là, l’espoir renaissait. Peut-être y aurait-il un « après », un « demain ». Comment serait-il ? Certainement pas comme « avant ». Impossible… Rien ne serait plus comme avant. Il savait…
Lumen sortit de la salle de bain, une serviette autour du corps et vint s’asseoir sur le bord du lit, le sortant de ses pensées. Ronin la désira violemment, brutalement, mais il ne fit rien d’autre que de répondre à son regard et à son sourire.
Pékin, juillet 2124
Sur la ligne de départ, la voix de Nix Paragon, son entraîneur, résonna dans le crâne de Vic Paradox.
Vic était concentré, attendant le top-départ. Il se souvenait vaguement de l’excitation qui le prenait lors des Wargames précédents, lorsque les héros pénétraient sur le champ. Aujourd’hui, il était parmi eux. Le monde entier le regardait. Cela ne lui provoquait pas d’émotion particulière, ni fierté, ni même de la nervosité. En tout cas pas d’excitation. Certainement l’effet de drogues que ses soigneurs-dopants lui avaient administré. Il se sentait juste sûr de lui, décidé. C’était pareil pour ses coéquipiers, il le savait. Ils avaient un travail à effectuer et ils allaient le faire.
La piste de sable damée était devant lui. C’est tout ce qu’il regardait. Il attendait le signal de départ du cinq kilomètres-embûches.
Le starter leva le bras. Il cria « Prêts ». Puis il donna le coup de feu du départ. Les athlètes des deux camps s’élancèrent.
Pas de surprise, c’est le camp slave qui a marqué le premier point à cette épreuve. Styx Cash, le meilleur coureur parmi les participants, est largement passé en tête à l’arrivée. Bien protégé par Rogue Bomb et Babe Venin, il avait été inatteignable pour les bleus. Pourtant, la situation n’était pas si mauvaise que ça pour le Bloc Euro-Libéral. Vic avait assommé Rogue Bomb, d’un coup de poing à la nuque deux cents mètres avant l’arrivée. Il ne s’était pas relevé et avait donc été éliminé. Pire pour le Bloc Slave, les embûches avaient été fatales à Ash Ballista. Tout le monde avait passé la première embûche sans encombre. Il s’agissait de deux énormes rouleaux qui tournaient chacun dans un sens, recouverts de picots. Il fallait sauter d’une plate-forme sur le premier rouleau, puis sur le second. Le risque était de tomber entre les deux rouleaux et d’avoir les os broyés. Pas de problème non plus sur la deuxième embûche, les plateaux pivotants. Si on chutait, la hauteur était de cinq mètres. Surtout, des pieux pointus parsemaient le sol en dessous. Irrémédiable ! Malgré une tentative de croc en jambe de la part d’une des deux jumelles, Viper Azure, peut-être, Vic avait passé sans problème l’obstacle. La troisième embûche était une haie d’un mètre cinquante de haut. Les coureurs avaient la possibilité de passer au-dessus ou en dessous. Une fois sur dix, une lame acérée sortait de la haie, soit au-dessus, soit en dessous. Les concurrents avaient donc une chance sur vingt, selon leur choix de se faire découper par la lame. L’obstacle fut fatal à Ballista. Il sauta par-dessus l’obstacle, la lame le traversa et il s’écroula dans le sable de la piste. Les concurrents arrivant derrière sautèrent par-dessus le corps en évitant les flaques de sang. Un kilomètre avant la ligne d’arrivée, Vic courait. Impossible de rejoindre Styx Cash, trop loin devant. Il sentit qu’on le frappait au niveau de l’omoplate. C’était Nemo Flower. Vic se décala sur le côté et frappa à son tour. Il manqua sa cible. Un autre coup dans les côtes de l’autre côté. Combien étaient-ils sur lui ? Deux ? Plus ? Cette fois, c’était Ramon Mescale. Brook Stiletto n’était pas loin derrière. S’ils s’y mettaient à trois, ça allait se compliquer. La seule solution, accélérer et les distancer. Il lança toutefois sa main vers Ramon Mescale. Il agrippa ses parties génitales et serra, entendit le cri que poussa son adversaire, avant d’augmenter son allure. Ses côtes lui faisaient mal. Son dos le brûlait. Mais il ne restait plus que deux cents mètres à parcourir.
Une fois passée la ligne d’arrivée du cinq kilomètres, les concurrents n’avaient pas une seconde de répit. La deuxième épreuve les attendait : la Mêlée.
« Deux Slaves hors-circuit dès la première épreuve, c’est six contre neuf maintenant ». Les mots de son manager emplirent le crâne de Vic Paradox. Attention à toi, pour la mêlée, ils seront tous après toi. Ton rôle est d’en sortir entier. Le rôle des autres sera de te couvrir. Protège-toi et si tu peux en amocher un ou deux de leur camp, vas-y ».
La mêlée : les combattants se retrouvaient dans un cercle de dix mètres de diamètre et avaient trois minutes pour s’affronter. Tous les coups étaient permis. Styx Cash et Babe Venin, pour les Slaves, qui avaient passé la ligne d’arrivée du cinq kilomètres en premier, attendaient déjà leurs adversaires au milieu. Moon Tragedy, la Japonaise se jeta sur Babe Venin et engagea le combat. Vic s’approcha de Styx Cash, suivi par Shadow Fox. Les autres concurrents à leur suite. La rage du coup porté par Vic au Slave fut telle, que des vibrations secouèrent son bras. Il ressentit comme une décharge électrique. Styx Cash s’écroula sur le sol inconscient, peut-être même mort. Il jeta un regard à sa droite pour voir Babe Venin au sol, le bras désarticulé et sa coéquipière Moon Tragedy se baisser pour la frapper. Il entendit des bruits de luttes et des cris de douleurs derrière lui. Shadow Fox, qui lui servait de bouclier, semblait remplir son rôle de défenseur de Vic avec abnégation. Vic perdit toute notion du temps, n’entendant que les alertes de son entraîneur, « Attention derrière toi » ou « il y en a un qui arrive sur ta gauche ». Il reçut et donna un nombre de coups phénoménal.
Le gong retentit. Les cinq minutes étaient écoulées. La Mêlée s’est arrêtée. Vic regarda autour de lui. Hormis Styx Cash et Babe Venin, au sol, blessés gravement ou morts, une des jumelles, Kelpie Azure certainement, gisait au bord de l’arène. De leur côté, Sabre Sparkle y était resté. Shadow Fox, quant à elle, avait le nez cassé, mais était debout et prête à continuer.
Six Slaves contre cinq Euros. Ça s’équilibrait. Le point de la Mêlée était pour eux. 1-1 pour le score.
Les rescapés se dirigèrent vers le terrain de l’épreuve suivante, l’anneau de Moto-Combat.
Les règles du Moto-Combat étaient simples. Chaque équipe disposait de trois motos. Une équipe tournait autour de l’anneau dans un sens et la seconde dans l’autre sens.
Chaque fois que les concurrents se croisaient, ils pouvaient déséquilibrer, ou frapper leurs adversaires pour les faire chuter. Les pilotes disposaient de trois tours pour s’affronter.
Le chiffre six se mit à clignoter dans la tête de Vic Paradox. six, six, six… Il restait six Slaves, six concurrents à abattre.
Les Slaves avaient pris de l’avance à la sortie de la mêlée. Quand Vic suivi de Abella Danger et Ratio Copycat arrivèrent près des motos, Nemo Flower, Spectre Hatchet et Brook Stiletto avaient déjà démarré leur engin et s’étaient engagés sur la piste.
Le premier choc se produisit à la sortie du virage est de l’anneau. Spectre Hatchet se trouvait face à Vic. Ils foncèrent l’un vers l’autre, freinèrent au dernier moment pour tenter de se déséquilibrer. Au moment où ils se croisèrent, Vic tenta un coup de pied dans le réservoir de la moto de son adversaire. Il rata sa cible. Les deux motos ré-accélèrent pour poursuivre leur chemin. Vic se retourna pour constater les dégâts éventuels. Les six motos roulaient encore. Un tour pour rien.
Le deuxième tour ne changea pas la donne. Au troisième, Vic esquiva de peu un coup de Brook Stiletto qui s’était rabattue au tout dernier moment à côté de lui. La moto plongea vers l’intérieur de la piste en faible déclivité. En tentant de redresser, il dérapa et se retrouva dans le sable sur le bord de la cible. Il redémarra sa moto calée et repartit. Il lui restait à boucler son dernier tour, passer la ligne d’arrivée et se préparer pour l’épreuve suivante. De l’autre côté de la piste, il put voir Abella Danger lever le poing vers le ciel. Dix mètres derrière, Nemo Flower gisait, le corps désarticulé sur le bord de la piste, sa moto renversée à quelques encablures. Percutés par Abella, Nemo et sa moto étaient passés par-dessus la balustrade et avaient heurté le grillage qui protégeait les équipes de télévision.
En se dirigeant vers le stand de lancer du Javelot, Vic hurla cinq.
Cinq pour le nombre de Slaves encore en course. Son cri fut repris par Abella Danger, Moon Tragedy, Shadow Fox et Ration Copycat qui arrivaient derrière lui. cinq…
Les pendules étaient remises à l’heure et leur handicap refait : cinq contre cinq. Et encore deux épreuves.
Trois javelots étaient disponibles pour les deux équipes. C’étaient donc les concurrents les plus rapides qui pouvaient s’en emparer.
Une cible au sol de trois mètres de diamètre se trouvait à cinquante mètres du stand de tir. Chaque javelot lancé qui atteignait la cible rapportait un point.
Brook Stiletto s’était emparée d’un javelot pour les slaves. Shadow Fox, la Finlandaise et Vic d’un javelot chacun pour les Bleus. Bel avantage pour eux.
Moon Tragedy et Ratio Copycat chassaient Brook Stiletto pour essayer de lui prendre son javelot. Viper Azure était derrière Shadow. Ramon Mescale et Spectre Hatchet se lancèrent sur Vic. Se servant de son javelot comme d’une batte de base-ball, il frappa Mescale au plexus solaire. Celui-ci s’écroula, le souffle coupé. Il reprit sa course vers l’aire de lancer. Une fois dessus, ses adversaires n’avaient plus le droit de l’attaquer.
Shadow Fox avait distancé Viper Azure et s’apprêtait à lancer. Le javelot s’éleva et retomba au milieu de la cible. Un point !
Vic se retournant pu voir Moon et Ratio rattraper Brook Stiletto. Elle était au sol et reçu les coups des deux bleus. Moon se saisit du javelot, rejoignit la zone de lancer et atteignit la cible à son tour.
Vic prit une décision. Inutile de lancer son javelot, puisque son équipe avait déjà deux points et ne pouvait pas être rattrapée. Il garda son javelot à la main, sortit de l’enceinte et se dirigea vers le départ du cent kilomètres.
Pour les slaves, Brook Stiletto ne s’est pas relevée. Elle gisait inconsciente, sous l’effet des coups portés par Moon et Ratio. Les soigneurs l’emportèrent sur une civière.
Pour la première fois de la compétition, le Bloc Euro-Libéral était en supériorité numérique : cinq contre quatre.
Au moment de s’élancer pour la course d’endurance, Vic se rendit compte qu’il n’avait pas entendu la voix de son manager dans sa tête depuis longtemps. Depuis la Mêlée. Certainement, un coup sur son crâne avait rendu le système non opérationnel.
Peu importe ! Il savait ce qu’il avait à faire. Les cinquante premiers kilomètres, ménager ses forces et récupérer. Se sustenter, boire. Penser à prendre les doses de vitamines et de dopes express que lui tendraient ses soigneurs à chaque ravitaillement.
Manger… Boire… Récupérer… Gagner… Gagner… Gagner…
Il adopta une allure pas trop rapide, quitte à laisser filer Trixie Canine, la coureuse Slave, qui avait déjà pris de l’avance. Il la rattraperait plus tard.
Il jeta un œil derrière. Moon et Shadow, ses coéquipières, couraient côte à côte à une centaine de mètres derrière. Plus loin, il distinguait la silhouette d’un Slave. Sûrement Ramon Mescale ou Spectre Hatchet.
Courir… Courir… Gagner…
Il passa au ravitaillement des cinquante kilomètres. Il avait perdu de vue Trixie devant lui. Il accéléra son allure.
Pas trop vite… Courir… Gagner…
Le javelot commençait à peser au bout de son bras. Il n’avait pas eu l’occasion de l’utiliser. Devait-il le jeter ou le garder ? Qu’aurait dit Nix ?
Soixante kilomètres… Courir… Courir… Gagner…
Soixante-dix kilomètres… Derrière lui, il n’y avait plus que ses deux coéquipières, les autres Slaves étaient hors de vue.
Courir… Une jambe… Une autre… Respirer… Courir…
Quatre-vingt kilomètres… Courir… Courir…
Il commençait à distinguer la silhouette de Trixie, encore loin devant, au bout d’une ligne droite. Courir… Il accéléra encore, ça craquait et se déchirait dans sa poitrine. Ses poumons étaient en feu.
Quatre-vingt-dix kilomètres… Plus que dix kilomètres. Il gagnait du terrain, mais pas assez. Il ne pouvait plus accélérer.
Quatre-vingt-quinze kilomètres… L’écart était toujours stabilisé à moins de cent mètres.
Quatre-vingt-dix-neuf kilomètres… Il était maintenant juste derrière Trixie, à une cinquantaine de mètres. Mais il n’arrivait pas à combler ce dernier écart.
Il jeta ses toutes dernières forces dans la course. Plus que cent mètres à parcourir. La ligne d’arrivée était en vue.
Trixie ne faiblissait pas. Une vraie machine, elle courait devant régulière. Une traînée de sang séchée marquait son dos. Vic ne pouvait plus la rattraper. Impossible d’accélérer, il était au maximum de ses forces… Il ne pouvait pas perdre !
Il s’arrêta au milieu de la piste. Reprenant son souffle penché en avant.
Il arma son bras et lança le javelot. Il regarda la courbe ascendante prise par l’arme, comme au ralenti, puis la courbe descendante. Le javelot descendit progressivement et alla se planter… entre les omoplates de Trixie Canine. Vic arriva à sa hauteur et pu voir le regard stupéfait de la jeune femme au sol et l’écume rougeâtre qui sortait de sa bouche.
Vic reprit sa course, sauta par-dessus le corps de la Slave, à cinquante mètres de l’arrivée.
Encore courir un peu… L’arrivée est là… Encore courir… Et gagner…
Vic s’écroula une fois la ligne franchie. Il était au bout du bout de ses forces. Le corps meurtri par de nombreuses blessures. Au bout de lui-même. Le supplice était fini.
Les bleus avaient gagné. Il avait gagné.
Au bout d’une minute, il releva la tête pour voir Shadow Fox s’écrouler à côté de lui, un sourire radieux sur son visage. Une plaie profonde barrait son sein droit.
Vic, encore incapable de prononcer un mot, s’agenouilla et tourna la tête vers la piste. Moon Danger, blafarde, en terminait à son tour. Plus loin dans un virage, Spectre Hatchet le Slave apparu. Les autres avaient abandonné, épuisés ou blessés trop gravement.
Vic se releva difficilement. Il entendit à nouveau la voix de Nix Paragon. Plus dans sa tête, à côté de lui. Il lui parlait, mais il ne comprenait pas ce qu’il lui disait.
Ils l’avaient fait. Le Bloc Euro-Libéral avait gagné.
Paris, juillet 2124
Ronin était retourné au camp des condamnés pour la Course des Héros. Il en avait l’obligation. En cas d’explosion de son ange-gardien, selon les résultats de la finale, il ne devait pas se trouver au milieu de la foule des citoyens-libres, mais dans un endroit fermé et contrôlé par l’État européen.
Quand Vic Paradox passa en tête la ligne d’arrivée, l’immense cri qui retentit dans le camp et à l’extérieur enfonça les portes de l’enfer. Lui aussi avait peut-être crié. Il ne s’en souvenait plus. D’un seul coup, il fut éjecté hors de l’enfer, avec les autres autour de lui.
Les images se succédaient sur l’écran géant. On n’entendait plus les commentaires, certainement hystériques des journalistes de la télé. La sonorisation, pourtant poussée au maximum, n’était plus de taille à lutter contre les hurlements de la foule déchaînée des condamnés. Enfin des ex-condamnés maintenant.
Vivants ! Ils étaient vivants. Ils allaient continuer à vivre. À l’autre bout de la planète, un homme, Vic Paradox avait gagné le Wargame et plusieurs millions d’individus allaient vivre ici.
Vivant et libre. Ronin était sonné. L’ange-gardien n’avait pas explosé dans sa tête. Il devait déjà être désamorcé par l’Ordinateur Démographique. Inoffensif. Est-ce qu’il ressentait une différence ? Pour l’heure, c’était seulement la joie, le bonheur.
Sur l’écran, les présentateurs continuaient à brailler des propos que personne n’entendait. Ici, des milliers de fantômes se pressaient les uns contre les autres, se jetaient dans les bras les uns des autres. Et Ronin était l’un d’eux. Il était poussé, bousculé, étreint. Il étreignait. Il riait, criait. Une femme en pleurs l’embrassa à pleine bouche.
Vivant ! Vivants !
Des citoyens-libres depuis l’extérieur du camp se mêlaient à l’hystérie collective. On scandait des slogans à la gloire des héros bleus, de Vic Paradox, des autres, de ceux qui y avaient laissé leur vie aussi.
Ronin s’extirpa de ce maelstrom. Lumen ! Il devait la rejoindre, quitter le camp. Il suivit la foule des ex-condamnés qui sortaient, avides aussi de rejoindre les leurs.
Lumen ! Il courut vers l’appartement contournant des groupes de fêtards. L’appartement était bouclé. Il frappa, une fois deux fois, trois fois… Tambourina la porte…
Lumen…
Le voisin, qui était aussi le propriétaire de l’appartement de Lumen, sortit sur le palier.
Lumen… Tout ce qu’il lui avait dit… Tout filmé et enregistré par la caméra posée sur son œil… Ce qu’elle pouvait en faire ! Avec son accord, avait-elle dit… Mais maintenant ? Ses propos subversifs qu’il avait tenus… à coup sûr, ça le condamnait à nouveau. Jamais, ils ne le réhabiliteraient après ce reportage.
Comment avait-il pu accepter ce marché ? Il avait cru en sa sincérité !
Lumen !
Elle ne pouvait pas lui avoir fait ça ? Il ne voulait pas revivre ça. Il n’en aurait pas la force. Il n’était pas un héros. Ils lui en avaient enlevé le goût.
Il se remit en route parmi les rires et la liesse. La peur avait ressurgi dans sa tête. La colère aussi, une colère froide, une glaciale détermination. Il criait son nom « LUMEN », mais aucun son ne sortait de sa bouche.
« LUMEN ».
De toute manière, personne n’écoutait.
Une main s’agrippa à son épaule. Lumen… elle était là-derrière lui, un grand sourire aux lèvres. Elle était manifestement essoufflée.
Elle l’embrassa.
Ils restèrent longtemps enlacés au milieu de la rue, inconscient à la foule grouillante et la cohue autour d’eux.
Le chiffre officiel des victimes à l’occasion du Wargame 2124 est connu : sept millions trente et un mille cent quatre-vingt-dix-neuf.
Les ordinateurs des Services de la Démographie Mondiale avaient prévu une fourchette allant de sept millions à sept millions cinq cent mille morts.
Objectif rempli.