J’avais moi aussi prévu de participer au projet « Fantasme olympique », mais j’ai dû déclarer forfait après une rupture de neurone. Ça ne m’a heureusement pas empêché de lire les contributions des auteurs participants. Bien m’en a pris, puisque Melle Mélina (j’espère qu’elle ne m’en voudra pas trop) et Amarcord m’ont inspiré le récit que je vous propose aujourd’hui.
Los Angeles. Dimanche 23 juillet 2028. 9 : 30 AM, heure locale. Jour de la finale du cent mètres homme, l’épreuve reine de l’athlétisme.
- — Salut, Jean-Mi. Bien dormi ?
- — Salut coach. Pas trop mal. Si j’en crois mes camarades sportifs qui ont participé aux jeux il y a quatre ans, la literie californienne est de bien meilleure qualité que celle qui avait été fournie à l’époque par le CNOSF (Comité National Olympique Sportif français).
- — Tant mieux. Ce soir, à neuf heures et demie pétantes, il faudra que tu sois en pleine possession de tes moyens. Le monde entier aura les yeux rivés sur toi.
- — N’exagérons rien. Il ne s’agit que d’une course, d’à peine dix secondes de surcroît. Il me semble que l’humanité est confrontée à des défis bien plus préoccupants.
- — Ne te fais pas passer pour plus con que tu es. Tu sais très bien ce que tu représentes. Et puis, pour être franc avec toi, j’ai trouvé que, hier soir, lors des demies, tu avais un peu manqué de relâchement.
- — Si tu le dis, mais j’ai quand même réalisé le meilleur temps de tous les qualifiés.
- — Ouais. Bon, on en reparlera avant la finale. Pour le moment, on va se contenter de suivre le programme prévu. Je te rappelle qu’après ton décrassage matinal, tu vas rencontrer Mélina Melle, la responsable de la rubrique people du journal L’Épique. Tu te souviens qu’elle tenait absolument à avoir ta contribution pour sa série d’articles à chaud sur les États d’âme des champions les jours de grandes compétitions. (Pour ceux qui ne la connaissent pas encore, Mélina Melle est une ancienne nageuse française, spécialiste du papillon, reconvertie dans le journalisme. Finaliste du deux cents mètres aux jeux de Paris, elle a mis fin à sa carrière sportive quelques semaines plus tard, dépitée par sa dernière place alors qu’elle espérait accéder au podium. Selon une rumeur plus ou moins fondée, la contre-performance de la nageuse, présentée comme une fêtarde invétérée, aurait été en grande partie causée par les nombreux excès commis la veille de l’épreuve.)
- — Je ne vois pas comment je pourrais l’oublier, étant donné que la lecture de l’Épique est la seule distraction qu’on m’autorise depuis qu’on a débarqué dans la cité des anges. De toute façon, coach, c’est toi qui gères. J’espère que cette entrevue me permettra de penser à autre chose qu’à cette putain de finale. Au fait, puisque tu me parles de massage, je ne serais pas opposé à ce que tu me trouves une meuf plus avenante que celle qui s’est occupée de moi hier soir. Je suis sûr que ce serait bénéfique à mon mental. Une nana dans le genre de Mélina Melle, par exemple, si tu vois ce que je veux dire.
- — Je vois très bien, Jean-mi. Et je vais même te dire que c’est ton jour de chance.
- — Comment ça ?
- — Eh bien, c’est un secret de polichinelle. Mais notre belle journaliste a le feu au cul et d’après ce qu’on m’a dit, tu es tout à fait son genre.
- — Je me suis déjà dit qu’elle avait une tête à aimer la bite. Je vais même t’avouer qu’il m’est parfois arrivé de m’imaginer en train de lui bouffer la chatte jusqu’à plus soif.
- — Tu reconnaîtras que je suis un coach plutôt compréhensif.
- — Ouais, t’as surtout pigé que j’étais moins performant les couilles pleines.
- — Si je me fie à ce qu’on m’a raconté, Miss Melle adore se faire butiner le pistil. Vu que t’es aussi doué avec ta langue qu’avec tes jambes, je ne vois pas pourquoi elle s’opposerait au fait que tu lui repeignes la salle des fêtes. D’autant plus que contrairement à certaines, elle n’a aucun a priori contre les sprinters.
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Quarante-huit ans ! Ça fait exactement quarante-huit ans qu’un athlète blanc de peau n’a pas remporté la course du cent mètres aux Jeux olympiques. Les anciens se souviendront peut-être de la victoire de l’Écossais Alan Wells, lors des jeux de Moscou. Il est vrai que ce valeureux sujet de sa Majesté avait bien été aidé par le contexte politique de l’époque puisque les USA et la plupart des pays des Caraïbes avaient boycotté le rendez-vous sportif suite à l’invasion de l’Afghanistan par l’URSS.
Il faut bien admettre que depuis cet événement, l’hégémonie des athlètes originaires d’Afrique sur le sprint est totale. Le nombre de finalistes blancs ou asiatiques aux finales Olympiques du cent mètres depuis ceux de 1984 à Los Angeles (déjà) se compte sur les doigts d’une main. Certains chipoteurs pourront toujours m’objecter que le vainqueur à Tokyo en 2021 était italien et beaucoup moins foncé que ses prédécesseurs, mais on peut néanmoins difficilement faire fi de ses origines africaines.
Alors, évidemment, quand un dénommé Jean-Michel Boulais, visage pâle, cheveux châtain clair, descendant depuis toujours de paysans auvergnats établis dans la région de Montluçon – sous-préfecture située en plein centre de la France –, devient champion du monde sur cent mètres plat, ça ne passe pas inaperçu dans le monde de l’athlétisme.
Et c’est pourtant bien ce qui s’est passé à Pékin, l’an dernier, en 2027 donc, lorsque j’ai franchi la ligne d’arrivée de la finale un bon mètre devant les Américains et les Jamaïcains. Surtout que j’ai remis ça quelques jours plus tard lors du deux cents mètres. Et que mes succès individuels ont tellement inspiré mes coéquipiers du 4x100, tous noirs, évidemment, que nous avons remporté le relais dans la foulée, un peu aidés, il est vrai, par la disqualification des favoris américains. Bref, il n’en fallait pas plus pour que Jean-Mi Boulais, triple champion du monde de sprint, se fasse rebaptiser Jimmy bullet, alias le Bolt blanc, par les commentateurs sportifs du monde entier.
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- — Bonsoir Jimmy. Vous me permettez de vous appeler Jimmy, n’est-ce pas.
- — Bien sûr, Mélina. J’y suis désormais habitué et j’admets volontiers qu’un dénommé Jean-Michel né au vingt et unième siècle est quelque peu anachronique.
- — D’ailleurs, d’où vous vient ce prénom pour le point démodé ?
- — Figurez-vous que ma mère est une grande amatrice de football et elle adorait Jean-Michel Larqué lorsqu’elle était jeune.
- — Je ne vois pas de qui il s’agit.
- — Peu importe. De quoi souhaitez-vous qu’on parle ?
- — Eh bien, vous êtes quelqu’un de plutôt réservé, et à ce titre, fort discret sur votre vie privée.
- — Je ne vais pas prétendre le contraire.
- — Évidemment, mais malgré cela, comme de nombreux amateurs de sports, j’aimerais en apprendre un peu plus sur la nouvelle star du sprint.
- — Très bien. Je tâcherai de répondre à vos questions, mais sachez d’abord que mon agent exige de valider le contenu de votre article avant diffusion. Il n’est pas impossible qu’il vous demande de supprimer certains passages qu’il pourrait considérer comme préjudiciables à la carrière d’un champion du monde.
- — Je comprends. Il serait dommage que certains de vos sponsors remettent en cause vos juteux contrats et par ricochet ses confortables commissions.
- — Je ne vous le fais pas dire. Puisque nous semblons d’accord, je suis prêt à répondre à vos questions.
- — Parfait. Quand avez-vous découvert que vous étiez plus véloce que les autres ?
- — En fait, je ne m’étais jamais vraiment posé la question jusqu’à ce que je rentre au collège. À cette époque, pour ne rien vous cacher, j’étais du genre timide et plutôt fluet. Alors évidemment, certains s’étaient mis en tête de m’en faire baver.
- — Vous voulez dire que vous avez été harcelé ?
- — Disons que quelques crétins ont voulu jouer aux durs avec moi. Et comme je n’avais pas l’âme d’un bagarreur, je n’avais guère d’autre choix que de courir le plus vite possible pour échapper à leurs sales pattes. Et par chance, aucun de ces imbéciles n’est jamais parvenu à me rattraper.
- — Même ceux des classes supérieures ?
- — Oui.
- — Et ensuite ?
- — Mon prof de gym de cinquième était beaucoup plus impliqué que la majorité de ses collègues et il a rapidement pris conscience de mes capacités. Si bien qu’avant de comprendre ce qui se passait, je me suis fait enrôler dans l’équipe d’athlétisme du collège. J’ai ainsi pu participer aux compétitions scolaires et départementales. Et je mentirais si je prétendais que je n’étais pas ma place. Dans mes catégories d’âge, je n’ai jamais été battu dans toutes les courses auxquelles j’ai participé. Ça allait du soixante au quatre cents mètres, épreuves avec haies comprises.
- — Et après le collège ?
- — En fin de troisième, ce perspicace professeur de gym a su convaincre mes parents de m’inscrire dans un lycée disposant d’une section sport études dédiée à l’athlétisme. Les séances d’entraînement m’ont permis de progresser dans ma discipline. J’ai naturellement enchaîné les compétitions au niveau national jusqu’à ce que je devienne champion de France en 2025. Je suppose que vous connaissez la suite.
- — En effet. Ce que je ne connais pas en revanche, c’est votre vie sentimentale. À quel âge avez-vous commencé à fréquenter les filles ?
- — Je vous l’ai dit. Au collège, j’étais plutôt timide. Mais au lycée, mes résultats sportifs m’ont aidé à prendre confiance en moi. De plus, j’étais pensionnaire, ce qui m’a offert pas mal d’opportunités d’aventures amoureuses. Et puis vous le savez aussi bien que moi : les sportifs de haut niveau sont souvent dotés d’un tempérament plus fougueux que la moyenne.
- — Tiens donc. Qu’est-ce qui vous fait croire ça ? Avez-vous une petite amie attitrée ?
- — Pas du tout.
- — Vous n’êtes pas attiré par les femmes ?
- — Si bien sûr, mais je m’estime trop jeune pour me lancer dans une relation suivie.
- — Vous préférez donc les coups d’un soir ?
- — On peut le dire comme ça.
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Oh bordel ! Le coach ne m’avait pas raconté d’histoires. Mélina était en effet dotée d’un tempérament qui aurait fait passer l’Etna pour une banquise polaire. Ce qu’il ignorait, en revanche, c’est que c’était une femme fontaine plus-plus. J’avais avalé au moins un demi-litre de son jus intime pendant ma séance de bouffage de minou, des préliminaires qui m’ont toujours semblé indispensables à la réussite d’une partie de jambes en l’air. Comme l’avait subodoré le coach, la charmante journaliste m’avait confirmé qu’elle n’était nullement insensible à mon charme auvergnat en me conviant dans sa luxueuse chambre d’hôtel pour la deuxième partie de notre entretien. Que j’avais dû malheureusement écourter après avoir tiré ma première cartouche. Il fallait bien que je conserve mon énergie et mon influx en prévision de la course de la soirée.
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- — Vous m’entendez Wilson ?
- — Yes ! Five sur five, Laurent. The communication is perfect ! Sachez que je suis en compagnie de ma consœur de L’épique, la charmante Mélina, qui est aussi impatiente que moi d’interviewer Jimmy après la course.
- — Très bien, comment est l’ambiance à L.A. actuellement ?
- — Very hot, Laurent. Tous les regards sont braqués sur Jimmy et bien sûr, sur les trois Américains qualifiés pour la finale qui sont évidemment fortement encouragés par leurs compatriotes.
- — Nous connaissons bien la ferveur des supporters américains.
- — Of course… Oh ! wait a minute, Laurent ! Il me semble que Julian Mac Rarod, le starter, vient d’appeler les coureurs. Je vous retrouve après la finale.
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- — Neuf secondes et cinquante-cinq centièmes. C’est tout simplement phénoménal ! Les nég… Les Afro-Américains présents lors de cette finale historique peuvent aller remettre leurs survêtements. Ils ont dû se rendre à l’évidence. Pendant toute la course, ils n’ont pu qu’entrevoir le cul, euh, le dos de notre champion. Jean-Michel Boulais n’a pas craqué. Non seulement il a battu les Américains chez eux, mais il a aussi pulvérisé Le record du monde d’Usain Bolt, pourtant réputé imbattable. Jimmy Bullet, pardon, Jean-Michel Boulais, était simplement le plus fort et il l’a démontré ce soir, de la plus belle manière, en devenant le trente et unième champion olympique de l’épreuve reine des Jeux. Chers téléspectateurs, je pense qu’après avoir vu ça, on peut mourir tranquille, enfin, le plus tard possible (citation historique du commentateur Thierry Roland lors de la finale de la coupe du monde de football 1998). En attendant de vous retrouver pour la suite du programme, je rends l’antenne à Paris pour une courte page de réclame. Et n’oubliez surtout pas notre rendez-vous dans une trentaine de minutes pour assister à une cérémonie de remise des médailles qui s’annonce d’ores et déjà historique.
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Certains journaux n’avaient pas hésité à faire de la surenchère : « Trop blanc pour être honnête » affichait L’Insoumis, « Jean-Michel Boulais victime du Wokisme » jurait Le Patriote, « Disqualifié » titrait sobrement Le Monde. « La chute d’un tricheur » occupait une bonne partie de la Une de L’Épique. Les titres qui barraient les premières pages des éditions vespérales spéciales le lendemain de la « victoire » de Jean-Michel Boulais à l’épreuve du cent mètres des jeux de Los Angeles tranchaient avec ceux du matin. En raison du décalage horaire entre la Californie et Paris, la presse française avait en effet dû s’adapter. Lorsque la dépêche annonçant la disqualification du sprinter français était tombée, la distribution matinale des quotidiens était déjà terminée. Bien sûr, le plus affecté par la nouvelle était le journal sportif. La Une cocardière de son édition matinale, renforcée par un article certes brillant, mais un peu trop élogieux de la chroniqueuse Mélina Melle, allait sans aucun doute susciter les moqueries et les quolibets de toute une nation. Dans sa spéciale du soir, le journal n’avait évidemment pas omis de rappeler le règlement de l’AMA (Agence Mondiale Antidopage) et notamment l’article faisant référence à l’interdiction de l’usage des stimulants de la série 6 lors des compétitions. Et malheureusement pour Jean-Michel Boulais, la cocaïne, dont on avait retrouvé des traces, certes faibles, mais néanmoins avérées, dans les urines, faisait bien partie des substances prohibées. Quelques supporters de la première heure du champion plaidaient volontiers pour une absorption accidentelle du psychotrope, mais il n’y avait pas l’ombre d’une chance que la sanction fût annulée.
La rédaction de l’Épique avait en outre jugé opportun de supprimer l’article de Mélina Melle de sa dernière édition. Une décision sage qui ne suscita d’ailleurs pas de réaction particulière de la part de l’autrice, pourtant réputée pour son franc-parler et son ego bien affirmé.
Quelle obscure raison avait donc pu pousser la prometteuse journaliste à faire preuve de tant d’humilité ! Jean-Michel Boulais avait bien une idée sur la question, mais il réfléchissait toujours à la manière dont il allait la présenter aux juges de l’AMA pour assurer sa défense. Il conservait en effet le faible espoir de pouvoir participer au deux cents mètres dont les séries devaient avoir lieu le lendemain.