n° 22656 | Fiche technique | 9945 caractères | 9945 1699 Temps de lecture estimé : 7 mn |
25/09/24 |
Présentation: Impression pénible laissée par un évènement dont on avait espéré mieux. | ||||
Résumé: Déboires | ||||
Critères: fh | ||||
Auteur : Landeline-Rose Redinger Envoi mini-message |
C’est une forme de processus alternatif dont le climax se situe bien étrangement aux périodes chaudes et humides. Lorsque par près de 77 ° Fahrenheit, une pluie fine fait perler la pelouse, fait de la terrasse un miroir éclatant, lorsque cette double conjonction des éléments se fait jour, un mystère demeure. Que je me le fasse expliquer par un spécialiste du corps des femmes, par un météorologue ou bien même que la phénoménologie s’avançât sur ce terrain, ne change rien à l’affaire. Derrière la vitre qui donne sur mon jardinet, le lacis de chèvrefeuille suintant des gouttelettes de pluie matinale rend à mon corps le pur désir d’autres corps. La lumière singulière fend violemment les nuages bas et lourds. À l’unisson des éléments, mon âme vogue vers un rêve d’alanguissement et de farniente. J’associe au temps qu’il fait la lenteur, je prône l’amour sans empressement, sans précipitation, sans retournements intempestifs, sans force, sans hâte. Mais là, derrière la vitre, je suis seule et sortir d’ici est prendre le risque de perdre en chemin ce qui me tient, de rompre l’harmonie qu’une autre harmonie non jamais ne remplacerait. Et croyez-vous à la bienfaisance du hasard, à la coïncidence, à la fortuite rencontre d’un désir et d’un corps qui espère. Ce corps est celui de Tom. Ce fut d’abord un message. J’enclenchais le répondeur à bande – oui j’affectionne encore quelque instrument ancien d’un autre siècle – j’aime aussi le moment, l’instant d’avant les mots, la surprise, l’étonnement, l’erreur aussi d’une voix inconnue mal orientée. Mais celle-ci m’était familière. Je répondis par texto que oui, Tom pouvait se rendre chez moi.
D’un balancement lent et régulier, la pointe de mon sein effleure sa queue. La peau douce et flétrie de ses couilles, fait comme de petites ridules d’eau sous une brise modérée. Le revers de sa main passe sur les lèvres de mon sexe. Puis Tom s’en humecte la bouche et y revient.
Posée plus que tendue sur son grand corps allongé, sa bite n’est ni raide ni flasque. Ma langue s’enroule autour de son gland souple comme un doux caoutchouc, puis fait trembler la peau de ses couilles comme la surface d’un flan pâtissier.
Ici, point de cris, pas de râles. Juste l’un et l’autre dans des sourires heureux. En appui contre le gros coussin, les bras croisés derrière la tête, Tom se fait le spectateur de mon visage caché par le pan de mes cheveux, qui dodeline sur son sexe. La pluie n’a pas intensifié sa chute, la porte-fenêtre ouverte laisse entrer vers nos corps, une brise presque chaude.
Tom a compris le rythme, compris la langueur et cela fait bien son affaire. Son sexe se loge entre mes lèvres, ma langue en ferait bien son esquimau. Son sperme, car il n’en a pas, non, ne glissera pas dans ma gorge. Longuement, nous pourrions jouer l’un et l’autre de nos sexes.
Lentement, comme un philharmonique dont chaque instrument tairait sa mélodie tour à tour, ma bouche quitte sa queue, sa main ma chatte, puis ma langue son torse, ses doigts mes seins, mes lèvres les siennes. Parallèles et silencieux, nos corps s’apaisent tandis que la pluie poursuit sa course lente et régulière.
Voilà pourquoi je ne m’y suis pas rendue. Il faut vous dire que hasard ou coïncidence, pleine lune ou retour du printemps, je ne sais, mais mes amants me sollicitent tout comme si un mot de ralliement avait été donné.
Oh ! C’est à deux pas de chez moi, c’est dans l’impasse que partant rejoindre Pedro, je me suis ravisée.
Hormis chez Emma – maison d’en face – je ne dépasse pas cette limite. La voix caverneuse de Léonard Cohen venait du fond de l’impasse, du fond d’un jardin noyé sous la verdure anarchique. Il dansait seul l’homme en smoking et chapeau sombres ; seul sur la mélodie de Cohen. Je l’ai observé et puis sans que je ne sache il m’a invitée à entrer.
J’ai tournoyé, un pas de rock lent, car l’homme n’était pas aguerri à la danse.
Sur la véranda ancienne et presque opaque, une table au blanc disparu, une machine à taper, petit modèle portable Olivetti, des feuillets formant un manuscrit sous un galet de plage.
Il y a un p’tit bonhomme rondouillard qui tambourine à ta porte, m’avait textoté Emma qui m’avait aperçu chez l’écrivain.
Mais que faisait Pedro à une heure pareille, engoncé dans son costume à carreaux et les joues rouges prêtes à exploser ?
Bon, visiblement mon petit culbuto ibérique était fâché. J’ai réintégré minirobe en latex, talons hauts et tutti quanti dans mon dressing côté pute, puisqu’à sa demande initiale, c’est ainsi vêtu que je devais retrouver Pedro.
Puis je l’avais délaissé au profit et pour le charme de mon voisin le vieil écrivain.
Mais je me répète, mes amants jouaient au passage de témoin – on pouvait le croire – et ce fut la petite sonnerie ukulélé de mon portable qui m’envoya vers la voix incertaine de Jack – Jack Turner, l’homme de l’exposition Annie Tremsal. Il crut bon de contextualiser à nouveau les lieux de notre rencontre, en ne s’aventurant pas toutefois sur le rapprochement osé de nos corps. Bref. Jack Turner souhaitait me convier en un lieu chic, disait-il. Le choix m’en revenait. Je répondais dans la foulée. Le Crillon. J’y avais effectué quelques prestations pour un nouveau riche du Cac-40 bête et lourd comme l’industrie porcine dont il était le capitaine. Le type avait fini en grognant sous les coups de cravache que je maniais sans ménagement, déguisé en petit cochon rose. Pitoyable en somme.
Donc Jack Turner. Endroit classieux pour jeune femme chic. Pour le coup et comme un contrepoint à la partition mondaine que Jack envisageait, je ressortis la robe latex, les talons et les bas, je pris grandement le temps de me farder en forçant le trait et passais une perruque rousse aux cheveux courts et flamboyants. Plus que des lunettes, seyaient à mon visage ce soir des lentilles teintées noires qui changeaient le ton de mon regard. Sa focale en était toute autre. Pour Jack Turner le coup serait fatal. Claquerait-il la porte – avec portier – du Crillon en serrant les dents, laisserait-il un filet de salive au bord de ses lèvres ? Je riais déjà du petit jeu érotique dont les atouts liminaires étaient posés. Pedro avait raison, dans le miroir, une pute, poule de luxe comme disait mon grand-père. Le ukulélé m’indiqua qu’un taxi passerait me prendre à 21 heures.
Jack, smoking sur mesure et souliers idoines, marqua l’étonnement puis déposa une sobre bise sur ma joue.
La propriété du tissu latex est de marquer les formes qu’elles soient de bonne ou de mauvaise grâce. Ma poitrine nue, un peu compressée, laissait la pointe de mes seins renfler le tissu et quelques regards s’y posaient. Je sentais un friselis au creux de mes cuisses que le moelleux du fauteuil absorbait au mieux. Sans culotte la vie prend un autre tour. Je peux passer sur nos retrouvailles, quoique Jack sous des attitudes de décontraction, semblait cacher un petit voile d’angoisse qui le faisait de temps à autre, s’échapper de notre conversation. Une déconcentration.
Je jouais de la pointe de mon talon qui remontait le revers de son pantalon et Jack oscillait entre la folle envie et une tension visible qu’il cachait péniblement.
Cette sortie était somme toute d’un banal déroulement : suite réservée, champagne et Jack dans sa splendeur de septuagénaire, m’aurait baisée avec le sentiment de la jeunesse non enfuie. Bref, banal.
Mais à quelques minutes de l’arrivée des cafés, Jack souhaita s’absenter quelques courts instants, s’excusa-t-il.
Puis il réintégra la table, un peu pataud, un peu emprunté. Je crus soudainement, à le voir pâlir, que Jack avait ingurgité du curare, une attaque, une crise d’angoisse.
J’eus à peine le temps de passer sa carte Gold sur le lecteur que Jack était plié dans une lourde douleur sur la banquette du taxi. L’homme chic n’était plus qu’un compas replié sur lui-même.
Alors que le brancard s’éloignait avec un Jack hurlant sa douleur, je restais là, le distributeur de café était en panne et la nuit noire se mesurait à la clarté intense du hall d’attente de la clinique Turin.
J’étais seule, seule, le type – mon mari – qui me promettait la lune pleurait sur la raideur de sa bite, Pedro avait fait sortir ma porte de ses gonds ; j’étais seule, rousse, les yeux noirs, haut-perchée, courtement vêtue. J’ai attrapé le métro, station Liège, ligne 13, sortie plaisance. Trois types qui cassaient le bitume au marteau-piqueur m’ont sifflée.
Arrivée dans mon impasse, j’ai poussé jusqu’au portail éclairé de l’écrivain qui semblait mort la tête sur sa machine, je l’ai couvert d’un vieux châle.
Sur le pas de ma porte, il était là. Pedro se confondant en excuses en chialant.
J’ai lancé la perruque, les talons ont valdingué, tombé la robe.
J’allais fermer les yeux quand Pedro est arrivé nu comme un ver.
J’ai mis l’oreiller sur mon visage et je me suis endormie.