n° 22634 | Fiche technique | 25666 caractères | 25666 4549 Temps de lecture estimé : 19 mn |
14/09/24 |
Résumé: La rencontre avec un lointain passé. | ||||
Critères: fh gros(ses) handicap | ||||
Auteur : Foretdorient Envoi mini-message |
Marie-Laure est une lointaine cousine dont j’avais perdu la trace et que j’ai revue récemment à l’occasion d’un décès dans la famille. Elle s’est présentée à moi au sortir de l’église, sinon je ne l’aurais pas reconnue, tellement elle a changé ! Nous avons discuté un peu lors de la collation qui a suivi la cérémonie.
Un accident de voiture, lorsqu’elle était jeune adulte, lui avait écrasé le visage et l’avait complètement défigurée. Malgré la chirurgie réparatrice et de multiples opérations, elle en a conservé bien des séquelles. Lorsque nos regards se croisent, j’ai un peu de mal à soutenir le sien. Les bizarreries font toujours un peu peur, j’esquisse un sourire pour tenter vainement de la rassurer, ou plutôt de me rassurer.
Pourtant, son look est beaucoup moins choquant qu’il ne l’était lorsqu’elle était adolescente, les cicatrices ont vieilli, des rides se sont creusées, son visage devenu bouffi et un double menton ont masqué ce qui était choquant dans la figure de la petite jeunette, la laideur s’est estompée au fil du temps. Trente-trois ans auparavant, je ne parvenais même pas à la regarder en face et ne décochais pas un mot en sa présence, elle était pour moi comme « monstrueuse ». C’est malheureux à dire, mais j’avais pitié d’elle. J’étais triste pour elle quand j’imaginais toutes les souffrances qu’elle avait dû subir et qu’elle continuait sans doute à endurer au quotidien. J’en avais la larme à l’œil.
À cinquante ans passés, elle vit désormais seule dans un petit appartement de la banlieue de Nantes. C’est une vieille fille qui a fait toute sa carrière dans la même entreprise. Méticuleuse et tenace, c’est aussi une incroyable bosseuse qui voue tout son temps libre à son travail. Les mauvaises langues diront sans doute que c’est à cause de son faciès difficile qu’elle n’a pas trouvé chaussure à son pied. C’est possible, pourtant, cette femme est gentille, avec une petite voix très suave, elle est effacée, discrète, presque timide. Sa compagnie est loin d’être désagréable, sa conversation est riche d’une culture qu’elle s’est constituée au fil du temps.
Est-ce à cause de sa « gueule cassée » qu’elle se laisse ainsi aller ? Mais c’est le genre à grignoter à longueur de journée, ceci associé à un boulot très sédentaire et à un manque flagrant d’activité, peu à peu, elle est devenue obèse. Un ventre de buveur de bière et, quand elle rentre dans la pièce, son popotin hors norme déplace de l’air et oblige ses voisins les plus proches à s’écarter. Pour preuve de sa boulimie, tandis que nous discutons, elle fait le pied de grue devant les mini-sandwichs dont elle s’empiffre jusqu’à plus soif.
Plus rien à voir avec la jeune femme aux formes aguichantes que j’avais connue lorsque j’étais gamin. Je me remémore une réflexion qu’un des copains avait faite à l’époque, un jour qu’il l’avait entraperçue devant chez tante Huguette, propos qui m’avaient d’ailleurs passablement choqué : « Si elle n’avait pas cette sale gueule, elle serait sacrément baisable, ta cousine ». Effectivement, à dix-huit ans, sa poitrine était parfaite, ses hanches larges et son cul rebondi étaient plus qu’attirants. A contrario, son visage, complètement déstructuré, était inhumain et servait de repoussoir aux velléités des garçons. Aujourd’hui, c’est tout le contraire, son corps est englué dans la graisse alors que ses cicatrices pourraient presque passer inaperçues.
Elle n’a pas l’air bien emballée.
Un peu plus d’une heure de route, ce n’est pourtant pas la mer à boire. Mais elle n’est pas décidée à s’offrir ce petit week-end, malgré mon insistance. Nous échangeons quand même nos numéros, nos mails, nos adresses.
Nous nous quittons bons amis, ça m’a fait très plaisir de revoir cette Marie-Laure qui n’était plus pour moi qu’une ombre fugace dans un lointain passé.
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L’occasion se présente quelques semaines plus tard, un rendez-vous médical chez un spécialiste. L’itinéraire fait que je passe au retour par Orvault. Lorsque je sors du cabinet, il est presque dix-neuf heures. Après tout, pourquoi pas, elle doit être rentrée de son travail à cette heure.
Plutôt surprise de me voir, je pense qu’elle ne s’attendait pas à recevoir un jour ma visite. Elle me laisse quand même entrer dans son petit foutoir. C’est un bazar indescriptible, difficile de mettre un pied devant l’autre, des piles de bouquins sont entassées un peu partout dans ce qui lui sert en même temps de salon, de bureau et de salle à manger.
J’avoue que j’ai été très con, j’aurais dû téléphoner et annoncer mon arrivée. Mais ça s’est fait sur une impulsion. Au retour de Nantes, j’ai vu « Orvault » sur un panneau et me suis rappelé qu’elle habitait là ; cinq minutes plus tard, j’étais devant chez elle. Je suis confus de ne pas avoir bigophoné, je me confonds en plates excuses pour l’avoir ainsi prise au dépourvu.
Vu l’état des lieux, je veux bien la croire. Elle m’entraîne dans sa cuisine, seule pièce à peu près acceptable, si ce n’est un peu de vaisselle sale entassée dans l’évier.
Passée la surprise, elle semble très heureuse d’avoir un peu de compagnie, elle sort les cacahouètes et se montre très volubile. La conversation s’oriente vers ses lectures qui semblent la passionner. Je me sens complètement inculte, car je ne connais aucun des auteurs auxquels elle fait référence.
Depuis le covid, elle bosse en grande partie en télétravail depuis chez elle, ce qui explique qu’elle ait transformé son living en bureau. Elle fait de la photocomposition et sous-traite pour une imprimerie du coin ; les écrans de son ordi sont gigantesques. Elle me fait une petite démonstration en me dévoilant quelques aspects techniques de son métier auxquels je ne comprends fichtre rien.
Une vraie pipelette, concernant son boulot, elle est intarissable, le temps passe à vitesse grand V.
Je proteste pour la forme, je ne veux pas la déranger, je dois rentrer chez moi. Mais elle insiste lourdement, la cause semble entendue.
Deux heures plus tard, elle entame le second pack de bière :
Sur ce point, je crois qu’elle a raison, j’ai un peu trop bu et ne tiens pas bien l’alcool, mais je me vois mal dormir dans ce merdier. Elle repousse les piles de livres vers le mur et s’acharne un moment sur le canapé-lit. J’essaie de l’aider, mais au bout d’une dizaine de minutes d’effort, force est de constater qu’une des barres du couchage est tordue et qu’il est impossible de le déplier.
Elle me propose d’utiliser sa brosse à dents, « Je crois que je n’en ai pas d’autres ». Je me lave tant bien que mal les quenottes avec les doigts. À l’instar du reste de l’appartement, la salle de bain est remplie d’une multitude de choses qui n’ont rien à y faire. J’ai l’impression que l’endroit est trop exigu pour elle et qu’elle accumule beaucoup trop d’objets.
Je la retrouve qui bataille dans son placard, elle essaie de me trouver un pyjama. Elle finit par en dégoter un qui s’avère vraiment trop juste, vu les mensurations.
J’ai l’impression qu’elle m’observe du coin de l’œil dans l’attente d’une réaction. Comme je ne suis pas spécialement curieux concernant la visite de cet homme, elle enchaîne :
Puis, elle file à son tour dans la salle de bain.
Lorsqu’elle revient, elle a revêtu une chemise de nuit moulante, bien trop juste pour elle et qui ne cache absolument rien de ses rondeurs. Je ne peux m’empêcher de regarder en transparence son ventre rebondi, ses cuisses énormes et son popotin éléphantesque. Quant à ses seins, ils tombent franchement le long de son corps, mais ses tétons sont gros et saillants. Elle m’entraîne de nouveau dans la cuisine, pour boire un thé ou une tisane avant que nous ne nous couchions.
Sur ce, la voici qui enchaîne sur une description précise de la demeure familiale. C’était encore une très belle bâtisse après-guerre. Mais, ses grands-parents maternels ne s’en étaient jamais beaucoup occupée. C’étaient des paniers percés, lui un beau parleur et à ses heures un queutard, elle une femme frivole qui n’avait aucun sens des responsabilités. À leur décès, l’aile gauche du bâtiment n’était déjà plus qu’un tas de ruines. Quand, après le drame, la mère de Marie-Laure s’y était réfugiée, c’était pour broyer du noir à longueur de journée. Sans oublier le fait qu’avec le décès de son mari, sa situation financière s’était rapidement dégradée.
Je lève les yeux vers elle, interloqué.
Cela fait bien longtemps que je n’ai pas dormi auprès d’une femme en tout bien tout honneur. Elle s’endort comme un bébé et ne tarde pas à ronfler comme un sonneur. Je mets plus de temps à trouver le sommeil. J’ai vaguement la nausée, mon foie ne supporte plus l’alcool.
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Je suis dans le potage, je peine à émerger et n’ai pas entendu le réveil. C’est elle qui me secoue gentiment :
Je me retourne, elle est toujours allongée sur le lit et me regarde. Je suis de nouveau fasciné par ses seins lourds et par son ventre rond, à peine masqués par cette nuisette qui laisse traverser la lumière.
Ce ne serait peut-être pas pour me déplaire, mais je suis déjà très à la bourre. Rapide passage aux toilettes, dans la salle de bain, il est l’heure pour moi de partir, j’avale un café en toute hâte.
Une bise très appuyée, trop appuyée sans doute, sa bouche cherche la mienne, je ne peux pas lui refuser. Elle se donne corps et âme à ce baiser. On dirait deux adolescents qui se roulent une pelle sur le pas de la porte, ça n’en finit plus, j’en profite pour la peloter, ses bourrelets d’abord, et sa poitrine ensuite.
Son sourire est éclatant.
Un dernier baiser volé en bas de l’escalier et je saute dans ma voiture. Ma parole, mais je bande pour cette grosse femme défigurée, bien obligé de le reconnaître. J’ai presque envie de faire demi-tour et d’y retourner pour la baiser, un petit coup vite fait, apparemment, elle ne demande que ça. Je ne me doutais pas qu’elle avait autant envie. Parfois, certaines subtilités féminines m’échappent. Mais purée, quel baiser et quel coup de langue, j’en suis encore tout chose… ! Je crois que je pense à ça durant presque tout le trajet.
J’arrive juste à temps pour ma réunion, simplement une dizaine de minutes de retard, je me confonds en plates excuses, mais, pardonné, car je ne suis même pas le dernier à arriver.
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En rentrant le soir chez moi, un mail m’attend dans ma messagerie :
Très cher cousin,
Je t’aurais bien téléphoné dans la journée, mais j’ai eu peur de te déranger…
Ou même ce soir, mais non, il me semble qu’un écrit est toujours plus réfléchi et plus détaillé qu’un simple coup de fil. Au moins, on peut se relire.
J’ai pris le temps pour bien peser mes mots et exprimer ce que j’ai à dire.
Je confirme ce que tu m’avais affirmé de façon un peu péremptoire lors des obsèques : « Tu es long à la comprenette ! ». Et ce n’est pas une question d’âge, car tu l’as toujours été.
Peut-être que je m’y prends mal et que je ne suis pas douée, c’est bien possible, je n’ai pas trop d’expérience. Pourtant, il me semble avoir tout fait pour te draguer et t’envoyer un message clair, je n’allais tout de même pas me jeter sur toi, au risque que tu prennes pour une nympho. Un minimum d’effort de ta part, mon cher Nico, j’ai l’impression que tu es toujours aussi coincé, ce qui est bien dommage, même si cela contribue à ton charme.
Tout d’abord, je dois m’excuser de t’avoir quelque peu manipulé. Quand j’ai vu qu’il y avait une possibilité que tu restes dormir chez moi, insidieusement, j’ai forcé sur les doses de whisky, et maintenant, je regrette profondément de t’avoir rendu malade, j’ignorais que ton foie était si fragile.
Autre point sur lequel je dois me confesser, il y a bien un convertible en état de fonctionner dans mon salon, c’est le canapé sur lequel sont actuellement entassés mes dossiers en cours. L’autre, le vieux, celui sur lequel nous nous sommes éreintés, ne fonctionne plus depuis belle lurette. Un ami doit toujours passer pour l’emmener à la déchetterie, mais je l’attends depuis six mois.
Et ma chemise de nuit volontairement moulante, c’était la cerise sur le gâteau, elle est trop juste pour moi, car je l’ai achetée il y a bien longtemps, je ne l’ai quasiment jamais portée, mais je pense que c’est ce que je possède de plus sexy, j’espérais t’aguicher et te donner un peu envie.
Je t’ai tenu le crachoir jusqu’à tard dans la nuit avec le secret espoir que la minute suivante serait la bonne et que tu finirais par abuser de mon vieux corps.
Tu vois à quel point je suis perverse ! Pourras-tu me pardonner d’avoir manigancé cette comédie grotesque ? Ce n’est pas dans mes habitudes, je te le jure. Mais, j’avais tellement envie que tu dormes dans mon lit, tellement envie qu’il se passe quelque chose entre nous. Mais flop, il ne s’est rien passé du tout !
D’un autre côté, je ne suis pas spécialement attirante, j’en suis bien consciente. En plus, je ne sais pas m’y prendre avec les hommes, je suis très nulle. Les rares qui sont venus chez moi, je n’ai pas su les satisfaire et ils se sont très vite lassés. Je suis une piètre amante.
Quand je t’ai vu hier sur le pas de la porte, j’ai eu du mal à le croire, je ne m’attendais pas du tout à ta visite, je ne pensais d’ailleurs pas te revoir un jour, c’était pour moi une chance inespérée. Une seconde chance ! Tu te rappelles sans doute que tu m’avais proposé de venir passer un week-end chez toi et que j’avais décliné l’invitation. Si tu savais comme j’ai regretté par la suite… Quelle conne j’avais été ce jour-là ! Tu es l’amour de ma jeunesse, la branche sur laquelle je me suis raccrochée quand tout allait si mal.
Je me fais sûrement des illusions. Tu dois me trouver bien gamine et bien stupide. Tout ça parce que tu avais été gentil avec moi à cette époque où j’en avais tellement besoin.
Nous avons certainement peu de choses en commun, et je n’ai pas grand-chose à t’offrir ! Regarde-moi, je suis grosse, moche, vieille, une petite vie bien plate et des soucis d’argent, pourquoi t’intéresserais-tu à moi ? Je suis lucide, tu es tellement « trop bien pour moi » !
Mais tu es l’amour de ma vie, un amour platonique, un amour impossible, mais un amour absolu. C’est peut-être la dernière chance pour moi de te l’avouer, alors oui, je te le clame haut et fort, je n’ai jamais aimé personne comme je t’ai aimé toi à l’époque.
J’ai crevé de jalousie lorsque tu as épousé cette femme, jamais je ne serais venue à votre mariage. Pourquoi elle et pas moi ? Parce que j’étais un monstre ? J’ai préféré me réfugier dans les médicaments et le boulot, j’ai préféré tout oublier. Je me suis probablement fait des illusions, je n’étais pas une prétendante correcte, pauvre petit oiseau blessé qui n’avait droit à rien.
Or, voici que tu réapparais soudain, tout beau et tout fringant et que tu m’invites même chez toi. Si tu savais comme j’ai envie de te revoir depuis ce moment-là.
S’il n’y avait pas eu ce long baiser entre nous ce matin, jamais je n’aurais écrit cette lettre. J’aurais décliné ton invitation et me serais arrangé pour que tu m’oublies, ce qui ne t’aurait pas spécialement gêné, puisque tu ignorais manifestement tout de mes sentiments pour toi.
Mais j’ai tenté le tout pour le tout, j’ai tendu la bouche vers toi et ta réponse a été au-delà de mes espérances. À moins que je me fasse des idées, mais je ne le crois pas, puisque tu as récidivé à ta propre initiative en bas des marches.
Voilà où nous en sommes, très cher cousin.
Pour que ce soit bien clair, je tiens quand même à te préciser que je suis d’emblée d’accord pour tout. Un cinq à sept entre deux portes, une nuit torride dans un hôtel, chez toi ou chez moi, pour une seule fois ou pour toute la vie ; ton choix sera le mien, je ne peux pas te dire mieux.
Mais je ne veux surtout rien t’imposer. Tu dois me trouver fort peu à ton goût et déjà regretter nos embrassades. Alors, ne te crois surtout pas obligé de faire quoi que ce soit avec moi. Si tu ne veux plus me revoir, je le comprendrai aussi.
À toi de décider. Fais selon ton bon plaisir !
Marie-Laure.
J’ai relu cette missive une bonne dizaine de fois et ça m’a laissé sur le cul. Incapable de rappeler ma cousine, incapable même de laisser un SMS en réponse. J’ai préféré faire l’autruche et m’endormir pour oublier. Je me suis réveillé en nage au beau milieu de la nuit. « Purée, je suis un vrai connard, dans quel état elle doit être la pauvre ! », me suis-je lamenté. Mais mon absence de réponse était, en soi, déjà une réponse, et je savais pertinemment qu’elle devait être infiniment déçue.
Alors j’ai tapé « Quand est-ce que l’on se revoit ? » sur mon portable, mais n’ai pas envoyé le message ; puis j’ai tapé « Je préfère que l’on en reste là » sur mon portable, mais n’ai pas appuyé non plus sur l’icône d’envoi. J’ai fait mille tentatives avortées tout au cours de la nuit, brinquebalant entre le « Je t’aime » et le « Je crois que tu te fais des idées », je me sentais désespérément vide. Alors, à quoi bon ? Je me sentais complètement minable.
Au petit matin, je me suis douché et suis reparti travailler, comme si de rien n’était.
Nous ne nous sommes plus jamais reparlés, Marie-Laure et moi. Mais, quand ces souvenirs remontent à la surface, je prends conscience que j’ai perdu toute estime de moi. J’avoue que je suis vraiment très lâche, je mérite de vieillir seul et sans amour.